Par Yánis Varoufákis – Le 25 avril 2015 – Source ZNet
Yánis Varoufákis est un économiste et homme politique grec. Ancien conseiller économique de Georges Papandréou, qui deviendra Premier ministre du pays, avant de démissionner de cette fonction, il s’est rendu célèbre en critiquant sévèrement les plans de sauvetage d’Athènes, s’attirant au passage l’inimitié des cercles dirigeants du pays, au point de devoir partir aux États-Unis en 2011.
Trois mois de négociations entre le gouvernement grec et nos partenaires européens et internationaux ont apporté beaucoup de convergence sur les étapes nécessaires pour surmonter des années de crise économique et apporter une reprise durable en Grèce. Mais ils n’ont pas débouché sur un accord. Pourquoi ? Quelles étapes sont nécessaires pour parvenir à un programme de réformes viable et mutuellement accepté ?
Nous et nos partenaires sommes déjà d’accord sur beaucoup de choses. Le système fiscal grec a besoin d’être remanié, et les autorités fiscales doivent être libérées de toute influence politique et institutionnelle. Le système des retraites est malade. Les circuits de crédit de l’économie sont brisés. Le marché du travail a été dévasté par la crise et est profondément segmenté, avec une croissance de la productivité au point mort. L’administration publique a un urgent besoin de modernisation, et les ressources publiques doivent être utilisées plus efficacement. D’énormes obstacles bloquent la formation de nouvelles entreprises. La concurrence sur les marchés de produits est beaucoup trop circonscrite. Et les inégalités ont atteint des niveaux scandaleux, empêchant la société de s’unir derrière des réformes essentielles.
Ce consensus mis à part, l’accord sur un nouveau modèle de développement pour la Grèce exige de surmonter deux obstacles. Premièrement, nous devons nous affronter sur la façon d’approcher la consolidation budgétaire du pays. Deuxièmement, nous avons besoin d’un calendrier de réformes complet, accepté en commun, qui soutiendra cette consolidation et inspirera confiance à la société grecque.
Si on commence par la consolidation du budget, la question préliminaire concerne la méthode. Les institutions de la troïka (la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international), se sont fondées, pendant des années, sur un raisonnement rétrograde [méthode issue de la théorie des jeux, NdT] : elles ont fixé une date (disons, l’année 2000) et un objectif de ration de dette nominale par rapport au revenu national (disons 120 %), qui devait être atteint avant que les marchés monétaires soient réputés disposés à prêter à la Grèce à des taux raisonnables. Puis, à partir d’hypothèses arbitraires sur les taux de croissance, d’inflation et de recettes issues des privatisations, et ainsi de suite, elles calculaient les surplus primaires nécessaires pour chaque année, en remontant en arrière, depuis la date limite fixée pour atteindre l’objectif, jusqu’au présent.
Le résultat de cette méthode, de l’avis de notre gouvernement, est un piège à austérité. Lorsque la consolidation budgétaire se transforme en un taux d’endettement prédéterminé à atteindre à une date prédéterminée dans le futur, les surplus primaires [avant remboursement des dettes, NdT] nécessaires pour atteindre ces cibles sont tels que l’effet sur le secteur privé sape les taux de croissances supposés et donc les recette fiscales prévues. En effet, c’est précisément la raison pour laquelle les plans de consolidation budgétaire pour la Grèce ont manqué si spectaculairement leurs cibles.
La position de notre gouvernement est que ce raisonnement rétrograde doit être abandonné. En lieu de quoi, nous devons élaborer un plan basé sur des hypothèses raisonnables en matière d’excédents primaires et cohérentes avec les taux de croissance de la production, l’investissement net, et le développement des exportations qui peuvent stabiliser la situation économique de la Grèce et le taux de sa dette. Si cela signifie que le ratio dette/PIB dépassera 120 % en 2020, nous trouverons des moyens intelligents pour rationaliser, redéfinir ou restructurer la dette – tout en gardant à l’esprit que le but est de maximiser la valeur actuelle effective qui sera retournée aux créanciers de la Grèce.
Outre convaincre la troïka que notre analyse de la soutenabilité de notre dette doit éviter le piège de l’austérité, nous devons surmonter le deuxième obstacle : le piège de la réforme. Le précédent programme de réformes, dont nos partenaires refusent avec tant d’intransigeance qu’il soit annulé par notre gouvernement, était fondé sur la dévaluation interne, des coupes dans les salaires et les pensions de retraites, la perte des protections au travail et la privatisation au prix maximum de biens publics.
Nos partenaires croient qu’à un moment donné, ce programme fonctionnera. Si les salaires baissent encore plus, l’emploi augmentera. Le moyen de soigner un système de retraites malade est de tailler dans les pensions. Et les privatisations doivent tendre à des prix de vente [des services, eau, gaz, électricité, etc., NdT] plus élevés pour rembourser une dette dont beaucoup (en privé) sont d’accord pour dire qu’elle est insoutenable.
Au contraire, notre gouvernement croit que ce programme a échoué, laissant la population lasse des réformes. La meilleure preuve de cet échec est que, malgré une énorme baisse des salaires et des coûts, la croissance des exportations a été nulle (l’élimination du déficit du compte courant étant dûe exclusivement à l’effondrement des importations).
Des réductions de salaire supplémentaires n’aideront pas les sociétés exportatrices, qui sont embourbées dans une crise du crédit. Et de nouvelles baisses des pensions ne répondront pas aux véritables causes des problèmes du système des retraites (faible taux d’emploi et beaucoup de travail non déclaré). De telles mesures ne feront que causer de nouveaux dommages au tissu social soulignés plus haut, le rendant incapable d’offrir le soutien dont notre programme de réformes a désespérément besoin.
Les désaccords actuels avec nos partenaires ne sont pas insurmontables. Notre gouvernement est désireux de rationaliser le système des retraites (par exemple en limitant le départ en retraite anticipé), de procéder à la privatisation partielle de biens publics, de résoudre la question des prêts non performants qui bloquent les circuits du crédit, de créer une commission d’impôt totalement indépendante et de dynamiser l’entrepreneuriat. Les divergences qui restent concernent la manière dont nous comprenons les relations entre les diverses réformes et l’environnement macro-économique.
Rien de tout cela ne signifie qu’il n’est pas possible de trouver immédiatement un terrain d’entente. Le gouvernement grec veut une voie menant à la consolidation budgétaire qui ait un sens, et nous voulons des réformes que toutes les parties estiment importantes. Notre tâche est de convaincre nos partenaires que nos démarches sont plus stratégiques que tactiques, et que notre logique est rationnelle. Leur tâche est d’abandonner une approche qui a échoué.
Yanis Varoufakis
Article original Project Syndicate
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone