Venezuela : le coup d’État comme partie d’un projet plus vaste…


…une intervention militaire est susceptible d’échouer


 

2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 31 janvier 2019

L’administration Trump a lancé un vaste projet politique visant à réorganiser plusieurs États d’Amérique latine. Les titres du Wall Street Journal :

Les États-Unis poussent à la faillite le Venezuela de Maduro. Un premier pas dans un plan visant à remodeler l’Amérique latine

L’objectif plus large de l’administration Trump est d’obtenir un effet de levier sur Cuba et de freiner les récentes avancées de la Russie, de l’Iran et de la Chine dans la région.

Le plan comprend un changement de régime au Venezuela, au Nicaragua et finalement à Cuba. L’élimination de tout intérêt russe ou chinois est un autre point. C’est un projet pluriannuel bénéficiant d’un soutien bipartite. Cela nécessitera probablement la force militaire.

Les cibles : Raúl Castro à Cuba, Daniel Ortega au Nicaragua, Nicolás Maduro au Venezuela.

Le projet semble faire écho au plan du « Nouveau Moyen-Orient » de la secrétaire d’État Condeleeza Rice lancé en 2006. Il a largement échoué en raison de l’incompétence des États-Unis, mais a laissé des États gravement endommagés.

Le fait que les États-Unis s’adonnent à un plan aussi vaste dans l’hémisphère occidental pourrait expliquer pourquoi Trump insiste pour mettre fin aux autres projets militaires au Moyen-Orient et en Afghanistan.

Le coup d’envoi du nouveau plan, la tentative de coup d’État menée par le gouvernement américain au Venezuela, est déjà en difficulté. La marionnette américaine sélectionnée, Juan Guaidó, avait appelé à une manifestation de soutien à son coup d’État censée avoir lieu hier. Mais même le New York Times, qui soutient toutes les opérations de changement de régime entreprises par les États-Unis en Amérique latine, n’a trouvé que peu de preuves d’un soutien :

M. Guaidó a également pris part à des manifestations mercredi à l’université centrale du Venezuela à Caracas, où il a été submergé par des reporters internationaux. Vêtu d’une blouse blanche, il a lié ses bras à ceux des étudiants en médecine et les a conduits sur une route, avant de filer à toute vitesse sur le dos d’une moto.
La manifestation faisait partie d’une poignée d’autres dans la ville mercredi, mais à une échelle inférieure à celle de certaines manifestations récentes. Certains travailleurs ont quitté leur travail pendant des heures pour protester contre M. Maduro et son gouvernement, se rassemblant dans les carrefours de la capitale.

Des vidéos du Venezuela ont montré une centaine de personnes dans les quartiers les plus aisés de Caracas. Pendant ce temps, les images de plusieurs manifestations pro-Maduro dans différentes villes ont montré une foule beaucoup plus grande. De nouvelles manifestations auront lieu samedi et devraient donner des résultats similaires.

Le Washington Post affirme que des manifestations antigouvernementales ont eu lieu dans deux des zones les plus démunies de Caracas. Mais le rapport se contredit. Il commence :

Alors que la campagne de l’opposition visant à renverser le président Nicolás Maduro s’intensifiait de façon spectaculaire, les rues du bidonville de Puerta Caracas, qui ressemblaient à un labyrinthe, regorgeaient de manifestants anti-gouvernementaux tapant sur des casseroles. Un centre culturel dirigé par des loyalistes à Maduro a été incendié. Les habitants affamés et battus ont ressenti un élan d’espoir.
Puis la nuit est tombée, amenant les bottes des forces gouvernementales.
Maduro a qualifié les pyromanes de « criminels fascistes » et les habitants de l’enclave de Caracas, dans l’ouest du pays, en ont payé le prix. Selon des habitants, des forces spéciales masquées ont envahi le quartier la semaine dernière, enfonçant les portes, rassemblant les jeunes et imposant un couvre-feu efficace.

Dans le même article, vingt paragraphes de propagande plus tard, nous apprenons que l’incendie criminel du centre culturel a eu lieu avant la tentative de coup d’État et n’a probablement rien à voir avec lui :

Les soulèvements ont commencé dans la nuit du 22 janvier. Les habitants de Puerta Caracas se sont mis à taper sur des casseroles et à incendier des bennes à ordures. Selon les voisins, vers minuit, un groupe de garçons cagoulés a lancé des cocktails Molotov sur le centre culturel.
Tôt mercredi, des membres de la famille ont déclaré qu’Abel Pernia, âgé de 19 ans, se rendait à un rendez-vous chez le médecin lorsque des agents armés de la police des renseignements l’ont attrapé, l’ont poussé contre un mur et l’ont menotté.

… [plus] des manifestations ont éclaté à Petare mercredi dernier et se sont poursuivies jusqu’à l’aube. Un groupe a incendié des barricades, jeté des pierres et attaqué un avant-poste de la Garde nationale. Les forces de sécurité l’ont repoussé avec des gaz lacrymogènes alors que les habitants scandaient : « Nous ne voulons pas de boîtes de nourriture ! Nous voulons que Nicolas parte ! ».

Les voisins ont déclaré que des gangs criminels faisaient partie de la foule et ont semé le trouble en affrontant violemment la police. La réponse a été immédiate.

La tentative de coup d’État a été lancée le 23 janvier. L’incident criminel a eu lieu le 22 janvier. Le lendemain, la police est arrivée et a arrêté les personnes impliquées. D’autres émeutes de gangs ont suivi.

Toute l’histoire n’a rien à voir avec la tentative de coup d’État ni avec les manifestations générales contre Maduro. Il s’agit de crimes de gangs dans certains bidonvilles. Les affrontements entre gangs ont longtemps été un problème à Caracas. Une force de police spéciale, la FAES, a été mise en place en 2017 pour la contrôler.

Le fait que le Washington Post doive utiliser un incident indépendant pour proclamer que les pauvres appuient la tentative de coup d’État montre le peu de preuves réelles dont il dispose pour soutenir cette affirmation de propagande.

Le public vénézuélien n’appuie évidemment pas un coup d’État fomenté par des étrangers. Un récent sondage montre que plus de 80% de la population est contre les sanctions et autres interventions internationales visant à destituer le président Maduro. 80% soutiennent également les pourparlers entre le gouvernement et l’opposition que Maduro a proposés à plusieurs reprises mais que les comploteurs du coup d’État rejettent.

Il est très peu probable que la désobéissance civile ou une manifestation puisse éliminer le gouvernement du Venezuela. L’opposition n’a tout simplement pas assez de monde pour créer plus que des inconvénients.

Ce n’est pas non plus le plan.

Il est évident que les États-Unis veulent un conflit violent. Soit l’armée vénézuélienne devra lancer un coup d’État, soit la violence devra venir de l’extérieur.

L’armée a pour le moment déclaré qu’elle ne voulait rien faire contre le gouvernement. D’autres mesures devront être prises. Le fait que l’administration Trump ait choisi Elliott Abrams, « secrétaire adjoint des guerres sales » de Ronald Reagan, comme envoyé spécial à ses marionnettes est éloquent :

Le choix d’Abrams envoie un message clair au Venezuela et au monde : le gouvernement Trump entend brutaliser le Venezuela tout en produisant une rhétorique onctueuse sur l’amour des États-Unis pour la démocratie et les droits de l’homme. Combiner ces deux facteurs – la brutalité et l’onctuosité – est la compétence essentielle d’Abrams.

Un éditorial du type sélectionné par les États-Unis pour remplacer Maduro, créé par la machine américaine de changement de régime, a été publié dans le New York Times d’aujourd’hui :

Juan Guaidó : Vénézuéliens, la force est dans l’unité
Pour mettre fin au régime Maduro avec le minimum d’effusion de sang, nous avons besoin de l’appui des gouvernements démocratiques, des institutions et des citoyens du monde entier.

Remarquez le « minimum d’effusion de sang » ? On se demande combien de centaines de milliers de morts cela représente.

Guaido explique le fondement juridique trouble de ses prétentions à la présidence :

Je voudrais être clair sur la situation au Venezuela : la réélection de M. Maduro le 20 mai 2018 était illégitime, comme l’a reconnu depuis lors une grande partie de la communauté internationale. Son mandat initial de six ans devait prendre fin le 10 janvier. En restant en poste, Nicolás Maduro usurpait la présidence.
Mon ascension en tant que président par intérim est fondée sur l’article 233 de la Constitution vénézuélienne, selon lequel, si au début d’un nouveau mandat, il n’y a pas de chef de l’État élu, le président de l’Assemblée nationale est investi du pouvoir jusqu’à des élections libres et transparentes. C’est pourquoi le serment que j’ai prêté le 23 janvier ne peut être considéré comme une « auto-proclamation ». Ce n’est pas de mon propre chef que j’ai assumé la fonction de président ce jour-là, mais dans le respect de la Constitution.

Les élections anticipées de mai 2018 ont eu lieu à la demande des partis de l’opposition, que certains, exhortés par les États-Unis, ont refusé. Aucune preuve de fraude ne permet de douter des résultats. Maduro l’a remporté parmi plusieurs candidats avec plus de 60% des voix. On pourrait soutenir qu’il a plus de légitimité que certains autres élus.

Ne pas aimer le résultat n’est pas une raison pour déclarer une élection illégitime.

Si le premier mandat de Maduro a pris fin le 10 janvier, pourquoi Guaido a-t-il attendu, à la tête de l’Assemblée nationale, treize jours pour constater que le second mandat de Maduro était « illégitime » ? De plus, si l’article 233 est utilisé comme justification pour usurper temporairement la présidence, Guaido doit tenir de nouvelles élections dans les 30 jours. Jusqu’à présent, il ne les a même pas appelées. Son raisonnement n’est pas convaincant du tout.

Guaido ajoute qu’il a besoin du soutien de l’armée. Mais cela ne semble pas signifier qu’il l’a :

La transition nécessitera l’appui des principaux contingents militaires. Nous avons eu des réunions clandestines avec des membres des forces armées et des forces de sécurité. Nous avons offert l’amnistie à tous ceux qui sont déclarés non-coupables de crimes contre l’humanité. Le retrait de l’appui à Maduro par les forces militaires est crucial pour permettre un changement de gouvernement, et la majorité de ceux qui sont en service conviennent que les difficultés rencontrées récemment par le pays sont insoutenables.

Comme le Washington Post ci-dessus, il affirme en outre que la violence des gangs avant la tentative de coup d’État montre que Maduro a perdu tout soutien :

Maduro n’a plus le soutien de la population. La semaine dernière, à Caracas, des habitants des quartiers les plus pauvres, qui étaient auparavant des fiefs chavistes, sont descendus dans la rue pour des manifestations sans précédent. Ils ont recommencé le 23 janvier en sachant qu’ils pourraient être brutalement réprimés et ils continuent d’assister aux assemblées publiques.

Guaido termine en appelant à un soutien extérieur pour son entreprise.

Il a besoin de milliards de dollars pour constituer une armée de mercenaires qui l’aidera à renverser le gouvernement.

Les États-Unis ont saisi des avoirs vénézuéliens mais auront du mal à les remettre à Guaido. Le principal actif est CITGO, qui possède des raffineries et des stations-service aux États-Unis. Mais CITGO est profondément endetté. Ses raffineries dépendent du pétrole lourd en provenance du Venezuela. Il risque de faire faillite, et dans ce cas les créanciers le prendront en charge. Au moins 49,5% iront à la société russe Rosneft. Le processus juridique prendra des années.

Alors, combien d’argent américain Trump est-il prêt à investir dans son plan ?

Le Venezuela aura du mal à se défendre contre une attaque militaire étrangère. Le gouvernement de Maduro n’est pas le plus compétent, l’armée est assez corrompue et l’argent est rare. La Chine et la Russie peuvent le soutenir avec quelques prêts supplémentaires, mais il est peu probable qu’elles viennent à son aide. Cuba et le Nicaragua sont peut-être disposés à envoyer des troupes mais n’ont pas grand chose à offrir.

Mais le mouvement bolivarien au Venezuela compte des millions de partisans. La plupart sont des pauvres qui perdraient tout sous un nouveau gouvernement de droite. Même si l’armée vénézuélienne est peut-être corrompue et peu disposée à se battre, de nombreuses personnes prendront certainement les armes pour défendre les acquis de Maduro et de Chavez.

Il pourrait être relativement facile d’envahir le Venezuela et de vaincre ses forces militaires régulières. Mais l’occupation qui suivrait sera une entreprise très difficile. Le Pentagone a vu comment cela fonctionnait en Irak. Cela mettra probablement en garde contre l’utilisation de troupes américaines au Venezuela. De même, d’autres pays veilleront à ne pas tomber dans un tel pétrin.

La CIA et les conspirateurs peuvent engager des milliers de voyous coupeurs de gorge pour causer des dommages extrêmes au Venezuela. Mais ils ont peu de chance de gagner plus qu’un pays complètement détruit.

Cela pourrait-il être le but réel ? Le projet pour la nouvelle Amérique latine est-il sa destruction complète, comme au Moyen-Orient ?

Moon of Alabama

Traduit par jj, relu par wayan pour le Saker Francophone

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