Par Adam Garrie − Le 8 juin 2019 − Source eurasiafuture.com
Trump, malgré le fait qu’il sera sans doute réélu, a d’ores et déjà accompli une chose qui restera sans doute dans l’histoire et pour laquelle on se souviendra de lui. C’est en effet sous sa présidence que, pour la première fois depuis la fatidique année 1973, les États-Unis ont repris leur position de premier producteur de pétrole au monde. La Russie et l’Arabie Saoudite se voient ainsi reléguées, respectivement, aux seconde et troisième positions.
En outre, les USA sont devenus les rois du commerce mondial en matière d’énergie, du fait de l’opposition de Trump aux régulations intérieures handicapantes, et de son penchant pour faire usage de sanctions et de barrières douanières, ainsi que la menace de ces deux outils en Asie et en Europe pour qu’ils continuent de s’approvisionner aux USA. Igor Sechin, PDG de Rosneft, le géant énergétique russe, vient d’ailleurs d’en prendre acte. Mais alors que Sechin reconnaît que les USA sont désormais les rois de l’or noir, et qu’ils vont probablement le rester pendant les décennies à venir, l’autre membre de l’équation est sans doute l’or métal, que les USA et même leurs rivaux feraient bien de remettre à l’ordre du jour des discussions de toute urgence.
Comme déjà exposé par l’expert en géopolitique Andrew Korybko, un certain nombre de commentateurs ont systématiquement émis des prédictions fortement exagérées quant au déclin à venir de l’Amérique, et la suprématie que les USA sont en train d’acquérir sur les marchés mondiaux de l’énergie va fortement pondérer leur déclin. L’Asie est de plus en plus prospère, et vise à unifier cette prospérité dans un réseau de relations gagnant-gagnant au travers des Nouvelles Routes de la Soie menées par la Chine ; mais dès lors que l’on pense à l’approvisionnement énergétique de l’Asie, les USA ont désormais un atout très important à jouer, dans la mesure où le pétrole que la Chine, l’Inde, la Corée ou le Japon veulent acheter est de plus en plus vendu via Washington.
Selon votre nationalité, votre philosophie, et plus important votre portefeuille financier, ces nouvelles sont bonnes ou mauvaises. Mais à long terme, ce scénario pourrait dégénérer en une situation perdant-perdant, l’un des effets de bord majeur de la dominance énergétique étasunienne résidant dans la préservation d’un dollar non soutenable.
Avec des USA positionnés pour tirer de nouveaux revenus de leurs ventes énergétiques mondiales aux insatiables puissances asiatiques, le moment est parfait pour revenir à un standard or classique, qui verrait la valeur du dollar dérivée de sa relation à l’or. Et si les USA établissaient les prix de leur pétrole et de leur gaz naturel liquéfié en or/en dollars rattachés à l’or, l’effet favorable qui s’ensuivrait serait de forcer d’autre grandes puissance, y compris la Chine, à réorienter leur propre politique monétaire vers un standard or. Il s’agirait d’une situation gagnant-gagnant à long terme pour presque tout le monde.
Quoique ni les USA, ni la Chine ne lient leur monnaie à un standard métallique, la Chine, contrairement aux USA, a exercé une politique monétaire plutôt conservative par rapport à ces derniers, évitant les embûches d’une monnaie librement flottante tout en laissant la marge ouverte à une flexibilité réduite de par le cours flottant du renminbi.
Mais de manière ultime, la stabilité monétaire induite par un standard métallique aura pris deux sens d’ici à la fin du XXIème siècle. Premièrement, il s’agira de la dernière pièce du puzzle dans la reconnaissance de la Chine comme première puissance économique mondiale. Et deuxièmement, les USA pourraient devenir vraiment “Great again” en rejetant le piège de dette qui ne profite qu’au complexe militaro-industriel et détruit à long terme les richesses économiques du pays.
Dernièrement, la Chine a, sans faire de bruit, acheté des quantités d’or considérables sur le marché mondial. Si cela ne constitue pas en soi un indicateur d’une volonté de Pékin de se tourner vers un standard or de sitôt, cela indique tout de même au moins le fait que le gouvernement de la Chine envisage une réalité à long terme dans laquelle l’or constituera un abri essentiel face à une période plus ou moins prolongée de vache maigre.
Pour en revenir aux USA, il faut qu’il soit bien clair que les développements positifs qui suivent pourraient s’ensuivre d’un retour au standard or :
- Stabilité des prix intérieurs/faible inflation
- Taux d’intérêt faibles, ne faisant pas gonfler la masse monétaire à des niveaux insoutenables
- Désengagement d’un cran du capitalisme financier et de la spéculation immobilière, retour à des investissements dans les industries de production, qu’il s’agisse de fabrication industrielle à grande échelle ou de sociétés petites ou moyennes
- Un gouvernement contraint de vivre selon ses moyens (cela intègre le complexe militaro-industriel, qui dépend fortement des subventions, rendues possibles uniquement par une masse monétaire hors de contrôle)
- De meilleures perspectives à long terme pour les petits et moyens épargnants
- Possibilité pour les gens normaux d’acheter à nouveau leur domicile, au lieu de le louer
- Éloignement de la spéculation, retour vers un modèle d’épargne
- La politique monétaire ne constituerait plus un outil d’ingénierie sociale, ni de manipulation géopolitique
En matière internationale, un retour au standard or résoudrait les principaux griefs énoncés par Donald Trump à l’égard de la Chine, sans devoir en arriver à des barrières douanières punitives, à des sanctions, ou à quelque embargo commercial.
L’un des griefs principaux de Donald Trump est que les biens d’exportation chinois font l’objet de prix trop compétitifs. Bien que cette accusation découle d’une mauvaise compréhension du modèle de développement interne de la Chine, dès lors que l’on parle de commerce international, chaque pays du monde s’appuyant sur sa devise monétaire constitue par définition un manipulateur de devises. C’est la différence relative entre les valeurs des devises qui permet à l’échelle mondiale l’existence de fortes différences de prix dans les importations et exportations entre nations. En corollaire, ce sont les ajustements radicaux de valeur de ces devises qui permettent au commerce international de devenir un paradis pour spéculateur, au lieu de simplement constituer le pilier des échanges entre producteurs et consommateurs dans le cadre d’une économie ouverte.
En contraste, si toutes les nations établissaient les prix de leurs exportations sur la base d’une devise indexée sur l’or, les prix des marchandises à l’international deviendraient beaucoup plus stables. Et la désirabilité d’un produit s’établirait ainsi en premier chef sur sa qualité et sur sa compétitivité réelle. Voilà qui contraste singulièrement avec les marchandises dont les prix à l’international sont faciles à manipuler, de par l’usage de systèmes monétaires instables.
Précisons que le renminbi chinois à parité ajustable est moins manipulé que le dollar à valeur flottante, mais en réalité, toute devise non liée à un produit de base de valeur universelle, comme l’or, constitue en fin de compte un outil manipulable, par opposition à une valeur universelle qu’aucun gouvernement ne peut contrôler.
À l’époque où les USA constituaient encore la première économie mondiale en matière de PIB, si Washington avait demandé au monde d’établir ses prix en fonction de la valeur de l’or, et non pas en fonction de la devise dollar, les USA auraient pu modeler un avenir où les prix mondiaux, à l’import et à l’export, seraient bien plus stables, ce qui aurait coupé l’herbe sous le pied aux accusations de prix tronqués sur les importations, qui résultent des manipulations de devises. Et que les USA aient été le principal exportateur mondial, tout en faisant usage du standard or, aurait défini un cadre clair, où l’or pouvait garantir une relation gagnant-gagnant du point de vue des importations comme des exportations. À présent que les revenus de ventes de pétrole et de gaz s’accumulent dans les coffres de Washington, le moment serait particulièrement bien choisi d’entamer le pivot, qui prendrait une décennie, vers le standard or.
Quant aux pays qui refusent d’établir leurs prix en fonction de l’or, les USA pourraient définir une barrière douanière à l’entrée, à la fois juste et uniforme, pour ces importations, jusqu’au moment où le partenaire en question acceptera de souscrire au standard or.
À l’inverse, si les USA attendent encore avant de revenir vers l’or, ce pourrait bien être la Chine qui finirait par prendre le pas, et leur indiquer qu’elle n’acceptera plus que les paiements en or pour ses exportations. Si l’on arrivait à une telle occurrence sans s’y préparer, les USA se retrouveraient dans une situation de désavantage important, d’une échelle toute autre que le niveau de désavantage que Trump dénonce à ce jour. Donc, si la Chine sentait que les USA utilisent la devise dollar de manière trop menaçante sans se diriger vers le retour au standard or rendu possible par la résurrection de leur statut d’exportateur pétrolier, la Chine pourrait se retrouver en position de devoir forcer les USA à revenir à ce standard or, un beau jour de la deuxième moitié du XXIème siècle. Si la Chine commençait à établir ses prix à l’exportation selon un standard or, les USA n’auraient plus le choix à long terme. Sous un tel scénario, les pays qui poursuivent une stratégie d’accumulation d’or, de la Russie à la Turquie, s’accorderaient sans doute avec la Chine, dans un mouvement visant à repousser l’arme qu’est le dollar.
Mais si au contraire les USA étaient les premiers à revenir au standard or, la Chine et les USA en viendraient nécessairement à travailler de pair pour revenir vers le standard or. Le renminbi chinois voyant encore sa valeur liée au dollar selon une parité ajustable, si le dollar revenait à un standard or, il est presque certain que la Chine suivrait le mouvement.
La meilleure solution, pour la Chine et les USA, de sortir de leurs différends commerciaux en cours, serait donc de se mettre d’accord sur une transition à moyen terme vers un régime d’échange commercial prenant le standard or comme base. Une fois le système monétaire réparé une bonne fois pour toutes, un commerce ouvert et surtout juste pourrait exister entre les parties, sans que l’une ou l’autre ne puisse réellement se plaindre, sauf à s’opposer aux principes-mêmes du marché libre.
Note du Saker francophone et comme d'habitude, la force réelle de l'euro, supposé peser dans le système monétaire mondial, est tout à fait bien illustrée par l'absence de la moindre mention dans tout sujet qui compte. Mais on peut aussi douter des assertions de l'auteur sur les décennies de pétrole des USA sachant que ce pétrole de schiste pose beaucoup de problèmes et de questions.
Traduit par Vincent, relu par San pour le Saker Francophone