Par Natalia Meden – Le 5 novembre 2015 – Source strategic-culture
Sigmar Gabriel, vice-chancelier et ministre des Affaires économiques et de l’énergie de l’Allemagne, s’est rendu à Moscou du 28 au 29 octobre. L’homme politique allemand avait auparavant visité la capitale russe en mars de l’année dernière, avant un référendum mémorable sur la réunification avec la Crimée. Devons-nous comprendre que la glace est brisée ? Et que la communauté des affaires en Allemagne a finalement convaincu ses politiciens que les sanctions contre la Russie ne vont nulle part, et, si oui, qu’il est temps de faire un effort pour trouver une stratégie de sortie ? Hélas, ce serait une évaluation trop optimiste.
Il faut reconnaître que la relation avec la Russie joue un rôle plutôt modeste dans l’économie allemande. La baisse des prix du pétrole, ainsi que la politique de la Banque centrale européenne consistant à préserver un niveau historiquement faible de son taux de refinancement a grandement contribué à la croissance des exportations allemandes, que l’Association allemande des exportateurs prédit à un niveau record de 1 091 milliards d’euros en 2015. Mais cette croissance vient au moment de la baisse continue des exportations vers la Russie. En 2014, les exportations de marchandises allemandes vers la Russie ont diminué de 18% par rapport à 2013, et de 31,5% dans la première moitié de 2015 par rapport à la même période en 2014. Entre janvier et juin, la Russie a acheté pour 10,5 milliards d’euros de marchandises à l’Allemagne – chiffre à comparer avec le volume total prévu des exportations allemandes annoncé plus haut. L’année dernière, la Russie était le dixième plus important partenaire pour les importations allemandes, et le treizième pour les exportations. Est-il surprenant que les médias allemands ont donné plus d’attention à la visite de Mme Merkel à Pékin, qui a coïncidé avec la visite de Gabriel à Moscou ? Après tout, la Chine est le second partenaire pour les importations de l’Allemagne et le quatrième plus grand bénéficiaire du total de ses exportations.
Toutefois, cette explication ne reflète toujours pas l’image complète.
La Russie reste un important fournisseur de carburant et de matières premières. Les consommateurs allemands et les entreprises ont besoin du pétrole et du gaz russes. Cette vérité indéniable a été confirmée lors de la réunion de Gabriel avec le chef de Gazprom, Alexeï Miller. En fait, leur précédente réunion de travail à Berlin, au début d’octobre 2015, avait eu le même résultat. Les livraisons de gaz sont particulièrement importantes maintenant que l’Allemagne a accepté de réserver certaines de ses centrales au charbon uniquement pour une alimentation de secours d’urgence, à partir de 2016 – ce qui signifie vraiment les arrêter. Cela va enlever au réseau environ 13% de la capacité en provenance de centrales de ce type, ce qui est beaucoup, si l’on tient compte qu’en 2014 un quart de l’électricité de l’Allemagne a été généré par le charbon (du lignite). Berlin a justifié cette décision en invoquant la nécessité de respecter ses engagements pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Et puisque l’Allemagne a l’intention de réduire son utilisation de l’énergie nucléaire, les centrales électriques fonctionnant au gaz naturel sont le choix le plus logique lorsqu’on cherche à obtenir un approvisionnement régulier d’une source d’énergie neutre pour l’environnement. Les Allemands sont bien conscients de ce qui est clairement visible dans la décision prise par les entreprises allemandes EON et BASF d’aider au développement de la capacité du gazoduc qui traverse la mer Baltique (le projet Nord Stream 2). Un autre partenaire allemand travaillant dans le secteur des carburants et de l’énergie russe, la société Wintershall, a cet été confirmé son intention d’investir environ 500 millions d’euros dans les projets Achimgaz et Volgodeminoil, ainsi que dans le champ de gaz russe Yuzhno Russkoye en 2018, qui devrait produire un total de 28 milliards de mètres cubes de gaz par an (par comparaison, l’Allemagne consomme annuellement environ 90 milliards de mètres cubes de gaz, et l’année dernière Gazprom lui a vendu 40 milliards de mètres cubes). Le gouvernement fédéral allemand ne va pas donner un coup de pied de l’âne dans les plans de ses entreprises énergétiques nationales qui produisent et achètent du gaz en Russie, et donc démontre tranquillement sa non-ingérence dans les affaires commerciales. Les Allemands n’ont vraiment aucune envie d’idéologiser leur politique énergétique ou de la réduire à des tentatives laborieuses pour assurer à tout prix l’indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Dans le passé, l’Allemagne a eu à défendre cette position devant ses partenaires américains, qui étaient très mécontents du comportement de Berlin.
Aujourd’hui, le gouvernement fédéral doit défendre le droit de la communauté des affaires en Allemagne à sa liberté, non seulement par rapport aux États-Unis, mais aussi au sein de l’UE, qui a officiellement fait de la décision de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie une pierre angulaire de sa politique énergétique. Cette position a déjà un effet négatif sur la coopération russo-allemande dans le secteur de l’énergie. En fait, en raison des exigences du troisième paquet énergie de l’UE, formulé en août 2015, Gazprom a vendu sa participation (10,5%) dans la société allemande Verbundnetz Gas, qui fournit du gaz dans les régions de l’ex-Allemagne de l’Est. Un autre exemple de l’impact négatif de la politique énergétique de l’UE sur la coopération germano-russe est l’exigence par un régulateur allemand (l’Agence fédérale des réseaux) que Gazprom Germania GmbH (une filiale de Gazprom) mette fin à la vente de gaz comprimé dans les stations service. Gazprom Germania a été contraint de déposer une plainte à propos de cette exigence auprès de la Cour du district de Düsseldorf.
Il semble y avoir peu de raisons de s’inquiéter à propos de la dépendance scandaleuse au gaz russe, compte tenu de la baisse du prix du pétrole et, par conséquent, du gaz. En termes monétaires, les exportations russes vers l’Allemagne sont en baisse significative, parce que le pétrole et le gaz représentent les 3/4 de la valeur de ces exportations. En 2014, les exportations de la Russie vers l’Allemagne ont diminué de 7%, puis de 24% au premier semestre de cette année. Incidemment, ces chiffres indiquent que les entreprises allemandes ne sont pas particulièrement intéressées à des sanctions anti-russes en ce moment, parce que l’environnement pour le commerce avec la Russie favorise actuellement l’Allemagne.
Compte tenu de ce contexte, une mention spéciale doit être faite d’une initiative prise par le groupe Volkswagen en Allemagne qui a alloué des fonds pour la recherche en sciences humaines à des chercheurs en Allemagne, en Russie et l’Ukraine. Mais le projet n’a jamais abouti : Kiev interdit aux savants ukrainiennes d’y participer. Le site de la Fondation Volkswagen a déclaré : «À la fin de janvier, le ministère de l’Education et des Sciences de l’Ukraine a publié une déclaration appelant les scientifiques ukrainiens à ne pas participer à l’appel pour les partenariats trilatéraux. Malgré les efforts de la Fondation pour faire annuler cette décision, le ministère a officiellement maintenu cet appel ». Les observateurs estiment que l’influence américaine sur Kiev contraint les participants à ignorer le projet. Ainsi les efforts de la communauté des affaires en Allemagne pour tenter d’aider à normaliser la situation en Ukraine ont été jusqu’ici infructueux.
La visite du vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel à Moscou a montré que ce politicien n’était pas prêt à proposer un avenir pour des relations économiques russo-allemandes qui seraient libres de dispositions politiques préliminaires. En particulier, toute assistance au projet de construction du gazoduc Nord Stream 2 dépend de la non-opposition russe au transit de gaz à travers l’Ukraine.
Comment peut-on comprendre cela ? Après tout, la Russie a déjà fait de nombreuses concessions aux Ukrainiens, y compris la levée de l’obligation de payer les amendes dues au titre du contrat de prise ferme ou de payer pour le gaz qui a été refusé (pour rappel, selon les termes de l’accord 2009, l’Ukraine s’était engagé à acheter des quantités fixes de gaz russe [pour bénéficier de tarifs préférentiels, NdT]). L’époque des actes de charité ou des livraisons gratuites de gaz est depuis longtemps révolue, et l’accord tacite de l’Europe peut être vu dans son offre de prêter de l’argent à l’Ukraine pour acheter le gaz russe.
Après avoir écouté la position inarticulée de Gabriel lors des pourparlers à Moscou, il faut reconnaître le sérieux de l’évaluation de la presse allemande disant qu’il serait un candidat faible au poste de chancelier d’Allemagne.
Natalia Meden
Traduit par jj, édité par jj, relu par Literato pour le Saker Francophone