Par Andrew Korybko – Le 28 août 2018 – Source orientalreview.org
Malgré de fortes pressions américaines, les Philippines progressent avec la Russie vers un accord de vente de sous-marins.
Duterte, le président philippin, a réfuté les critiques émises à l’encontre de ses projets par Randall Schriver, secrétaire américain à la défense pour l’Asie et le Pacifique, qui avait déclaré qu’« il ne s’agirait pas d’une chose qui contribuerait à notre alliance », en posant la question rhétorique : « Qui êtes-vous pour nous donner des leçons ? » ; ces déclarations ont été suivies d’un communiqué de l’ambassade russe aux Philippines, suggérant que les mots choisis par Schriver « peuvent révéler une grave attaque relevant du syndrome colonial ». Il a été rendu public il y a peu de temps que la Russie a d’ores et déjà entraîné certains des gardes du corps de Duterte, et a pour projet d’assurer également la formation de certains personnels de la flotte militaire philippine, ce qui ouvrirait la porte à une vente de Moscou à Manille de sous-marins de pointe, dont certains exemplaires ont déjà été vendus au Vietnam voisin.
Les USA comprennent bien que le temps de leur monopole sur les fournitures d’armements à leur ancienne colonie est en train de se terminer, et que la signature de gros contrats, tels que des sous-marins, amènerait à une relation soutenue entre les Philippines et la Chine, perspective de très bon augure dans une vision multipolaire, mais totalement à l’encontre des intérêts américains, surtout au regard de leurs tentatives de « contenir » la Chine en mer de Chine du sud. Les observateurs pourraient également se demander pourquoi la Russie déciderait de céder au nez et à la barbe des chinois des sous-marins aux Philippines, alors que toute perspective réaliste d’utilisation de ces engins impliquerait un jour ou l’autre des cibles chinoises. Mais si l’on considère de plus près les nuances en matière de « diplomatie militaire », on peut comprendre la stratégie qui sous-tend cette décision.
Depuis la fin de la guerre froide, les ventes d’armes russes ont toujours été centrées sur le maintien d’un équilibre de pouvoir entre divers couples d’États rivaux, qu’il s’agisse de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, de l’Inde et de la Chine, ou de la Chine et du Vietnam, avec comme dernières opportunités en date les couples Turquie & Syrie, Arabie Saoudite & Iran, Pakistan & Inde, et dernièrement donc le couple Philippines & Chine. Le concept au cœur de la stratégie russe de maintien d’affaires avec chaque membre de ces États rivaux vise à empêcher les USA de faire pencher la balance vers l’un ou l’autre, selon leurs propres préférences, ce qui encouragerait un conflit militaire ou un raidissement des relations exploitables ultérieurement par les États-Unis.
Une vente de sous-marins russes aux Philippines mettrait sur la touche la Navy américaine, et ouvrirait la voie pour faire de Moscou le partenaire militaire de long terme de Manille en lieu et place de Washington. La montée en puissance régionale russe qui en résulterait en mer de Chine du sud, si on la considère dans le cadre plus large des partenariats solides déjà en place dans les domaines militaire et énergétique avec le Vietnam, pourrait placer Moscou en position d’exercer une influence importante aussi bien sur Hanoï que sur Manille, dans la perspective de la mise au point d’un accord pacifique des différends territoriaux maritimes de ces deux pays avec Pékin. À ce stade, une telle stratégie est sans aucun doute très ambitieuse, mais il s’agit d’un pas dans la bonne direction, qui est de diminuer progressivement l’influence régionale américaine, et sous cet angle apporte plus de bien que de mal aux intérêts chinois.
Cet article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Sputnik News le vendredi 24 août 2018.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker francophone