Par John Wight – Le 31 août 2018 – Source RT
Les idéologues occidentaux soutiennent que le cœur du conflit en Syrie est le statut de Bachar al-Assad. Il n’en est rien. Et ils le savent très bien.
Ceci dit, il n’est pas question d’oublier, encore moins de nier, que le président syrien n’a pas hésité à déclarer la guerre à une partie de son peuple après que celui-ci s’est soulevé contre son gouvernement dans une insurrection qui a attiré la sympathie et le soutien de forces extérieures. On ne peut pas non plus ignorer le fait que, du coup, il a été largement considéré comme un tyran et un dictateur, et qu’il a été méprisé et rejeté dans son propre pays comme ailleurs.
Bien qu’aujourd’hui cela ait été effacé de l’histoire, il est arrivé la même chose à Abraham Lincoln autrefois. Lincoln était décrit comme un monstre par ses ennemis étasuniens et détesté à l’étranger, en particulier par l’établissement britannique que son honteux soutien à l’élite esclavagiste du sud des États-Unis entachera à jamais.
Lincoln est aujourd’hui considéré comme le plus grand président américain de tous les temps – et à juste titre. Mais cela ne doit pas nous empêcher de nous livrer à une analyse sérieuse et rigoureuse de ses actions. Parce qu’aucun dirigeant, grand ou autre, n’est jamais né grand, ni ne l’a toujours été. Au contraire, leur grandeur est le résultat des choix qu’ils opèrent à des moments critiques, des moments qui peuvent changer ou influencer le cours de l’histoire à tel point que toutes leurs fautes antérieures sont oubliées, ou minimisées, dans le souvenir des peuples.
Abe Lincoln, par exemple, qui s’est révélé indispensable pour écraser la Confédération, a aussi, jeune homme, dirigé une compagnie de miliciens de l’Illinois pendant la guerre de 1832 contre la Nation du chef indien Black Hawk, une des guerres génocidaires qui ont décimé la population autochtone du continent.
Prenons encore Winston Churchill qui est considéré comme le plus grand Premier ministre britannique. Malgré le rôle indispensable qu’il a joué dans la résistance de la Grande-Bretagne à la machine de guerre d’Hitler en 1940, alors que son pays était presque le seul à se battre, Churchill a aussi été l’impitoyable impérialiste et colonialiste qui a approuvé l’utilisation de gaz toxiques contre les bolcheviks en Russie en 1919, et quelques années plus tard contre les Kurdes dans le nord de l’Irak.
Ce qui est vrai d’Abraham Lincoln et de Winston Churchill, l’est aussi de tous les soi-disant « grands hommes » de l’histoire, qui sont célébrés pour leurs réalisations pendant qu’on passe leurs crimes sous silence. C’est pourquoi l’histoire et la propagande sont souvent les deux faces d’une même pièce, bien loin de la sagesse d’un Oscar Wilde qui disait : « Tout saint a un passé et tout pécheur a un avenir. »
Ceux qui veulent vraiment comprendre le conflit en Syrie doivent, tout à la fois, se garder de diaboliser Bachar al-Assad en en faisant le mal incarné, et se garder de le vénérer en en faisant un saint des temps modernes. Ces deux représentations de Bashar al-Assad sont caricaturales, et ne servent qu’à rendre inintelligible, au lieu de le clarifier, son rôle dans un conflit brutal qui en est maintenant à sa septième année.
Quand on observe le rôle d’Assad dans le conflit – quel que soit le rôle que son gouvernement a pu ou non jouer dans la création des conditions qui y ont conduit – on se rend bien compte que s’il n’avait pas décidé de rester en Syrie avant l’intervention de la Russie fin septembre 2015, le drapeau noir du djihadisme salafiste flotterait aujourd’hui sur Damas. On doit aussi reconnaître que, si c’était arrivé, les conséquences pour les communautés minoritaires du pays, sans parler de tous les Syriens qui veulent continuer à vivre dans un pays laïc, multiculturel et non sectaire, auraient été catastrophiques.
C’est, en fait, pour défendre cette identité laïque, multiculturelle et non sectaire, et non pour défendre Bachar al-Assad, que des milliers de Syriens étaient prêts à mourir au combat contre les forces de l’enfer qui se sont dressées contre eux au cours des sept dernières années.
Et ils l’ont fait malgré la campagne mensongère de l’Occident pour parer ces forces de l’enfer – des groupes extrémistes meurtriers d’une brutalité inouïe – des couleurs romantiques de la résistance et de la rébellion ; cela, il ne faut jamais l’oublier. La campagne occidentale nous prouve que le monstre de l’hégémonie occidentale n’a rien perdu de sa férocité et que son appétit de domination est toujours si insatiable que, malgré l’océan de sang déjà versé en son nom, sa volonté d’en verser ou d’en faire verser davantage encore ne peut être sous-estimée.
Dans cet océan de sang, soit dit en passant, il y a aussi le sang des citoyens que les dirigeants occidentaux – dont les crimes sont toujours perpétrés au nom de la démocratie – prétendaient protéger. La vague d’attaques terroristes qui a frappé l’Occident, et qui est alimentée par la même idéologie pervertie que celle qui a causé tant de carnage en Irak, en Libye et en Syrie, équivaut à un « J’accuse » monumental à cet égard.
« Le bien-être du peuple a toujours été l’alibi des tyrans », souligne Camus, et qui pourrait dire le contraire devant les décombres de la politique étrangère occidentale de ces dernières années ? Elle est l’expression d’une volonté hégémonique farouchement déterminée à ruiner et détruire tout ce que les tenants de cette hégémonie, des privilégiés richissimes et fanatiques, n’ont pas réussi à contrôler par d’autres moyens.
Pour revenir à Assad, comme nous l’avons déjà dit, sa décision de rester en Syrie alors que tout semblait perdu, restera dans l’histoire non seulement de la Syrie, mais aussi de la région, comme un moment décisif. Parce que, avant l’entrée de la Russie dans le conflit en septembre 2015, rien ne permettait de penser que l’Armée arabe syrienne serait capable de résister à la pression démesurée d’une insurrection dominée par les djihadistes salafistes et soutenue par l’Occident et ses alliés dans la région.
Mais cela ne compte pas aux yeux des adeptes du changement de régime, pour qui Assad reste le mal incarné. Pour eux, c’est un monstre qui doit être vaincu ; dans l’intérêt de qui et de quoi exactement ? Dans l’intérêt du progrès et de la stabilité, dans l’intérêt des innombrables personnes qui ont été massacrées, ou dont les proches ont été massacrés, par le monstre djihadiste salafiste créé par les précédentes guerres de changement de régime ?
Le fossé qui sépare le monde imaginaire de l’idéologie occidentale du monde réel déchiré par le chaos et les carnages made in Occident ne pourrait pas être plus grand. Alors que l’idéologue occidental moyen veut nous faire croire que c’est la vertu morale (ou son absence) des gouvernements ou des dirigeants qui détermine le développement d’un État donné, en réalité, les États se développent dans un contexte matériel particulièrement défavorable, en particulier ceux du Sud. C’est en fait l’hégémonie occidentale qui asphyxie les pays dans son effort vorace pour établir sur eux sa domination stratégique, militaire, économique et culturelle.
L’idée que les États qui sont les cibles d’une telle dynamique pourraient se transformer en démocraties parfaites, pures et sans tache, est ridicule. Seuls ceux qui pratiquent la pensée magique pour ne pas avoir à prendre en compte la réalité peuvent prétendre le contraire. Notre idéologue occidental typique est donc bien coupable des faits reprochés.
En vérité, le développement des États et des nations qui sont dans la ligne de mire de l’hégémonie occidentale par le biais de sanctions économiques, de blocus, de subversion politique et/ou d’encerclement militaire est évidemment impacté de diverses manières et à des degrés divers.
Fidel Castro avait donc tout à fait raison de dire que « L’histoire de Cuba n’est que l’histoire de l’Amérique latine. L’histoire de l’Amérique latine n’est que l’histoire de l’Asie, de l’Afrique et du Moyen-Orient. Et l’histoire de tous ces peuples n’est que l’histoire de l’exploitation la plus impitoyable et la plus cruelle du reste du monde par l’impérialisme. »
Le véritable crime de Bachar al-Assad aux yeux de ses détracteurs n’est pas ce qu’il a fait, mais ce qu’il représente. Et ce qu’il représente dans le contexte du conflit brutal qui ravage la Syrie depuis 2011, c’est le rejet d’un monde régi par le mantra impérial et colonial, c’est-à-dire par la loi du plus fort.
En 2018, le peuple syrien a payé de son sang le droit de décider lui-même de son avenir. La question de savoir si cet avenir inclut Bachar al-Assad en tant que président est également de son ressort. Quoi qu’il en soit, ce qu’aucun détracteur d’Assad ne peut nier, c’est que sans son leadership durant l’un des conflits les plus brutaux des temps modernes, la Syrie n’aurait plus d’avenir du tout.
Ceux qui ont compris cela ne sont pas des Assadistes, ce sont simplement des réalistes.
John Wight est publié dans divers journaux et sites Web, dont The Independent, Morning Star, Huffington Post, Counterpunch, London Progressive Journal et Foreign Policy Journal.
Note du Saker Francophone Si le propos peut paraître équilibre et intéressant concernant la trajectoire réaliste du président Syrien, l'auteur publiant dans le Huffington Post est aussi rattrapé par le manque de compréhension du début de la guerre au nom du politiquement correct. Les évènements de Homs en 2011 étaient pilotées depuis l'étranger et les mêmes tireurs d'élites comme en Ukraine ont tiré sur la foule ET la police pour créer le chaos. Et il faut aussi se garder de personnaliser Bachar El-Assad qui n'est que la résultante de forces intérieures dont il doit arbitrer les intérêts.
Traduction : Dominique Muselet
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