Qui veut une troisième guerre mondiale ?


Pepe Escobar

Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 21 septembre 2015 – Source sputniknews

Ce que Washington désire vraiment ardemment est une certaine forme de coercition qui conduirait Pékin à ouvrir son marché financier convoité par le casino financier méga-spéculatif du système Big Bank des États-Unis. Cela n’arrivera pas – la Maison Blanche n’a absolument aucune influence sur la question.

Le Président chinois Xi Jinping surfe aux États-Unis lors de sa première visite d’État presque en même temps que le pape François. Il sera fascinant d’observer comment les centres de décision de l’hyperpuissance vont réagir à cette double exposition, au matérialisme dialectique – avec des caractéristiques chinoises – et avec la thèse d’une reconstruction de Église catholique.

Barack Obama passe en revue une garde d’honneur avec le président chinois Xi Jinping à Beijing le 12 Novembre, 2014 © 2015 AFP / Greg Baker

Dans un discours historique à La Havane, François – qui rompt le tête-à-tête entre le président américain Barack Obama et Raul Castro – a insisté sur le fait qu’il voulait approfondir les relations entre Washington et La Havane. Il a demandé à Obama et à Raul de faire le maximum pour présenter leur exemple au monde, «un monde qui a besoin de réconciliation au milieu de cette troisième guerre mondiale».

Le terme Troisième Guerre mondiale n’a jamais fait partie de la rédaction originale du discours du pape. François l’a ajouté sur son vol de Rome à La Havane.

Un cynique pré-socratique serait d’accord pour dire que François pourrait maintenant être en phase avec la faction Apocalypse Now du Pentagone – pour laquelle la Troisième Guerre mondiale est déjà commencée, et les menaces cruciales en sont la Russie et la Chine, avec ISIS / ISIL / Daesh comme un lointain troisième.

Cela ressemble plus à un François aligné sur le président russe Vladimir Poutine, qui ne prend pas de gants pour encadrer un véritable processus de paix en Syrie. La vraie menace primordiale pour le Moyen-Orient, l’Europe et même l’Eurasie est un retour de flamme djihadiste originaire de Syraq.

Pas pour le Pentagone, bien sûr, dont les analystes sont maintenant obsédés par les plans d’urgence pour une guerre contre la Russie…

La dernière fuite sur l’obsession vient par l’intermédiaire d’une néo-conservatrice notoire très active, Michele Flournoy, ancienne sous-secrétaire à la Défense pour la politique et co-fondatrice d’un autre groupe de réflexion proverbialement belliciste, le Center for a New American Security.

On n’y parle que d’une Russie comme agresseur potentiel de l’Otan, ou d’une agression russe hypothétique contre les pays baltes. Les plans comprennent des mouvement possibles du couple Pentagone/Otan, ainsi que des mouvements du Pentagone tout seul. L’hypothèse est toujours une agression russe inévitable.

Alors maintenant, nous avons un pivot vers la Russie militaire, pour compléter le désormais tristement célèbre pivot vers l’Asie – que Pékin a interprété pour ce qu’il est : une politique de confinement stratégique, allant de l’encerclement militaire (de la mer de Chine méridionale, de l’océan Indien, de l’Ouest Pacifique) à l’exclusion du commerce (le Trans-Pacific Partnership, TPP), en passant par la menace habituelle de sanctions.

Maintenant, comparez le pivotement du Pentagone – le chapitre de la Chine – avec ce que veut l’Amérique du business IT [technologies de l’information, NdT] ; des affaires, beaucoup d’affaires, ce qui implique, évidemment, pas de sanctions.

Et puis il y a ce dont les Maîtres de l’Univers ont vraiment envie ; une certaine forme de coercition qui conduirait Pékin à ouvrir son marché financier convoité au casino méga-spéculatif du système Big Bank des États-Unis. Cela n’arrivera pas – la Maison Blanche n’a absolument aucune influence sur la question.

Contre quoi se lève Xi ?

Les premiers jours du voyage de Xi aux États-Unis comprennent une visite à une nouvelle ligne d’assemblage de Boeing dans une banlieue de Seattle ; un dîner avec Bill Gates ; et le US-China Industry Forum Internet de deux jours. À partir de là, il est facile d’identifier les priorités de Pékin.

Avec Obama, Xi devra discuter des points chauds notoires : Taïwan ; la mer de Chine méridionale ; la cyber-sécurité ; et les négociations en vue d’une éventuelle adoption d’un traité sur le commerce bilatéral.

Comme si le gang du pivot obsédé ne suffisait pas, Xi sera sous de fortes pressions aux États-Unis sur les droits de l’homme et le front de la cyber-sécurité. Pourtant, il n’y a aucune preuve que les cercles décisionnaires de l’hyperpuissance savent vraiment ce qu’il en est à propos de la Chine.

En trois ans de pouvoir environ, la première tâche de Xi a été de déclencher une campagne monstre anti-corruption. Qui englobe les domaines militaires et civils. La Commission centrale d’inspection de la discipline, extrêmement crainte, est l’arme de choix de Xi. Et personne n’échappe aux tentacules de la Commission. Pas même l’ancienne superstar de la sécurité Zhou Yongkang et l’ancien conseiller présidentiel principal, Ling Jihua.

Donc Xi fait simultanément le ménage au Parti communiste chinois (PCC) et dans l’Armée populaire de libération (APL). On peut à peine imaginer le facteur de résistance – au point que les initiés chinois soulignent que Xi s’est fait des ennemis extrêmement puissants dans le tableau ; retraités politiques poids lourds, officiers supérieurs, fonctionnaires influents du gouvernement, grands manitous des entreprises appartenant à l’État, un cortège de petits princes – les enfants des révolutionnaires historiques ; et le dernier mais pas le moindre, une cohorte douteuse de pirates ayant blanchi leurs fortunes dans les casinos et les centres commerciaux de luxe à Macao et à Hong Kong.

Parmi les scalps éminents de Xi, il y a ce qu’on nomme le gang de Shanxi, qui a totalement contrôlé l’environnement politique et économique dans cette province riche en charbon, et le gang dit du pétrole, qui contrôlait tout ce qui concerne le pétrole en Chine.

Le Premier ministre Li Keqiang, lors du Forum économique mondial de Dalian, a été contraint de souligner que la purge est une question d’ajustement structurel, et n’affecte pas l’économie de la Chine.

Les faits sont frappants : la Chine a déréglementé beaucoup, mais le capital, l’énergie, les matières premières et les terres sont encore largement dans les priorités du gouvernement central. Aucun lobbying américain ne va changer cela. Cela signifie que si vous êtes parfaitement bien placé et connecté – la suprématie du guanxi – officiel chinois, vous êtes le Roi des Affaires. Ces fonctionnaires sont à l’origine de l’essentiel des distorsions dans l’économie chinoise. Voilà ce que Xi essaye essentiellement de changer.

Les ajustements massifs du modèle chinois cherchent une moindre dépendance aux exportations de produits manufacturés, une planification plus rigoureuse en termes de dépenses d’infrastructure et la réorientation des investissements sur la capacité industrielle.

La pensée magique sur la Chine qui s’écrase est absurde. Les jours de la Révolution culturelle ont disparu depuis longtemps. La Chine est en train de changer, lentement mais sûrement, vers un nouveau paradigme spectaculaire intégrant l’ensemble de l’Eurasie dans une renaissance industrielle en plein essor. Chaque changement en Chine pointe vers cette transition.

La transition signifie aussi l’abandon des exportations massives vers les États-Unis et l’UE et la recherche d’une économie plus équilibrée à travers l’Eurasie, tout en gardant autant que possible les échanges et le commerce avec l’Occident.

Est-ce que cela ressemble à un État ou à une civilisation aspirant à une Troisième Guerre mondiale?

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

 

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