Comment les États-Unis ont submergé le monde de Psy-Ops


Les médias américains dominants sont obsédés par la « propagande » russe et pourtant le gouvernement étasunien a créé il y a trente ans une bureaucratie « psyops » pour inonder le monde d’information douteuse.


Parry

Robert Parry

Par Robert Parry – Le 25 mars 2017 – Source Consortiumnews.com

Des documents récemment déclassifiés provenant de la bibliothèque présidentielle de Reagan expliquent comment le gouvernement américain a développé des opérations psychologiques sophistiquées qui ont créé, au cours de ces trente dernières années, une réalité alternative à la fois pour les peuples dans les pays visés et pour les citoyens américains, une structure qui a étendu l’influence des États-Unis à l’étranger et atténué la dissidence à l’intérieur du pays.

Walter Raymond Jr, spécialiste de la propagande et de la désinformation à la CIA, qui a supervisé la « gestion de la perception » et les projets d’opérations psychologiques du président Reagan au Conseil de sécurité nationale. Raymond est en partie dissimulé par le président Reagan, il est assis à côté du conseiller à la Sécurité nationale, John Pointdexter. (Crédit photo: bibliothèque Reagan)

Les documents révèlent la formation d’une bureaucratie de psyops sous la direction de Walter Raymond Jr., un ancien spécialiste des opérations secrètes de la CIA affecté au personnel du Conseil national de sécurité du président Reagan pour renforcer l’importance de la propagande et des psyops aux fins d’affaiblir les adversaires des États-Unis dans le monde et d’assurer que l’opinion publique apportera à l’intérieur du pays un soutien suffisant à la politique étrangère.

Raymond, qui a été comparé à un personnage d’un roman de John LeCarré se faufilant aisément dans les boiseries, a passé ses années à la Maison Blanche de Reagan comme un marionnettiste de l’ombre qui a fait tout son possible pour éviter d’attirer l’attention du public ou même – semble-t-il – se faire photographier. Sur les dizaines de milliers de photos de réunions à la Maison Blanche de Reagan, je n’en ai trouvé que quelques-unes montrant Raymond – et il est assis dans des groupes, partiellement caché par d’autres responsables officiels.

Mais Raymond paraît avoir compris sa véritable importance. Dans ses fichiers du NSC, j’ai trouvé le doodle d’un organigramme qui mettait Raymond au sommet, tenant ce qui ressemble aux mains croisées des marionnettistes qui contrôlent les marionnettes suspendues en dessous. Bien qu’il soit impossible de savoir exactement ce que l’auteur du doodle avait à l’esprit, le dessin s’adapte à la réalité de Raymond comme l’opérateur en coulisses qui contrôlait les différents groupes inter-agences responsables d’appliquer diverses stratégies de propagande et de psyops.

Jusque dans les années 1980, les opérations psychologiques étaient habituellement considérées comme une technique militaire visant à saper la volonté de l’ennemi en répandant mensonges, confusion et terreur. Un cas classique était celui du général Edward Lansdale — considéré comme le père des psyops modernes – faisant couler le sang d’un rebelle philippin mort, de façon à ce que les camarades superstitieux de ce dernier pensent qu’une créature du genre vampire était aux aguets. Au Vietnam, l’équipe psyops de Lansdale a fourni de fausses prédictions astrologiques terribles pour le sort des dirigeants nord-vietnamiens et vietcongs.

À la base, l’idée des psyops était de jouer sur les faiblesses culturelles d’une population visée afin de la manipuler et de la contrôler plus facilement. Mais les défis auxquels l’administration Reagan faisait face dans les années 1980 l’ont amenée à décider que les psyops en temps de paix étaient également nécessaires et que les populations visées devaient comprendre la population américaine.

L’administration Reagan était obsédée par les problèmes laissés par les déclarations du gouvernement dans les années 1970, qui mentait sur la guerre du Vietnam, et les révélations sur les abus commis par la CIA dans le renversement de gouvernements démocratiquement élus et l’espionnage des dissidents américains. Ce qu’on a appelé le « syndrome du Vietnam » a suscité un profond scepticisme chez des citoyens américains ordinaires ainsi que chez des journalistes et des politiciens lorsque le président Reagan a tenté de vendre ses plans d’intervention dans des guerres civiles alors en cours en Amérique centrale, en Afrique et ailleurs.

Alors que Reagan voyait l’Amérique centrale comme une « tête de pont soviétique », de nombreux Américains voyaient les oligarques brutaux d’Amérique centrale et leurs forces de sécurité sanguinaires massacrer des prêtres, des nonnes, des militants syndicaux, des paysans et les populations indigènes. Reagan et ses conseillers ont réalisé qu’ils devaient modifier ces perceptions s’ils espéraient être soutenus pour le financement des militaires du Salvador, du Guatemala et du Honduras ainsi que pour les rebelles nicaraguayens de la Contra, cette force paramilitaire organisée par la CIA pillant un Nicaragua gouverné par la gauche.

C’est donc devenu une priorité de remodeler les perceptions du public pour gagner le soutien des opérations militaires de Reagan en Amérique centrale, à la fois au sein des pays visés et auprès des Américains.

Un « monde de psyops »

Comme le colonel Alfred R. Paddock Jr. l’a écrit dans un journal influent en novembre 1983, sous le titre de Military Psychological Operations and US Strategy, [Opérations psychologiques militaires et stratégie des États-Unis], « l’utilisation planifiée de communications destinées à influencer les attitudes ou le comportement devrait, si elle est mise en œuvre correctement, précéder, accompagner et suivre toutes les applications de la force. Dans un autre sens, les opérations psychologiques sont le système d’arme qui a un important rôle à jouer en temps de paix, à travers tous les aspects du conflit et pendant ses suites ».

Le président Ronald Reagan dirigeant une réunion sur le terrorisme le 26 janvier 1981, avec le conseiller à la Sécurité Nationale Richard Allen, le secrétaire d’Etat Alexander Haig, le secrétaire à la Défense Caspar Weinberger et le conseiller à la Maison Blanche Edwin Meese. (Crédit photo: bibliothèque Reagan)

Paddock a poursuivi : « Les opérations militaires psychologiques sont une part importante de la ‘totalité psyop’, à la fois dans la paix et dans la guerre. […] Nous avons besoin d’un programme d’opérations psychologiques comme partie intégrante de notre politique et de nos programmes de sécurité nationale. […] La continuité d’une direction ou d’une commission inter-agences assurant la coordination nécessaire au développement d’une stratégie cohérente des opérations stratégiques dans le monde est une nécessité absolue. »

Certaines des notes manuscrites récemment disponibles de Raymond montrent qu’il se focalise sur le Salvador avec la mise en œuvre de « psyops multimedia à l’échelle du pays », diffusées par le biais de rassemblements et des médias électroniques. « La radio et la télévision ont aussi diffusé des messages psyops », a écrit Raymond (souligné dans le texte original). Bien que l’écriture en pattes de mouches de Raymond soit souvent difficile à déchiffrer, la note dit clairement que les programme de psyops étaient aussi dirigés contre le Honduras, le Guatemala et le Pérou.

Un document « top secret » déclassifié dans le dossier de Raymond – daté du 4 février 1985, du secrétaire à la Défense Caspar Weinberger – exhortait à une application plus complète de la Directive sur la sécurité nationale 130 du président Reagan, signée le 6 mars 1984, et qui autorisait des psyops en temps de paix par un développement actif, au-delà de leurs limites militaires traditionnelles, dans des situations pacifiques à propos desquelles le gouvernement des États-Unis pourrait invoquer des menaces contre les intérêts nationaux.

« Cette approbation peut donner une impulsion à la reconstruction d’une capacité stratégique nécessaire, concentrer l’attention sur les opérations psychologiques comme instrument national – et pas seulement militaire – et assurer que les opérations psychologiques soient totalement coordonnées avec la diplomatie publique et d’autres activités internationales d’information », disait le document de Weinberger.

Cet engagement plus vaste envers les psyops a conduit à la création de la Commission des opérations psychologiques (POC dans son sigle anglais), qui devait être présidée par un représentant du Conseil de sécurité nationale de Reagan, avec un vice-président issu du Pentagone et des représentants de la Central Intelligence Agency (CIA), du Département d’État et de l’Agence d’information des États-Unis.

« Ce groupe sera responsable de planifier, coordonner et mettre en œuvre des activités d’opérations psychologiques en soutien à la politique et aux intérêts des États-Unis relatifs à la sécurité nationale », selon un addendum « secret » à une note datée du 25 mars 1986 du colonel Paddock, le défenseur des psyops devenu le directeur des opérations psychologiques de l’armée américaine.

« La commission fournira le centre de ralliement pour la coordination inter-agences de la planification d’urgence détaillée pour la gestion des actifs informationnels nationaux pendant la guerre ou pour la transition entre la paix et la guerre », ajoute l’addendum. « La commission des psyops cherchera à assurer qu’en temps de guerre ou pendant des crises (qui peuvent être définies comme des périodes de tension aiguë impliquant une menace pour la vie des citoyens américains ou l’imminence d’une guerre entre les États-Unis et d’autres pays), les éléments d’information internationaux américains soient prêts à entamer des procédures spéciales pour assurer la cohérence politique, une réponse en temps opportun et des réactions rapides du public visé. »

Prendre forme

La Commission des opérations psychologiques (POC, dans son sigle anglais) a pris forme avec un note « secrète » du conseiller de Reagan à la sécurité nationale John Poindexter du 31 juillet 1986. Sa première réunion a été convoquée le 2 septembre 1986, avec un ordre du jour centré sur l’Amérique centrale et « sur la façon dont d’autres agences POC peuvent soutenir et compléter des programmes du ministère de la Défense au Salvador, au Guatemala, au Honduras, au Costa Rica et à Panama. » La POC a également été chargée du « développement des lignes directrices nationales PSYOPS » pour « formuler et mettre en œuvre un programme national de PSYOPS » (souligné dans l’original).

George H.W. Bush, alors vice-président, avec le directeur de la CIA William Casey à la Maison Blanche le 11 février 1981. (Crédit photo: bibliothèque Reagan)

Raymond a été nommé coprésident de la POC avec l’agent de la CIA Vincent Cannistraro, qui a été ensuite directeur adjoint pour les programmes de renseignement à la NSC, selon une note « secrète » du sous-secrétaire adjoint à la Défense, Craig Alderman Jr. La note soulignait aussi que les futures réunions de la POC seraient informées des projets de psyops pour les Philippines et le Nicaragua, ce dernier projet étant intitulé « Niagara Falls » [Chutes du Niagara, NDT]. La note se réfère aussi à un « Project Touchstone » [Projet pierre de touche, NdT], mais on ne sait pas clairement quel endroit ce programme de psyops visait.

Une autre note « secrète » datée du 1er octobre 1986, co-écrite par Raymond, recensait la première réunion de la POC le 10 septembre 1986, et notait que « la POC se concentrera, à chacune de ses réunions, sur une zone d’opérations (par exemple l’Amérique centrale, l’Afghanistan, les Philippines) ».

La seconde réunion de la POC, le 24 octobre 1986, s’est concentrée sur les Philippines, selon une note du 4 novembre de la même année, également corédigée par Raymond. « La prochaine étape sera un schéma très précis pour un Plan PSYOPS que nous enverrons à cette ambassade pour qu’elle le commente », dit la note. Le plan, « a largement porté sur une série d’actions civiques favorables à l’effort général pour mâter l’insurrection », comme le notait un addendum. « Il y a une grande inquiétude à propos des sensibilités à l’égard de toute sorte de programme PSYOPS étant donné la situation politique aux Philippines aujourd’hui. »

Plus tôt en 1986, les Philippines avaient connu ce qu’on a appelé la « Révolution populaire », qui a conduit le dictateur de longue date Ferdinand Marcos à l’exil, et l’administration Reagan, qui avait tardé à retirer son soutien à Marcos, tentait de stabiliser la situation politique pour empêcher des éléments plus populistes de prendre le dessus.

Mais l’attention principale de l’administration Reagan continuait de se porter sur l’Amérique centrale, y compris le « Projet Niagara Falls », le programme psyop visant le Nicaragua. Un mémo « secret » du sous-secrétaire adjoint Alderman, le 20 novembre 1986, soulignait le travail du 4e Groupe d’opérations psychologiques sur ce plan visant à « favoriser la démocratisation du Nicaragua », par quoi l’administration Reagan voulait dire un « changement de régime ». Les détails précis du « Projet Niagara Falls » n’étaient pas décrits dans les documents déclassifiés, mais le choix du nom de code suggérait une cascade de psyops.

D’autres documents du dossier NSC de Raymond éclairent qui étaient les autres acteurs clé dans les programmes de psyops et de propagande. Par exemple, dans des notes non datées sur les efforts pour influencer l’Internationale socialiste, y compris en assurant le soutien à la politique étrangère des États-Unis par des partis socialistes et sociaux-démocrates en Europe, Raymond mentionnait les efforts de « Ledeen, Gershman », une référence à l’intervenant néoconservateur Michael Ledeen et à Carl Gershman, un autre néocon qui avait servi comme président du National Endowment for Democracy (NED) financé par le gouvernement étasunien de 1983 à aujourd’hui. (Souligné dans l’original.)

Bien que le NED soit techniquement indépendant du gouvernement américain, il reçoit la majeure partie de ses financements (actuellement environ 100 millions de dollars par an) du Congrès. Des documents des archives Reagan montrent aussi clairement que le NED a été organisé comme un moyen de remplacer certaines opérations politiques et de propagande secrètes de la CIA qui étaient tombées en désuétude dans les années 1970. Des documents précédemment publiés du dossier Raymond montrent le directeur de la CIA William Casey pousser à la création du NED et Raymond, l’homme de Casey sélectionné à la NSC, donnant des conseils et des directives fréquentes à Gershman. [Voir l’article de Consortiumnews.com, CIA’s Hidden Hand in ‘Democracy’ Groups.]

Un autre personnage dans la constellation des actifs propagandistes de Raymond était le magnat de la presse Rupert Murdoch, considéré à la fois comme un allié important du président Reagan et une source valable de financement pour des groupes privés coordonnant les opérations de propagande avec la Maison Blanche. [Voir l’article de Consortiumnews.com, Rupert Murdoch : Propaganda Recruit.]

Dans une lettre du 1er novembre 1985 à Raymond, Charles R. Tanguy, de la « Commission pour une communauté de démocraties – USA » demandait à Raymond d’intervenir pour obtenir le financement de Murdoch en faveur du groupe. « Nous serions reconnaissants […] si vous pouviez trouver le temps de téléphoner à M. Murdoch et l’encourager à nous donner une réponse positive », dit la lettre.

Un autre document, intitulé « Project Truth Enhancement » [Projet mise en valeur de la vérité, NdT] décrivait comment 24 millions de dollars seraient dépensés pour mettre à jour l’infrastructure des télécommunications dans le but d’armer le « Projet vérité avec la capacité technique de fournir le soutien médiatique le plus efficace et productif pour des initiatives politiques importantes du gouvernement des États-Unis comme la Démocratie politique ». Projet vérité était le nom général de l’opération de propagande de l’administration Reagan. Pour le monde extérieur, le programme était facturé comme « diplomatie publique », mais les initiés de l’administration l’appelaient en privé « gestion de la perception ». [Voir l’article de Consortiumnews.com The Victory of Perception Management.]

Les premières années

La priorité originelle du « Projet vérité » était de purifier les images des forces de sécurité guatémaltèques et salvadoriennes et des Contras nicaraguayens, qui étaient dirigés par des officiers de la garde nationale du dictateur déchu Anastasio Somoza. Afin de garantir un financement stable pour ces forces tristement célèbres, l’équipe de Reagan savait qu’elle devait désamorcer la publicité négative et rallier d’une manière ou d’une autre le soutien de la population américaine.

Le président américain Ronald Reagan avec le président guatémaltèque Efrain Rios Montt, accusé plus tard de génocide des populations indigènes des hauts-plateaux du Guatemala.

Tout d’abord, l’effort s’est concentré sur l’élimination des journalistes américains qui avaient découvert des faits qui sapaient les images publiques désirées. Dans le cadre de cet effort, l’administration a dénoncé le correspondant du New York Times Raymond Bonner pour avoir révélé le massacre par le régime du Salvador d’environ 800 hommes, femmes et enfants dans le village d’El Mozote au nord-est du pays en décembre 1981. Accuracy in Media et des organes de presse conservateurs comme la page éditoriale du Wall Street Journal se sont joints au massacre de Bonner, qui fut bientôt renvoyé de son poste. Mais ces efforts étaient en grande partie informels et désorganisés.

Casey, le directeur de la CIA, suite à ses années passées à arpenter les mondes imbriqués des affaires et du renseignement, avait d’importants contacts pour créer un réseau de propagande plus systématique. Il reconnaissait la valeur de l’utilisation de groupes établis connus pour défendre les « droits de l’homme », comme Freedom House.

Un document de la bibliothèque Reagan montre le responsable de Freedom House, Leo Cherne, dirigeant un projet de manuscrit sur la situation au Salvador à côté de Casey et promettant que Freedom House procéderait aux « corrections et modifications » éditoriales requises – et l’enverrait même pour consultation au rédacteur que Casey avait désigné pour revoir le texte.

Dans une lettre au « Cher Bill » datée du 24 juin 1981, Cherne, qui était président du comité exécutif de Freedom House, écrit :

« Je joins une copie du projet de manuscrit établi par Bruce McColm, spécialiste résident sur l’Amérique centrale et les Caraïbes pour Freedom House. Ce manuscrit sur le Salvador était celui que j’avais demandé de préparer urgemment et dans la hâte de le faire aussi rapidement que possible, il est assez brutal. Vous aviez mentionné que les faits pourraient être vérifiés pour atteindre une précision minutieuse au sein du gouvernement, et ce serait très utile. […]

 S’il y a des questions sur le manuscrit de McColm, je propose que quiconque travaille dessus contacte Richard Salzmann à l’Institut de recherche [une organisation où Cherne était directeur exécutif]. Il est rédacteur en chef à l’Institut et le président de la Commission Salvador de Freedom House. Il fera en sorte que les corrections et les changements parviennent à Rita Freedman, qui travaillera également avec lui. S’il y a un avantage à ce que Salzmann se déplace à n’importe quel moment pour parler à cette personne, il est disponible pour le faire. »

En 1982, Casey a également rallié certains puissants idéologues de droite pour aider à financer le projet de « gestion de la perception », à la fois avec de l’argent et leurs propres organes de presse. Richard Mellon Scaife était le descendant de la fortune Mellon dans la banque, le pétrole et l’aluminium, qui avait financé différentes fondations de familles de droite – comme Sarah Scaife et Carthage – qui étaient les bienfaiteurs financiers de journalistes et de cercles de réflexion de droite. Scaife publiait également le Tribune Review à Pittsburgh, en Pennsylvanie.

Une opération plus complète de « diplomatie publique » a commencé à prendre forme en 1982 lorsque Raymond, un vétéran de 30 ans des services clandestins de la CIA, fut transféré à la NSC. Raymond est devenu la bougie d’allumage de propagande à haute puissance, selon un projet de chapitre non publié de l’enquête Iran-Contra du Congrès, supprimé dans le cadre de l’accord pour amener les sénateurs républicains modérés à signer le rapport final et à donner à l’enquête un vernis bipartisan.

Bien que le projet de chapitre ne mentionne pas le nom de Raymond dans ses premières pages, apparemment parce qu’une partie des informations provenait de dépositions classifiées, le nom de Raymond est cité plus loin dans le chapitre et les mentions précédentes correspondent à ce qu’on sait de son rôle. Selon le projet de rapport, l’agent de la CIA recruté pour travailler à la NSC avait servi comme directeur de l’équipe des actions secrètes à la CIA de 1978 à 1982 et était un « spécialiste de la propagande et de la désinformation ».

« Le responsable de la CIA [Raymond] a discuté du transfert avec le [directeur de la CIA] Casey et le conseiller de la NSC William Clark pour qu’il soit affecté à la NSC comme successeur de [Donald] Gregg [en tant que coordinateur des opérations de renseignement en juin 1982] et a reçu des félicitations pour son engagement dans la mise en place du programme de diplomatie publique ainsi que pour ses responsabilités en matière de renseignement », est-il écrit dans le chapitre.

Gregg était un autre haut responsable de la CIA qui avait été affecté à la NSC avant de devenir le conseiller à la sécurité nationale du vice-président George H.W. Bush.

« Au début de 1983, des documents obtenus par les commissions spéciales [Iran-Contra] indiquent que le directeur du personnel de renseignement de la NSC [Raymond] a recommandé avec succès la création d’un réseau intergouvernemental pour promouvoir et organiser un plan de diplomatie publique destiné à gagner du soutien à la politique de l’administration Reagan dans le pays et à l’étranger. »

La guerre des idées

Au cours de sa déposition Iran-Contra, Raymond a expliqué la nécessité d’une structure propagandiste, disant : « Nous n’étions pas organisés de manière efficace pour faire face à la guerre des idées. »

Le président Reagan en réunion avec Rupert Murdoch, le directeur de l’Agence d’information américaine Charles Wick, les juristes Roy Cohn et Thomas Bolan dans le bureau ovale le 18 janvier 1983. (Crédit photo: bibliothèque Reagan)

L’une des raisons de cette insuffisance était que la loi fédérale interdisait que l’argent des contribuables soit dépensé pour de la propagande intérieure ou pour le lobbying d’organisations de base afin de faire pression sur les représentants au Congrès. Bien sûr, tous les présidents et leurs équipes avaient de vastes ressources pour présenter leurs arguments publiquement, mais par tradition et en vertu de la loi, ils se limitaient à des discours, aux témoignages et à la persuasion individuelle des législateurs. Mais le président Reagan voyait le « syndrome du Vietnam » de la population américaine comme un obstacle à ses politiques plus agressives.

En même temps que l’organisation gouvernementale de Raymond, il y avait des groupes extérieurs désireux de collaborer et d’encaisser. De retour à Freedom House, Cherne et ses associés étaient à la recherche de soutien financier.

Dans une lettre du 9 août 1982 à Raymond, le directeur exécutif de Freedom House, Leonard R. Sussman, écrivait que « Leo Cherne m’a demandé de vous envoyer ces copies d’appels de Freedom. Il vous a probablement dit que nous avons dû tailler dans ce projet pour tenir compte des réalités financières. […] Nous voudrions bien sûr développer de nouveau ce projet quand et si les fonds seront disponibles. Des retombées de ce projet apparaissent dans des journaux, des magazines, des livres ainsi qu’à la télévision et à la radio ici et à l’étranger. C’est un canal de communication important et unique » – précisément l’objet du travail de Raymond.

Le 4 novembre 1982, Raymond, après son transfert de la CIA à la NSC tout en étant encore un agent de la CIA, a écrit au conseiller de la NSC Clark sur « L’initiative démocratie et les programmes d’information », déclarant que

« Bill Casey m’a demandé de transmettre la réflexion suivante concernant votre réunion avec le [milliardaire de droite] Dick Scaife, Dave Abshire [alors membre du Conseil consultatif du renseignement étranger du président] et compagnie. Casey a déjeuné avec eux aujourd’hui et a parlé du besoin de nous déplacer dans la zone générale de soutien à nos amis dans le monde.

Dans cette définition il inclut à la fois ‘construire la démocratie’ […] et contribuer à dynamiser les programmes internationaux en matière de médias. La DCI [Casey] est aussi préoccupée par le renforcement des organisations d’information publiques aux États-Unis, comme Freedom House. […] Un élément critique du puzzle est l’effort important de levée de fonds privés afin de provoquer un élan. La discussion de Casey avec Scaife et Co suggère qu’ils seraient disposés à coopérer. […] Suggérez que vous notez l’intérêt de la Maison Blanche pour un soutien privé à l’initiative Démocratie. »

L’importance accordée par la CIA et la Maison Blanche à organiser secrètement des fonds privés était due au fait que ces voix prétendument indépendantes renforceraient et valideraient ensuite les arguments de l’administration en matière de politique étrangère aux yeux d’une population qui supposerait que les approbations étaient basées sur le mérite des positions de la Maison Blanche et non influencées par l’argent changeant de main. Comme les charlatans vendeurs de pétrole qui introduisent quelques groupes dans la foule pour stimuler l’excitation en faveur de l’élixir qui soigne tout, les propagandistes de l’administration Reagan ont arrosé quelques individus « privés » bien payés autour de Washington pour qu’ils répercutent les « thèmes » propagandistes de la Maison Blanche.

Le rôle de la CIA dans ces initiatives était dissimulé, mais jamais loin de la surface. Une note du 2 décembre 1982 adressée à « Bud », une référence au haut responsable de la NSC Robert « Bud » McFarlane, décrit une demande de Raymond pour une brève réunion. « Lorsqu’il [Raymond] est revenu de Langley [le quartier général de la CIA], il a proposé un projet de lettre … re $100 M pro[jet] démo[cratie] », disait la note.

Tandis que Casey tirait les ficelles de ce projet, le directeur de la CIA a informé les officiels de la Maison Blanche de cacher la patte de la CIA. « Évidemment, nous ici [à la CIA] ne devrions pas apparaître au premier plan dans le développement de cette organisation, et nous ne devrions pas apparaître comme étant un parrain ou un défenseur », dit Casey dans une lettre non datée destinée à Edwin Meese III, alors conseiller à la Maison Blanche, lorsque Casey l’exhortait à créer un « National Endowment ».

Mais la formation du National Endowment for Democracy, avec ses centaines de millions de dollars d’argent du gouvernement américain, était encore en gestation pour des mois. Entretemps, l’administration devrait prévoir des donateurs privés pour faire avancer la propagande.

« Nous développerons un scénario pour obtenir des financements privés », écrivait le conseiller Clark à Reagan dans un mémo du 13 janvier 1983, ajoutant que le directeur de l’Agence américaine d’information « Charlie Wick a offert d’en prendre la direction. Nous devrons peut-être vous appeler à rencontrer un groupe de donateurs potentiels. »

Malgré le succès de Casey et Raymond dans le ralliement de riches conservateurs pour fournir des fonds privés pour les opérations de propagande, Raymond s’inquiétait du scandale qui pourrait surgir à propos de l’implication de la CIA. Raymond a démissionné formellement de la CIA en avril 1983, ainsi, a-t-il déclaré, « il n’y aurait aucune question sur la contamination ». Mais il a continué à agir envers la population américaine tout à fait comme un agent de la CIA dirigeant une opération de propagande dans un pays étranger ennemi.

Raymond s’inquiétait aussi de la légalité du rôle permanent de Casey. Il a confié dans un mémo qu’il était important de « sortir [Casey] du circuit », mais ce dernier ne s’est jamais retiré et Raymond a continué à envoyer des rapports d’avancement à son ancien patron jusqu’en 1986.

C’était « le genre de chose pour lequel [Casey] avait un grand intérêt catholique », a déclaré Raymond en haussant les épaules dans sa déposition Iran-Contra. Il a ensuite avancé l’excuse que Casey avait commis cette ingérence apparemment illégale dans la politique intérieure « pas tant sous sa casquette CIA, mais sous le chapeau de conseiller au président ».

Propagande en temps de paix

Pendant ce temps, Reagan a commencé à mettre en place l’autorité formelle pour sa bureaucratie propagandiste sans précédent en temps de paix. Le 14 janvier 1983, Il a signé la Directive 77 sur la Sécurité nationale, intitulée « Gestion de la diplomatie publique relative à la sécurité nationale ». Dans la Directive 77, Reagan estimait qu’il était « nécessaire de renforcer l’organisation, la planification et la coordination des divers aspects de la diplomatie publique du gouvernement des États-Unis ».

Le président Reagan en réunion avec Charles Wick le 7 mars 1986 dans le bureau ovale. Sont aussi présents: Stephen Rhinesmith, Don Regan, John POintdexter, George Bush, Jack Matlock et Walter Raymond (assis à côté de Regan à gauche sur la photo) (Crédit photo: bibliothèque Reagan)

Reagan a ordonné la création d’un groupe de planification spéciale au sein du Conseil de sécurité nationale pour diriger ces campagnes de « diplomatie publique ». Le groupe serait dirigé par Walter Raymond et l’un de ses principaux avant-postes serait un nouvel Office de la diplomatie publique pour l’Amérique latine, sis au Département d’État mais sous le contrôle de la NSC. (L’un des directeurs du bureau de la diplomatie publique pour l’Amérique latine était le néoconservateur Robert Kagan, qui cofonderait plus tard le Projet pour le nouveau siècle américain en 1998 et deviendrait un promoteur en chef de l’invasion de l’Irak de 2003 par le président George W. Bush.)

Le 20 mai 1983, Raymond a raconté dans un mémo que $400 000 levés auprès de donateurs privés avaient été apportés à la salle de situation de la Maison Blanche par le directeur de l’Agence américaine d’information, Charles Wick. Selon ce mémo, l’argent a été divisé entre plusieurs organisations, dont Freedom House et Accuracy in Media, une organisation de droite faite pour s’attaquer aux médias.

Lorsque j’ai parlé de ce mémo dans mon livre de 1992, Fooling America, Freedom House a nié avoir reçu de l’argent de la Maison Blanche ou collaboré avec une campagne de propagande de la CIA/NSC. Dans une lettre, Sussman, de Freedom House, a traité Raymond de « source de seconde main » et a insisté sur le fait que « cette organisation n’a pas besoin de financement spécial pour prendre position […] sur des questions de politique étrangère ».

Mais cela avait peu de sens que Raymond ait menti à un supérieur dans une note interne. Et à l’évidence, Freedom House est resté au centre des projets de l’administration Reagan pour aider des groupes de soutien à sa politique pour l’Amérique centrale, en particulier la guerre de la Contra organisée par la CIA contre le gouvernement de gauche sandiniste du Nicaragua. De plus, des documents de la Maison Blanche publiés plus tard ont révélé que Freedom House a continué à tendre la main pour recevoir des financements.

Le 15 septembre 1984, Bruce McColm – écrivant depuis le Centre d’études sur les Caraïbes et l’Amérique centrale de Freedom House – a envoyé à Raymond « une brève proposition pour le projet Nicaragua 1984-1985 du Centre. Le projet combine des éléments de la proposition d’histoire orale avec la publication des Nicaraguan Papers », un livre qui dénigrerait l’idéologie et les pratiques sandinistes.

« Le maintien de la partie histoire orale du projet ajoute aux coûts d’ensemble ; mais des discussions préliminaires avec des cinéastes m’ont donné l’idée qu’un documentaire sur des types de comportement inappropriés pourrait être réalisé sur la base de ce matériel », écrivait McColm, se référant à un film de 1984 qui présentait une critique cinglante du Cuba de Fidel Castro. « Un tel film devrait être l’œuvre d’un cinéaste latino-américain respecté ou d’un Européen. Les films américains sur l’Amérique centrale sont tout simplement trop corrosifs idéologiquement et pauvres artistiquement. »

La lettre de trois pages de McColm se lit tout à fait comme un livre ou le scénario d’un film en essayant d’intéresser Raymond au financement du projet : « Les Nicaraguan Papers seront aussi aisément accessibles aux lecteurs en général, au journaliste, au faiseur d’opinion, à l’universitaire et autres. Le livre serait distribué gratuitement et largement à ces cercles et je suis sûr qu’il leur sera extrêmement utile. Ils constituent déjà une forme de samizdat Freedom House, depuis je les ai distribués aux journalistes ces deux dernières années comme je les recevais de Nicaraguayens mécontents. »

McColm proposait de rencontrer personnellement Raymond à Washington et joignait une proposition de subvention de $134 100 sur six pages. Selon la proposition de subvention, le projet inclurait « la distribution gratuite aux membres du Congrès et aux responsables publics importants ; la distribution de bonnes feuilles avant la publication pour une publicité maximale et des critiques en temps opportun dans les journaux et les magazines d’actualité ; des conférences de presse au siège de Freedom House à New York et au Club national de la presse à Washington, D.C.; la diffusion d’articles de libre opinion à plus de 100 journaux […] ; la distribution d’une édition en espagnol par le biais d’organisations hispaniques aux États-Unis et en Amérique latine ; un accord pour la distribution en Europe au travers de contacts de Freedom House. »

Les documents que j’ai trouvés à la bibliothèque Reagan n’indiquent pas ce qu’il est advenu de cette proposition. McColm n’a pas répondu à une demande par e-mail de commenter le plan des Nicaraguan Papers ou la première lettre de Cherne (qui est mort en 1999) à Casey sur la publication du manuscrit de McComb. Freedom House a émergé en tant que critique de premier plan du gouvernement sandiniste du Nicaragua et est également devenu un bénéficiaire important de l’argent du National Endowment for Democracy financé par le gouvernement américain, et fondé en 1983 sous l’égide du projet Casey-Raymond.

Les documents publiés plus récemment – déclassifiés entre 2013 et 2017 – montrent comment ces efforts précoces de Casey et Raymond ont fusionné dans la création d’une bureaucratie psyop formelle en 1986, également sous le contrôle de l’opération NSC de Raymond. La combinaison des programmes de propagande et de psyops a souligné la capacité puissante développée par le gouvernement des États-Unis il y a plus de trente ans dans l’implantation d’informations biaisées, distordues ou fausses. (Casey est mort en 1987 ; Raymond est décédé en 2003.)

Au cours de ces décennies, même lorsque la Maison Blanche a passé des Républicains aux Démocrates et des Démocrates aux Républicains, l’élan créé par William Casey et Walter Raymond a continué à pousser ces stratégies de « gestion de la perception/psyops ». Ces dernières années, la formulation a changé en faveur d’euphémismes plus plaisants, comme « smart power » et « communications stratégiques ». Mais l’idée reste la même : comment utiliser la propagande pour vendre les politiques du gouvernement des États-Unis à l’étranger et dans le pays.

Robert Parry

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par M pour le Saker francophone

Liens

dedensa.org : Troubles identitaires

Des Psy-OP à la guerre psychologique : la psychologie de la victoire

De nouveaux documents de la CIA déclassifiés

 

 

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