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Ces derniers mois, je ressens de plus en plus que notre époque s’éloigne des perspectives de guerres sans fin, même si cela parait encore difficile à croire. Ne vous méprenez pas, je n’annonce pas la fin définitive des guerres. Mais l’énergie et la dynamique guerrières sont en train de changer. Dans une frénésie d’auto-suffisance le soi-disant monde occidental jette vaisselle, couverts, casseroles et rouleau a pâtisserie, tout ce qui peut tomber sous ses mains sanguinolentes, comme un enfant gâté faisant une crise de colère gargantuesque. Tout cela pour tenter de nier une réalité dans laquelle il perd un peu plus de contrôle à chaque instant.
Le monde s’éloigne de guerres dues, si l’on peut dire, à une psychose de contrôle patriarcal qui déclenche de la peur, de la honte, de la culpabilité, de la rage puis de la haine. Par contre, ce qui commence à apparaitre dans cette région que l’Occident a égoïstement appelée l’Orient est le besoin de construire de nouveaux grands projets pour élever un secteur de l’humanité ignoré pendant plus de mille ans. Ce mouvement de transformation positive est ce qui, entre autres, sauvera l’humanité de la mort et de la destruction de masse que certains en Occident appellent de tous leurs vœux.
Je voudrais illustrer cela par les récents développements de ce qui, il y a des siècles, était appelé en chinois zhōngguó c’est-à-dire le centre de la civilisation. Cela pourrait bien le redevenir si la dynamique actuelle entre la Chine, la Russie et les autres nations eurasiatiques continue ainsi.
La Chine mène la danse avec un impressionnant catalogue de projets d’infrastructure internationaux, qui englobe la Russie et les autres États de l’union économique eurasiatique et s’étend même jusqu’à l’Union européenne. Pékin relie son économie à toute l’Eurasie, de la mer de Chine à la mer Noire, du détroit de Malacca au golfe de Finlande, du Pirée à la Méditerranée orientale, en ouvrant des lignes terrestres et maritimes, ceci à une vitesse traditionnellement chinoise.
Pékin vient d’inaugurer sa Banque d’investissement et d’infrastructure asiatique (BIIA), une institution qui pourrait bientôt faire de l’ombre à la vacillante Banque mondiale, institution contrôlée par les États-Unis, en finançant non pas des moulins à vent dispendieux mais de nécessaires projets d’infrastructures dans toute l’Asie et l’Eurasie. Ainsi, Pékin n’attend plus le bon vouloir d’autres banques.
La Chine, le nouveau Zhōngguó
Il est important d’avoir une vision claire des développements positifs dans le monde. On a tendance à l’oublier car nous sommes toujours attirés par le négatif. Je vais donc brièvement aborder les récents développements de la République populaire de Chine qui ont un potentiel de transformation pour toute la planète s’ils sont réalisés correctement, c’est-à-dire de manière à détacher les pays de l’Eurasie du dollar, un système monétaire destructeur déjà en faillite.
Le 4 décembre, à l’ouverture du forum sur la coopération sino-africaine à Johannesburg, Afrique du Sud, le président chinois Xi Jinping a annoncé que la Chine déboursera 60 milliards de dollars, sous forme de prêts et assistance, pour les pays d’Afrique. Ils se composeront de «5 milliards de prêts à 0% d’intérêt et 35 milliards de facilités et prêts préférentiels et de crédit à l’exportation.» Xi a aussi annoncé une aide pour lutter contre la sécheresse sur le continent africain en déclarant : «La Chine est très inquiète des mauvaises récoltes dues a El Niño dans de nombreux pays africains et fournira aux pays affectés la valeur de 1 milliard de yuan (156 million de dollars) sous forme d’aide alimentaire.»
N’oublions pas que la Chine a fondé ce forum sino-africain en 2000 avec la participation de 40 pays africains. En 2006, Pékin a hébergé le premier forum entre chefs d’État avec la participation de 35 chefs d’État africains. À ce sommet, la Chine avait promis 5 milliards de prêts préférentiels à l’Afrique. Ce grand intérêt porté par la Chine à l’économie africaine a fait des vagues jusqu’à Washington, au Département du Trésor et au FMI, dominé par les États-Unis. Le président chinois de l’époque, Hu, a annoncé plus tard la création du Fonds sino-africain pour le développement pour accélérer les investissements chinois en Afrique grâce à un investissement initial de 1 milliard de dollars, prévu pour augmenter à 5 milliards dans l’avenir.
La réponse de Washington, inventée par la cabale Bush-Cheney, a été alors de créer AFRICOM, un nouveau centre de commande du Pentagone créé uniquement pour déjouer l’influence chinoise sur ces mêmes pays d’Afrique si longtemps mis à mal par le FMI. Et comment AFRICOM procède-t-il ? Par des guerres, des révolutions de couleur, des printemps arabes, la destruction de la Libye sous la mauvaise excuse du droit à protéger, la création de gangs terroristes au Mali, de Boko Haram au Niger et ainsi de suite, jusqu’au dégoût.
Maintenant, à ce deuxième forum des chefs d’État et sixième forum ministériel de la coopération sino-africaine, Pékin annonce qu’il va ajouter 60 milliards pour le développement des pays africains. Est-ce que cela profitera à la Chine ? Bien sûr, et pourquoi pas ? Est-ce que cela profitera à l’Afrique ? Oui, aussi. À la différence des guerres sans fin de l’Otan, la construction d’infrastructures, réseaux ferrés, canaux de navigation, réseaux électriques, améliore le niveau de vie des gens et amène paix et stabilité. C’est un élément de base dans l’histoire humaine.
Avant ce Forum, Xi est allé au Zimbabwe, un vieil allié de la Chine, où il a promis des prêts pour relancer une économie dépressive. Dix accords économiques ont été signés entre la Chine et le président du Zimbabwe, Robert Mugabe, que les Anglais tentent de renverser depuis 1997. En Afrique du Sud, Xi a signé 26 accords bilatéraux et des prêts d’une valeur de 6,5 milliards de dollars, spécialement orientés vers le développement d’infrastructures. L’Afrique du Sud est un membre des BRICS, tout comme le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine.
La voie rapide de la Chine vers l’Europe
En plus des liens économiques qui s’étoffent avec ce vaste continent africain, riche et si longtemps négligé par l’Occident, la Chine va de l’avant pour sécuriser un autre projet, nommé Une Ceinture, Une Route, un réseau ferré à grande vitesse qui rejoindra les pays de l’Union européenne.
Le 26 novembre, le premier ministre chinois, Li Keqiang, a accueilli 16 chefs d’État européens à Suzhou pour le 4e sommet Chine–Europe centrale et orientale (ECO). Ce forum, dont le premier s’est tenu à Pékin en 2012, réunit des dirigeants de la Chine et de 16 pays ECO : l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la République tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie, la Macédoine, le Monténégro, la Pologne, la Roumanie, la Serbie, la Slovaquie et la Slovénie. Tous ces pays se débattent dans une situation économique européenne déprimée. Les médias chinois ont dépeint le sommet comme une occasion en or pour approfondir la coopération. Étant donnée la récente passion chinoise pour l’or, la Chine vient de dépasser l’Afrique du Sud en tant que producteur mondial de ce métal, et cela peut vouloir dire plusieurs choses.
Étant donnée la situation très tendue et les sanctions économiques existant entre les États de l’Union européenne, menées par l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Espagne, et le plus proche allié chinois la Russie, la Chine voudrait achever rapidement son vaste réseau ferré de TGV. Une Ceinture, Une Route est donc considérée par Pékin comme étant une priorité urgente pour avoir accès aux vastes marchés de l’Union européenne et donner un coup de fouet à une croissance économique chinoise déprimée.
Les États de l’Europe centrale et orientale sont destinés à devenir les entrepôts chinois en marge du grand marché européen. Pékin sait que ce n’est qu’une question de temps avant que les faucons de Washington et Wall Street ne prennent la Chine pour cible. Pékin ne se fait pas d’illusion sur la géostratégie de Washington, j’en suis certain.
De vastes projets d’infrastructure
Le président chinois a décrit aux participants du sommet comment il percevait la région : «Située aux frontières orientales de l’Europe et le long du projet Une Ceinture Une Route, l’ECO profite d’un avantage spécifique pour améliorer la connectivité», ajoutant que la Chine désire travailler avec eux pour «construire le réseau ferré et maritime Chine–Europe et promouvoir la connectivité en Europe.»
Xinhua, l’agence de presse officielle chinoise, a résumé les résultats du sommet en parlant de «large coopération centré sur l’infrastructure» entre la Chine et les pays d’ECO. La Chine lance déjà les appels d’offres pour la construction de voies de chemin de fer, de routes et de ports en Europe. Concrètement, la Chine a signé des accords avec la Hongrie et la Serbie pour construire une ligne TGV entre Budapest et Belgrade. La construction devrait démarrer avant la fin de cette année et être achevée en 2017. Xinhua a décrit ce projet comme étant «une voie rapide pour l’importation et l’exportation de produits entre la Chine et l’Europe».
La Chine est un leader mondial de la fabrication de réseaux de TGV. Le pays a construit plus de 20 380 km de lignes TGV durant les dix dernières années, plus que tout le reste des lignes TGV du monde, avec encore 16 775 km de lignes intérieures en cours de construction ou en projet. Ces chiffres ne comprennent pas les lignes extérieures eurasiennes du projet Une Ceinture, Une Route que Pékin est en train de préparer.
La Chine est l’adresse mondiale pour construire une infrastructure ferroviaire de nos jours, alors que l’Occident, avec l’état pathétique du réseau ferroviaire américain, est de plus en plus dépassé. La Chine vient de construire un train technologiquement en avance avec son train à très grande vitesse, le Shanghai Maglev à lévitation magnétique, qui peut atteindre plus de 400 km/h. C’est le train à service régulier le plus rapide du monde que l’Allemagne avait développé dans les années 1980 mais qui a été bloqué politiquement par des histoires domestiques. Au départ, la Chine a lancé son industrie de TGV grâce à des accords de transfert de technologie avec Alstom, Siemens, Bombardier et Kawasaki Heavy Industries. Les ingénieurs chinois ont redessiné des composants internes et construit des trains indigènes qui ont pu atteindre 380 km/h. De nos jours, c’est la Chine qui exporte la technologie ferroviaire.
La ligne TGV Hongrie–Serbie fera partie d’une plus grande voie rapide terrestre et maritime reliant la Chine et l’Europe. Selon le gouvernement chinois, «cette voie rapide s’étend du port du Pirée, en Grèce, au sud jusqu’à Budapest, en Hongrie, au nord, via Skopje en Macédoine et Belgrade en Serbie». Bien que la Grèce n’ait pas participé au sommet Chine–ECO, les dirigeants des trois autres pays, la Hongrie, la Macédoine et la Serbie ont rencontré Li et se sont mis d’accord pour travailler ensemble sur le projet.
Li a annoncé aussi que la Chine allait investir dans la construction ou l’amélioration de facilités portuaires sur la mer Baltique, l’Adriatique et la mer Noire. Il a déclaré que «la Croatie, la Slovénie, la Pologne, la Lettonie et la Bulgarie ont proposé de renforcer leur coopération sur le développement portuaire». Les projets se concentreront sur «la capacité de production et la coopération entre les ports et les zones industrielles des régions côtières de l’Adriatique, de la Baltique et de la mer Noire». Les compagnies chinoises auront le rôle principal dans ces projets.
La Chine utilisera des incitations financières pour s’assurer que les compagnies chinoises obtiennent une part confortable du travail. Li a déclaré que «la Chine fournira un soutien financier préférentiel pour les projets qui utilisent des produits et équipements chinois dans la coopération pour les capacités de production». Il a proposé une nouvelle organisation financière, la compagnie financière 16+1, pour soutenir économiquement de tels projets grâce à des moyens commerciaux. Cela contournera les sévères restrictions financières dues à la dette européenne. Vazil Hudak, le ministre de l’Économie slovaque, a déclaré à Xinhua que «toute la région pourrait être intéressée par de grands projets d’infrastructure dans les domaines de la communication, du transport ou de l’énergie entre ces pays, c’est-à-dire des gazoducs».
On comprend mieux pourquoi Washington et les oligarques américains ont peur de perdre le contrôle qu’ils exercent sur le monde. La Chine, de concert avec la Russie et les pays d’Eurasie, est en train de créer une renaissance économique d’une ampleur inégalée depuis plus de cent ans.
La réponse de Washington est d’offrir au monde une pathétique foire à la guerre au Moyen-Orient, en Ukraine, une déstabilisation politique du président brésilien qui travaille en étroite association avec la Russie et la Chine dans le cadre des BRICS. Les Etats-Unis répondent avec des tentatives de changement de régime à coups de révolutions de couleur partout où c’est possible, de l’Ouzbékistan à la Macédoine, jusqu’au Venezuela et plus loin encore. Le contraste est inévitable pour toute personne se donnant la peine de regarder. Pour ma part, je préfère infiniment les projets de construction pacifique à ceux de destruction.
F.William Engdhal
Article original paru sur New Eastern Outlook
Traduit et édité par Wayan, relu par Literato pour le Saker francophone
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