L’imbroglio trumpesque…


…L’Iran va dépasser certaines limites de l’accord nucléaire. L’UE sous pression pour remplir ses engagements


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 17 juin 2019 

Le conflit que le président américain Donald Trump a déclenché en reniant l’accord nucléaire passé avec l’Iran s’intensifie sur plusieurs fronts. Les sanctions américaines à l’encontre des importations et des exportations iraniennes sont dévastatrices pour l’économie iranienne.

Une guerre contre les pétroliers se met en place. L’Iran dépassera bientôt les limites fixées par l’accord nucléaire. Bien qu’il ne s’agisse pas légalement d’une entorse au traité, l’administration Trump la dénoncera haut et fort en tant que telle. L’Iran pousse également les pays européens à respecter leur engagement en tant que signataires de l’accord nucléaire. Il a annoncé aujourd’hui les mesures qu’il pourrait prendre si l’UE n’était pas disposée à assumer sa part.

L’accord, le Plan d’action global conjoint (Joint Comprehensive Plan of Action ou JCPOA), reconnait à l’Iran le droit d’enrichir l’uranium en combustible nucléaire et de produire de l’eau lourde, un modérateur nécessaire pour certains types de réacteurs nucléaires. L’accord limite juste les quantités de ces produits que l’Iran est autorisé à stocker. 

Comme l’Iran voulait poursuivre sa production [comme l’accord l’y autorise, NdT], il était clair que les stocks de ces deux produits dépasseraient la limite. Il a donc été convenu que l’Iran exporterait tout ce qui excède les limites fixées, ainsi que tout l’uranium enrichi et l’eau lourde produits. 

Une partie des réserves d’eau lourde de l’Iran, qui est également utilisée dans d’autres procédés industriels, était vendue aux États-Unis. En outre, l’eau lourde produite était régulièrement vendue ou envoyée à Oman pour y être stockée en attendant la fin de la conversion du réacteur nucléaire iranien d’Arak, qui utilisera cette eau lourde. 

L’excédent d’uranium enrichi a été exporté vers la Russie. En échange, l’Iran a reçu de l’uranium naturel pour enrichissement futur. 

Lorsque l’administration Trump a quitté l’accord nucléaire il y a un an, elle a renouvelé les sanctions contre le programme nucléaire iranien. Mais elle avait également accordé des dérogations pour l’exportation d’eau lourde et d’uranium enrichi. L’Iran a continué à vendre ces produits ou à les stocker à l’extérieur du pays. 

Le 3 mai 2019, le département d’État a annoncé qu’il n’accorderait plus ces dérogations : 

Toute participation au transfert d'uranium enrichi hors d'Iran en échange d'uranium naturel sera désormais passible de sanctions. Les États-Unis ont clairement indiqué que l'Iran doit mettre fin à toutes les activités posant un risque de prolifération, y compris l'enrichissement de l'uranium, et nous n'accepterons pas de mesures qui appuient la poursuite de cet enrichissement. 

Nous n'autoriserons plus non plus le stockage pour l'Iran de l'eau lourde qu'il a produite au-delà des limites actuelles ; cette eau lourde ne doit en aucun cas rester à la disposition de l'Iran. 

Cette mesure de l’administration Trump visait évidemment à amener l’Iran à violer l’accord nucléaire. 

Comme l’Iran ne pouvait plus exporter les produits, il devait décider soit d’arrêter de les produire, soit de dépasser la limite des stocks. L’accord nucléaire (JCPOA) reconnaît que l’Iran a le droit explicite d’enrichir. De plus, ce n’est qu’après que l’administration Obama eut reconnu que l’Iran avait un tel droit naturel que les négociations du JCPOA ont pu commencer. C’est cette concession, et non les sanctions, qui a amené l’Iran à la table des négociations. 

L’Iran n’est donc pas prêt à renoncer à l’enrichissement. C’est son droit naturel en vertu du traité de non-prolifération et il est au cœur du JCPOA. L’Iran n’est pas non plus disposé à abandonner sa production d’eau lourde. Il lui en faudra de grandes quantités pour mettre le réacteur Arak en service et il devra les produire à l’avance. 

La conséquence tout à fait prévisible de la décision du département d’État était que l’Iran violerait les deux limites fixées par le JCPOA pour ces stocks. 

Malgré cela, les journalistes américains parlent de la « menace » iranienne de dépasser ces limites. Les rapports « occidentaux » n’indiquent pas que c’est le régime illégal de sanctions américaines qui a causé cette violation. 

L’Iran, qui subit de fortes pressions économiques et souhaite que le conflit soit résolu le plus rapidement possible, a tenté de hâter ce moment. Il a augmenté son taux de production d’uranium enrichi et a annoncé aujourd’hui que la limite des stocks d’uranium enrichi sera atteinte dans dix jours : 

Le porte-parole de l'Organisation iranienne à l'énergie atomique affirme que le pays dépassera la limite des stocks d'uranium fixée dans l'accord nucléaire a partir du 27 juin. 

"Aujourd'hui, le compte à rebours pour dépasser la limite de 300 kilogrammes d'uranium enrichi a commencé et dans 10 jours, nous dépasserons cette limite", a déclaré Behrouz Kamalvandi aux journalistes, lundi.  

"Cela est fondé sur les articles 26 et 36 de l'accord (nucléaire) et pourra être inversé lorsque les autres parties respecteront leurs engagements", a-t-il ajouté. 

L’article 26 du JCPOA (pdf) donne le droit à l’Iran de « cesser d’exécuter ses engagements » si d’autres parties prenantes à l’accord réintroduisent des sanctions. L’article 36 fait partie du mécanisme de règlement des différends de l’accord qui accorde un droit similaire à l’Iran. 

L’Iran ne viole pas l’accord nucléaire en dépassant temporairement ces limites techniques. Mais on peut s’attendre à ce que l’administration Trump affirme pourtant cela. Il l’a déjà fait pour d’autres sujets, même sans avoir légalement le droit de le faire. 

L’Iran a également annoncé qu’il pourrait bientôt prendre des mesures supplémentaires, comme l’enrichissement à des niveaux plus élevés, si les signataires européens de l’accord nucléaire ne sont pas disposés à organiser un commerce sans entraves avec l’Iran. Les pays européens sont actuellement menacés de sanctions par les américains s’ils le font, mais ils ont certainement les moyens de les contrer. L’Iran les pousse à finalement le faire : 

Téhéran a déclaré qu'elle pourrait aller encore plus loin d'ici le 8 juillet, à moins que les partenaires restants - la Grande-Bretagne, la Chine, la France, l'Allemagne et la Russie - l'aident à contourner les sanctions américaines et surtout à vendre son pétrole. 

M. Kamalvandi a déclaré qu'il est encore temps pour les pays européens de sauver le Plan d'action global conjoint (JCPOA), comme on appelle officiellement l'accord nucléaire. 

"Les réserves de l'Iran augmentent chaque jour à un rythme plus rapide. Et s'il est important pour eux (l'Europe) de sauvegarder l'accord, ils doivent faire de leur mieux.... Dès qu'ils auront rempli leurs engagements, les choses reviendront naturellement à leur état d'origine." 

C’est maintenant aux Européens d’agir. S’ils ne s’acquittent pas de leurs engagements en vertu de l’Accord, l’Iran reviendra, étape par étape, à ce qu’il faisait avant la signature de cet accord. 

Il n’a pas d’autre choix. Les États-Unis ont sanctionné les exportations de pétrole iranien. Alors qu’ils prévoyaient au départ des dérogations pour certains pays, ils les ont maintenant révoquées. Ils sanctionnent également les exportations iraniennes de fer, d’acier, d’aluminium et de cuivre. Il y a dix jours, ils ont sanctionné l’exportation de produits pétrochimiques en provenance d’Iran. Des sanctions supplémentaires ont été imposées sur les transactions financières avec l’Iran et ses compagnies aériennes. Les importations en Iran deviennent également de plus en plus difficiles car de nombreuses entreprises craignent d’être frappées par les sanctions américaines si elles vendent leurs produits à des entreprises iraniennes. 

Il appartient aux gouvernements européens de protéger leurs entreprises de toute menace de sanctions américaines. Cela pourrait facilement être fait par une contre-menace à l’encontre des entreprises américaines. 

Les États-Unis achètent plus de marchandises à l’Europe qu’ils n’en vendent à l’Europe. Mais ils vendent beaucoup plus de services à l’Europe que celle-ci n’en vend aux États-Unis. Google et Facebook gagnent des dizaines de milliards par an en vendant des espaces publicitaires à des entités européennes. L’UE pourrait facilement bloquer cette activité. Cela contribuerait également à créer des alternatives européennes à ces monopoles. Les grandes entreprises de conseil et les banques américaines concluent des accords très rentables avec des entreprises européennes. Sommes-nous sûrs qu’ils respectent tous les règlements de l’UE ? Il est peut-être temps d’y jeter un coup d’œil plus attentif. 

L’UE est un marché plus grand que les États-Unis. Elle a certainement les moyens de contrer toute menace américaine. En tant que signataire du JCPOA, il appartient à l’UE de perpétuer cet accord. Il suffit seulement d’avoir la volonté de le faire. 

Moon of Alabama 

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone 

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