Par Carol Duff – Le 2 janvier 2018 – Source VeteransToday
Comme dans toute guerre, la politique peut être une force motrice. Le militariste [stratège militaire, NdT] Carl von Clausewitz a dit que « la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens. » La guerre de Corée n’était pas différente de toute autre guerre. De nombreuses décisions impliquant sa conduite ont été motivées par des considérations politiques, tant sur le front intérieur qu’à l’étranger. Inversement, la politique américaine a été affectée par la guerre de Corée.
Les États-Unis ont été impliqués dans la relance économique de l’Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette assistance était intentionnellement dirigée, dés le début, contre la Russie communiste. La doctrine Truman promettait l’aide des États-Unis à tout pays qui cherchait à se protéger contre l’agression, extérieure ou intérieure, venant de pays – ou factions au sein de ces pays – qui épousaient le communisme. La doctrine Truman apportait un soutien économique à la Turquie et à la Grèce, mais elle était aussi une doctrine d’encerclement car elle incluait également l’Iran, le Pakistan, le Japon et la Chine. À cette époque également, les Français étaient de retour en Indochine et l’aide des États-Unis fut fournie à Chiang Kai-shek pour défendre sa cause nationaliste en Chine.
Le plan Marshall a versé de l’argent dans la relance de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale. Les pays européens se sont félicités de l’aide américaine et ont cherché l’assurance d’une attention totale des États-Unis concernant leurs préoccupations. Les nations européennes ne voulaient pas que l’argent soit détourné au profit des Coréens alors que ces peuples luttaient pour leur liberté et leur réunification. Le Congrès s’est rangé du côté des pays européens. L’Europe voulait également obtenir l’assurance que les États-Unis l’aideraient à empêcher l’URSS d’entrer en Europe de l’Est. L’implication sur un second front, dans le Pacifique, pouvait fort bien diminuer le soutien des États-Unis sur le front européen.
Avant l’engagement des États-Unis en Corée, le Parti républicain était composé d’internationalistes et d’isolationnistes. Les isolationnistes, sous prétexte de ne pas intervenir, soutenaient l’Allemagne nazie et craignaient que les politiques du New Deal de Franklin Delano Roosevelt ne soient socialistes. De plus, des républicains éminents avaient des relations d’affaires à long terme avec l’Allemagne nazie. Ces hommes d’affaires et ces entreprises ont utilisé des politiques isolationnistes pour tenter de faire pression sur le gouvernement afin qu’il continue à les laisser libres de soutenir les industries de guerre allemandes, malgré la loi sur la neutralité.
Bien que les isolationnistes et les non-interventionnistes aient été qualifiés de conservateurs du Middle West, souvent d’origine allemande, ces groupes remplissaient un rôle primordial qui était d’influencer l’opinion publique pour entraver les efforts américains vers une intervention contre l’Axe à l’échelle mondiale.
Le quatre-vingt-unième Congrès, dont Harry Truman (Parti démocrate) avait hérité après sa victoire présidentielle, n’avait pas l’intention de coopérer avec son nouveau commandant en chef en soutenant la doctrine Truman ou le plan Marshall. Les conservateurs ne partageaient pas l’enthousiasme de Truman ou du secrétaire d’État Marshall pour un programme de confinement du communisme. Les Républicains voulaient mettre fin à l’impôt progressif sur le revenu, supprimer les syndicats, le système de sécurité sociale, la législation antitrust et établir une politique étrangère fondée sur l’utilisation de la force militaire afin de défendre les intérêts économiques américains. Les démocrates conservateurs (Dixiecrats) voulaient continuer la restriction du droit de vote, la mise en place d’une force de police nationale dotée de larges pouvoirs de perquisition et de saisie, le contrôle de la presse, l’arrestation et la détention sans habeas corpus, la reconnaissance et la mise en œuvre d’une religion nationale chrétienne, protestante, évangélique et xénophobe avec des prières obligatoires dans les écoles et un soutien financier direct aux institutions religieuses, la création d’un niveau inférieur de citoyenneté fondé sur la race, la religion, l’origine nationale et des critères intellectuels, la restriction des droits des femmes et de leur admission à voter… C’est l’agenda républicain traditionnel.
L’effondrement de la Chine nationaliste a donné des arguments aux Républicains contre les Démocrates. Les États-Unis ont écrit les Livres blancs sur la Chine pour exprimer leur attitude à l’égard de la guerre civile entre communistes et nationalistes en Chine. Ils ont nié toute responsabilité pour la perte de la Chine continentale entre les mains des communistes, mais les Républicains ont publié une déclaration selon laquelle les États-Unis refusaient de livrer des armes aux nationalistes chinois et mettaient l’Asie en danger d’être envahie par le communisme. Le Parti républicain voulait que Chiang Kai-shek [réfugié à Taïwan] retourne en Chine continentale et ne voulait pas que l’administration Truman reconnaisse la Chine rouge. Le Livre blanc de la Chine affirme que « les bouleversements sociaux et politiques en Chine ont livré le pays aux communistes ». Les Républicains ont reproché les résultats sur les pro-communistes dans les administrations Roosevelt et Truman et ont ensuite déclaré que ces groupes pro-communistes avaient donné la Chine aux communistes.
Le sénateur Joseph McCarthy a attaqué le Département d’État et l’a accusé d’être pro-communiste et responsable de la victoire de Mao en Chine. McCarthy a dit : « À mon avis, le département d’État, qui est l’un des plus importants ministères du gouvernement, est infesté de communistes. » L’explosion de la première bombe atomique russe et la condamnation d’Alger Hiss [accusé d’être un espion russe] pour parjure, après avoir déclaré qu’il n’avait jamais été membre du parti communiste, ont accru la crainte ou la méfiance envers le communisme.
Une élection du Congrès approchait pour novembre 1950 et les Républicains ont décidé que la façon la plus efficace pour obtenir plus de sièges au Congrès était de s’opposer à l’administration actuelle. Le Congrès était souvent divisé sur les politiques acceptables au sujet de la guerre de Corée. Ce corps politique prônait alternativement les positions opposées de retrait total de la péninsule coréenne ou de guerre totale contre la Chine. Une guerre totale à cette époque aurait signifié une guerre mondiale. Au cours de la période 1950-1953, les Républicains du Congrès furent sérieusement divisés sur la question de transformer l’unification de la Corée d’un objectif politique à un objectif militaire.
David Rees, auteur de « Korea : The Limited War » déclare que « la décision coréenne était avant tout une décision politique dans la tradition jeffersonienne de l’idéalisme américain ». L’intérêt des États-Unis pour la Corée allait au-delà du dégoût de l’invasion communiste d’un pays sans défense.
Une guerre limitée est une guerre politique en ce sens que les revendications politiques du gouvernement à l’intérieur restreignent les forces armées. Les États-Unis ont parfois favorisé une guerre limitée, malgré les vœux des militaires pour une guerre totale. Les trois raisons pour lesquelles les États-Unis ont décidé de mener une guerre limitée étaient qu’ils ne voulaient pas provoquer l’entrée en guerre de la Russie, qu’ils ne voulaient pas trop s’étendre en Corée en laissant l’Europe vulnérable, et que les alliés américains étaient réticents à élargir la guerre. Le 80e Congrès, dominé par les Républicains, a réduit les dépenses militaires et retardé la mise à disposition de l’argent pour l’armée en 1949. C’est pourquoi les États-Unis se sont retirés de Corée du Sud en septembre 1947. Le Congrès a de nouveau refusé de verser 60 millions de dollars de plus en 1950 et 1951. Sans argent, les armées ne peuvent pas être maintenues.
Au début de la guerre, les Républicains du Congrès ont approuvé les mesures américaines d’entrée en Corée. Le sénateur républicain Knowland a mis en garde contre un apaisement semblable à celui de Munich. Il a juré que si la Corée tombait aux mains du communisme, toute l’Asie serait menacée. Il a fait référence à l’apaisement comme à une reddition à crédit. Le Républicain Alexander Smith, du New Jersey, a déclaré : « Nous, les Républicains, sommes unis maintenant à l’administration, bien que nous ayons critiqué la politique passée en Extrême-Orient ». Alors que certains Républicains étaient derrière l’administration, McCarthy disait que tout échec de la politique étrangère était dû aux communistes au sein du département d’État.
Finalement, les Républicains se sont ralliés autour de McCarthy et se sont joints à la rhétorique anticommuniste. Même les démocrates ont voté en faveur d’une législation anti-subversive. Il y avait une chasse aux sorcières contre les communistes aux États-Unis, y compris au département d’État. La demande publique d’une législature anticommuniste et antisubversive a encouragé les Républicains et les Démocrates à voter en faveur de ces mesures. La fanfare anti-communiste semblait jouer une musique appréciée à l’approche des élections de 1950. Les Républicains avaient prévu de déloger les Démocrates du Congrès.
Les accusations républicaines de subversion dans l’administration ont coloré la politique étrangère en Extrême-Orient. À l’été 1950, Truman avait rejeté les efforts de paix de l’Inde et de l’Angleterre. Ensuite, l’administration a utilisé le conflit pour atteindre des objectifs politiques en Europe. Les efforts de paix de l’Inde et de l’Angleterre comprenaient l’acceptation de la République populaire de Chine au sein des Nations Unies ainsi que le règlement de la guerre de Corée. L’Angleterre voulait maintenir de bonnes relations avec la Chine pour des raisons économiques. Si l’administration avait manifesté sa volonté d’accepter la Chine communiste, les Républicains l’auraient utilisée pour prouver qu’il y avait des communistes au sein de l’administration et du département d’État. L’opinion publique américaine était contre l’initiative de paix proposée par l’Inde.
En octobre 1949, les Républicains avaient consacré une somme énorme à l’aide militaire pour la Corée du Sud. Cet argent devait servir à construire l’armée coréenne, mais n’a jamais été utilisé à cette fin. Cela aurait été dû aux réserves de l’administration de donner à Rhee une armée qu’il aurait pu utiliser à sa discrétion. L’administration craignait que Rhee n’utilise cette armée pour attaquer la Corée du Nord, ce qui aurait amené la Chine et la Russie dans la bataille.
Les Républicains avaient commencé à « jouer sur les craintes de l’électorat en temps de crise pour en tirer un gain politique ». Le groupe comploteur au Congrès a commencé à dire que les États-Unis avaient délibérément perdu la Mandchourie, la Chine, la Corée et Berlin, des zones stratégiques à travers le monde. Les Républicains ont joué sur la peur croissante du communisme aux États-Unis et dans le monde entier.
Truman a demandé au Congrès de « … supprimer les restrictions sur la taille des forces armées… d’autoriser l’établissement de priorités dans l’allocation de matériel pour empêcher l’accaparement et la réquisition des fournitures nécessaires… augmenter les impôts et restreindre le crédit à la consommation… et l’allocation de dix milliards supplémentaire pour la défense ». Le pouvoir de contrôler les prix, les salaires et la distribution des biens de consommation au niveau du commerce de détail a conféré au Président un droit plus arbitraire sur la vie des Américains que toute autre législation passée ou présente. Les Républicains exigeaient une réduction des dépenses intérieures et protestaient contre l’augmentation des pouvoirs du Président.
Le fait majeur que Truman n’ait pas consulté le Congrès avant d’engager des troupes en Corée a affecté les élections législatives de 1950. S’il l’avait consulté, espérant qu’il approuverait, ceux qui s’opposaient au déroulement du conflit n’auraient pas pu le blâmer et qualifier le conflit de guerre de Truman.
Le sénateur républicain Taft a appelé à voter pour le Parti républicain (GOP) afin d’arrêter le communisme sur le front intérieur, le « socialisme rampant » ainsi que les impôts élevés et l’inflation. Le fait de pointer du doigt les démocrates signifiait essentiellement que ces derniers étaient à l’origine de ce problème avec le communisme et que c’était une bonne raison pour les chasser du Congrès.
En 1950, les Républicains appuyaient l’intervention américaine en Corée et s’alignaient sur la mentalité de McArthur, qui prônait : « Pas d’autre choix que la victoire » tout en demandant parfois le retrait de Corée. Le Congrès a prétendu vouloir intervenir en Corée, mais a retenu les fonds nécessaires pour y maintenir une armée. Il est possible que Truman ait pensé aux conséquences politiques de ses actes, mais cela ne l’a pas empêché de faire ce qu’il pensait nécessaire. Les politiques ont changé de temps à autre et il semble parfois y avoir une certaine confusion quant à savoir quelle politique ou stratégie militaire était appropriée et serait efficace. Les Républicains ont utilisé le maccarthysme pour créer la peur du communisme afin de retourner le public contre l’administration. Cela a été fait uniquement pour des raisons partisanes et pour influer sur les élections.
Dès l’élection présidentielle de 1952, la véritable intention du Parti républicain était visible. Bien qu’à un moment donné, ils voulaient, en même temps, d’une part que les États-Unis quittent la Corée et d’autre part appliquent la politique de guerre à outrance de McArthur, ils ont nommé un héros militaire [Eisenhower] qui n’avait aucun plan pour mettre fin à la guerre, même si son programme était parfois contre l’unification, et dans une politique militaire à outrance. Le Parti républicain n’était pas cohérent dans ce qu’il pensait que les États-Unis devraient faire, et ne présentait pas une alternative constructive, donc ce qu’ils ont fait n’était que de la manœuvre politique. La politique étrangère a exercé des pressions sur les États-Unis pour qu’ils abandonnent l’aide financière à la Corée dans sa lutte pour l’indépendance et la réunification. La politique américaine a eu un impact sur la guerre de Corée, mais pas autant que les Républicains l’auraient souhaité. Truman a pu mener la guerre comme il l’entendait. La politique intérieure a effectivement amené Eisenhower, un président républicain, à la Maison-Blanche, mais pas un président dont la politique était si différente de celle du président sortant.
Carol Duff
Références
- Caridi, Ronald J. The Korean War and American Politics: The Republican Party as a Case Study. Philadelphie: University of Pennsylvania Press, 1968. pp. 3,5,11,12,15,21,29,55,98
- Compte rendu du Congrès, 26 juin 1950, p. 9158.
- Compte rendu du Congrès, 5 juillet 1950, p. 9666.
- Registre du Congrès, 14 août 1950, p. 12400.
- Registre du Congrès, 5 septembre 1950, p. 14214.
- Duff, Gordon. Historien.
- Goldman, Eric. La Décennie Cruciale et Après. New York, 1960. p. 142
- Highman, Charles. Trading With the Enemy: The Nazi-American Money Plot 1933-1949. New York: Barnes and Noble Books, 1983. pp. XV-XiX. 7.
- Kaufman, Burton I. La guerre de Corée: défis en temps de crise, crédibilité et commandement. New York: Alfred A Knopf, 1986. pp. 52,55
- Rees, David. Corée: La Guerre Limitée. New York, 1964. p. 11
- Reeves, Thomas C. Life and Times of Joe McCarthy. New York, 1982. pp. 305-314
- The New York Times, 4 janvier 1950, pp. 1 & 6
- Mémoires Truman II. p. 329,348
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone