Voyage dans la poudrière : Mossoul


Le 25 octobre 2016 − Sources Les Chroniques du Grand jeu

 

Syrak-nord est en ébullition. Alep, Al Bab, Mossoul : si éclate une guerre régionale (voire plus…), c’est de l’une de ces trois villes qu’elle partira.

Note du Saker Francophone

Nous vous proposons deux extraits d'un long article en deux parties du blog Les Chroniques du Grand jeu, qui fait un large tour d'horizon des enjeux militaires et géopolitiques en Syrie et en Irak. La vitesse à laquelle la situation évolue sur tous les fronts de la Grande Crise d'Effondrement du Système (élection US, système monétaire, économie, effritement de l'UE) est si intense que nous ne pouvons que vous recommander de surveiller d'autres sources que notre modeste blog et Les Chroniques du Grand jeu en sont une excellente pour suivre ce qui se passe en Syrie.

Nous continuons de prendre notre temps pour traduire et proposer les analyses d'auteurs très divers pour les rendre disponibles auprès des lecteurs francophones sans être forcément à la pointe de l'actualité.

Penchons-nous aujourd’hui sur Mossoul. Depuis une semaine, la presstituée n’en a que pour cette bataille, suivie à la seconde près. Ce ne sont que communiqués victorieux, louanges au Tout-Puissant suzerain US et autres joyeusetés. Le but est évidemment de dresser le parallèle avec l’abominable ours des neiges qui tue bébés, vieillards et poissons rouges à Alep. Voyez, nous ne tuons pas de civils, nous sommes propres, nous, Môssieur ! Heu oui… Sauf que la bataille de Mossoul n’a pas commencé…

Les opérations se bornent pour l’instant aux campagnes environnantes, à une dizaine de kilomètres de la ville. Pas un coup de feu, pas une bombe n’a été entendue à Mossoul même.

Sa libération prendra du temps – d’autant que Daech emploie la même tactique que Saddam en 1991 et allume les puits de pétrole – et causera force dommages collatéraux, comme à Alep, comme dans toutes les guerres. Nous verrons alors si la volaille médiatique et les chancelleries occidentales pousseront des cris d’orfraie sur les «crimes de guerre»…

Cependant, la situation n’est pas tout à fait identique. Il ne reste plus que quelques dizaines de milliers de civils à Alep, dont une partie est acquise aux djihadistes d’al-Qaïda ou d’Ahrar al-Cham, notamment les familles des combattants. Si les barbus ne se sont pas gênés pour tirer ces derniers jours sur les civils, fonctionnaires ou groupes rebelles dissidents qui souhaitaient quitter la ville en empruntant les corridors mis en place par Moscou, ils n’ont pas l’ensemble de la population contre eux. Mossoul, par contre, compte encore plus d’un million d’habitants, d’une population relativement hétérogène dont on ne connaît pas le degré de fidélité à État islamique.

D’après des témoignages directs recueillis par votre serviteur, beaucoup considèrent les petits hommes en noir comme une force d’occupation et attendent la libération avec impatience. Mais dans quelle proportion ? Il y a quelques jours, une révolte a éclaté dans la ville même. Si elle a été vite réprimée, d’autres peuvent se déclarer et le califat est obligé de déléguer une fraction non négligeable de ses forces à la surveillance des rues.

Passons maintenant à la partie vraiment intéressante, les grandes manœuvres géopolitiques pour préparer l’après-Mossoul. Car si tout le monde s’accorde sur un point – l’élimination de Daech –, quelle foire d’empoigne du côté de la coalition hétéroclite. Et encore, «hétéroclite» est un euphémisme. Jugez plutôt : armée irakienne, peshmergas kurdes, Iraniens, Américains, milices chiites, bataillon turc… N’en jetez plus !

Évidemment, tout cela ne se fait pas sans heurts et Ankara parle même, non sans exagérations, d’étincelle pouvant déclencher la Troisième Guerre mondiale, rien que ça. Ce que les Turcs ne disent pas, c’est qu’ils sont eux-mêmes au cœur du cyclone et en grande partie responsables de cette situation…

Suite de cette 1ère partie – Les Chroniques du Grand jeu

Voyage dans la poudrière (II) : Al Bab & Alep

Deuxième partie de notre promenade volcanique. Mais avant de quitter l’Irak, revenons sur un dernier aspect de la bataille de Mossoul, qui n’est pas le moins important et que l’on pourrait résumer par cette question toute shakespearienne : porte ou pas porte de sortie ?

Selon un certain nombre d’observateurs, l’empire ayant vu son plan A (Assad doit partir) tomber complètement à l’eau et assistant impuissant à la reconquête d’Alep par les loyalistes, il active un plan B à minima : laisser une porte ouverte à l’ouest à Daech pour qu’un flot de djihadistes fuyant Mossoul s’engouffre en Syrie et y renforce le Sunnistan. Une source anonyme russe confirme (ça vaut ce que ça vaut).

C’est également indirectement corroboré par le comportement d’une partie des combattants de la coalition, ce qui met une nouvelle fois en lumière l’invraisemblable bric-à-brac de celle-ci. Peut-être soupçonneuses des intentions américaines et fermement décidées à éviter des difficultés supplémentaires à leur allié Assad, les milices chiites irakiennes annoncent qu’elles vont couper toute retraite possible aux petits hommes en noir du califat. De fait, certaines se dirigent déjà vers Tal Afar, prenant à revers Mossoul et isolant la ville. Si les Américains pensaient utiliser la grande bataille du nord de l’Irak pour mettre Damas en difficulté, leurs «alliés» au sein de la coalition sont en train de court-circuiter le stratagème…

De Mossoul et son inextricable panier de crabes, suivons maintenant la course du soleil vers l’ouest et dirigeons-nous vers les deux autres Sarajevo des temps modernes, susceptibles de déclencher une conflagration au moins régionale et peut-être plus si affinités : Alep et Al Bab. Si la première est une vénérable cité de la plus haute antiquité, la seconde est un trou perdu sans intérêt qui n’a jamais été aussi fameux qu’à l’heure actuelle. Distantes d’une trentaine de kilomètres, elles sont le témoin d’une lutte féroce qui dépasse largement ce qui n’est pour l’instant qu’une guerre des mots et des postures dans le nord irakien. Ici, quatre parties se font la guerre…

D’abord, une carte (n°2) pour comprendre :

Carte n°2

En noir, l’État islamique. En jaune, les YPG kurdes et leurs alliés arabes au sein des SDF. En vert, l’ASL «modérée» soutenue par la Turquie au nord (opération Bouclier de l’Euphrate ; laissons pour l’instant de côté ceux qui se trouvent à l’ouest d’Alep et qu’Ankara semble avoir plus ou moins abandonnés). En rouge, l’armée syrienne et ses alliés.

On le voit, tous les chemins mènent à Al Bab. C’est une véritable course poursuite entre les Kurdes d’Efrin et l’ASL sultanisée, qui suivent des routes parallèles (flèches jaune et verte) et n’hésitent pas à se faire des crocs-en-jambe au passage. L’objectif stratégique kurde est de faire la jonction entre leur partie occidentale (Efrin) et leur partie orientale (région de Manbij, conquise de haute lutte contre Daech et dont ils ne sont finalement pas partis) pour établir leur rêvé Rojava. Le but des Turcs est de les en empêcher à tout prix. Le tout sur fond de reflux daéchique.

Suite de cette 2e partie – Les Chroniques du Grand jeu

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