Une amitié… éternelle?


Lyrique, passionné, instructif, optimiste, objectivement partial, le Saker Francophone vous invite à parcourir – brièvement – la longue histoire des relations franco-russes


Par Erwan Castel – Le 27 septembre 2015 – Source alawata-rebellion

L’esprit de Normandie Niemen

Sur le site officiel de la Diplomatie française on peut lire en introduction du paragraphe consacré aux relations franco-russes cette phrase laconique : «Le dialogue politique entre la France et la Russie a été limité, à la suite de l’annexion de la Crimée, par l’introduction par l’Union européenne de sanctions à l’encontre de la Russie, et par la suspension de la Russie du G8

Cette argutie fallacieuse usant d’une sémantique de propagande de guerre diabolisant Moscou (annexion au lieu de rattachement et sanctions au lieu de représailles) tente de sacrifier, par une cupidité arrogante  soumise aux intérêts militaro-industriels étasuniens, mille ans de relations civilisationnelles entre deux peuples fondateurs de l’identité européenne.

Cela montre la bassesse de vision et la stupidité de cette politique occidentale moderne, mise en esclavage par la ploutocratie mondialiste qui ignore l’Histoire et néglige l’Avenir, tant sa vision de la vie se limite à des manigances financières temporaires et à des courbes économiques virtuelles…

Et pourtant, aucun pouvoir temporel, aucun choc de l’Histoire, même les plus violents comme les dictatures, les révolutions et les guerres mondiales n’ont pu ternir les rapports naturels vrais existants entre la Russie et la France. Car ces relations naturelles sont anciennes et témoignent d’un héritage civilisationnel millénaire qu’il faudrait rappeler aux Français lobotomisés par la propagande étasunienne installée en Europe au moment de la Guerre Froide et rallumée progressivement pour tenter de contrer la restauration de la souveraineté russe engagée par le Président Vladimir Poutine.

Des racines profondes

Anna Iaroslavna, Reine de France
(Senlis)

Car l’Histoire est là depuis mille ans pour nous rappeler les liens fraternels entre les deux peuples. Rappelons ici quelques épisodes marquants qui ont tissé dans le passé les liens indestructibles d’une amitié franco-russe éternelle :

– Henri Ier, roi de France devenu veuf en 1044, et sans enfant légitime, épouse Anna Iaroslavna appelée aussi Anne de Russie, Anne de Ruthénie ou Anne de Kiev (alors capitale de la Russie) le 19 mai 1051. Cette fille du Grand Duc Iaroslav Vladimirovitch, devenue reine de France et qui donnera naissance à quatre enfants, dont l’aîné recevra d’elle le prénom de Philippe. Cette femme dont la beauté légendaire dépassait les frontières sera même Régente du Royaume de la mort de Henri Ier, en 1060, jusqu’à 1067, date à laquelle son fils aîné Philippe le premier du nom, régnera sur la France jusqu’en 1108.

– Au XVIe siècle, le tsar  Boris Godounov crée des écoles avec des professeurs français.

Le Tsar Pierre le Grand

– Mais l’influence française à la cour de Russie va naître surtout au XVIIIe siècle sous le règne de l’exceptionnel Pierre le Grand. Ce dernier, fasciné par l’architecture française fera même, en 1717, un voyage  à Paris, autant politique qu’artistique. A son retour, le Tsar charge Alexandre Leblond, de lui construire sa résidence d’été Peterhof. Cet architecte du roi de France est accompagné de toute une équipe d’artistes français (les dessinateurs Giraud et Tessier, les ciseleurs Noiset et Saint Mange, des tapissiers, des artisans, comme le sculpteur Nicolas Pineau inventeur de la rocaille française, introduite dans les palais russes, et qui sera nommé «Premier sculpteur de sa sacrée majesté czarienne». Cette coopération ouvrira même la route à une communauté de professionnels français s’installant à Saint-Pétersbourg, la nouvelle capitale russe, comme l’astronome français Joseph Nicolas Delisle, fondateur de l’Observatoire de Saint-Pétersbourg et qui va même diriger l’École d’astronomie de l’Académie des sciences de Russie.

Dans l’œuvre de Pierre le Grand, la marque française est visible en de nombreux domaines, de l’architecture urbaine à la langue usitée à la cour du Tsar. Voici par exemple ce que dit Dubois, ministre des Affaires étrangères du Régent français Philippe d’Orléans : «Lorsque je parle avec le tsar, en français, je me demande qui a bien pu lui enseigner notre langue. Il ne connaît aucun mot courant, mais use d’expressions qui feraient rougir les dragons de nos régiments. Je l’ai entendu une fois, à Versailles, jurer de telle façon que les valets d’écurie en sont restés bouche bée.»

Les enfants de Pierre le Grand reçoivent une éducation à la française et perpétuent à leur tour la Tradition, comme sa fille Elisabeth Ière (qui se fait proclamer impératrice avec le concours de son médecin français Lestoc et du ministre La Chetardie).

La Grande Catherine

Plus tard, la grande Catherine II va multiplier la coopération entre la Russie et le modèle français; elle reçoit à sa cour d’Alembert, Diderot et Voltaire, qui entretient avec celle qu’il appelle la Semiramis du Nord une correspondance suivie. C’est le sculpteur Falconet qui réalise la célèbre statue de Pierre le Grand, Le Cavalier de bronze, tandis que le classicisme français façonne l’architecture moscovite sous la houlette de Nicolas Legrand. Même le siècle des Lumières influence la pensée russe et les idées de Voltaire, Rousseau, Diderot, Helvetius, Montesquieu circulent de salons à la française en salons russes.

Lorsque la Révolution éclate, la tsarine qui s’en méfie accueille les émigrés royalistes fuyant les jacobins, qui s’intègrent grâce à la langue commune à l’aristocratie impériale, comme le marquis de Traversay, officier de marine, promu Amiral de la Marine Russe, puis, en 1809,  nommé Ministre de la Marine impériale de Russie

A la mort de Catherine II (1796), c’est son fils puis, à l’assassinat de ce dernier, son petit fils Alexandre Ier qui lui succède de 1801 à 1825. Sous le règne d’Alexandre, lui aussi élevé à la française, la France est encore très présente en Russie avec notamment le compositeur Boieldieu et les architectes Thomas de Thomon ou Auguste Ricard de Monferrand, dont le chef d’œuvre est la cathédrale la Cathédrale Saint Isaac à Saint-Pétersbourg.

Alexandre Pouchkine

Le poète légendaire Pouchkine incarne cette francophilie russe. Appelé par les camarades le Français, il écrivait aussi bien en russe qu’en français comme en témoigne son autoportrait dans cette langue:

(…)
Je suis un jeune polisson
Encore dans les classes ;
Point sot, je le dis sans façon
Et sans fades grimaces.

J’aime et le monde et son fracas,
Je hais la solitude ;
J’abhorre et noises et débats
Et tant soit peu l’étude.
(…)

Napoléon et son ambition démesurée vont briser cette amitié un temps, même si la langue française survit à l’agression, y compris comme langue de commandement au sein des états-majors de la coalition russo-austro-prussienne qui lui résistent!

Le frère cadet d’Alexandre Ier, Nicolas Ier, lui succède en 1825. C’est un passionné de théâtre, il est l’initiateur du Théâtre Michel, à Saint-Pétersbourg, dédié aux pièces en français qui y seront jouées jusqu’en 1918. Des auteurs comme Victor Hugo, Musset, Alexandre Dumas, Molière, etc sont interprétés par des acteurs tels que Lucien Guitry, Sarah Bernhard, Rachel etc…

Après l’assassinat de son fils Alexandre II par des révolutionnaires, c’est son petit fils Alexandre III qui devient Tsar de Russie de 1881 à 1894, période pendant laquelle la Russie, qui vit le début de son ère industrielle, veut se rapprocher de la France.

Concrétisant ce rapprochement, l’alliance franco-russe est signée à Paris en 1893 et le pont Alexandre III à Paris en est le symbole. A la fin du XIXe siècle, l’éclat de la culture française est tel que le français est devenu langue officielle de la Cour. Dans les rues de Moscou et de Saint-Pétersbourg, il y a des panneaux en français et le nom des rues est inscrit en français.

«Ma mère m’a élevé dans l’amour de la langue française et je la préfère à toute autre» – Nicolas II

Nicolas II

L’apogée de cette alliance franco-russe est vécue certainement pendant le règne du dernier tsar Nicolas II, qui lance à plein régime le travail de l’alliance franco-russe créée par son prédécesseur. La coopération entre les deux pays s’exprime dans les programmes d’industrialisation et de modernisation de l’armée notamment. C’est l’époque des emprunts russes, mais aussi  des échanges culturels entre Français et Russes Beaucoup de fournisseurs de la cour impériale sont français: Cartier, Guerlain, Hermes, Vuiton, Lalique. La Manufacture de Sèvres fournit les services de table. A Baccarat, un four est uniquement réservé pour les commandes de la Cour de Russie etc…

Pendant la Première Guerre mondiale, l’Empire russe et la France sont alliés contre la Triplice conclue entre l’Empire allemand, l’Empire austro-hongrois et le royaume d’Italie.

Les «Russes blancs» de France

Le Prince géorgien Dimitri Amilakvari,
arrivé en France en 1921,
est devenu une figure de légende
de la Légion étrangère

Lorsque la Révolution bolchevique éclate, elle brise pour un temps les liens existant entre la France et la Russie, comme l’alliance franco-russe qui s’achève en 1917 ou les emprunts russes qui ne seront pas reconnus et remboursés par l’URSS. Mais, confiants dans cette amitié forte ancrée dans l’Histoire des deux peuples, les apatrides que l’on appelle les Russes blancs, fuyant la répression bolchevique, vont naturellement dans leur exil, pour la majorité d’entre eux, prendre le chemin de la France entre 1917 et 1930.

Cette communauté russe francophile est forte à l’origine d’environ 500 000 personnes, qui s’intègrent rapidement dans le tissu socio-économique français, ouvriers, petits commerçants, cuisiniers, chauffeurs, militaires (en 1925, le 1er Régiment étranger de Cavalerie était composé à 82% de Russes blancs), et il y a même une cour russe en exil qui se reconstitue à Saint-Briac en Bretagne et s’y maintiendra jusqu’au retour en Russie, en 1991, du grand Duc Wladimir, héritier du trône.

L’apport des Russes blancs de France est important, tant par leur dynamisme professionnel et culturel que par les figures qui enrichissent au XXe siècle la France de cette parcelle d’âme et de grandeur slaves incomparables, notamment dans la vie culturelle très animée par les membres et des associations issus de cette communauté exilée…

L’Histoire de France du XXe siècle est semée de grands noms issus de cette communauté, qui participent à élever l’héritage de notre pays; quelques noms parmi beaucoup : les peintres Chagall, Nicolas de Staël, les musiciens Rachmaninov, Stravinsky, l’ingénieur aéronautique Igor Sikorski, le joueur d’échec Alexandre Alekhine, le Lieutenant Colonel Amilakvari, les résistants  Boris Vidé et Anatole Lewitzki, Anna Marly, la princesse Volkonski; les historiennes Hélène Carrère d’Encausse et Marina Grey, les écrivains Vladimir Nabokov, Vladimir Volkoff, Emmanuel Carrère et Gabriel Matzneff, etc…

La flamme de l’escadrille Normandie-Niemen

Cette amitié remonte à la surface lorsque le grand vent de l’Histoire balaie les divergences idéologiques… C’est le cas de la Deuxième Guerre mondiale, où l’URSS et la France libre sont alliées dans la lutte armée contre le nazisme…

Le fleuron de cet alliance de combat franco-russe est bien le Régiment de Chasse Normandie-Niemen, qui unit des pilotes de chasse français et russes au cœur des grandes batailles aériennes de la guerre, de la campagne de Russie jusqu’à la bataille d’Allemagne.

«Normandie-Niémen : c’est le régiment le plus titré de tous les temps
Créé en 1942 par le Général de Gaulle pour représenter la France Libre combattante sur le front russe, son histoire est l’une des plus exceptionnelles de l’aviation militaire…
5 240 missions, 273 victoires confirmées.
Ces pilotes étaient jeunes et un peu fous. Ils sont devenus des héros.

96 pilotes, tous volontaires dont 42 ne sont pas revenus.»
(extrait d’un article de Lucien Pons, le lien : ICI)

Sur la soie de l’étendard de cette unité d’élite française, sont inscrits en lettre d’or les noms de célèbres batailles remportées par l’Armée rouge sur l’armée du IIIe Reich :

1943 – OREL
1943 – SMOLENSK
1944 – ORCHE
1944 – LA BEREZINA
1944 – NIEMEN
1945 – ISTENBURG
1945 – KÖNIGSBERG
1945 – DANTZIG
1945 – PILLAU

– Légion d’honneur
– Ordre de la Libération (11 octobre 1943)
– Médaille Militaire
– Croix de Guerre avec six palmes
– Ordre du Drapeau rouge (19 février 1945)

– Ordre d’Alexandre Nevski (5 juin 1945)
– Ordre de Lénine
– Étoile d’or de héros de l’Union soviétique
– Ordre Alexandre Nevski
– Ordre de la guerre pour la Patrie
– Ordre de l’étoile rouge
– Ordre pour la libération de Konigsberg
– Médaille de la Victoire

Après la victoire de 1945, l’occupation américaine impose à l’Europe une guerre froide et les relations entre la Russie et les pays d’Europe soumis aux propagandes de guerre qui s’affrontent se dégradent sensiblement. Il faut cependant relever au milieu des discours bellicistes du moment une position française particulière défendue par le Général De Gaulle attaché à cette amitié franco-russe historique. Vis à vis de l’URSS, ce pays européen frère qu’il persistait à nommer Russie, le général De Gaulle, qui s’était détaché de la politique impérialiste anglo-américaine en quittant l’Otan, déclarait :

«Dans l’ordre politique, l’apparition certaine de la Russie au premier rang des vainqueurs de demain apporte à l’Europe et au monde une garantie d’équilibre dont aucune puissance n’a, autant que la France, de bonnes raisons de se féliciter. Pour le malheur général, trop souvent depuis des siècles l’alliance franco-russe fut empêchée ou contrecarrée par l’intrigue ou l’incompréhension. Elle n’en demeure pas moins une nécessité que l’on voit apparaître à chaque tournant de l’Histoire.»

Si le personnage de De Gaulle est critiquable à bien des égards, force est de constater (et surtout par rapport au niveau sans cesse décroissant de ses successeurs) que le général était animé d’une vision haute de la politique étrangère européenne et de son asservissement à l’hégémonie étasunienne.

De Gaulle poursuit :

«Il s’agit aussi de mettre en œuvre successivement: la détente, l’entente et la coopération dans notre Europe tout entière, afin qu’elle se donne à elle-même sa propre sécurité après tant de combats, de ruines et de déchirements. Il s’agit, par là, de faire en sorte que notre Ancien Continent, uni et non plus divisé, reprenne le rôle capital qui lui revient, pour l’équilibre, le progrès et la paix de l’univers. »

Comme le souligne Nicolas Bonnal de Radio sputnik (le lien : ICI), c’est cette vision de l’Histoire qu’il nous faut retrouver, celle «partagée aussi bien par De Gaulle que Dostoievsky qui considéraient les nations comme des entités vivantes plus résistantes et plus fortes que les systèmes qui pensent les dominer».

Par delà les contingences idéologiques, les pilotes de chasse de Normandie-Niemen ont su incarner la survivance de cet esprit européen au cœur d’un continent déchiré par la guerre. Plus que jamais leur combat et leurs sacrifices doivent nous servir d’exemple et inspirer nos actions et pensées au milieu d’une Europe effondrée, soumise à un Nouvel Ordre Mondial qui cherche à la plonger dans un nouveau chaos destructeur…

En attendant l’orage, chefs de section  et chefs de groupe “razvedka” participent à une instruction cadres

Héritiers de cette longue histoire commune, nous autres, volontaires russes et français, unis dans un nouveau combat au cœur d’une Europe menacée, nous refusons cette nouvelle division du vieux continent imposée par les USA et tentons d’entretenir à notre niveau cette flamme éternelle de l’amitié franco-russe qui éclaire notre engagement dans le Donbass et réchauffe nos cœurs tourmentés par la guerre…

Erwan Castel, volontaire français en Novorussie

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