La vérité sur le mouvement de protestations de Moscou


Par Andrew Korybko − Le 5 août 2019 − Source eurasiafuture.com

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Le récent mouvement de protestations de Moscou constitue de toute évidence une tentative de déclencher des violences de Révolution de Couleur en Russie, mais considérer tous les participants au mouvement comme des “agents de la CIA” revient à faire abstraction de leurs critiques objectivement valides quant à la situation actuelle du pays.

Mensonge par omission

Moskva River, Moscow, RussiaLe monde entier connaît à présent l’existence du récent mouvement de protestations de Moscou, du fait de la couverture sympathique que les médias traditionnels occidentaux lui ont accordée, mais beaucoup de gens n’ont pas les idées claires sur ce qui se passe réellement. Il s’agit de toute évidence d’une tentative de faire éclater des violences de Révolution de Couleur en Russie, le maire de Moscou a d’ailleurs signalé que les perturbations du week-end dernier visaient à provoquer des émeutes dans la plus grand ville du pays. Mais cela ne signifie pas que l’ensemble des participants à ces rassemblements interdits sont des “agents de la CIA”, bien que tel soit le portrait ultra-simplifié qu’en a fait la communauté des médias alternatifs. Il est exact que certains éléments dans les larges foules s’emploient délibérément à provoquer une réaction par la force de la police, qui pourrait par la suite être décontextualisée, mal interprétée, et propagée dans le pays et à l’extérieur pour attiser de nouvelles violences anti-étatiques, selon les méthodes traditionnelles de gestion de la perception (psy-op) des Révolutions de Couleur, de même qu’il est illégal de participer à des rassemblements non autorisés, mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Censure des médias alternatifs

Le mouvement de protestations est entraîné par les critiques, objectivement valides, de ses soutiens, quant à la situation actuelle du pays, en particulier la corruption excessive, l’économie sous-performante, et demande des comptes aux dirigeants politiques (sur tous ces sujets plus ou moins reliés entre eux), mais ce mouvement s’est d’ores et déjà discrédité du fait des tactiques agressives qu’il met en œuvre. Négliger ce fait et qualifier quiconque mentionne ces problèmes d’“agent de la CIA” revient à faire comme si ces problèmes n’existaient pas dans la Russie d’aujourd’hui, ce qui est tout à fait faux, et risque d’aggraver ces problèmes structurels, en donnant à leurs auteurs carte blanche pour poursuivre leurs activités contre-productives sans conséquence. La “criminalisation” de facto de la contestation s’oppose aux valeurs centrales mêmes que la communauté des médias alternatifs est supposée défendre, tout cela juste pour perpétrer le mythe voulant que leur dieu géopolitique serait infaillible.

Un compromis narratif

Les défendeurs de cette position peu scrupuleuse pourraient arguer qu’ils refusent de jouer le jeu de la guerre de l’information fomentée par les USA, mais il est tout à fait possible de critiquer les actions criminelles des provocateurs anti-État et d’exposer leur agenda de Révolution de Couleur tout en reconnaissant que la majorité des personnes participant à ce mouvement ont des griefs légitimes qui sont restés lettre morte depuis bien trop longtemps. Cela étant dit, il convient également de reconnaître que le gouvernement russe s’emploie très fortement à éradiquer la corruption, à diversifier l’économie, et à assurer un meilleur “contrat social” entre les citoyens et l’État ; mais ces politiques vont mettre du temps avant de porter leurs premiers fruits. Le président Poutine est tout à fait conscient du degré problématique de ces sujets pour l’avenir de son pays, car ils entravent gravement sa compétitivité dans un monde de plus en plus rude. Certes, on peut légitimement affirmer qu’il a mis trop longtemps à s’attaquer à ces problèmes, mais le cliché du “mieux vaut tard que jamais” s’applique quand même.

La leçon Golunov

Pour ce qui concerne l’avenir, il faut s’attendre à ce que les violences anti-étatiques du mouvement de Révolution de Couleur s’intensifient probablement, les principaux cerveaux tâchant de s’en prendre à la transition politique post-Poutine de la Russie (PP24), comme l’auteur du présent article l’avait évoqué dans un précédent article cet été sous le titre Pourquoi les russes s’unissent-ils autour d’Ivan Golunov? Il convient de rappeler que nombre de membres de la communauté des médias alternatifs avaient accusé d’instinct le journaliste injustement emprisonné d’avoir inventé ses affirmations, quand il dénonçait le fait que la police avait truqué la découverte de drogue sur lui pour des raisons politiques. Les mêmes se retrouvèrent bien embarrassés un peu plus tard, quand Margarita Simonyan, rédactrice en chef de Russia Today, et Valentina Matviyenko, présidente du Conseil de la Fédération [Il s’agit de la chambre haute du Parlement russe, NdT] décidèrent de rejoindre les personnages influents soutenant le journaliste en question. Peu de temps après, il fut établi sans doute possible qu’il disait la vérité depuis le début et avait bel et bien été piégé par la police russe. Cet incident inoubliable prouve que les pro-russes non russes (PRNR) de la communauté des médias alternatifs s’employaient à être “plus russes que les russes”, et propageaient leur théorie du complot, désormais tournée en ridicule, pour des raisons qu’ils pensaient “patriotiques”.

Une nouvelle opportunité ratée

La même leçon est à appliquer avec le mouvement de Révolution de Couleur : les récits de PRNR décrivant tous les participants à ces manifestations interdites comme des “agents de la CIA” constituent des formes contre-productives de réactionisme politique, qui jettent volontairement de l’ombre sur les problèmes intérieurs objectivement existants de la Russie, au lieu de proposer des solutions constructives pour y pallier. L’exercice pourrait, s’il était correctement mené, constituer un débat responsable visant à résoudre les nombreux problèmes que connaît leur “dieu géopolitique” ; au lieu de cela, on assiste à des prises de positions infondées, soutenant des récits totalement faux décrivant une Russie infaillible. Ce dernier point est défendu par des chiens de garde hyper zélés, au sein de la communauté des médias alternatifs, qui vont jusqu’à essayer d’intimider quiconque remet en cause leur positionnement. Quiconque soutient sincèrement la Russie se voit ainsi privé de l’opportunité de contribuer au débat, du fait du caractère “politiquement incorrect” qu’a désormais pris le simple fait de mentionner ses problèmes de ce pays. Il s’agit là d’un bien mauvais service que les médias alternatifs peuvent rendre à la Russie, alors même qu’ils prétendent la soutenir.

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

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