Une bataille épique :
Trumponomics protectionnistes contre néolibéralisme

© Mark Kauzlarich


Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 11 novembre 2016 – Source Russia Today

La vague rouge de Donald Trump le jour des élections a été un coup au corps sans précédent contre le néolibéralisme. La stupide prévision du début des années 1990 sur la «fin de l’histoire» s’est transformée en un choc – possible – du renouveau.

Un nouveau nativisme global ? Ou peut-être une nouvelle poussée vers le socialisme démocratique ? Trop tôt pour le dire.

Encore une fois. Un coup au corps, pas un coup mortel. Comme le casting de The Walking Dead, l’élite néo-libérale zombie ne va pas tout simplement laisser tomber. Pour l’axe Anciens Pouvoirs / État Profond / Wall Street, il n’y a qu’une issue au jeu, gagner à tout prix. À défaut, renverser l’échiquier, avec une guerre chaude.

La guerre chaude a été reportée, au moins pour quelques années. Pendant ce temps, il est instructif d’observer le désespoir collectif américain et eurocrate, sur un monde qu’ils ne peuvent plus comprendre [ou dominer, NdT]; Brexit, tremblement de terre Trumpiste, montée de l’extrême-droite en Occident. Pour les élites financières, technologiques, et les think tanks isolés de la modernité nomade, la critique du néolibéralisme – avec la déréglementation inhérente, la privatisation, l’austérité – est un anathème.

L’insurrection de l’Occident blanc des cols bleus en colère est le contrecoup ultime contre le néolibéralisme – une réaction instinctive contre le jeu du capitalisme de casino truqué et ses sbires politiques serviles. C’est le cœur de l’électorat blanc, sous-éduqué, qui a fait gagner Trump avec une avance de 28% dans le Wisconsin. Blâmer «le retour de bâton blanc», le racisme, WikiLeaks ou la Russie ne sont que des tactiques de diversion infantiles.

La question clé est de savoir si le contrecoup peut engendrer une nouvelle poussée occidentale vers le socialisme démocratique – lire les livres de David Harvey pour la feuille de route – ou tout simplement un nationalisme nostalgique enragé contre la machine néolibérale mondialiste : Washington / UE / NAFTA .

Lisez sur mes lèvres : beaucoup moins d’impôts

Trump propose de tourner les tables du jeu néolibéral. Tout au long de sa campagne, il a criminalisé le libre-échange, essence de la mondialisation, pour avoir décimé la classe ouvrière américaine, alors même que les entreprises américaines blâment le libre-échange, qui les force à compresser les salaires des travailleurs.

Alors voyons comment Trump sera capable d’imposer ses priorités.

Parallèlement à l’épouvantable déclin structurel de la manufacture américaine, il veut imiter la Chine : un projet d’infrastructure massif de 1 000 milliards de dollars sur dix ans, via des partenariats public-privé et des investissements privés encouragés par une baisse des impôts. C’est censé créer une masse d’emplois.

La baisse des impôts des sociétés, dans ce cas, se traduit par l’énorme somme de 3 000 milliards de dollars sur dix ans, soit quelque 1,6% du PIB. Ce serait le moyen d’inciter les grosses multinationales à rapatrier les centaines de milliards de dollars de profits planqués à l’étranger. Ce choc fiscal créerait vingt-cinq millions d’emplois aux États-Unis au cours des dix prochaines années et propulserait le taux de croissance à 4%.

Et puis, il y a le mouvement protectionniste qui renégociera l’ALENA et tuera le TPP [Traité Trans-Pacifique] pour de bon. Sans parler de la hausse des droits de douane sur les produits manufacturés importés de Chine et du Mexique – beaucoup par des multinationales américaines délocalisées.

Le débat sur la façon dont les Trumponomics parviendront à la quadrature du cercle sera féroce. Avec une croissance économique alimentée par moins de taxes, les importations augmenteront pour satisfaire la demande intérieure. Mais si ces produits sont soumis à des tarifs plus rigoureux, ils deviendront plus chers et l’inflation augmentera inévitablement.

Quoi qu’il en soit, la ligne de fond du protectionniste Trumponomics serait un énorme coup contre le commerce mondial. Démondialisation, ça vous dit ?

L’Asie se prépare à l’impact

Comme on pouvait s’y attendre, le cœur de la démondialisation sera la relation Trump-Chine. Tout au long de sa campagne, Trump a accusé la Chine de manipuler les devises et a proposé une taxe de 45% sur les importations chinoises.

Dans les cercles bancaires de Hong Kong, personne n’y croit. Argument clé : le panier de «déplorables», déjà bouclé, n’aura tout simplement pas les moyens de payer davantage pour les importations chinoises.

Une autre chose importante serait que les Trumponomics trouvent un mécanisme pour empêcher les entreprises américaines de délocaliser en Asie. Cela se traduirait par de sérieux problèmes pour l’externalisation des sanctuaires comme l’Inde et les Philippines. L’externalisation aux Philippines, par exemple, sert principalement les entreprises américaines et attire des recettes aussi cruciales pour la nation, que le total des envois de fonds des travailleurs philippins de l’étranger, soit quelques 9% du PIB.

Il est très éclairant dans ce contexte, de considérer ce que Narayana Murthy – fondateur de la grande société informatique indienne Infosys – a déclaré à CNBC TV-18 : «Ce qui est dans le meilleur intérêt de l’Amérique, c’est que ses entreprises réussissent, que ses entreprises créent plus d’emplois [… pour exporter davantage […] alors je suis très positif.»

Il y a quatre mois, Nomura Holdings Inc. a publié un rapport intitulé «Trumping Asia». Pas moins de 77% des répondants s’attendaient à ce que Trump accuse la Chine de manipuler les devises, et 75% ont prédit qu’il imposera des droits de douane sur les exportations de la Chine, de la Corée du Sud et du Japon.

Donc pas étonnant que, pendant les prochains mois, il y ait des crises de nerfs dans toute l’Asie. L’Asie – et pas seulement la Chine – est l’usine du monde. Toute restriction, par Trump, du commerce sur la Chine va se répercuter à travers toute l’Asie.

Préparez-vous à l’impact: Trumponomics démondialisés contre néolibéralisme sera une bataille épique.

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.

Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone

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