Une semaine… et plus, à la pêche dans les bas-fonds de l’Amérique


Par Norman Pollack – 2 novembre 2016 – Source CounterPunch

Afficher l'image d'origine

Damné si je le fais, Damné si je ne le fais pas. Pareil

Lorsqu’un organe de droite (FBI), au cœur du gouvernement depuis sa création, apparaît maintenant à la gauche du principal candidat à la présidence (Clinton), on sait qu’il pêche sur les rivages du fascisme. D’un point de vue démocratique, ce n’est pas pire. Même son challenger marche à son pas dans la vulgarité, prétentieux, indécent, à l’autoritarisme viscéral. Des deux faces du Janus de l’État de classe, lui au moins ne diabolise pas Poutine et la Russie, alors qu’elle prépare une confrontation encore plus large, y compris avec la Chine, menant dangereusement à une guerre catastrophique, et d’abord à la rupture de l’ordre international.

Le FBI, au début, les flics et les voleurs, plus tard les rouges et les rebelles, comme le voulait la télévision et l’opinion populaire, a été le fer de lance du maccarthysme et une annexe pratique du Comité des activités anti-américaines de la Chambre. C’était l’époque de Nelson Baby-face (1908) aux Rosenberg (1950). Maintenant, à peine châtié de son passé trouble – boueux, fétide, opaque –, toujours gardien de l’innocence américaine, le FBI, sous la direction de Comey, fait un mouvement correct pour se défaire de l’héritage de J. Edgar Hoover, et le monde politique américain tombe en morceaux. Je ne suis pas un fan de Comey pour son exonération initiale de Hillary Clinton dans l’utilisation d’un serveur privé au Secrétariat d’État, mais sûrement, cela ouvre les yeux sur le point auquel le spectre politique a dérivé vers l’extrême droite.

Qui que ce soit qui gagne l’élection, l’Amérique s’enfoncera plus profondément dans le fossé de la différenciation hiérarchique de classe, dans la concentration de la richesse, dans l’atmosphère idéologique omniprésente, chez soi, de la haine solipsiste pour la différence humaine, de l’hégémonie rance à l’étranger pour quiconque cherche un chemin alternatif à la modernisation, loin de l’exemple du capitalisme américain pétrifiant. Cette élection révèle que l’Amérique, comme un disque cassé, est bloquée, jouant, encore et toujours, les thèmes de la répression domestique et de la contre-révolution à l’étranger, synthèse idéale pour l’affirmation unilatérale de la puissance mondiale. Ni le candidat, ni aucun parti important ne se sépare de ce dernier objectif.

Comey – peut-être contre sa volonté et ses tendances idéologiques – parvient ici, simplement comme il le devrait, à faire son devoir. La manœuvre de consensus bipartisan en place pour le châtier révèle la sombre réalité d’une nation si dévouée à la négation et au mensonge – peut-être pour couvrir les péchés commis (crimes de guerre, racisme et xénophobie indigène) et omis (dégradation environnementale, absence de système adéquat de soins de santé, budget militaire parasitant le bien-être général) – qu’elle a perdu son chemin et falsifié son existence constitutionnelle promise à l’origine. L’Amérique est actuellement sans repères, elle est ainsi depuis que le capitalisme a pris son envol après la guerre civile. Et avant cela, avec l’esclavage institutionnalisé, l’expansion génocidaire interne – les Amérindiens – et la déférence obséquieuse à l’égard des idéologues politiques qui ne sont pas défavorables aux compromis avec les intérêts acquis, même s’ils ne les représentent pas.

Rayez l’Amérique de la liste des démocraties maintenant qu’elle est transposée en république bananière élargie, où l’on peut s’attendre, quel que soit le parti ou le candidat qui réussira, à vivre les caractéristiques améliorées d’un État de police déjà mûr. La surveillance, la proscription, l’exclusion totale des méthodes viables, les mesures et les changements structurels visant la démocratie, l’Amérique deviendra formellement ce qu’elle est déjà : une réaction panique à l’auto-réalisation de son noyau nihiliste de valeurs morales et d’attributs systémiques – un Goliath nucléaire sans âme ni conscience, et pour cette raison, une menace pour la paix mondiale et l’auto-renouvellement du pays. Non, Comey, par ses actes, n’est pas l’ennemi, mais celui qui, pour la première fois, a mis ses lunettes et regardé autour de lui. Il y a des choses que même un ardent patriote ne peut digérer.

Je me souviens comment, dans les années 1960, par exemple durant le Mississippi Freedom Summer, le FBI nous interrogeait, essayait de semer des doutes dans le cœur des manifestants, agissait comme un intimidateur pur et simple, combiné à son rôle infiltré pour briser les manifestations contre la guerre – au Vietnam – tout au long de la décennie, donc je n’ai guère d’espoir que les choses ont changé. Pourtant, je tire mon chapeau à Comey, même si ce n’est que pour faire enrager Clinton, forcer les démocrates dans le mode autoprotection, et poser des questions sur le poisson putréfié puant utilisé pour la fertiliser, elle – la Miss America de Wall Street – et la position de son parti, sur la guerre et la paix, le capitalisme et l’accumulation hallucinante de richesses personnelles des Clinton – tout cela instinctivement connu du public, mais incapable de sortir de la prison mentale de la culpabilité, submergée par des chemins et des pratiques totalitaires.

Nous attendons l’élection, un exercice scolaire sur l’absence de liberté, où la tyrannie de la fausse conscience définit l’univers mental psychologique de l’Amérique, ce qu’Adorno a écrit il y a soixante-six ans en l’appelant soumission autoritaire, un cadre où le principe de la domination vient au premier plan s’il n’est pas déjà là. Les parallèles avec les stades naissants du nazisme ne sont pas une exagération, et ce n’est pas une grande gueule comme Trump qui est nécessairement le plus grand danger. Ce n’est fondamentalement qu’un vernis. Le danger c’est Clinton qui plonge dans les profondeurs de l’arrogance, de l’ambition, du militarisme figé. R.I.P. America.

Voici mon commentaire à l’éditorial du New York Times du 1er novembre 2016, intitulé «La grande erreur de James Comey» :

Comey a agit honorablement. Contrairement à Hoover, il dépolitise le FBI. Le Times a démontré une telle partialité pour Clinton, dans la sélection des informations ainsi que dans son opinion éditoriale, qu’il est difficile de prendre ses critiques au sérieux. L’endossement est une chose, l’aveuglement est tout à fait différent. Les courriels ne sont-ils pas des domaines d’investigation légitimes ? Le public n’a-t-il pas le droit de savoir, surtout lors d’une élection ? S’il n’y a pas de preuve flagrante, cela profitera à Clinton ; sinon, oui, cela pourrait faire changer les esprits. Mais qu’est-ce qui ne va pas avec ça ?

Clinton est invariablement traitée avec des gants de velours. Même la question initiale, l’utilisation d’un serveur privé pour traiter des affaires du gouvernement, est oubliée. Plutôt que de sauter sur Comey, pourquoi ne pas revenir sur toute la question – que Comey avait initialement rejetée – de la valorisation de la transparence par Clinton, et de là (bien qu’il soit maintenant trop tard) de son cadre de politique étrangère et son hostilité, en particulier à l’égard de Poutine et de la Russie ?

Le critique de Clinton ne fait pas nécessairement de vous un apologiste de Trump. Efforcez-vous de compter les points avec impartialité, le journalisme responsable n’en exige pas moins.

Norman Pollack est diplômé Ph.D. de Harvard, Guggenheim Fellow, il a écrit sur le populisme américain comme mouvement radical, il est professeur, activiste. Ses intérêts sont la théorie sociale, l’analyse structurelle du capitalisme et le fascisme. Il peut être joint à pollackn@msu.edu.

Traduit et édité par jj, relu par Cath pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF