Par Robert Parry – Le 16 novembre 2017 – Source Consortium News
Depuis que le gouvernement américain a débloqué 160 millions de dollars en décembre dernier pour lutter contre la propagande et la désinformation russes, des universitaires peu connus et des groupes de réflexion avides font la queue pour pouvoir lancer leur anathème, et participer à cette course au profit en propageant l’hystérique Russia-gate jusqu’en Europe.
De nos jours, il semble que chaque évènement qui n’est pas bienvenu pour l’establishment – du Brexit au référendum pour l’indépendance de la Catalogne – soit imputé à la Russie ! La Russie ! La Russie !
La méthodologie de ces « études » consiste à trouver des comptes Twitter ou des pages Facebook plus ou moins « reliés » à la Russie (bien qu’on ne sache jamais exactement comment c’est déterminé) et à se plaindre de ces commentaires « liés à la Russie » qui portent sur les développements politiques en Occident. Cela part du préjugé que les peuples crédules des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Catalogne attendent des directives secrètes du Kremlin pour décider comment voter, ou alors qu’ils sont facilement dupés.
Curieusement, cependant, la plupart de ces prétendues « interférences » semblent être survenues après l’événement en question. Par exemple, plus de la moitié (56%) des fameux 100 000 $ de dépenses publicitaires dans Facebook en 2015-2017, supposés avoir été investis pour aider à l’élection de Donald Trump, ont été dépensés après les élections américaines de l’an dernier (et la somme totale peut se comparer au revenu publicitaire annuel de Facebook, 27 milliards de dollars).
De même, une nouvelle étude britannique à l’Université d’Édimbourg, accusant la Russie de s’ingérer dans le vote sur le Brexit, a découvert que plus de 70% des tweets liés à ce vote et venant de sites prétendûment liés à la Russie ont été postés après le référendum sur la question de savoir si le Royaume-Uni devait quitter l’Union européenne. Mais, hé, ne laissez pas les faits et la logique se mettre en travers d’un récit fait pour suggérer que quiconque a voté pour Trump, pour le Brexit ou pour l’indépendance de la Catalogne est un « idiot utile » de Moscou !
Cette semaine, la Premier ministre britannique, Theresa May, a accusé la Russie de chercher à « saper les sociétés libres » et à « semer la discorde en Occident ».
Alors qu’en est-il d’Israël ?
Car, un autre problème fondamental de ces « études » est qu’elles ne sont pas accompagnées de « contrôles », concept utilisé en science pour vérifier l’hypothèse d’une étude de base en déterminant si vous trouvez quelque chose d’inhabituel ou simplement une occurrence normale.
Dans ce cas, par exemple, il serait utile de trouver d’autres pays qui, comme la Russie, comptent un nombre important d’anglophones mais dont l’anglais n’est pas la langue maternelle – et qui ont un intérêt significatif pour les affaires étrangères – et de voir ensuite si les gens de ces pays ont un poids dans les médias sociaux avec leurs opinions et perspectives sur les événements politiques aux États-Unis, au Royaume-Uni, etc.
Peut-être que le gouvernement des États-Unis pourrait consacrer une partie de ces 160 millions de dollars à une étude sur le comportement des Israéliens sur Twitter/Facebook, s’ils s’investissent dans les controverses américano-britanniques, et en quoi cela pourraient concerner, directement ou indirectement, le gouvernement israélien. Nous pourrions ainsi voir combien de comptes Twitter/Facebook sont « reliés » à Israël ; nous pourrions étudier si des « trolls » israéliens harcèlent les journalistes et les sites d’information qui s’opposent aux politiques et aux politiciens néoconservateurs occidentaux ; nous pourrions vérifier si Israël fait quoi que ce soit pour saper les candidats qui sont perçus comme hostiles aux intérêts israéliens ; si c’est le cas, nous pourrions calculer combien d’argent ces activistes et blogueurs « liés à Israël » investissent dans les publicités Facebook ; et, enfin, nous pourrions suivre à la trace tout tweet qui risquerait de renforcer les messages favorables à Israël.
Aucune chance que cela n’arrive.
Pourtant, si nous avions ces données sur la stratégie israélienne, nous pourrions peut-être juger à quel point il est inhabituel pour les Russes d’exprimer leurs opinions sur les controverses en Occident. Il est vrai qu’Israël est un pays beaucoup plus petit avec ses 8,5 millions d’habitants par rapport aux 144 millions de Russes, mais on pourrait calculer ces chiffres par habitant – et même sans cela, je ne serais pas étonné de constater que l’ingérence d’Israël dans l’élaboration des politiques américaines dépasse largement l’influence russe.
Il est également vrai que les dirigeants israéliens se sont souvent fait l’avocat de politiques qui se sont révélées désastreuses pour les États-Unis, comme l’encouragement du Premier ministre Benjamin Netanyahou à la guerre en Irak, à laquelle la Russie s’était opposée. En effet, bien que la Russie soit maintenant régulièrement qualifiée d’ennemie de l’Amérique, on ne trouvera pas d’exemple de stratégie de pression sur les États-Unis, organisé par le président Vladimir Poutine, qui serait une fraction aussi nuisible aux intérêts américains que ne le fut la guerre en Irak.
Et, pendant qu’on y est, nous pourrions peut-être avoir un décompte de ce que des entités « liées aux États-Unis » ont dépensé pour influencer la politique de pays comme la Russie, l’Ukraine, la Syrie et de nombreux autres points chauds autour du globe.
Mais bien sûr, rien de tout cela n’arrivera. Si vous tentez même d’évaluer le rôle des opérations « liées à Israël » dans la prise de décisions occidentales, vous êtes accusé d’antisémitisme. Et si cela ne vous arrête pas de suite, alors les éditoriaux furieux du New York Times, du Washington Post et d’autres médias grand public américains vous traiteront de « conspirationniste ». Qui pourrait seulement penser qu’Israël est prêt à n’importe quoi pour influencer les prises de position occidentales ?
Et si vous utilisiez des données pour comparer avec l’interférence occidentale dans les affaires des autres nations, vous serez accusé de comparer des choses qui ne sont pas comparables, car ce que font le gouvernement américain et ses alliés est bon pour le monde, alors que ce que fait la Russie est la source du mal.
Donc, développons vite ces algorithmes pour traquer, isoler et éradiquer la « propagande russe », c’est-à-dire les points de vue déviants, pour mieux s’assurer que les Américains, les Britanniques et les Catalans votent dans le bon sens.
Robert Parry
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.