Proposition de Trump sur les armes : sur le fond, c’est de course à l’espace qu’il s’agit


Par Andrew Korybko – Le 26 avril 2019 – Source eurasiafuture.com

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Il n’y a rien à redire quant à l’esprit derrière la proposition de Trump sur les armes, mais épluchez quelques couches stratégiques et il apparaît clairement que l’enjeu de fond en est la course à l’espace, et un affaiblissement du partenariat stratégique russo-chinois.

La proposition sur les armes émise par Trump fait des vagues mondialement, après des déclarations de dirigeants de son administration dans les médias, selon lesquelles « il pense que le contrôle des armes devrait intégrer la Russie et la Chine, et devrait intégrer l’ensemble des armes, l’ensemble des ogives, l’ensemble des missiles » : suggestion est faite d’un accord militaire mondial exhaustif, qui en théorie pourrait changer la course des relations internationales pour le XXIème siècle. À la surface, il n’y a rien à redire quant au principe et l’esprit sous-jacents à cette idée, mais si l’on épluche quelques couches stratégiques, on comprend rapidement que le sujet de fond en est la course à l’espace, et un affaiblissement du partenariat stratégique russo-chinois.

Les USA estiment évidemment que leur tant-vantée « force spatiale » leur accorde une longueur d’avance perceptible sur leurs concurrents, et finira par neutraliser les plateformes d’armement basées sur terre, chose que la Russie soupçonne déjà depuis que le Lieutenant Général Viktor Poznikhir, premier adjoint du responsable du département des opérations de l’État-major russe, a déclaré lors de la conférence de sécurité internationale de Moscou (MCIS) en début de semaine : « les USA ont développé un concept d’interception pré-lancement, et projeté de détruire les missiles balistiques intercontinentaux russes, chinois, et d’autres pays avant même qu’ils ne soient lancés » : cette déclaration sous-entend lourdement des possibilités impressionnantes étasuniennes en matière d’intervention militaire depuis l’espace.

C’est probablement pour cette raison que Sergey Ryabkov, adjoint au ministre des affaires étrangères, a fait preuve de prudence en réponse à cette proposition, tout en décrivant le soutien de son pays pour cette mesure comme suit : « d’autres étapes en direction du désarmement nucléaire nécessiteront la création d’un certain nombre de pré-requis, et prendront en compte de nombreux facteurs présentant un impact direct sur la stabilité stratégique – de l’émergence d’un système de défense à base de missiles, et de la possibilité de déploiement d’armes dans l’espace, jusque des changements importants dans la sphère des armes conventionnelles, l’émergence de cyber-armes, et de nombreux autres facteurs ». De toute évidence, la Russie a flairé un piège, et elle a de bonnes raisons pour cela.

Trump a bien conscience du côté fallacieux de sa proposition, mais il sait également que celle-ci va engendrer une couverture très favorable de la part des médias mondiaux, ce qui non seulement améliore ses chances de ré-élection pour l’an prochain, mais améliore également l’image des USA à l’international dans une certaine mesure. En outre, ses stratèges ne sont pas sans savoir que la proposition est plus intéressante pour la Russie qu’elle ne l’est pour la Chine, chose qui a été notée par les experts interrogés par CNN à ce sujet, et dont ils ont déclaré que la République populaire n’est « même pas dans les mêmes échelles »  que les deux autres grandes puissances, et « ne joue pas dans la même cour » quant aux armes que Washington veut limiter.

Sachant que sa proposition sera probablement difficile à défendre, Trump veut sans doute l’utiliser à des fins de « soft power » à court terme, et tirer profit de son échec prévisible, en l’utilisant à plus long terme comme prétexte pour doubler la mise sur le complexe militaro-industriel étasunien, et en particulier ses composantes de défense à base de missiles, et ses composantes dans l’espace, qui constitueront un contrepoids très important à la relative stabilité stratégique qu’ont connue les relations internationales à ce stade. À supposer que la Russie se mette à jouer les dupes avec les USA en acceptant de mener certaines négociations sur ce sujet, et que la Chine, comme on peut s’y attendre, ne se prête pas à ce jeu, Washington pourrait essayer d’exploiter cette divergence entre les deux grandes puissances rivales, selon les termes du Diviser pour mieux régner.

Mais cette tactique ne connaîtra sans doute pas plus de réussite que la proposition de Trump dans son ensemble (c’est à dire, qu’elles échoueront sans doute de pair) : le président Poutine vient tout juste d’annoncer fièrement les projets d’intégration super-continentaux entre la Russie et la Chine, en fusionnant l’Union économique eurasiatique et le projet des Nouvelles routes de la soie (BRI), lors du discours qu’il a prononcé au BRI 2019 de Pékin. En dépit des différences occasionnelles qui peuvent exister entre ces deux partenaires stratégiques et les déceptions qu’ont engendré leur niveau de coopération économique pour l’instant, aucun des deux pays ne tient à voir les USA diviser l’Eurasie et y régner à leurs dépends.

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

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