Le plan de jeu de la Corée du Nord et le lancement de son prochain satellite


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama  – Le 7 mars 2019

John Bolton a gagné. Après une courte période de calme et de pourparlers entre les États-Unis et la Corée du Nord, les deux parties se dirigent de nouveau vers un conflit. Mais une chose importante a changé.

Les récents pourparlers entre le président Donald Trump et le président Kim Jong-un à Hanoï ont échoué lorsque les États-Unis ont surjoué leur donne. Dans son discours du Nouvel An, Kim avait déjà annoncé qu’il était prêt à adopter une « nouvelle voie » si un tel problème se présentait. Comme nous l’avions écrit :

« L'histoire montre que la Corée du Nord l'a toujours emporté dans de telles discussions. Elle est toujours prête à les laisser échouer, et à passer à l'étape suivante chaque fois que cela se produit. La 'nouvelle voie' pourrait bien faire allusion à une nouvelle arme que la Corée du Nord est prête à tester. Les missiles de croisière sont des candidats possibles. »

Il n’y a pas – encore – de missiles de croisière, mais un lancement de satellite censé faire pression sur Trump pour qu’il revienne à la table de jeu :

« Des images commerciales satellitaires de la station de lancement de satellites Sohae (Tongchang-ri) datant du 6 mars, en Corée du Nord, indiquent que les travaux de reconstruction de la plateforme de lancement et du banc d’essai des moteurs ont débuté avant la tenue du Sommet de Hanoï à un rythme rapide. Compte tenu de la construction et de l’activité dans d’autres zones du site, Sohae semble être revenu à un état opérationnel normal. »

La fabrique de missiles Sanumdong, qui produit des lanceurs spatiaux et des missiles balistiques, présente également des signes de nouvelles activités.

Les médias américains transforment le prochain lancement dans l’espace en un autre récit effrayant sur la Corée du Nord. Citant les habituels « experts » anti-coréens, NBCNews écrit :

« La Corée du Nord poursuit la 'reconstruction rapide' du site de lancement de fusées à longue portée au Sohae Launch Facility, selon de nouvelles images commerciales et une analyse des chercheurs de Beyond Parallel.
La station de lancement de satellites Sohae, la seule installation de lancement spatiale opérationnelle de la Corée du Nord, a déjà été utilisée pour le lancement de satellites. Ces lancements utilisent une technologie similaire à celle utilisée pour les missiles balistiques intercontinentaux.
...
'L'activité qu'elle entreprend maintenant est compatible avec les préparatifs d'un test, bien que les images jusqu'à présent ne montrent pas qu'un missile a été déplacé vers la rampe de lancement', a déclaré Victor Cha, l'un des auteurs du rapport.

'L'activité sur le terrain', a déclaré Cha, 'nous montre qu'elle a une capacité (missile balistique nucléaire intercontinental) qui n'est pas seulement en développement, mais en phase de prototype. Elle en a déjà testé quelques-uns et elle a l'air de préparer la rampe de lancement pour un autre acte'. »

Les phrases surlignées sont fausses. Les missiles balistiques utilisent des technologies différentes de celles des lanceurs spatiaux :

Un ICBM nécessite une courte durée de combustion des moteurs de fusée afin de minimiser les pertes de gravité et le risque d’interception précoce en phase de surpression par des systèmes anti-missiles balistiques (ABM). Le temps de combustion typique d’un moteur-fusée ICBM est d’environ 180 à 320 secondes.
La phase de boost du missile Unha-3 est estimée entre 550 et 570 secondes.

Les missiles balistiques ont généralement des moteurs différents de ceux des lanceurs spatiaux. Il existe également différents problèmes structurels, des différences dans les systèmes de contrôle, différentes trajectoires de lancement. Voir ici, ici et ici. Plus important encore, les missiles balistiques doivent rentrer dans l’atmosphère pour livrer leur charge utile. C’est seulement là que la Corée du Nord a encore des problèmes pour les utiliser. Les lanceurs spatiaux ne sont pas adaptés pour tester la phase de rentrée.

De plus, l’installation de Sohae n’a jamais été utilisée pour lancer des missiles balistiques. Pour des raisons géographiques, elle est exclusivement utilisée pour les lancements spatiaux.

Pour comprendre pourquoi la Corée du Nord utilise ce lancement de satellite pour ramener peut-être les États-Unis à la table de négociation, nous devons revenir aux négociations entre les deux parties.

Avant le premier sommet entre Trump et Kim à Singapour, les deux parties ont convenu que les États-Unis gèleraient des manœuvres à grande échelle en Corée et autour de la Corée, tandis que la Corée du Nord cesserait les essais de missiles balistiques ainsi que les essais nucléaires. Cet accord de « gel pour gel » a été respecté depuis. Trump a récemment reconfirmé qu’aucune grande manœuvre n’aurait lieu.

La Corée du Nord souhaiterait que l’accord « gel pour gel » reste en vigueur. Un lancement de satellite n’est pas contraire à cet accord. Malheureusement, certains responsables américains, par exemple John Bolton, et des faucons de la Corée du Nord tels que Victor Cha pourraient bien vouloir utiliser un lanceur satellite pour déclarer la mort de l’accord.

Le premier sommet s’est terminé par une déclaration commune signée, un accord en quatre étapes dans lequel les États-Unis ont promis de lever certaines sanctions (1) et de mettre fin à l’état de guerre (2), tandis que la Corée du Nord s’est engagée « à œuvrer en faveur d’une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne » (3), et à restituer les restes de personnes américaines tuées pendant la guerre de Corée (4).

Trump avait demandé et obtenu une faveur personnelle supplémentaire. Kim a promis à Trump de faire sauter les tunnels d’essais nucléaires de la Corée du Nord et de démanteler un banc d’essai pour moteurs de missiles. Il a rempli les deux demandes mais revient maintenant sur le deuxième point.

Les États-Unis n’ont pas rempli leur part du marché. L’administration Trump exige toujours la « dénucléarisation complète » de la Corée du Nord avant la levée des sanctions. Cette position est en contradiction avec la déclaration commune. Elle est également complètement délirante. La Corée du Nord n’a jamais accepté et n’acceptera jamais une dénucléarisation complète. Le meilleur accord que les États-Unis peuvent obtenir est l’arrêt de l’extension de l’arsenal nucléaire de la Corée du Nord et de la prolifération de sa technologie nucléaire. La logique est simple :

La Corée du Nord a la bombe. Voilà comment fonctionne la dissuasion. Si Saddam Hussein ou Mouammar Kadhafi avaient fini leurs bombes, ils seraient probablement toujours là.

Lors du dernier sommet de Hanoï, la Corée du Nord a proposé de détruire son plus grand complexe nucléaire, qui comprend le réacteur Yongbyon utilisé pour la production de plutonium et un site d’enrichissement d’uranium. En tant que « mesure correspondante », elle a demandé la levée des sanctions qui touchent le plus directement le peuple. Mais les États-Unis n’étaient pas disposés à accepter cet accord :

« Alors que Trump s'apprêtait à quitter l'hôtel, la Vice-ministre des affaires étrangères de Corée du Nord, Choe Son-hui, a rapidement présenté à la délégation américaine un message de Kim, selon deux hauts responsables de l'administration, et d'une personne informée à ce sujet. Le message équivaut à une tentative ultime des Nord-Coréens de parvenir à un accord sur un allègement des sanctions en échange du démantèlement du complexe nucléaire de Yongbyon.
 
Les autorités américaines et nord-coréennes pinaillaient sur une définition commune du site tentaculaire de trois kilomètres carrés [Yongbyon] et l'ouverture de dernière minute visait à faire avancer la proposition des Nord-Coréens de le démanteler. Mais le message n'a pas précisé si les Nord-Coréens partageaient la définition étendue de l'installation, donnée par les États-Unis, et les responsables américains ont demandé des éclaircissements.

Choe se précipita pour obtenir une réponse. Kim a répondu que cela incluait tout ce qui était sur le site.

Mais même lorsque Choe est revenue avec cette réponse, la délégation américaine n’était pas impressionnée et ne voulait pas reprendre les négociations. Dans les heures qui suivirent, Trump était en route pour Washington.

'Nous devions en avoir plus que cela', a déclaré Trump à la question de Yongbyon avant de quitter Hanoi. 'Nous devions en avoir plus que cela parce qu'il y a d'autres choses dont vous n'avez pas parlé, que vous n'avez pas écrites, que nous avons trouvées'. »

La destruction du complexe de Yongbyon en échange de la levée de certaines sanctions aurait été un progrès considérable. Les États-Unis ont tout gâché.

Lors d’une conférence de presse, le Ministre des affaires étrangères de Corée du Nord, Ri Yong-ho, a déclaré que c’était la meilleure affaire que les États-Unis obtiendraient. Il a ajouté que la Corée du Nord s’attendait à ce que les « mesures correspondantes » soient prises par les États-Unis en échange de la destruction de Yongbyon, mais les États-Unis n’étaient pas disposés à proposer quoi que ce soit.

Dans un entretien ultérieur, la Vice-ministre des affaires étrangères, Choe Son-hui, a accusé les États-Unis d’avoir déplacé les poteaux du but :

« 'Je réfléchis et me demande pourquoi nous devrions continuer les négociations', a-t-elle déclaré, rappelant le message du nouvel an du dirigeant Kim Jong-un, dans lequel il a dit que son régime n'aurait plus d'autre choix que de suivre une 'voie différente' vers le dialogue, à moins que les États-Unis ne prennent des mesures réciproques.
 ...
 
En l'absence de tout signe indiquant que les Nations Unies vont lever les sanctions, les États-Unis sont allés trop loin dans le sens de 'l'affirmation téméraire' selon laquelle la Corée du Nord devrait démanteler ses installations nucléaires et ses missiles, a déclaré Choe.
 
Elle a accusé l'administration Trump d'avoir déplacé les poteaux de but, affirmant qu'elle parlait initialement de démanteler le complexe nucléaire de Yongbyon et exige maintenant également d'autres sites.

Les États-Unis continuent de s’éloigner de la déclaration commune que Trump a signée à Singapour et recommencent à faire des menaces :

« Le conseiller américain à la Sécurité nationale, John Bolton, a averti la Corée du Nord qu'elle devait être disposée à abandonner complètement son programme d'armement nucléaire ou à faire face à des sanctions encore plus sévères.

'Si elle ne veut pas, le président Trump a clairement indiqué qu'elle ne serait pas soulagée des sanctions économiques écrasantes qui lui ont été imposées', a déclaré Bolton au réseau Fox Business Network mardi soir. 'Et nous allons envisager de renforcer ces sanctions, en fait.' »

La Corée du Nord n’a jamais promis d’arrêter ses lancements spatiaux. Elle va bientôt les faire revivre. Les États-Unis, en particulier John Bolton et d’autres faucons, utiliseront le prochain lancement spatial pour affirmer qu’il s’agit d’un « test de missile balistique » et que l’accord « gel pour gel » devrait ainsi prendre fin. De nouvelles manœuvres à grande échelle seront organisées pour s’entraîner à l’invasion de la Corée du Nord et le régime de sanctions américain sera encore resserré.

Une situation similaire s’était déjà produite au début de l’année 2012. Peu après que Kim Jong-un ait été officiellement déclaré nouveau chef de la Corée du Nord, des discussions entre les États-Unis et la Corée du Nord se sont tenues à Beijing. En février, les deux parties ont convenu d’un accord. La Corée du Nord promet un moratoire sur les essais de missiles balistiques nucléaires et à longue portée en échange d’importantes fournitures alimentaires américaines. Un mois plus tard, la Corée du Nord annonce son projet de lancement dans l’espace. Deux semaines plus tard, les États-Unis arrêtent l’alimentation promise. En avril, la Corée du Nord tente de lancer un satellite météorologique. Le lancement échoue, mais les États-Unis l’utilisent pour renforcer la pression de l’ONU contre la Corée du Nord à cause de son « développement de missiles balistiques ». Un autre lancement de satellite plus tard cette année-là entraîne une pression accrue. En février 2013, la Corée du Nord a effectué un autre essai nucléaire.

Une répétition de cette situation est maintenant hautement probable. Les États-Unis sont déjà revenus sur la déclaration de Singapour signée par Trump. Ils n’ont pas accepté l’offre tout à fait raisonnable faite à Hanoï. Ils refusent de prendre des « mesures correspondantes » jusqu’à ce que la Corée du Nord réalise une dénucléarisation complète, ce qu’elle ne fera jamais.

Le prochain lancement spatial nord-coréen sera utilisé par Bolton et d’autres pour condamner la Corée du Nord pour des essais de « missiles balistiques ». Les États-Unis vont probablement déclarer l’accord « gel pour gel » mort et relancer des manœuvres militaires. La Corée du Nord prendra des « mesures correspondantes » et relancera les essais nucléaires et de missiles. Les sanctions américaines vont encore augmenter.

Nous reviendrons à la situation de début 2018 lorsque les deux côtés se sont insultés et que Trump a menacé d’une guerre.

Mais une chose importante aura changé.

Lors du dernier round, la Chine, la Russie et la Corée du Sud étaient du côté des États-Unis. Maintenant, après que la Corée du Nord a démontré qu’elle était raisonnable et faisait de bonnes offres pour parvenir à un accord, ni la Chine ni la Russie n’appuieront de nouvelles sanctions. En effet, la Chine demande déjà de lever les sanctions en réponse à la « volonté positive » manifestée par la Corée du Nord.

La Chine est le principal partenaire commercial de la Corée du Nord. Si elle rouvre sa frontière au commerce nord-coréen, toutes les sanctions imposées par les États-Unis seront vaines.

En exagérant ses revendications, le « grand négociateur » Donald Trump aura perdu son principal atout en matière de négociation, la solidarité internationale qui a maintenu les sanctions.

Comme dit ci-dessous :

L'histoire montre que la Corée du Nord a toujours gagné dans de telles discussions.

Moon of Alabama

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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