Par Pepe Escobar – Le 29 septembre 2016 – Source Russia Today
Le yuan est sur le point d’entrer dans le panier du FMI des monnaies de réserve ce samedi − aux côtés du dollar américain, de la livre sterling, de l’euro et du yen. Ceci n’est rien moins qu’un tremblement de terre géoéconomique.
Non seulement cela représente encore une autre étape sur le chemin irrésistible de la Chine vers la primauté économique, mais l’inclusion de la monnaie chinoise dans le panier des monnaies des droits de tirage spéciaux (DTS) conduira aussi les banques centrales et les fonds hyper-riches − en particulier des États-Unis – à acheter de plus en plus d’actifs chinois.
Lors du premier débat présidentiel américain, Donald Trump n’a pas fait de quartier, critiquant la manipulation de la monnaie par la Chine. Voici ce qu’il a dit :
«Regardez ce que la Chine fait à notre pays en termes de fabrication de nos produits, ils dévaluent leur monnaie et il n’y a personne dans notre gouvernement pour les combattre … Ils utilisent notre pays comme une tirelire pour reconstruire la Chine, et beaucoup d’autres pays font la même chose.»
En vérité, la Chine ne «fait pas nos produits». Le produit est fabriqué en Chine − ensuite exporté vers les États-Unis. L’essentiel des profits bénéficie aux entreprises des États-Unis − tout, depuis la conception, les licences d’exploitation et les redevances publicitaires, jusqu’au financement et aux marges du commerce de détail. Si les slogans parviennent à énoncer une vérité partielle : les États-Unis ont perdu des emplois manufacturiers en Chine, la Chine est l ‘ «usine du monde» ; ils ne précisent pas la vérité cachée qui veut que ceux qui en profitent sont essentiellement les grandes entreprises US.
La Chine ne «dévalue» pas sa monnaie. La Banque populaire de Chine ajuste périodiquement le yuan dans une marge de fluctuation très étroite. Les principaux praticiens de l’assouplissement quantitatif (QE) [largage d’argent par hélicoptère] sont en fait les États-Unis, le Japon et la Banque centrale européenne (BCE). Et la monnaie du commerce mondial des biens de consommation continue d’être le dollar américain, et non pas le yuan.
Pékin n’utilise pas non plus «notre pays comme une tirelire pour reconstruire la Chine». C’est juste une affaire de balance des paiements. Les dollars que les consommateurs américains dépensent avec des produits Made in China − beaucoup d’entre eux délocalisés par des sociétés américaines − retournent vers les États-Unis sous forme d’entrée de capitaux qui maintiennent des taux d’intérêt bas et aident à soutenir l’hégémonie mondiale de l’empire du Chaos.
Win-win, à la sauce Wall Street
La durée d’attention de Trump est notoirement minimaliste. Si ses conseillers réussissaient à imprimer − tweeter ? − quelques vannes laconiques dans son cerveau, il serait en mesure d’expliquer à l’opinion publique américaine comment le jeu des États-Unis et de la Chine est vraiment joué, quelque chose que toutes les parties concernées, dans les deux pays, connaissent par cœur.
Et le chaînon manquant − crucial − dans le jeu est Wall Street.
Voilà comment cela fonctionne. Un fonds spéculatif puissant [en quête d’un rendement maximum, NdT] approche une société américaine et / ou une grande entreprise avec «une offre que vous ne pouvez pas refuser» : délocaliser en Chine. Cela implique nécessairement que tous les actifs de l’entreprise sont re-hypothéqués dans une comptabilité à double entrée à Wall Street.
Wall Street gagne par l’une des deux façons, soit en finançant la délocalisation − et la perte d’emplois correspondants au bénéfice de à la Chine, soit en achetant l’entreprise qui refuse de délocaliser.
Ensuite, ils vont arbitrer l’enveloppe salariale concernant les produits qui étaient auparavant Made in USA et sont maintenant Made in China en prenant en compte l’écart salarial important entre les États-Unis et la Chine, ce qui joue également sur le taux de change entre le dollar américain et le yuan.
La Chine, pour sa part, recycle ses dollars américains en achetant des bons du Trésor des États-Unis. Ceci, bien sûr, maintient élevé le prix des obligations, et contribue à maintenir faible les taux d’intérêts américains.
En effet, tout est au top : le prix des obligations, le dollar américain utilisé partout dans le monde, et le taux de change. Les dollars américains continuent d’entrer frénétiquement dans l’économie américaine, pour être ensuite − en théorie − utilisés pour continuer frénétiquement d’acheter des produits Made in China.
Bien sûr, le prix aux États-Unis d’un produit Made in China est faible − ce qui est assez incitatif pour que les entreprises américaines maintiennent essentiellement le peuple américain au chômage [ou avec des bas salaires, NdT]. Comme Steve Jobs l’a une fois fameusement proclamé : «Ces emplois ne reviendront pas».
Le taux de change du dollar américain continuera à être élevé aussi longtemps que la Chine − et d’autres − recycleront leurs dollars américains excédentaires pour acheter en masse des bons du Trésor des États-Unis. Le point crucial est que ces dollars ne pénètrent jamais dans l’économie réelle. Ils sont en quelque sorte piégés, soit dans les couches supérieures extrêmement confortables du capitalisme casino de Wall Street ou dans les banques Too Big To Fail [trop grosses pour faire faillite] de plus en plus rares. Et la Fed veut que le jeu se poursuivre indéfiniment, afin d’éviter un effondrement du taux d’intérêt.
Pékin pour sa part joue le jeu avec délectation. Comme premier géant mondial à l’exportation, l’ordre du jour est de solidifier − et développer − le savoir faire de la fabrication afin de parvenir à un statut de nation à revenu modéré au début de la prochaine décennie.
Bilan final : pour récupérer les emplois manufacturiers, comme il l’a fortement claironné − et promis, Trump devra mettre au pas l’ensemble de l’oligarchie financière de Wall Street.
Donc, pas étonnant que ces oligarques − responsables de l’expédition de tous les emplois manufacturiers américains en Asie, ayant aussi abondamment profité du sauvetage des Too Big To Fail [en 2008 -2009], en mode racket − le haïssent de toutes leurs tripes plaquées or.
Envoyer au diable les Too Big to Fail
Malgré toute son incapacité à formuler des pensées au-dessus des compétences linguistiques d’un élève de troisième, Trump a empilé des propositions étonnantes qui résonnent sauvagement, bien au-delà de l’auditoire du «panier des déplorables».
Trump est contre la guerre froide 2.0 et le pivot vers l’Asie, quand il dit «ne serait-il pas agréable de s’entendre avec la Russie et la Chine pour un changement ?»
Il n’a pas rien moins que préempté la Troisième Guerre mondiale quand il a dit qu’il serait contre une première frappe nucléaire américaine.
Il abhorre totalement le libre-échange globalisé − de l’ALENA au TPP et au TTIP − parce qu’il a «vidé la vie des travailleurs américains», lorsque les sociétés américaines − à l’incitation de Wall Street − ont délocalisé puis importé aux US sans droits de douane.
Trump était même ouvert à l’idée de nationaliser les banques de Wall Street après la crise financière de 2008.
Nous sommes donc confrontés au spectacle surréaliste ultime d’un milliardaire dénonçant la mondialisation des entreprises, qui a été responsable du laminage d’innombrables emplois décents de cols bleus et de leurs avantages sociaux appartenant à la classe moyenne inférieure des États-Unis − pour ne pas mentionner la transformation en otages publics des infrastructures pourrissantes. Et tout cela sans entendre absolument personne, dans l’establishment américain, condamner le transfert massif de richesses, le plus invraisemblable dans l’histoire, vers les 0,0001%.
Si dans les deux prochains débats présidentiels Trump pointe le chaînon crucial manquant dans le panorama − Wall Street − il pourrait bien se verrouiller comme gagnant infaillible.
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.
Traduit et édité par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone
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