Par Dmitry Orlov – Le 9 mai 2017 – Source Club Orlov
Je suis dans le business de la prédiction d’un effondrement depuis plus d’une décennie, avec des résultats relativement bons dans l’ensemble. Un des aspects de la prévision d’un effondrement qui pose problème, c’est le calendrier. La raison pour laquelle c’est difficile est bien comprise : l’effondrement est une sorte de transition de phase, et les transitions de phase sont notoirement difficiles à prédire avec précision. Il est également presque impossible d’établir ce qui les déclenche. Quand une goutte de pluie d’eau super-refroidie va-t-elle subitement se transformer en un flocon de neige? Seul le flocon de neige le sait. Qu’est-ce qui a déclenché l’effondrement de l’URSS? Si vous avez également une opinion sur le sujet, dites-le moi. Je vous en remercie.
Un autre aspect de ma méthode qui pourrait être amélioré est son manque de rigueur quantitative. J’ai pu faire un grand nombre de prédictions qualitatives assez précises, toutes basées sur un raisonnement par analogie. Par exemple, après avoir observé l’effondrement de l’URSS et ses retombées immédiates, puis, en imaginant à l’aide d’expériences de pensée comment les États-Unis pourraient faire face à un effondrement, j’ai pu formuler quelque chose que j’ai appelé la Soupe de l’effondrement d’une super-puissance. Ses principaux ingrédients sont : un grave déficit dans la production de pétrole brut, un déficit commercial important et systémique, un budget militaire surdimensionné et gonflé, une armée démesurée et incapable de victoire, des niveaux invalidants de dettes non remboursables et une élite politique accrochée au pouvoir, corrompue à un niveau systémique et incapable de réforme. Au cours de la décennie écoulée depuis que j’ai abordé ces sujets, les événements que j’ai prédits se sont déroulés avec une certaine précision. Les États-Unis perdent régulièrement de leur domination économique et militaire; ils ne peuvent plus se faire respecter diplomatiquement dans le monde; la dernière goutte sera la perte du contrôle de leur emprise financière sur l’économie mondiale.
Il est amusant et instructif de regarder les superpuissances se bousculer pour se positionner et finalement s’effondrer, mais ce n’est que la toile de fond d’un phénomène beaucoup plus important, qui commence à se dérouler à vitesse croissante : le déclin de l’ère industrielle. Voici une autre analogie : l’idée que, dans dix ans, la plus grande partie du monde actuellement industrialisé sera clairement et de manière évidente loin sur la voie de la désindustrialisation, peut sembler tout aussi étrange maintenant, que l’idée que les États-Unis perdraient rapidement leur position de superpuissance mondiale il y a dix ans, lorsque j’ai abordé le sujet.
Mais il y a aussi une différence importante : l’activité industrielle est beaucoup plus facilement quantifiable que des questions telles que la domination politique et militaire. En particulier, la théorie Olduvai de Richard Duncan, datant de 1989, fournit un bon guide pour les événements à venir. Son nom plus long est « la théorie de l’impulsion transitoire de la civilisation industrielle ». Son idée principale est que l’âge industriel s’étendrait sur à peu près cent ans, de 1930 à 2030, avec un pic quelque part au milieu. Sa prédiction était que, d’ici 2030, l’activité industrielle diminuera jusqu’à revenir au niveau de 1930.
La mesure spécifique qu’il a décidé de suivre est la consommation d’énergie par habitant. Sa théorie a fait l’objet de critiques au cours des dernières années, à cause de deux facteurs. Tout d’abord, au lieu de diminuer au cours des dernières décennies, l’utilisation de l’énergie par habitant a en fait augmenté de façon modeste. Deuxièmement, diverses avancées technologiques, y compris la possibilité de déplacer l’information sous la forme de signaux électroniques, plutôt que de supports plus volumineux tels que le papier, ont permis d’améliorer l’efficacité et ont permis d’augmenter le niveau d’activité industrielle pour un même niveau de consommation d’énergie par habitant.
Cette critique est faible sur les deux points. Tout d’abord, les niveaux croissants et soutenus d’utilisation d’énergie par habitant ont été obtenus en augmentant constamment la dette, ce qui a temporairement compensé les coûts croissants de la production d’énergie. L’effet global a été de diminuer la consommation d’énergie et la croissance économique. Les prix de l’énergie sont faibles, parce que c’est tout ce que les consommateurs peuvent se permettre de payer et les producteurs d’énergies sont obligés d’emprunter pour compenser la différence entre leurs coûts de production et leurs gains. Lorsque la croissance économique s’arrête et même se renverse (ce que les Français appellent « décroissance »), le fardeau de la dette devient insoutenable, les entreprises d’énergie quittent ce secteur d’activité et l’utilisation de l’énergie par habitant diminue de façon précipitée. Ainsi, le phénomène qui a permis l’utilisation de l’énergie par habitant d’établir de nouveaux mais modestes records a produit un plateau d’Olduvai, qui sera suivi d’une falaise d’Olduvai encore plus raide, une fois que ce schéma va forcément échouer, essentiellement celui qui consiste à tenter d’emprunter avec, en collatéral ou en garantie, un avenir inexistant. Ce moment n’est pas loin : au moment où j’écris ces mots, le secteur de l’énergie a largement cessé d’être rentable, et il y a une vague croissante de compagnies d’énergie qui entrent en faillite.
Sur le deuxième point, il est important de comprendre l’ingrédient clé derrière tous les gains d’efficacité technologique modernes. Oui, nous avons gagné la capacité de communiquer électroniquement au lieu de déplacer des bouts de papier. Nous disposons maintenant de réseaux d’approvisionnement globaux et de systèmes de livraison en flux tendu qui ont permis d’éliminer en grande partie les coûts liés au maintien de l’inventaire local. Nous avons automatisé et robotisé les processus de fabrication et les systèmes de contrôle des procédés, qui ont rendu la production industrielle beaucoup plus efficace dans l’utilisation des matériaux et de l’énergie. Mais qu’est-ce qui sous-tend toutes ces avancées? C’est la disponibilité du réseau électrique. Aucun d’entre eux ne serait possible sans l’accès universel à des sources fiables d’électricité. Et c’est précisément la disparition du réseau électrique, que Richard Duncan a vue comme l’événement déclencheur qui indiquera la fin de l’ère industrielle.
Lorsque l’astuce d’emprunter sur un avenir inexistant afin de maintenir un niveau élevé d’utilisation d’énergie par habitant finira par échouer (comme le présent montre déjà des signes de faiblesse), la disponibilité en énergie va diminuer, les réseaux électriques vont tomber en panne et tous les gains d’efficacité poussés par plus de technologie seront effacés, tous en même temps. Richard Duncan n’est pas le seul ingénieur à échouer à prédire la fonction importante que l’augmentation exponentielle de la dette a jouée, dans l’extension de l’ère industrielle sur une décennie ou deux en plus, la chute devenant encore plus abrupte. Les ingénieurs aiment travailler avec des quantités physiques, et détestent admettre que quelque chose qui est essentiellement un jeu, joué avec des chiffres sur des morceaux de papier, ce qu’est la dette, puisse néanmoins constituer une force motrice physique obligeant les gens à agir. Sa manifestation physique la plus dramatique consiste à épuiser les ressources naturelles non renouvelables plus rapidement et plus complètement. Encore une fois, l’effet global est de réduire la capacité à prédire avec précision le moment de l’effondrement. En ce qui concerne la prédiction du résultat final, je crois que les prédictions de la théorie d’Olduvai subsistent.
Bien que nous puissions encore observer un rythme hebdomadaire d’activité industrielle tout autour de nous – des routes saturées par la circulation, des lumières partout, des navires portant des conteneurs et des supertankers arrivant dans les ports selon le planning prévu – il y a des endroits dans le monde qui sont déjà en phase d’effondrement industriel terminal. Pour voir que cela se passe, tout ce que nous devons faire est de regarder ce qui se produit un peu plus attentivement.
La science de la collapsologie est entravée par le fait que la plupart des effondrements à grande échelle – ceux impliquant des pays et des régions entières, des empires et des civilisations – ne peuvent être étudiés en laboratoire. Tout ce que nous pouvons faire, c’est les observer, faire des comparaisons et établir des analogies. Mais puisque le nombre de paramètres de variation entre pays, régions, empires et civilisations est, effectivement, infini, les collapsologues restent toujours ouverts à la critique, admettant qu’ils comparent des pommes à des oranges. Mais cette critique est-elle valable, en ce qui concerne l’effondrement industriel mondial? Après tout, il n’y a plus qu’une seule civilisation industrielle mondiale. Même la Corée du Nord, avec son idéologie de Juche, ne fait pas exception, car même là, les gens se promènent comme des zombies, leurs globes oculaires collés à leurs smartphones fabriqués en Corée du Sud, leurs doigts frappant et caressant compulsivement leurs écrans tactiles. Et là, comme partout ailleurs, les smartphones fonctionnent aussi longtemps qu’il existe des prises électriques fonctionnelles pour brancher leurs chargeurs et faire fonctionner des réseaux cellulaires et wifi auxquels ils peuvent se connecter. Et ces deux nécessitent… un réseau électrique.
Parfois, nous sommes confrontés à un scénario d’effondrement qui est aussi proche d’une expérience de laboratoire que nous pourrions le souhaiter. Supposons qu’un grand pays européen, fortement industrialisé, se soit engagé dans une voie de désindustrialisation rapide et catastrophique. Supposons en outre que sa capacité de production électrique soit compromise par une combinaison de facteurs qui entraîneraient une grande partie de celle-ci dans l’abîme en quelques années seulement. Enfin, supposons qu’il soit possible de tracer de nombreux parallèles entre les conditions politiques et sociales de ce pays et celles des États-Unis. Ne serait-ce pas une bonne étude de cas d’effondrement industriel?
Ce pays, c’est l’Ukraine. Avant l’effondrement de l’URSS, c’était une puissance industrielle et une pierre angulaire de l’industrie soviétique de la construction mécanique et de la défense. Après l’effondrement de l’URSS et jusqu’en 2014, sa base industrielle a été soumise à des pillages en masse par ses oligarques prédateurs, mais elle a encore maintenu ses liens économiques avec la Russie. Ces liens ont soutenu les exportations ukrainiennes dans des domaines tels que les fusées, les hélicoptères et les moteurs de bateaux, une gamme de produits liés à la défense et de nombreux autres biens durables et de consommation, tels que les tuyaux pour les gazoducs et la délicieuse graisse de porc séchée (sálo). Tout cela a changé avec le putsch de février 2014, qui a renversé le gouvernement constitutionnel et l’a remplacé par un gouvernement de marionnettes géré par les agents de la CIA et l’ambassade des États-Unis à Kiev. Le nouveau gouvernement a systématiquement détruit les liens économiques avec la Russie. À son tour, la Russie a été très heureuse de renier sa dépendance gênante et de commencer à produire des remplacements domestiques pour les importations ukrainiennes. Dans de nombreux cas, les spécialistes ukrainiens derrière les exportations de haute technologie ont également déménagé en Russie. L’Ukraine s’est retrouvée coincée avec la valeur de plusieurs wagons de chemin de fer de sálo invendable.
Bien que cette politique soit assez nettement inefficace, sous la pression politique des soi-disant « nationalistes ukrainiens », qui ont été encouragés par leurs soutiens américains, les liens avec les entreprises russes ont été systématiquement brisés et les industries d’exportations industrielles ukrainiennes ont fermé. Les mêmes « nationalistes » se sont efforcés d’aliéner tout l’Est du pays, en essayant de le contraindre à parler ukrainien : une idée absurde, étant donné que le russe était, et est toujours, utilisé dans tout le pays pour tout ce qui est intellectuellement plus difficile que de chanter des chansons patriotiques, de hurler des slogans nationalistes et tempêter et fanfaronner à la télévision nationale. Malheureusement, l’Est du pays, qui a effectivement cessé de faire partie de l’Ukraine, est l’endroit d’origine d’où venait la plus grande part du charbon utilisé pour la production d’électricité.
Fait intéressant, même au milieu des hostilités qui ont coûté la vie à environ dix mille personnes, les provinces orientales continuaient de fournir du charbon au reste du pays. Cela a changé plus tôt cette année, lorsque certains « nationalistes » ont bloqué illégalement les liaisons ferroviaires vers l’Est, paralysant les trains de charbon. Au lieu d’arrêter les auteurs, le gouvernement ukrainien a rapidement agi pour « légaliser » le blocus!
Cela peut sembler bizarre, mais seulement jusqu’à ce que vous considériez l’image plus large. L’Ukraine n’a d’autre choix que d’utiliser le charbon de l’Est, soit à partir de ses anciens territoires, soit de la Russie. En effet, le charbon ne peut pas être importé par voie maritime ou fluviale, en raison du manque d’installations portuaires en eaux profondes. Il ne peut pas être importé en train depuis l’Union européenne, en raison d’une différence de jauge des chemins de fer. Ainsi, l’Ukraine importe maintenant du charbon – son propre charbon – de la Russie, à un coût plus élevé : la Russie importe le charbon de l’Est de l’Ukraine et l’exporte vers le reste de l’Ukraine – moyennant des frais. Comme l’argent est compté, la quantité de charbon est beaucoup plus faible, ce qui entraîne des pénuries.
Maintenant, cela peut frapper votre imagination, mais ceux qui sont au pouvoir à Kiev voient cette situation comme ayant un effet positif net. Tout d’abord, ils ont pu apaiser les « nationalistes » en légitimant le blocus de l’Est. Deuxièmement, ils paient plus pour le charbon, ce qui signifie qu’il y a un plus grand flux d’argent qu’ils peuvent détourner. L’activité principale des élites dirigeantes en Ukraine depuis l’effondrement de l’URSS a été le pillage du pays, et au fur et à mesure que le pays voyait sa situation empirer progressivement, les obstacles généraux à la destruction ont diminué, ces manigances pour bloquer leurs propres trains de charbon et le recours aux importations de charbon leur ont fourni un nouveau « centre de profit ».
Une situation similaire est obtenue par rapport au gaz naturel. Les fonctionnaires de Kiev ont jugé à la fois politiquement et financièrement bénéfique de retarder le paiement à la Russie et de refuser de négocier de bonne foi des contrats de gaz avec la Russie. En conséquence, l’Ukraine est obligée d’importer du gaz naturel de l’UE, mais cela reste du gaz russe, à un prix plus élevé et à un volume plus faible. Et parce que les prix sont plus élevés, il y a plus à ponctionner. Les Russes ne sont pas satisfaits de ce scénario, mais tout ce qu’ils peuvent faire est de se dépêcher de construire des gazoducs qui contournent l’Ukraine. C’est ce qu’ils font, et dans quelques années, la Russie fermera le robinet de gaz ukrainien, une fois pour toutes.
Dans l’intervalle, les pénuries de charbon ont forcé de nombreuses centrales thermiques à fermer, obligeant les centrales nucléaires à compenser le manque. Les 15 réacteurs nucléaires actuellement en exploitation fournissent maintenant plus de la moitié de l’électricité de l’Ukraine. Ce n’est pas une stratégie soucieuse de la sécurité. La charge sur le réseau fluctue selon un cycle diurne, et chaque méthode de génération d’énergie permet des alternatives meilleures ou pires pour ses changements de rythme. Les moyens de contrôle de flux les plus rapides et les plus sûrs, en réponse aux charges électriques fluctuantes, sont les installations hydroélectriques. Auparavant, la Dnepr Hydroelectric Cascade donnait beaucoup de marge de manœuvre, mais depuis que les niveaux d’eau sur le Dniepr sont bas avec le printemps, ce n’est plus une option majeure. Ensuite, il y avait les centrales électriques à gaz naturel, mais comme le gaz est maintenant rare et cher, ce n’est plus une option non plus. Les centrales au charbon sont l’option suivante, mais les pénuries de charbon en ont forcé de nombreuses à fermer, ce qui limite leur capacité d’action.
Enfin, il existe l’option la moins sûre : les réacteurs nucléaires pour monter et baisser la charge selon un cycle diurne. Étant donné que le combustible nucléaire se désintègre à travers une séquence entière d’isotopes, chacun avec une demi-vie et un profil d’émission différents, les centrales nucléaires sont mieux exploitées si elles restent dans un état stable. Lorsqu’elles subissent des cycles chaque jour, la chimie et la physique résultantes deviennent de plus en plus instables et dangereuses.
Bien sûr, le secteur de l’énergie nucléaire ukrainienne a établi de nouveaux records de nombre d’arrêts d’urgence : plus de dix jusqu’à présent. En temps voulu, ces arrêts d’urgence ne seraient pas suivis par des redémarrages. Sur les 15 réacteurs nucléaires restants, seuls trois doivent rester en service après 2020. Le reste devra être définitivement arrêté, en raison de son âge avancé. Si des tentatives sont faites pour les maintenir en activité après cette date, ils porteront un grave risque de fusion de type Tchernobyl. Dois-je mentionner qu’il n’y aura plus d’argent pour le démantèlement ou pour la garde du combustible usé?
Et ainsi, nous avons une nation en faillite et effondrée, en guerre avec elle-même. Elle est gérée par des voleurs, qui interfèrent avec le fonctionnement de son réseau électrique en jouant avec des fournisseurs clés, afin de satisfaire les fanatiques « nationalistes », tout en se gavant simultanément sur la bête. Vous auriez raison de penser que cette situation est plutôt mauvaise. Mais peu importe la façon dont les choses sont mauvaises, il est toujours possible de les rendre encore pires.
Tout d’abord, les Ukrainiens ont jugé intelligent de rompre les relations avec le bureau de conception russe responsable de l’ingénierie de leurs réacteurs nucléaires. En règle générale, après chaque arrêt d’urgence, le bureau de conception s’implique, effectue une analyse des causes profondes, conseille sur les procédures d’assainissement, surveille leur mise en œuvre et recertifie le réacteur concerné comme étant sûr, avant le redémarrage. Depuis 2014, cela ne s’est pas produit.
Deuxièmement, les Ukrainiens ont décidé de cesser d’acheter du combustible nucléaire en provenance de Russie et ont commencé à l’acheter à Westinghouse – une entreprise américaine – dans un effort politique pour se débarrasser de tout ce qui est russe. Les assemblages russes de combustible nucléaire sont fabriqués à un niveau très élevé, que Westinghouse n’a pas réussi à répliquer et, par conséquent, leurs barres de carburant ont tendance à se déformer et à se coincer, provoquant des arrêts d’urgence, nécessitant des réparations coûteuses et flirtant avec la catastrophe.
Depuis, Westinghouse a fait faillite. Il n’y a aucune raison de s’attendre à ce qu’ils continuent à pouvoir alimenter les réacteurs ukrainiens. La seule autre option de l’Ukraine est de s’adresser aux Russes, mais il est peu probable que ceux-ci reprennent les ventes de carburants nucléaires à un client aussi peu fiable – et qui pourrait très bien finir par envoyer un panache radioactif à travers la frontière.
Troisièmement, les autorités de Kiev ont même vu que les réacteurs nucléaires offraient une autre occasion de voler et ils ont insisté pour que des matériaux non testés de qualité inférieure soient utilisés pour les maintenir. La conversation téléphonique suivante entre Vyacheslav Tishchenko, directeur de la centrale nucléaire de Zaporozhskaya et ses subordonnés a été enregistrée et ensuite fuitée, après l’arrêt d’urgence du réacteur n°3 (ma traduction) :
Tichtchenko: – Vassily, qu’est-ce qui se passe? Pourquoi ne répondez-vous pas?
V.M. Turbaevsky, responsable de la gestion des urgences : – Je suis désolé, je n’ai pas répondu, nous avons une urgence, le réacteur n°3 est en panne. Je suis déjà là, Ignatchenko est là, Krasnogorov est en route.
Tichtchenko: – Pourquoi ne m’avez-vous pas informé immédiatement? Comprenez-vous quel est le danger? Nous pourrions tous aller en prison, vous inclus! Je suis en route, je serai là dans une demi-heure. Fyodor, qu’est-ce qui se passe?
F.M. Krasnogorov, ingénieur en chef : – Le confinement dans le bloc supérieur ne tient pas la charge. On dirait que c’est lié à nos propres réparations avec ces matériaux du marché noir.
Tichtchenko : – Arrête de pleurnicher! Ne comprenez-vous pas? Personne n’a demandé mon avis à ce sujet!
Krasnogorov : – J’ai même dit alors que cela finira mal. Nous devons exécuter des tests. Le problème n’est pas seulement avec le confinement, mais aussi avec le carburant.
Oui, un problème avec le carburant, en effet. Les barres russes de combustible nucléaire sont hexagonales, tandis que les Américains utilisent des barres carrées. Les Ukrainiens ont résolu le problème en donnant à Westinghouse un échantillon de barres de combustible russes, et les Américains ont réussi à faire de la rétro-ingénierie et à fabriquer leurs propres barres hexagonales. Est-il surprenant que les articles improvisés et conçus à la va-vite ne soient pas aussi bons que les produits authentiques?
L’Ukraine n’était pas le seul pays à avoir des problèmes avec la qualité du combustible nucléaire américain : la République tchèque, la Slovénie et la Finlande ont toutes eu des problèmes, ont annulé leurs contrats avec Westinghouse et sont retournés à l’utilisation du combustible fabriqué en Russie. L’Ukraine aurait fait de même, sauf que son gouvernement a été renversé… Et que Westinghouse a fait faillite… Êtes-vous triste maintenant? Je le suis!
Laissez-moi résumer. Les Ukrainiens sont maintenant obligés d’acheter leur propre charbon en Russie, avec un petit supplément. Ils sont maintenant forcés d’acheter du gaz naturel russe via l’UE, avec aussi un supplément. Ils gèrent leurs centrales nucléaires aux limites, générant un nombre record d’arrêts d’urgence et de pannes de courant. Ils ne suivent pas les meilleures pratiques pour déterminer pourquoi les arrêts se produisent et pour les réparer. La majeure partie de leur capacité de production d’énergie nucléaire devrait expirer dans trois ans de toute façon. Seul un petit pourcentage de la population de l’Ukraine est encore capable de payer ses factures d’électricité.
J’espère que vous êtes d’accord pour dire que cette situation nécessite quelques jurons. Avec l’aide américaine, les Ukrainiens semblent se foutre eux-mêmes dans la merde, des quantités anormales de « merde ». Mais il y a une autre façon d’examiner la situation. Supposons que les Ukrainiens aient décidé (ou ont été convaincus, par une propagande qui a coûté aux contribuables américains 5 milliards de dollars environ) qu’ils ne devaient plus du tout être comme les Russes, mais plutôt comme les Américains. Et il semble qu’ils y ont réussi! En quoi l’Ukraine ressemble-t-elle aux États-Unis? Regardons cela de près.
Les États-Unis sont théoriquement dirigés par Donald Trump, un oligarque intellectuellement limité, enclin à l’enrichissement personnel. Pour voir comment cela se passe, vérifiez combien de transactions internationales, Ivanka Trump a déjà effectuées, grâce à ses techniques de séduction auprès des dignitaires étrangers traînant autour de la Maison Blanche. L’Ukraine est théoriquement dirigée par Petro Porochenko, un oligarque intellectuellement limité, enclin à s’auto-enrichir. Donald Trump est entré en battant une femme tordue et corrompue, Hillary Clinton. Petro Porochenko est entré en battant le même genre de femme, Ioulia Timochenko.
Le Congrès des États-Unis est rempli de criminels qui ont acheté leurs positions avec de grosses sommes d’argent et utilisent leur poste afin de jouir de l’immunité contre les poursuites pour des infractions telles que des délits d’initiés. Ils ont à leur disposition un nombre stupéfiant de façons de s’enrichir et de spolier les citoyens. Ils perpétuent un grand nombre de rackets dans le monde financier, celui de la médecine, de l’éducation et de l’application de la loi, entre autres. Le parlement ukrainien (« Verknovna Rada ») est également approvisionné par des criminels, qui ont acheté leurs positions afin d’obtenir l’immunité contre les poursuites et qui les utilisent également pour s’enrichir en volant ce qui reste de leur pays.
Peu importe ce qui ne va pas, les États-Unis accusent la Russie. Si les résultats des élections ne sont pas ce que les experts ont voulu, cela est lié à « l’ingérence russe ». Lorsque des pannes simultanées frappent San Francisco, Chicago et New York, la réaction instantanée est que l’origine de de la panne est dûe a des « pirates russes ». Si un certain nombre d’informations véridiques échappent à la vigilance des gardiens des médias de masse, il s’agit immédiatement d’une « propagande russe ». Parlez à l’ambassadeur de Russie lors d’un cocktail, et votre carrière politique est automatiquement menacée.
C’est la même chose en Ukraine. Le gouvernement de Kiev a bloqué les chaînes de télévision russes, qui étaient auparavant beaucoup plus populaires que les ukrainiennes. Il a interdit aux musiciens russes de jouer en Ukraine. Quiconque dit quelque chose de vaguement pro-russe risque aujourd’hui d’être accusé de « séparatisme ». Alors que la russophobie américaine pourrait être considérée comme un héritage de la Guerre froide et expliquée par la nécessité de l’ancienne superpuissance de trouver un sparring-partner quelque part – n’importe où ! – la russophobie enragée dans un pays parlant majoritairement la langue russe est clairement une importation.
Culturellement, les États-Unis sont en guerre contre eux-mêmes, s’organisant par ségrégation rapide en deux camps opposés sur une frontière libérale / conservatrice. Les amitiés de longue date se dissolvent sur des arguments politiques. Sur le plan régional, tout le milieu du pays ne se soucie pas beaucoup de l’un ou de l’autre côté. Le Sud continue d’abriter un ressentiment profond envers les Yankees. Une grande partie de la côte Est croit que les Californiens habitent une autre planète.
Au fur et à mesure que la situation s’aggrave, ces lignes de failles risquent de conduire à une hostilité ouverte et à une guerre civile renouvelée. En Ukraine, où la principale ligne de défaillance traverse une fracture linguistique entre la région de Lvov (la Galicie, dont le « nationalisme » ukrainien provient le plus souvent, ses deux autres sources étant le Canada et le Connecticut) et une grande partie du reste du pays, cela s’est déjà produit : une guerre civile fait rage entre Kiev et les deux régions orientales de Donetsk et Lugansk, et les troubles civils dans d’autres régions, comme Kharkov et Odessa, ont pris de nombreuses formes, y compris les persécutions publiques et même des massacres, comme à Odessa.
Aux États-Unis, les guerres culturelles sont motivées par la psychologie de la victimisation et les griefs qui vont avec. Les travailleurs industriels qui ont subi une délocalisation le reprochent à ceux qui ont externalisé leurs emplois à l’étranger, sans se rendre compte qu’il s’agit en fait de la gestion d’un excès d’énergie (charbon chinois), à proximité immédiate d’une force de travail aussi en excédent (agriculteurs chinois déplacés). Les Noirs blâment leurs pauvres résultats par rapports aux Blancs, ne voyant pas tous les Blancs pauvres, qui sont dans une situation encore pire que la leur. Les femmes prétendent être opprimées par les hommes, sans remarquer que les hommes ont été si opprimés par les femmes, que pour beaucoup d’entre eux le mariage (suivi par le divorce et la pension alimentaire pour les enfants) semble être un choix singulièrement stupide. Même les Blancs prospères commencent maintenant à ressentir la pression des Asiatiques dont les enfants, disciplinés et performants, sont considérés comme ceux qui prennent les chances de travail de leurs propres enfants, abandonnant leurs anciens jobs qui sont pris par des étrangers non qualifiés. Les hommes blancs qui, pour le meilleur ou pour le pire, ont historiquement été la principale force motrice du développement du pays, sont maintenant rendus coupables pour tout ce qui a mal tourné.
Au lieu d’une identité américaine positive, elle est maintenant largement négative. Oui, je rencontre régulièrement par hasard des vétérans militaires américains qui ont vu la guerre en Afghanistan, en Irak ou les deux, et qui sont émotionnellement et parfois physiquement mutilés, mais qui croient encore à la grandeur américaine. La plupart d’entre eux, s’ils sont travaillés au corps (doucement), admettent qu’ils baignent dans la nostalgie.
En ce qui concerne le reste… Il y a un lieu précis, directement entre l’Université de Harvard et le MIT, appelé Central Square, où il n’y a plus de toilettes publiques. Parce que les gens se shootent là-bas. Vous ne pouvez pas obtenir la clé des toilettes dans une bibliothèque publique sans laisser votre identifiant, et votre visite est chronométrée. Que ce soit à Harvard et au MIT, ils consomment toujours du Kool-Aid toxique. Tous les autres sont à l’héroïne. Choisissez votre poison!
La raison pour laquelle l’Ukraine a été si facilement infectée par ce virus culturel est que l’identité culturelle ukrainienne est très spécifiquement fondée sur les griefs et les victimes. Elle n’a jamais été un véritable pays, mais un complément, dans le meilleur des cas, à la Russie, ou, à défaut, à la Pologne, à la Roumanie, à l’Autriche-Hongrie ou à l’Allemagne nazie, des épisodes de l’État ukrainien qui ont été des épisodes d’occupation étrangère (non russe). Pour le dire simplement, il n’y a rien du tout de positif, dans l’identité nationale ukrainienne : il s’agit de grief et de ressentiment, pour se sentir le mieux possible, et le résultat de cette source de malentendus est l’émotion autodestructrice et le sang, ce que nous voyons maintenant en plein écran dans les villes ukrainiennes et sur les champs de destruction du Donbass.
Nous célébrons nos victoires ensemble et nous déplorons nos défaites tout seul. Les Américains continuent à parler de la construction d’un mur le long de leur frontière méridionale, pour pouvoir rester entre eux et mariner dans leur propre jus, mais il se trouve qu’ils n’ont pas d’argent pour le construire. Les Ukrainiens ont joué avec la construction d’un mur le long de la frontière avec la Russie, mais ont constaté qu’ils n’avaient pas l’argent pour… Alors ils ont creusé un petit fossé à la place, puis ils ont abandonné et ils ont changé d’idée en bloquant les lignes de chemin de fer qui leur fournissaient le charbon dont ils ont besoin pour garder la lumière allumée.
Incapable de faire quelque chose pour améliorer la bonne fortune qui échappe à ses citoyens, le gouvernement américain essaie de justifier son existence en rêvant de menaces et en prétendant les contrer. Ces menaces incluent « l’agression russe », les dictateurs syriens, les terroristes iraniens, les Nord-Coréens avec l’arme nucléaire et quiconque ailleurs. Incapable de faire quoi que ce soit pour améliorer sa situation, le gouvernement ukrainien se concentre principalement sur « l’agression russe » et prétend contrer ses efforts en orientant constamment des missiles dans la direction générale des régions orientales de l’Ukraine.
Les États-Unis et l’Ukraine sont largement désindustrialisés. Aux États-Unis, la baisse de la main-d’œuvre industrielle a été étroitement liée à l’augmentation du nombre de barmans et de serveurs. En dépit d’un niveau élevé de dépenses militaires, ce pays ne semble pas en mesure d’aligner une force armée capable d’une action qui puisse ressembler à une victoire. L’inaptitude des forces américaines en Afghanistan, à Mossoul en Irak et en Syrie, est similaire à l’humiliation de l’armée ukrainienne dans le Donbass.
Enfin, regardons à nouveau l’électricité. Les États-Unis possèdent un vieux réseau électrique de plus en plus susceptible de tomber en panne. Le vieillissement de la flotte de réacteurs nucléaires – la plupart d’entre eux sont déjà au-delà de leur durée de vie – dépendait du combustible nucléaire russe pour environ un quart de leur énergie, mais cet accord semble être passé par pertes et profits récemment, au fur et à mesure que les relations se sont dégradées avec la Russie. Les États-Unis généraient environ la moitié de leur électricité à l’aide de charbon, mais l’industrie du charbon aux États-Unis est en train de mourir, dynamitant et creusant de moins en moins de charbon et de plus en plus de saletés.
Heureusement, les États-Unis ont pu passer au gaz naturel pour produire une grande partie de la production d’électricité qui était auparavant au charbon. Le gaz naturel est actuellement abondant à cause de la fracturation hydraulique, mais la plupart des entreprises de ce secteur n’ont jamais pu faire un penny de profit et toutes s’endettent et flirtent avec la faillite. Cette bonification temporaire de gaz naturel bon marché et abondant est susceptible d’être de courte durée.
N’est-il pas étrange, qu’il y ait tant de parallèles et de symétries entre les États-Unis et l’Ukraine? On peut être pardonné de penser que les États-Unis et l’Ukraine présentent des symptômes du même trouble national – qui est contagieux et qui s’est répandu d’Ouest en Est. À ce stade, il est latent aux États-Unis et aigu en Ukraine. Au fur et à mesure que l’Ukraine va sombrer, nous aurons l’occasion d’observer ce qui se passe là-bas et de planifier ce qui arrivera aux États-Unis quand la situation sera aussi sombre.
La falaise d’Olduvai approche…
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie », c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
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Même si l’Ukraine ne fait plus les titres de l’actualité, on n’oublie pas les habitants du Donbass et à l’occasion de cet article de Dmitry Orlov, on vous renvoie à cet de commentaires sur l’article d’Orlov de la part du blog dnipress.com qui vous permet en français de suivre ce qui s’y passe.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone
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