Que se passe-t-il en Iran ? Assistons-nous à une nouvelle « révolution de couleur » ?


Par Brandon Turbeville – Le 1er janvier 2018 – Source South Front

Depuis trois jours un spectacle familier se joue en Iran. Des manifestations ont lieu dans de nombreuses villes, énumérant des doléances et revendiquant le départ de l’ayatollah et du président iranien. Pendant quelques jours, les manifestations sont restées non violentes, mais maintenant, la violence s’est propagée, les manifestants ayant détruit un certain nombre de propriétés du gouvernement et celles appartenant à des « milices pro-gouvernementales ».

Les néocons dans les médias américains et le président des États-Unis exigent tous que les Américains se rangent aux côtés du « peuple iranien » et des « manifestants » dans leur « combat pour la liberté ».

La raison pour laquelle ce spectacle est familier est que nous l’avons vu en Égypte, en Libye et en Syrie dans le passé ainsi qu’en Iran même à la fin des années 2000. Des manifestations qui tournent à la violence, une répression subséquente soit violente soit rapportée comme telle, et le poids de la propagande américaine contre le gouvernement visé sont autant de répétitions du « printemps arabe », qui ne sont elles-mêmes rien d’autre que l’appareil de révolution de couleur et de déstabilisation qui a été utilisé par l’Occident dans les pays du monde entier depuis des décennies, et particulièrement ces vingt dernières années.

Que veulent les manifestants ?

Les prétendues revendications des manifestants semblent raisonnables et assez légitimes. Jusqu’à présent, les médias occidentaux ont rapporté que le principal argument avancé par les manifestants porte sur des préoccupations économiques, à savoir la baisse du niveau de vie, le chômage et l’augmentation des prix de la nourriture. Au troisième jour des manifestations, cependant, les médias occidentaux ont commencé à rapporter que les manifestants demandaient la fin de la dictature et de la politique religieuses menées par l’Ayatollah Khamenei et le Président Rouhani. Selon certains articles, des manifestantes femmes sont allées jusqu’à crier « mort à Khamenei » et à se débarrasser de leurs hijabs pour en faire des drapeaux de fortune. D’autres disent que les manifestants se centrent sur la corruption du gouvernement.

De nombreuses questions persistent cependant sur ces manifestations. La première est : « Est-ce que ce sont des manifestations iraniennes organiques ? » Cette question n’a pas encore trouvé de réponse. L’Iran est très certainement une dictature religieuse et beaucoup d’Iraniens veulent se libérer de cette domination. Il faut cependant rappeler que les États-Unis et Israël ont ouvertement déclaré leur désir de voir briser l’influence iranienne et, en 2009 encore, les États-Unis ont tenté d’organiser une révolution de couleur dans le pays. Les trois premiers jours du Mouvement vert en Iran ressemblaient beaucoup aux trois premiers jours du mouvement actuel.

Manifestement, les préoccupations économiques sont un problème important en Iran, un pays dont l’économie a souffert pendant des années des sanctions occidentales et de sa propre incapacité à capitaliser dans une Banque nationale publique. Officiellement, le chômage en Iran est d’environ 12% et il est probable que le taux réel soit beaucoup plus élevé. Malgré la levée de certaines sanctions, il n’y a guère de croissance économique dans le pays, un autre résultat des politiques néolibérales et commerciales. Il est cependant également intéressant de noter que Khamenei a aussi critiqué la mauvaise économie et le traitement des problèmes économiques par le gouvernement, mais que Khamenei est insulté dans les manifestations.

Ces revendications ne sont pas déraisonnables, loin de là. Cependant, les protestations religieuses viennent à un moment très étrange. L’Iran a récemment libéralisé ses lois forçant les femmes à se couvrir la tête. Donc pourquoi manifester contre les lois religieuses ?

Il faut en outre accorder une attention particulière à la notion de « corruption gouvernementale » caractéristique des révolutions de couleur car cette corruption est souvent plus un concept abstrait qu’un problème concret. Un retrait du pouvoir de quelques personnes clés, quelques réprimandes et quelques signes de réformes peuvent mettre « fin » à la corruption alors que des revendications plus concrètes exigent des mises en œuvre tangibles et donc représentent une perte mineure pour ceux qui reprendront les rênes du pouvoir après l’arrêt des manifestations.

On peut trouver aussi des revendications plus préoccupantes dans les slogans scandés par les manifestants. Tout d’abord, au cas où cela pourrait passer inaperçu, les manifestants appellent au départ de l’Ayatollah et du président. En d’autres termes, ils appellent à un changement de régime. C’est précisément ce que les États-Unis, le Conseil de coopération du Golfe (CCG), l’OTAN et Israël veulent aussi voir arriver.

Ensuite, de nombreux manifestants scandent « Laissez tomber la Palestine » et « Pas pour Gaza, pas pour le Liban, je ne donnerai ma vie que pour l’Iran ». De nouveau, les manifestations crient aujourd’hui des revendications de politique étrangère identiques à celles désirées par les États-Unis, l’OTAN, le CCG et Israël. Tout cela dans une manifestation censée porter sur des problèmes économiques.

Moon of Alabama, dans son article intitulé « Iran – Regime Change Agents Hijack Economic Protests » révèle un certain nombre d’articles importants concernant le commencement des manifestations et où elle ont lieu actuellement. MOA écrit :

« Les manifestations contre les politiques économiques (néo)libérales du gouvernement Rohani sont justifiées. Officiellement, le chômage en Iran dépasse 12% et il n’y a pratiquement pas de croissance économique. Les gens dans les rues ne sont pas les seuls à être insatisfaits :

Le chef suprême de l’Iran, l’Ayatollah Ali Khamenei, qui a critiqué à maintes reprises le bilan économique du gouvernement, a dit mercredi que le pays se débattait avec ‘des prix élevés, l’inflation et la récession’ et a demandé aux responsables de résoudre ces problèmes avec détermination.

Jeudi et aujourd’hui, les slogans de certains manifestants ont transformé l’appel à une aide économique en un appel au changement de régime.

(…)

Aujourd’hui vendredi, jour de congé hebdomadaire en Iran, plusieurs nouvelles manifestations ont eu lieu dans d’autres villes. Une dépêche de Reuters d’aujourd’hui :

‘Environ 300 manifestants se sont rassemblés à Kermanshah après ce que l’agence Fars a appelé un ‘appel de l’anti-révolution’ et ont crié : ‘Les prisonniers politiques devraient être libérés’ et ‘La liberté ou la mort’, en détruisant certains biens publics. Fars n’a nommé aucun groupe d’opposition.’

(…)

Des images qui n’ont pas pu être vérifiées montraient des manifestations dans d’autres villes, dont Sari et Rasht dans le nord, Qom au sud de Téhéran, et Hamadan dans l’ouest.

Mohsen Nasj Hamadani, chef de la sécurité adjoint de la province de Téhéran, a dit qu’une cinquantaine de personnes s’étaient rassemblées sur une place de Téhéran et qu’elles étaient parties après avoir été interrogées par la police, mais que quelques-unes, qui avaient refusé, étaient ‘temporairement détenues’, a rapporté l’agence d’information ILNA.

Certaines de ces manifestations ont de véritables motifs économiques, mais elles se font détourner au profit d’autres intérêts :

Dans la ville du centre d’Ispahan, un habitant a dit que les manifestants avaient rejoint un rassemblement organisé par des ouvriers d’usine réclamant leurs arriérés de salaire.

‘Les slogans ont rapidement changé, passant de l’économie à ceux contre (le président Hassan) Rouhani et le chef suprême (l’Ayatollah Ali Khamenei)’, a déclaré l’habitant par téléphone.

(…)

Les protestations purement politiques sont rares en Iran […] mais les manifestations sont souvent organisées par des ouvriers pour des licenciements ou des salaires non payés et les gens qui possèdent des dépôts dans des institutions financières non régulées et en faillite.

(…)

Alamolhoda, le représentant de l’Ayatollah Khamenei au nord-est de Mashhad, a déclaré que quelques personnes avaient profité des manifestations de jeudi contre la hausse des prix pour scander des slogans contre le rôle de l’Iran dans des conflits régionaux.

(…)

‘Certaines personnes étaient venues pour exprimer leurs revendications, mais soudain, un petit groupe qui n’excédait pas une cinquantaine personnes a crié des slogans divergents et horribles comme ‘Laissez tomber la Palestine’, ‘Ni pour Gaza ni pour le Liban, je ne donnerai ma vie que pour l’Iran’, a déclaré Alamolhoda. »

Soutien des médias et des néocons

Bien qu’il faille s’attendre à une réaction violemment anti-iranienne de la part de l’administration et de la presse dominante aux États-Unis, il est intéressant de voir comment le président américain a immédiatement soutenu les manifestations, encourageant les Américains à se ranger aux côtés des manifestants et de leurs revendications. Cela vient d’un homme qui voit rarement une manifestation qui ne soit pas dirigée contre lui. Pendant ce temps, les organismes néocons comme FOX News réitèrent également des appels aux Américains pour qu’ils soutiennent les braves « combattants de la liberté » en Iran. On voit rarement, sinon jamais, le mal faire du bien dans le monde, donc lorsque les néocons appellent à soutenir les manifestations, il faut hausser des sourcils sceptiques.

Il est aussi important de s’interroger sur la popularité de ces manifestations. Alors que les médias occidentaux et diverses organisations terroristes qui les soutiennent les décrivent comme impliquant à chaque fois des dizaines de milliers de personnes lors de chaque manifestation, des vidéos et des photos ont tendance à ne montrer que quelques dizaines de personnes, au plus quelques centaines, tandis que d’autres se promènent autour.

« Une vidéo de la manifestation à Mashad a montré une cinquantaine de personnes clamant des slogans avec d’autres personnes tournant autour » écrit MOA. (…) « Deux vidéos diffusées par BBC Persian et d’autres que j’ai vues ne montrent que de petits groupes actifs de manifestants comptant une douzaine de personnes, tandis que beaucoup d’autres se tiennent à côté ou filment les gens qui crient des slogans. »

Administration Trump / accord d’Israël

Les manifestations en Iran ont lieu seulement un mois après que la Maison Blanche et Tel Aviv se sont rencontrés pour discuter d’une stratégie à l’égard de l’Iran.

« Une délégation conduite par le conseiller à la Sécurité nationale d’Israël a rencontré de hauts responsables américains à la Maison Blanche plus tôt ce mois pour une discussion commune pour contrer l’agression de l’Iran au Moyen-Orient, a confirmé un haut responsable américain » a écrit Haaretz. (Israeli Delegation Met U.S. Officials to Discuss « Iran Strategy » Syria).

AXIOS fournit cite des extraits de la réunion :

« Les États-Unis et Israël voient d’un même œil les différents développements dans la région et en particulier ceux qui sont liés à l’Iran. Nous sommes parvenus à des accords en ce qui concerne la stratégie et la politique nécessaires pour contrer l’Iran. Nos interprétations portent sur la stratégie globale mais également sur des buts concrets, des modes d’action et les moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces buts. »

Cette révolution de couleur manifeste serait-elle le résultat de cette rencontre entre les États-Unis et Israël ?

Révolution de couleur en Iran

L’idée qu’une révolution de couleur pourrait être tentée en Iran n’est pas un fantasme. Ce serait une répétition de l’histoire. Souvenez-vous, en 2009, une tentative de révolution de couleur appelée « Révolution verte » a été lancée mais rapidement réprimée d’une main de fer par le gouvernement iranien.

La route vers la Perse

Le projet d’une attaque occidentale ou occidentalo-israélienne contre l’Iran, avec le théâtre de tensions américano-israéliennes conduisant à une attaque pure et simple, est en cours depuis un certain temps. Par exemple, en 2009, la Brookings Institution, une importante société bancaire, d’affaires et militaro-industrielle, a publié un rapport intitulé « Which Path To Persia ? Options For A New American Strategy For Iran » (Quelle route vers la Perse ? Options pour une nouvelle stratégie américaine pour l’Iran), dans lequel les auteurs ont tracé un plan qui ne laisse aucun doute quant au désir ultime des milieux financiers, industriels et des classes dominantes occidentales.

Capture d’écran du rapport de Brookings : « Which Path To Persia ? Options For A New American Strategy For Iran ».

Le plan comprend la description d’un certain nombre de moyens par lesquels l’oligarchie occidentale pourrait détruire l’Iran, y compris l’invasion militaire et l’occupation pures et simples (voir la table des matières ci-dessus). Toutefois, le rapport tente d’esquisser un certain nombre de méthodes qui pourraient éventuellement être mises en œuvre avant qu’une invasion armée directe soit nécessaire. Le plan incluait la tentative de fomenter une déstabilisation interne de l’Iran via une révolution de couleur, des troubles violents, le terrorisme par procuration et des « frappes aériennes limitées » menées par les États-Unis, par Israël ou par les deux.

Le rapport déclare :

« Parce que le régime iranien est largement détesté par de nombreux Iraniens, la méthode la plus évidente et la plus acceptable pour provoquer sa disparition serait d’aider à favoriser une révolution populaire sur le modèle des ‘révolutions de velours’ qui ont renversé de nombreux gouvernements communistes en Europe de l’Est à partir de 1989. Pour de nombreux partisans du changement de régime, il semble évident que les États-Unis devraient encourager le peuple iranien à prendre le pouvoir en son propre nom, et que ce serait la méthode de changement de régime la plus légitime. Après tout, qu’est-ce que les Iraniens ou les étrangers pourraient objecter au fait d’aider le peuple iranien à réaliser ses propres désirs ?

En outre, l’histoire de l’Iran tendrait à suggérer qu’un tel événement est plausible. Pendant le Mouvement constitutionnel de 1906, à la fin des années 1930, sans doute dans les années 1950 et de nouveau pendant la Révolution iranienne de 1978, des coalitions d’intellectuels ; d’étudiants ; de paysans ; de marchands ; de marxistes ; de constitutionnalistes et de laïcs se sont mobilisés contre un régime impopulaire. Tant en 1906 qu’en 1978, les révolutionnaires ont obtenu le soutien de la plus grande partie de la population et, ce faisant, l’ont emporté. Il y a des preuves que le régime islamique s’est opposé à un grand nombre de ces mêmes factions (peut-être toutes) au point qu’elles pourraient de nouveau vouloir soutenir un changement si elles sentent qu’il pourrait réussir. C’est la croyance fondamentale des Américains qui soutiennent un changement de régime et leur espoir est que les États-Unis puissent fournir au peuple iranien tout ce dont il a besoin pour croire qu’une autre révolution est réalisable.

Bien sûr, les révolutions populaires sont des événements incroyablement complexes et rares. Il y a peu de consensus scientifique sur ce qui cause une révolution populaire ou même sur les conditions qui les facilitent. Même des facteurs souvent associés aux révolutions, tels qu’une défaite militaire, l’abandon de l’armée, les crises économiques et des divisions au sein de l’élite ont tous été des événements réguliers dans le monde et au cours de l’histoire, mais seuls quelques-uns ont débouché sur une révolution populaire. Par conséquent, toute la littérature sur la meilleure manière de promouvoir une révolution populaire – en Iran ou ailleurs – est de la pure spéculation. Néanmoins, c’est la seule option politique qui laisse présager que les États-Unis pourraient éliminer tous les problèmes auxquels ils sont confrontés à cause de l’Iran, à un coût supportable et d’une manière acceptable pour le peuple iranien et la plus grande partie du monde. »

Conclusion

Alors que la situation en Iran continue de se développer, il semble qu’une autre révolution de couleur est en cours. Bien que bon nombre des revendications soient légitimes, tous les signes pointent vers la perfidie de l’Occident, dans sa tentative de briser l’Iran en faisant tomber la dernière pièce du domino au Moyen-Orient avant le déclenchement d’une confrontation encore plus importante. Détruire l’Iran détruirait aussi le Hezbollah, affaiblirait la Syrie et la Russie, et menacerait Israël. La réussite ou non dépendra du niveau de subversion que l’appareil de renseignement américain a permis depuis 2009 et de la capacité de l’Iran à mâter la révolte. S’il y a quelque chose à apprendre de la révolution de 2009, l’Iran agira rapidement et écrasera les manifestations d’une main de fer. Cependant, si les manifestations qui se déroulent aujourd’hui en Iran sont réellement une révolution de couleur et si l’Occident y est engagé, la route vers la Perse verra probablement une escalade dans l’activité, la violence et pour finir une confrontation militaire par procuration voire par l’armée américaine elle-même.

Nous suivrons ces manifestations en détail ces prochains jours.

Brandon Turbeville écrit pour Activist Post – archives des articles ici. Il est l’auteur de sept ouvrages, « Codex Alimentarius — The End of Health Freedom ; 7 Real Conspiracies ; Five Sense Solutions et Dispatches From a Dissident, volume 1 et volume 2 ; The Road to Damascus : The Anglo-American Assault on Syria ; The Difference it Makes : 36 Reasons Why Hillary Clinton Should Never Be President ; et Resisting The Empire : The Plan To Destroy Syria And How The Future Of The World Depends On The Outcome ». Turbeville a publié plus de 1000 articles sur une grande variété de sujets, incluant la santé, l’économie, la corruption gouvernementale et les libertés civiles. Son site : BrandonTurbeville.com. Il est disponible pour des interviews radio et TV, On peut le contacter à : activistpost (at) gmail.com.

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone

L’article original est paru dans Activist Post

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