La vérité sur le pacte de non-agression germano-soviétique

«...Les Occidentaux, qui sont donc extrêmement sensibles aux actions russes, réelles ou imaginaires, sont toujours aveugles à l'effet de leurs actions sur la Russie. Cela s'est vérifié au cours des dernières années par la méconnaissance de la réaction de la Russie à l'expansion de l'Otan et à la politique occidentale en Ukraine et en Géorgie. C'était également vrai en 1939...»
Alexander Mercouris

Alexander Mercouris

Par Alexander Mercouris -Le 12 mai 2015 – Source Russia Insider

Dans aucune partie de son texte, le Protocole secret signé en marge du pacte germano-soviétique le 23 août 1939 n’a assigné les territoires polonais ou baltes à l’URSS ou à l’Allemagne nazie

Le ministre soviétique des Affaires étrangères Molotov (à gauche) avec le ministre allemand des Affaires étrangères Ribbentrop

L’anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale a, de façon routinière, ressuscité le sujet du pacte Molotov-Ribbentrop de non-agression signé le 23 août 1939 à Moscou.

Le sujet a même été évoqué lors de la conférence de presse de M. Poutine avec Mme Merkel le 10 mai 2015. Voici ce que dit Poutine :

«Concernant le pacte Molotov-Ribbentrop, permettez-moi d’attirer votre attention sur les événements historiques, lorsque l’Union soviétique … [une pause] Il n’est même pas si important de savoir qui était en charge de la diplomatie à l’époque. Staline était en charge, bien sûr, mais il n’a pas été la seule personne à penser à la façon de garantir la sécurité de l’Union soviétique. L’Union soviétique a fait d’énormes efforts pour mettre en place les conditions d’une résistance collective au nazisme venu d’Allemagne et a fait des tentatives répétées pour créer un bloc anti-nazi en Europe.

» Toutes ces tentatives ont échoué. Qui plus est, après 1938, lorsque l’accord bien connu a été conclu à Munich, concédant certaines régions de la Tchécoslovaquie, certains politiciens pensaient que la guerre était inévitable. Churchill, par exemple, lorsque son collègue revint à Londres avec ce morceau de papier et a dit qu’il avait apporté la paix, a déclaré en réponse : ‹Maintenant la guerre est inévitable.›

» Lorsque l’Union soviétique a réalisé qu’elle était laissée seule pour faire face à l’Allemagne de Hitler, elle a agi pour tenter d’éviter une confrontation directe, et cela a abouti à la signature du pacte Molotov-Ribbentrop. En ce sens, je suis d’accord avec le point de vue de notre ministre de la Culture que ce pacte avait un sens en terme de garantie pour la sécurité de l’Union soviétique. Ceci est mon premier point.

» Deuxièmement, je vous rappelle que, après l’accord de Munich, la Pologne elle-même a pris des mesures visant à annexer une partie du territoire tchèque. En fin de compte, à la suite du pacte Molotov-Ribbentrop du partage de la Pologne, ils ont été victimes de la même politique qu’ils ont essayé de poursuivre en Europe.»

La pertinence de ce pacte à la fois en rapport avec, d’une part, la célébration par la Russie de la victoire soviétique dans la Seconde Guerre mondiale, et d’autre part avec la situation internationale d’aujourd’hui, n’est pas évidente, étant donné que la Russie d’aujourd’hui n’est pas l’URSS et que Poutine n’est pas Staline.

Toutefois,ce pacte est constamment rappelé, surtout par les politiciens d’Europe de l’Est qui, par hostilité à la Russie, cherchent à attribuer la faute à parts égales entre l’Allemagne et la Russie dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

Cette affirmation est fausse. C’est la version de Poutine qui est correcte, comme un simple exposé des faits le montre.

Les faits sont très simples et bien connus, et les problèmes d’interprétation sont (ou devraient être) peu nombreux.

Le point de départ est que Staline n’avait pas de plans au printemps ou au début de 1939 pour attaquer la Pologne, et n’avait pas de revendications territoriales contre la Pologne.

Hitler en revanche en avait. Non seulement Hitler avait planifié l’attaque de la Pologne, mais il était résolu à la mettre en œuvre.

À la fin de mars 1939, il a dit au général von Brauchitsch, le chef de l’armée allemande, qu’il attaquerait la Pologne si celle-ci ne lui rendait pas Dantzig.

Le 3 avril 1939, il a donné une directive formelle à ses généraux de préparer des plans pour le faire.

Le 28 avril 1939, il dénonce son pacte de non-agression avec la Pologne et la menace publiquement dans un discours au Reichstag, en disant qu’il cesserait de chercher un règlement pacifique avec elle si Dantzig ne lui était pas rendu et si elle n’abandonnait pas son alliance avec la Grande-Bretagne.

Le 23 mai 1939, dans un discours secret au plus haut commandement allemand dans son bureau dans la nouvelle Chancellerie, il a clairement pris la décision d’attaquer la Pologne, sans l’ombre d’un doute.

Il n’y a aucun exemple où Hitler lui-même s’étant engagé à attaquer un pays, il ne l’ait pas fait. Hitler aurait attaqué la Pologne en août 1939 indépendamment du pacte de non-agression avec l’URSS. La seule chose qui aurait peut-être pu le dissuader aurait été une alliance formelle entre la Pologne, l’URSS et les puissances occidentales.

Cela n’a toutefois pas été le cas, et l’histoire de la diplomatie qui a précédé la signature à Moscou, le 23 août 1939, d’un pacte de non-agression explique pourquoi.

Dans le cas d’une attaque allemande contre la Pologne, la Grande-Bretagne et la France étaient engagées par les garanties qu’elles ont données à la Pologne en mars 1939 de venir à son secours.

La seule question en suspens dans la diplomatie menant à la guerre était donc de savoir si la Grande-Bretagne, la France et la Pologne seraient en mesure de s’allier avec l’URSS pour vaincre ou dissuader l’Allemagne.

La nécessité d’une telle alliance était évidente et elle a été expliquée par Winston Churchill à la Chambre des communes dans un discours qu’il a prononcé le 3 avril 1939:

«Arrêter maintenant de donner notre garantie à la Pologne serait comme stationner dans un no-man’s-land, sous le feu de deux lignes de tranchées, sans abri, ni dans l’une ni dans l’autre… Ayant commencé à créer une Grande alliance contre l’agression, nous ne pouvons pas nous permettre d’échouer. Nous serons en danger de mort si nous n’y parvenons pas… La pire folie, dans laquelle personne ne nous engage, serait de trembler en refusant toute coopération naturelle avec la Russie soviétique qui, dans ses propres intérêts profonds, l’estime nécessaire

L’histoire de la diplomatie de 1939 montre que trembler et refuser la coopération avec l’URSS est précisément ce que les puissances occidentales ont fait.

Une alliance avec l’URSS contre Hitler aurait dû être une affaire simple et évidente, compte tenu de l’intense hostilité entre l’URSS et l’Allemagne nazie et des efforts déployés par les soviétiques durant les années 1930 pour forger une alliance contre l’Allemagne nazie.

Mais les conditions pour forger une telle alliance n’avaient jamais été pires que ce qu’elles étaient au printemps de 1939.

La Grande-Bretagne et la France avaient repoussé une offre soviétique d’alliance en 1938 et avaient sacrifié la Tchécoslovaquie, une alliée de l’URSS, à la Conférence de Munich (de laquelle l’URSS était exclue).

Le 28 mars 1939, les troupes de Franco occupaient Madrid, la capitale du seul autre allié européen de l’URSS, l’Espagne républicaine. La Grande-Bretagne et la France, dont la politique avait contribué à sceller le sort de l’Espagne républicaine, ont effectivement reconnu le régime de Franco comme le gouvernement légitime de l’Espagne le 27 février 1939 – avant la chute de Madrid.

Sans surprise, et comme le dit Poutine correctement, en avril 1939 Staline était logiquement devenu profondément méfiant envers les Britanniques et les Français. Les débâcles en Tchécoslovaquie et en Espagne lui ont enseigné que la Grande-Bretagne et la France ont préféré un compromis avec Hitler, si c’était humainement possible, à une alliance avec Staline. La possibilité que, dans une guerre entre Hitler et lui, les Britanniques et les Français laisseraient l’URSS le bec dans l’eau, doit être apparue très réelle pour lui au printemps de 1939 .

Dans un discours prononcé à la Conférence du Parti communiste à Moscou le 10 mars 1939, Staline a dévoilé ses soupçons et sa désillusion à l’égard des puissances occidentales de façon absolument claire quand il a dit qu’il «ne laisserait pas entraîner notre pays dans un conflit par des fauteurs de guerre, dont l’habitude est de laisser les autres tirer leurs marrons du feu».

Très peu d’écrivains occidentaux sont prêts à reconnaître l’influence de la politique occidentale sur la politique soviétique pendant la crise tchèque de 1938, et au cours de la guerre civile espagnole. Les Occidentaux, qui sont donc extrêmement sensibles aux actions russes, réelles ou imaginaires, sont toujours aveugles à l’effet de leurs actions sur la Russie. Cela s’est vérifié au cours des dernières années par la méconnaissance de la réaction de la Russie à l’expansion de l’Otan et à la politique occidentale en Ukraine et en Géorgie. C’était également vrai en 1939.

Malgré ses soupçons, Staline a fait une offre d’alliance aux puissances occidentales le 17 avril 1939. Il a insisté jusqu’au 15 août 1939, bien qu’il soit clair qu’il avait perdu tout espoir.

La raison pour laquelle l’alliance n’a pas eu lieu est le rejet de la Pologne, la Grande-Bretagne et la France n’étant pas prêtes à faire pression sur elle pour qu’elle l’accepte.

Les Polonais ont clarifié leur position lors de la visite du ministre des Affaires étrangères polonais Beck à Londres au début du mois d’avril 1939.

Dans des discussions privées, Beck a dit aux Britanniques : «Il y a deux choses que la Pologne ne peut pas accepter, à savoir que sa politique dépende de Berlin ou de Moscou. Tout pacte d’assistance mutuelle entre la Pologne et la Russie soviétique amènerait une réaction hostile immédiate de Berlin et accélérerait probablement le déclenchement d’un conflit.» La Grande-Bretagne pouvait négocier avec la Russie soviétique si elle le voulait – et même assumer des obligations envers elle –, mais «ces obligations ne concerneraient en rien la Pologne».

Les Polonais ont tenu fermement cette position tout au long de la crise qui a suivi, le rejet catégorique des propositions d’alliance avec l’URSS et le refus d’autoriser les troupes soviétiques à stationner en Pologne pour combattre les Allemands à leurs côtés.

C’est finalement le refus polonais d’accepter l’offre d’une alliance soviétique et de l’aide soviétique, et l’impossibilité pour les puissances occidentales d’influencer la Pologne, qui a provoqué l’échec des négociations pour une alliance avec l’URSS.

Cet échec catastrophique de la politique occidentale, qui a privé les puissances occidentales des moyens de défendre la Pologne – qu’elles s’étaient engagées à défendre –, a été largement compris à l’époque et évoqué dans un discours à la Chambre des communes de l’ancien premier ministre britannique David Lloyd George :

«Si nous entrons dans la guerre avec l’Allemagne, sans l’aide de la Russie, nous allons dans un piège. C’est le seul pays qui a les armes pour y arriver …. Si la Russie n’a pas été invitée dans cette affaire en raison de certains sentiments des Polonais qui ne veulent pas des Russes à leurs côtés, c’est à nous de présenter nos conditions, et à moins que les Polonais ne soient prêts à accepter les seules conditions qui nous permettraient de les aider, la responsabilité sera la leur

Les Britanniques et les Français n’étaient pas prêts «à présenter les conditions» et les Polonais ont refusé de changer d’attitude.

À la mi-août 1939, il est devenu clair pour Staline, compte tenu de la certitude d’une attaque allemande contre la Pologne, que le pacte de non-agression proposé par Hitler avait un intérêt certain. Du fait des profonds soupçons de Staline à l’égard des Allemands et de l’Occident, et du refus de ce dernier d’accepter son offre d’alliance, un accord de paix avec l’Allemagne qui minimise le risque pour l’URSS sur sa frontière occidentale avait un sens évident.

Toute la question a été embrouillée par une constante mésinterprétation de la partie secrète du pacte de non-agression, qui est toujours présentée, à tort, comme un accord entre Staline et Hitler pour un partage cynique de l’Europe de l’Est.

Le contenu du protocole secret (reproduit ci-dessous, ainsi que celui du Pacte de non-agression et des Protocoles ultérieurs qui l’ont modifié) ne montre pas cela.

Dans aucune partie de son texte, le protocole secret n’assigne les territoires polonais ou baltes à l’URSS ou à l’Allemagne nazie.

Le but du protocole secret apparaît clairement, à la fois par son texte et par son contexte – une attaque allemande imminente contre la Pologne. Ce but était d’empêcher l’armée allemande, après avoir battu la Pologne, de s’avancer dans les régions de l’Est de la Pologne, les États baltes et la Bessarabie, que l’URSS considérait comme vitales pour sa propre sécurité. Dans des conversations privées (évoquées dans le texte du protocole secret), Staline et Molotov ont fait clairement comprendre à Ribbentrop que ce serait inacceptable et que cela rendrait caduc le pacte de non-agression. Comme le dit son texte, le protocole secret vise à mettre la substance de ces conversations par écrit.

En utilisant le langage d’aujourd’hui, on dira que le protocole secret définit les lignes rouges de Staline, dont le franchissement par l’Allemagne nazie ne serait pas toléré, et qui conduirait à la guerre. Dans le contexte d’une attaque allemande en préparation contre la Pologne, c’est absolument logique. Loin de modifier le pacte de non-agression en une sorte d’alliance secrète, le protocole était une précaution de base sur laquelle les Russes insistaient, et qui a rendu possible la signature de ce pacte de non-agression en plaçant une limite à l’expansion allemande, qui, pour Staline et Molotov, était le point crucial.

Par la suite, lorsque l’Allemagne nazie a franchi les lignes rouges le 22 juin 1941, le pacte de non-agression était mort, et la guerre a suivi.

La question a été assombrie à cause de certaines étapes que l’URSS a franchies entre la signature du pacte de non-agression le 23 août 1939 et l’attaque allemande contre l’URSS le 22 juin 1941.

Suite à l’attaque allemande contre la Pologne, en octobre 1939, dans un acte qui continue naturellement à provoquer une grande amertume en Pologne, l’URSS a annexé la Pologne orientale, qui était principalement mais non exclusivement peuplées par des Ukrainiens et des Biélorusses.

Au cours de l’hiver 1939-1940, l’URSS a mené une guerre brève mais dure contre la Finlande, qui a abouti à l’annexion soviétique de la Carélie.

Après la défaite de la France face à l’Allemagne nazie en juin 1940, l’URSS a annexé les trois États baltes en octobre 1940, après des pressions pour que ces derniers acceptent des arrangements de défense mutuelle.

Enfin, en juillet 1940, l’URSS a annexé la Bessarabie (Moldavie d’aujourd’hui), en la prenant à la Roumanie.

Ces actions ne sont pas autorisées par le protocole secret ou par l’un des autres protocoles que l’URSS a conclus avec l’Allemagne nazie. Il n’y a rien dans le texte du protocole secret du 23 août 1939 qui autorise ces annexions. L’annexion soviétique des pays baltes et de la Bessarabie a eu lieu près d’un an après que le protocole secret avait été signé, ce qui rend la pertinence du protocole secret dans ces annexions pour le moins douteuse.

À l’époque, toutes ces actions ont été interprétées à la fois par les Allemands et par l’Occident pour ce qu’elles étaient – des actions anti-allemandes destinées à renforcer la position de l’URSS au vu de la montée en puissance de l’Allemagne nazie en Europe. Hitler ne les empêchait pas, non parce qu’il était d’accord, mais parce qu’il était entièrement occupé dans l’Ouest quand elles se sont produites et qu’il n’avait pas les moyens de les prévenir.

Hitler a finalement attaqué l’URSS le 22 juin 1941, et dans son discours de déclaration de guerre (qui fait allusion directement au protocole secret), il se plaignait amèrement de ces actions soviétiques ; il a précisé qu’il les considérait comme dirigées contre l’Allemagne.

En ce qui concerne la Finlande et les États baltes, il a déclaré ce qui suit :

«Les premiers résultats étaient évidents à l’automne 1939 et au printemps 1940. La Russie a justifié ses tentatives pour soumettre non seulement la Finlande, mais aussi les pays baltes, par l’affirmation soudaine, fausse et absurde, qu’il les protégeait contre une menace étrangère, ou qu’il agissait pour prévenir cette menace. Seule l’Allemagne était visée. Aucune autre puissance ne pourrait entrer dans la mer Baltique, et faire la guerre là-bas. Je devais toujours garder le silence. Les dirigeants du Kremlin ont continué.

»En accord avec le traité que l’on appelle d’amitié, l’Allemagne a retiré ses troupes loin de sa frontière orientale au printemps 1940. Les forces russes étaient déjà en mouvement, et en telle quantité que cela ne pouvait être considéré que comme une menace claire contre l’Allemagne.

»Selon une déclaration de Molotov, il y avait déjà 22 divisions russes dans les pays baltes au printemps 1940.

»Bien que le gouvernement russe ait toujours affirmé que les troupes étaient là à la demande des gens qui y vivaient, leur objectif ne pouvait être considéré que comme une démonstration visant l’Allemagne.»

En ce qui concerne l’annexion soviétique de la Bessarabie, il dit ce qui suit, en précisant comment il a accepté, à contre-cœur:

«L’attaque de la Russie sur la Roumanie était destinée non seulement à confisquer un élément important dans la vie économique, non seulement de l’Allemagne, mais de l’Europe dans son ensemble, mais aussi, au moins, à la détruire.

»Avec une patience sans bornes, le Reich allemand a tenté après 1933 d’établir avec les États d’Europe du Sud des partenariats commerciaux. Par conséquent, nous avons eu un très grand intérêt dans leur stabilité et l’ordre intérieur.

»L’entrée de la Russie en Roumanie et les liens de la Grèce avec l’Angleterre ont menacé de transformer rapidement cette zone en un champ de bataille générale.

»En dépit de nos principes et coutumes, et malgré le fait que le gouvernement roumain avait réglé lui-même ces problèmes, je leur ai conseillé de toute urgence, pour le bien de la paix, de se plier à l’extorsion soviétique et de céder la Bessarabie.»

Même en ce qui concerne la Pologne, Hitler se plaint amèrement que la victoire sur la Pologne avait été «acquise exclusivement par les troupes allemandes», ce qui montre sa colère face à l’annexion par l’URSS de la Pologne orientale.

Comme le discours de Hitler le 22 juin 1941 ne porte pas sur les revendications d’un dépeçage cynique de l’Europe orientale par les Soviétiques et les Allemands en août 1939 [suite au protocole secret du pacte, NdT], il est très rarement cité par l’Ouest, c’est l’un des discours les plus importants de la carrière d’Hitler.

Bien sûr, ce que dit Hitler, en soi, devrait compter pour peu. Dans ce cas cependant ses paroles sont entièrement corroborées, à la fois par le dossier historique, par le texte du Pacte de non-agression et par celui du protocole secret.

C’est connu depuis des décennies, ce qui permet à l’historien britannique AJP Taylor de dire, déjà en 1961, au sujet du pacte de non-agression :

«Cependant, même en essayant de regarder vers l’avenir avec une boule de cristal, du point de vue du 23 août 1939, il est difficile de voir ce que la Russie soviétique aurait pu faire d’autre que ce qu’elle a fait. Les appréhensions soviétiques d’une alliance européenne contre la Russie étaient exagérées, mais pas sans fondement. Mais, en dehors de cela – étant donné le refus polonais de l’aide soviétique, et la politique britannique d’atermoiement vis à vis de Moscou dans la définition des termes de la négociation sans chercher sérieusement une conclusion – la neutralité, avec ou sans un pacte formel, était le mieux que la diplomatie soviétique pouvait atteindre ; et la limitation des gains allemands en Pologne et dans la Baltique était l’incitation qui rendait un pacte formel attrayant.» (AJP Taylor: Les origines de la Seconde Guerre mondiale, Hamish Hamilton, 1961)

Rien dans la grande marée de la littérature qui a été publiée sur ce sujet depuis que ces phrases ont été écrites n’a contesté leur vérité. Malgré l’enfumage constant qui continue autour de cette question, ce sont – et devraient être – les meilleurs et derniers mots sur le sujet.

Les paroles de Poutine au cours de sa conférence de presse avec Mme Merkel le 10 mai 2015 montrent que sur cette question aussi, la vérité historique est connue en Russie, même si pour des raisons politiques, elle est refusée ailleurs.

TEXTE DU PACTE GERMANO-SOVIÉTIQUE DE NON AGRESSION
du 23 Août 1939

Le Gouvernement du Reich allemand et le Gouvernement de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, désireux de renforcer la cause de la paix entre l’Allemagne et l’URSS et partant des dispositions fondamentales de l’accord de neutralité conclu en avril 1926 entre l’Allemagne et l’URSS, sont arrivés à l’accord suivant :

ARTICLE I

Les deux Hautes Parties contractantes s’obligent, elles-mêmes, à renoncer à tout acte de violence, toute action agressive, et toute attaque contre l’autre, individuellement ou conjointement avec d’autres puissances.

ARTICLE II

Si l’une des Hautes Parties contractantes devient l’objet d’une action belligérante par une tierce puissance, l’autre des Hautes Parties contractantes ne doit en aucune manière apporter son soutien à cette troisième puissance.

ARTICLE III

Les gouvernements des deux Hautes Parties contractantes doivent à l’avenir maintenir un contact permanent entre eux, par des consultations ayant pour but l’échange d’informations sur les problèmes qui touchent leurs intérêts communs.

ARTICLE IV

Aucune des deux Hautes Parties contractantes ne doit participer à tout regroupement de pouvoirs qui vise directement ou indirectement l’autre partie.

ARTICLE V

Si des différends ou conflits surgissent entre les Hautes Parties contractantes sur les problèmes d’un genre ou d’un autre, les deux parties doivent régler ces différends ou conflits exclusivement par échange amical d’opinions ou, si nécessaire, à travers la création de commissions d’arbitrage.

ARTICLE VI

Le présent traité est conclu pour une période de dix ans, si aucune des Hautes Parties contractantes ne le dénonce un an avant l’expiration de cette période, la validité de ce traité est automatiquement prolongée pour cinq autres années.

ARTICLE VI

Le présent traité sera ratifié dans les plus brefs délais. Les ratifications seront échangées à Berlin. L’accord entrera en vigueur dès sa signature.

Fait en double exemplaire, en langues allemande et russe.

MOSCOU, le 23 août 1939.

Pour le Gouvernement du Reich allemand :

V. RIBBENTROP

Avec plein pouvoir du gouvernement de l’URSS :

V. MOLOTOV

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PREMIER PROTOCOLE SECRET daté du 23 août 1939

A l’occasion de la signature du traité de non-agression entre le Reich allemand et l’Union des Républiques socialistes soviétiques, les soussignés, plénipotentiaires des deux parties, ont discuté dans des conversations strictement confidentielles sur la question de la délimitation de leurs sphères respectives d’intérêt en Europe orientale.

Ces conversations ont conduit au résultat suivant :

Dans le cas d’une transformation territoriale et politique dans les territoires appartenant aux États baltes (Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie), la frontière nord de la Lituanie représente la frontière des sphères d’intérêt à la fois de l’Allemagne et de l’URSS. À cet égard, l’intérêt de la Lituanie sur le territoire de Vilna est reconnu par les deux parties.

Dans le cas d’une transformation territoriale et politique des territoires appartenant à l’État polonais, les domaines d’intérêt de l’Allemagne et l’URSS doivent être délimités approximativement par la ligne des fleuves Narew, la Vistule et San. La question de savoir si les intérêts des deux parties trouvent souhaitable la pérennité d’un État indépendant polonais, et comment les frontières de cet État doivent être tracées, ne peut être définitivement déterminée que dans le cadre d’autres développements politiques. En tout cas, les deux gouvernements vont résoudre cette question au moyen d’une entente amicale.

En ce qui concerne l’Europe du sud, le côté soviétique souligne son intérêt en Bessarabie. Le côté allemand déclare son désintérêt politique complet sur ces territoires.

Ce protocole sera traité par les deux parties comme strictement secret.
Moscou, le 23 août 1939.

POUR LE GOUVERNEMENT DU REICH ALLEMAND : Ribbentrop

AVEC pleine puissance du gouvernement de l’URSS : V. Molotov

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DEUXIÈME PROTOCOLE SECRET daté du 28 Septembre 1939

Les délégués soussignés établissent l’accord entre le Gouvernement du Reich allemand et le Gouvernement de l’URSS concernant  les questions suivantes :

Le protocole additionnel secret, signé le 23 août 1939 est modifié au n ° 1 en ce que le territoire de la Lituanie relève de la sphère URSS d’intérêt, parce que d’un autre côté, la circonscription administrative Woywodschaft de Lublin et certaines parties de la circonscription administrative de Varsovie tombent dans la sphère d’influence allemande (cf. carte ci-jointe des traités de délimitation et d’amitié ratifiés aujourd’hui). Dès que le gouvernement de l’URSS prendra des mesures spéciales pour protéger ses intérêts sur le territoire lituanien, la frontière Allemagne-Lituanie présente sera rectifiée dans l’intérêt d’une délimitation simple et naturelle, de sorte que le territoire de la Lituanie au sud-ouest de la ligne dessinée sur la carte d’accompagnement reviendra à l’Allemagne.

Il est en outre établi que les arrangements économiques en vigueur à l’heure actuelle entre l’Allemagne et la Lituanie ne seront en aucun cas endommagés par les mesures susmentionnées prises par l’Union soviétique.

Moscou, le 28 sept 1939.

Ribbentrop POUR LE GOUVERNEMENT DU REICH ALLEMAND.

V. Molotov L’autorité du gouvernement de l’URSS

———–

TROISIÈME PROTOCOLE DE SECRET en date du 10 Janvier 1941

Graf von Schulenburg, l’ambassadeur d’Allemagne, agissant pour le Gouvernement du Reich allemand, et le président du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS, VM Molotov, agissant pour le Gouvernement de l’URSS, sont convenus des points suivants :

Le Gouvernement du Reich allemand renonce à ses revendications sur la partie du territoire de la Lituanie mentionnée dans le Protocole secret du 28 septembre 1939 et affichée sur la carte inclus.

Le Gouvernement de l’Union des Républiques socialistes soviétiques est prêt à compenser le gouvernement du Reich allemand pour le territoire mentionné au point 1 de ce protocole par le paiement de la somme de 7,5 millions de dollars d’or, ou 31,5 millions de reichsmarks à l’Allemagne. Le paiement de la somme de 31,5 millions de reichsmarks sera effectué par l’URSS de la façon suivante : un huitième, soit 3.937.500 reichsmarks, dans les livraisons de métaux non ferreux dans les trois mois suivant la ratification de ce traité, et les sept huitièmes restants, 27,562,500 reichsmarks, en or par une déduction sur les paiements en or que le côté allemand devait mettre en place le 11 février 1941, sur la base de la correspondance concernant  l’accord économique du 11 février 1940 entre le Reich allemand et l’Union des Républiques socialistes soviétiques en la deuxième partie de l’accord entre le président de la délégation économique allemande, Herr Schnurre et le commissaire du peuple pour l’URSS commerce extérieur, M. AI Mikoyan.

Ce protocole a été préparé dans les deux langues allemande et russe (deux originaux) et entrera en vigueur après avoir été ratifié.

Moscou, 10 janvier 1941.

(Illisible, vraisemblablement von Schulenburg) POUR LE GOUVERNEMENT DU REICH ALLEMAND

V. Molotov agissant pour le Gouvernement de l’URSS


 

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

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