Trump vient-il juste de faire l’économie de deux guerres ?


Par The Saker − Le 27 mai 2020 − Source Unz Review via The Saker Blog

À l’heure où nous écrivons, il est trop tôt pour déclarer le danger écarté, mais au moins trois pétroliers iraniens sur cinq sont arrivés en toute sécurité au Venezuela –  confirmation de TeleSur et PressTV.

En outre, bien que nous ne devrions jamais dire «jamais», il semble extrêmement improbable que les États-Unis ne laisseraient passer que trois pétroliers pour tenter ensuite d’empêcher l’arrivée des deux autres. Donc, ce n’est pas fini jusqu’à ce que ce soit fini, mais pour l’instant les choses paraissent bien meilleures que la semaine dernière.

D’ailleurs, c’est surtout une question symbolique. Bien que ces cinq  pétroliers feront une différence, ce ne sera pas énorme, surtout compte tenu des conséquences dévastatrices que les sanctions, le sabotage et la subversion des Américains ont infligé au Venezuela.

Pourtant, les symboles sont importants, ne serait-ce que parce qu’ils créent un précédent. En fait, je dirais que cette dernière reculade de Trump n’est pas différente de toutes les autres : Trump s’est fait une spécialité constante de menacer de la foudre avant de se dégonfler tranquillement, en s’éloignant. Et comme il l’a fait plusieurs fois maintenant, il faut se demander si cette stratégie est efficace ou non ?

On pourrait dire que cette stratégie est tout simplement du bluff, qui incitera l’adversaire à se coucher. C’est un argument à moité crédible, si ce n’était un autre fait, très simple lui aussi, mais crucial, à savoir que, jusqu’à présent, personne ne s’est jamais plié. En d’autres termes, le bluff de Trump a été défié à maintes reprises, et chaque fois, celui-ci a dû se dégonfler tranquillement.

Certains diront que cela prouve que Trump est vraiment un président épris de paix qui, contrairement à ses prédécesseurs, ne veut pas faire la guerre. Mais alors, qu’en est-il des frappes de missiles de croisière sur la Syrie ? Et le meurtre de Soleimani ?

À vrai dire, la chose la plus aimable que nous puissions dire à propos de cette stratégie – en supposant, pour commencer, que ce soit une stratégie, et non la preuve de son absence totale –  est qu’elle équivaut à crier «au feu !» dans une salle de cinéma bondée : le fait que Trump n’ait mis le feu à aucune salle de cinéma ne justifie guère son «au feu !» criard, dans un environnement aussi dangereux. L’exemple parfait de ce type de comportement irresponsable est le meurtre du général Soleimani, suite auquel les États-Unis et l’Iran sont passés à un cheveu d’une véritable guerre à grande échelle.

De plus, alors que je salue la reculade de Trump à la suite des frappes iraniennes, je pense également qu’en agissant ainsi, il a nui à l’image internationale des États-Unis. Pourquoi ? Pensez-y : c’est la première fois – si je ne me trompe pas – que les États-Unis font l’objet d’une frappe militaire majeure venant d’un autre acteur étatique – et ne ripostent pas. Dans le passé et jusqu’à ce printemps, les États-Unis étaient toujours d’avis que si quelqu’un osait leur chercher querelle, cela entraînerait des conséquences très graves. Ainsi, les États-Unis ont maintenu un ordre mondial dans lequel certains étaient beaucoup plus égaux que d’autres. Plus précisément, «les autres» sont ceux qui ont dû souffrir docilement les frappes américaines et se taire, car l’oncle Shmuel savait qu’il pouvait frapper à tour de bras sans risquer les moindres représailles.

En «tolérant» la contre-attaque iranienne, Trump a implicitement placé un signe «égal» entre l’Iran et les États-Unis. Il n’a probablement jamais compris cela, mais dans la région, cela a été compris par tout le monde.

Tout comme le Hezbollah a détruit le mythe de l’impunité israélienne, l’Iran a détruit le mythe de l’impunité américaine.

Pourtant, je préférerai toujours un politicien qui ne déclenche pas une guerre – quelle qu’en soit la raison – à celui qui le ferait. Je ne doute pas non plus que Hillary en  aurait déclenché une, voire plusieurs. Mais le fait qu’Hillary aurait été encore pire que Trump n’est guère une raison pour commencer à admirer le brillant génie des «échecs 5D» ou les politiques pacifiques de Trump …

Trump  me fait penser à un mec pointant une arme à feu sur les gens dans la rue pour dire plus tard « mais c’était un jouet, je n’ai jamais voulu vraiment tirer sur quelqu’un ». C’est certainement mieux que de tirer sur des gens avec un vrai pistolet, mais ce n’est guère un signe de maturité ou d’intelligence.

L’autre problème avec cette « stratégie » – supposons pour le besoin de l’argument qu’il s’agit d’une stratégie – chaque fois que la « nation indispensable » et la « seule hyperpuissance » doit reculer, elle ressemble de plus en plus à un Tigre de papier. Ne pas ressembler à un tel tigre est probablement la raison principale derrière les célèbres mots de Michael Ledeen « Tous les dix ans environ, les États-Unis doivent ramasser un petit petit pays de merde et le jeter contre le mur, juste pour montrer au monde que nous parlons sérieusement, c’est-à-dire business ». Dans un sens diaboliquement cynique et impérialiste, la stratégie de Ledeen a beaucoup plus de sens que celle de Trump.

Pastiche de Wikipédia

Comme Marx l’a dit, «L’histoire se répète, d’abord comme tragédie, ensuite comme farce». Le résultat de ce que certains appellent maintenant la «bataille de la baie de Macuto» en est un parfait exemple : si la baie des Cochons était le «cas ancêtre», alors la catastrophe de la Grenade était la tragédie et la bataille de la baie de Macuto la véritable farce.

L’humour peut être une arme dévastatrice et quiconque a étudié la fin de l’Union soviétique, à la fin des années Brejnev et après, sait comment le peuple russe a ridiculisé les dirigeants soviétiques avec littéralement des milliers de blagues.

Un véritable impérialiste préférerait de loin être détesté plutôt que ridiculisé, et bien que Trump lui-même ne se rend probablement pas compte qu’il est la risée de la planète, ce n’est pas le cas de ses conseillers et des patrons de l‘État profond et c’est très, très dangereux.

Pourquoi ?

Parce que la pression, une fois de plus, pour «ramasser un petit petit pays de merde et le jeter contre le mur» augmente à chaque reculade – voir mon articleEach “Click” Brings Us One Step Closer to the “Bang!. [Au jeu de la roulette russe, chaque clic nous rapproche du Bang !]

De plus, trouver un pays encore plus petit et plus faible que le Venezuela sera difficile – peut-être l’île de Saba ? Ou encore la Grenade ? Qui sait ? Et potentiellement très dangereux.

L’autre problème est la prévisibilité. Tout système international exige que ses acteurs les plus puissants soient prévisibles. En revanche, lorsqu’un acteur international majeur agit d’une manière qui semble imprévisible, irrationnelle ou irresponsable, cela met en péril toute la stabilité du système.

Soit dit en passant, c’est aussi pourquoi il est si désastreux que les États-Unis se soient retirés de tant d’organisations ou de traités internationaux. La participation à des organisations et des traités internationaux indique que les États-Unis sont prêts à respecter les mêmes règles que tout le monde. Le fait qu’ils abandonnent un si grand nombre de leurs anciennes obligations internationales montre seulement que les États-Unis sont devenus des voyous et sont désormais totalement imprévisibles.

Enfin, il y a aussi des leçons pour Moscou ici, la principale étant que, face à un adversaire déterminé, l’Empire essaie de bluffer, mais finit par plier. Il est vrai que Moscou doit être beaucoup plus prudent que Téhéran simplement parce que les conséquences d’une guerre américano-russe seraient dramatiquement pires que même un conflit majeur au Moyen-Orient. Pourtant, il est également vrai qu’au cours des dernières années, les forces armées russes ont eu le temps de se préparer à un tel conflit et que la Russie est maintenant prête pour à peu près tout ce que les États-Unis pourraient essayer de lui balancer, du moins en termes purement militaires.

Aparté 
 
Contrairement à la posture militaire de la Russie, l'environnement politique en Russie a changé pour le pire : il y a maintenant une opposition "dure" potentiellement très dangereuse pour Poutine que j'ai baptisée la "6ème colonne", par opposition à la 5ème colonne libérale et pro-occidentale. Ce que ces deux «colonnes» ont en commun, c'est qu'elles s'opposeront catégoriquement à tout ce que Poutine fait. La 6ème colonne, en particulier, cultive une haine féroce pour Poutine qui la rend encore plus enragée que ce que la 5ème colonne libérale exprime habituellement. Découvrez cette excellente vidéo de Ruslan Ostashko, qui préfère le terme «emo-marxistes» [marxistes émotionnels] et qui décrit très précisément ces gens.

Que nous les considérions comme des chroniqueurs de la 6ème colonne ou des émo-marxistes n'a pas d'importance, ce qui compte, c'est que ces gens sont impatients d'agir comme une caisse de résonance pour toutes les rumeurs et fausses nouvelles anti-Poutine. Alors que Poutine a certainement ses défauts, et si les politiques économiques de Medvedev, et maintenant du gouvernement Mishustin, sont loin de ce que la plupart des Russes voudraient, il est également vrai que ces deux «colonnes» font objectivement le jeu de l'Empire, ce qui pourrait poser un réel problème si la crise économique actuelle provoquée par la pandémie en Russie n'est pas traitée plus efficacement par le gouvernement.

J’ai toujours dit que l’Iran, tout en étant beaucoup plus faible que la Russie, a toujours fait preuve de beaucoup plus de courage dans ses relations avec l’Empire. De plus, les politiques de l’Iran sont principalement dictées par des considérations morales et spirituelles – comme dans le cas de la position de principe de l’Iran sur la Palestine occupée – tandis que les politiques russes sont beaucoup plus «pragmatiques» – ce qui est en réalité un euphémisme pour dire intérêt personnel. Mais aussi, l’Iran est une République islamique alors que la Russie doit encore développer une sorte de vision du monde unificatrice et originale.

Conclusion

Malgré tous ses innombrables traits de caractère négatifs et autres défauts, il reste vrai que Trump n’a pas déclenché de guerre majeure – jusqu’à présent. Oui, il a amené le monde au bord du gouffre à plusieurs reprises, mais jusqu’à présent, il n’a pas plongé le monde dans un conflit majeur. La part de crédit qui devrait vraiment lui revenir personnellement est très discutable – peut-être que des têtes plus froides dans l’armée ont prévalu, je pense à des gens comme le général Mattis qui, semble-t-il, a empêché les États-Unis d’attaquer sérieusement la Syrie et s’est contenté d’une frappe symbolique. Certains analystes russes (Andrei Sidorov) pensent même que les États-Unis ne sont pas en état de mener une guerre, si petite soit-elle. En outre, la plupart – tous ?  – des analystes russes pensent également que les États-Unis sont pleinement engagés dans une guerre économique, et de propagande, tous azimuts pour tenter d’étrangler économiquement la Russie et la Chine.

Je pense qu’il serait juste de dire que personne en Russie ne croit que la relation avec les États-Unis de Trump peut, ou va s’améliorer.

Le ton en Chine change également, d’autant plus que les États-Unis ont lancé une importante PSYOP stratégique anti-chinoise. En d’autres termes, les États-Unis poursuivent joyeusement leur route actuelle, ce qui les conduit à une confrontation simultanée non pas avec un, voire deux, mais avec une liste de pays qui semble s’allonger chaque jour. Donc, s’il est vrai que dans ce cas, Trump semble avoir évité deux guerres, nous ne devons pas supposer qu’il n’en déclenchera pas bientôt une, ne serait-ce que pour détourner le blâme de sa gestion exécrable de la crise de la Covid19. Si cela se produit, nous ne pouvons qu’espérer que tous les «pays résistants» fourniront autant de soutien que possible aux prochaines victimes des attaques de l’Empire.

The Saker

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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