Le 16 janvier 2023 − Source Andrew Korybko’s Newsletter
Le reportage produit par CNN montre qu’une partie au moins du cœur du mouvement et des cohortes qui suivent les organisateurs du soulèvement qui s’est produit le week-end dernier sont également motivés à s’opposer à Bibi en raison du programme de politique étrangère pragmatique qu’il veut mettre en œuvre dans l’idée d’aider Israël à naviguer dans les méandres de la multipolarité.
Le retour en poste de Benjamin Netanyahu, qui a déjà été premier ministre israélien durant de longues années, dont le surnom populaire est Bibi, a provoqué d’importantes manifestations ce week-end, avec environ 80 000 personnes qui ont défilé contre les réformes judiciaires qu’il propose. Elles ont pour projet de surveiller de plus près les tribunaux, et ses soutiens accusent les tribunaux d’avoir outrepassé leurs fonctions au cours des dernières années pour des raisons idéologiques en lien à leur volonté d’imposer des valeurs libérales aux éléments conservateurs de la société, chose qu’ils n’ont pas autorité à faire.
Bibi a défendu les projets de sa nouvelle coalition en évoquant de manière raisonnable que « Les millions de citoyens qui ont voté pour la droite connaissent nos intentions de pratique de profondes réformes du système judiciaire. Mieux que ça : ils nous les demandent. » D’évidence, il serait anti-démocratique de laisser 80 000 personnes tapageuses empêcher le fonctionnement de la volonté exprimée par les urnes, par des compatriotes en nombre très largement supérieur, et c’est la raison pour laquelle il ne baisse pas la garde face à ces pressions.
Mais ce n’est pas tout, comme CNN l’a fortement suggéré en parlant de ces manifestations. Le média dominant étasunien a informé ses spectateurs que « Les participants tenaient des pancartes comparant Netanyahu à Vladimir Poutine, le président russe, et affirmant qu’Israël se transforme en pays comme la Hongrie semi-démocratique et l’Iran théocratique. » La dimension internationale que les manifestants ont volontairement intégré à leur mouvement supposément domestique est accablante pour eux.
Cela démontre qu’au moins certains des membres du cœur du mouvement et des cohortes qui suivent les organisateurs des désordres de ce week-end ont également pour motivation de s’opposer à Bibi du fait de la politique étrangère pragmatique qu’il a pour projet de mettre en œuvre pour aider Israël à naviguer dans les méandres de la multipolarité. Nous avons passé en revue début janvier sa vision ambitieuse dans l’analyse publiée sous le titre « Les États-Unis feraient bien de respecter les calculs de sécurité nationale d’Israël vis-à-vis de la Russie et de l’Ukraine« , qu’il faut lire pour comprendre les détails.
En résumé, pour le lecteur n’ayant pas le temps de se rapporter à cet article, il explique que la nouvelle coalition du premier ministre israélien subira encore moins les influences étasuniennes que la précédente, qui l’avait remplacée à la mi-2021, et qui avait déjà mis au défi les demandes étasuniennes de sanction contre la Russie, et d’envoyer des armes à Kiev malgré son alliance idéologique avec Biden. C’est avec ce contexte géostratégique à l’esprit que les dernières manifestations peuvent être décrites comme visant tacitement à mener une révolution de couleur unipolaire contre lui afin d’éviter ce scénario.
Cela signifie que les organisateurs de ces manifestations, qui ont pris la décision d’intégrer volontairement une dimension internationale à leur mouvement soi-disant domestique, espèrent tromper la majorité de personnes qui protestent de bonne foi pour faire pression sur Bibi en matière de politique étrangère. Pour cela, ils manipulent les perceptions sur l’agenda judiciaire de sa coalition, dans le but de semer la crainte et le doute sur les conséquences pour la démocratie auto-proclamée d’Israël, sachant que de nombreuses personnes vont rallier les mouvements de protestation.
S’ils parviennent à des résultats socio-politiques du type de celui qui s’est produit ce week-end, leur projet est d’utiliser ces résultats pour influencer la politique étrangère du pays, et c’est la raison pour laquelle ils introduisent les faux récits de guerre impliquant à tort une version israélienne de la théorie du complot discréditée du Russiagate. L’objet est de manipuler encore davantage les perceptions populaires pour que ceux qui se laissent influencer par elles soupçonnent que le dirigeant russe contrôle Bibi.
À l’image des contraintes qui furent appliquées sur Donald Trump, alors président des États-Unis, suivant le même modus operandi, pour l’obliger à mener des actions hostiles contre la Russie afin de « sauver la face » sur la scène intérieure, en démontrant qu’il n’était pas le pion du président Poutine, les organisateurs de ces manipulations en Israël espèrent que l’effet en sera identique sur Netanyahu. Mais ce complot ne va sans doute pas fonctionner, car le dirigeant israélien se montre fièrement indépendant et passionné lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre les politiques pragmatiques visant à renforcer la souveraineté de son pays, en dépit des pressions.
Bien qu’il soit quasi impossible de réussir à contraindre Bibi à adopter une suite sans fin de concessions unilatérales en matière de politique étrangère, concessions qui viseraient à laisser les États-Unis réaffirmer leur hégémonie unipolaire en déclin sur l’État Juif auto-proclamé, il ne semble pas que ces tentatives vont cesser. Au contraire, ce type d’action va sans doute marquer la suite de son mandat actuel, comme le suggèrent les manifestants, qui introduisent d’ores et déjà ce récit artificiel et fabriqué de guerre de l’information dans leur discours.
Ce contexte géostratégique élargi permet aux observateurs de mieux comprendre les derniers développements socio-politiques en Israël. Loin d’être pilotées par des sujets purement intérieurs, les manifestations et action sont exploitées comme prétexte afin d’orchestrer une révolution de couleur unipolaire contre Netanyahu en réponse à la politique récemment proclamée par son nouveau gouvernement de coalition, qui consiste à « moins parler« du conflit en Ukraine et de tout ce que cela implique pour le rôle en évolution d’Israël dans l’Ordre Mondial Multipolaire en cours d’émergence.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone