Par le Saker – Le 21 septembre 2018 – Source The Saker
Hier [le 19 septembre, NdT], j’ai essayé de publier un bref commentaire suggérant qu’avant de tirer des conclusions hâtives sur quoi que ce soit, nous devrions attendre que les faits soient révélés. Mais en vain. Le refrain des « Poutine est un paillasson ! », « Bombardez Israël ! » et autres inanités semblables continue, plus bruyant que jamais. Lisant ces absurdités insensées, j’ai voulu ajouter un slogan, du genre « Vous qui haïssez les juifs et vous qui haïssez Poutine, unissez-vous ! ». Mais j’ai réalisé que ce serait futile parce qu’ils se sont déjà unis…
Mon ami Andrei Martyanov a tenté d’apporter un peu de logique et de bon sens dans ce pandémonium que j’ai publié ici (bien que je ne fasse normalement pas de reprises). Eh bien, au risque d’être traité de « chien de garde » ou de « crypto-sioniste », j’ai décidé d’essayer une fois de plus de placer cette discussion sur le plan de la raison, des faits et de la logique.
Tout d’abord, permettez-moi de commencer par une question très simple et primitive :
Pourquoi diable personne n’a considéré que les Israéliens auraient pu vraiment se tromper ?
Je le pense sérieusement. À moins d’appartenir au genre de gens qui croient que les Israéliens sont exceptionnellement rusés, intelligents et presque infaillibles (il y a des gens comme ça parmi ceux qui aiment les Juifs et, c’est plus surprenant, parmi ceux qui les haïssent), c’est une question légitime, non ?
Que savons-nous vraiment à l’heure actuelle (le 20 septembre) ? Nous savons que les Israéliens n’ont pas averti les Russes suffisamment tôt, ce qui est une violation directe d’un accord entre Israël et la Russie. Savons-nous qu’ils l’ont fait délibérément ? Non. Pas du tout.
N’importe qui doté d’une expérience militaire vous dira que ce qui est connu aux États-Unis comme FUBAR [Fucked Up Beyond All Recognition, Détruit au delà de tout, NdT], SNAFU [Situation Normal All fucked Up, Tout ce passe comme prévu, tout est détruit, NdT] est quelque chose que tous les militaires font quotidiennement. En outre, les Israéliens ont connu très souvent de terribles ratés. Rien qu’un résumé de tous les ratés du célèbre (et très surévalué) Mossad prendrait des pages et des pages et comprendrait de nombreux incidents vraiment embarrassants (pour rire, regardez l’inepte tentative israélienne d’assassiner Khaled Meshal !). Alors pourquoi tout le monde part-il de l’idée que les Israéliens ont soigneusement planifié toute l’affaire ?
Ensuite, supposons que ce soit tout simplement un cas typique d’arrogance israélienne (qui n’est pas un mythe !) et qu’ils ont décidé d’informer les Russes aussi tard que possible. Cela signifie-t-il que la manœuvre des pilotes des F-16 israéliens pour se mettre à l’abri du missile S-200 était quelque chose qu’ils avaient planifié à l’avance ? Quelqu’un se donne-t-il la peine d’examiner le bilan réel (par opposition à Hollywood) de l’Armée de l’air israélienne au cours des guerres passées lorsqu’ils ont été effectivement défiés par une défense aérienne raisonnablement compétente ? Il y a une discussion détaillée (en russe) à ce sujet ici, qui peut être résumée de la manière suivante : dès que les Israéliens commencent à perdre des avions, leurs prouesses martiales disparaissent rapidement. Maintenant, rappelez-vous ceci : les Israéliens ont eu des pertes récentes, certaines admises, certaines niées, mais il ne fait aucun doute qu’ils sont tendus et très préoccupés. Conclusion : je m’attendrais à ce que les pilotes israéliens flippent et cherchent à se mettre à l’abri dès que leur système d’alerte leur dit qu’ils sont « peints » par un radar en mode poursuite (le S-200 a un système de guidage radar semi-actif). Si tel est le cas, et je ne dis pas que c’est la seule possibilité, la faute revient aux pilotes israéliens et non à leurs commandants ou à l’État israélien dans son ensemble. Oui, la responsabilité du commandement incombe à l’État, mais pas la culpabilité de s’être engagé dans une manœuvre d’évasion (d’ailleurs, connaissant le prix qu’accorde Israël aux vies des goyims, ce ne serait que très typique, n’est-ce pas…).
À ce stade, j’ai une autre question : que gagneraient les Israéliens à abattre le II-20 ? Ils ne vont certainement pas effrayer les Russes (l’armée russe ne s’effraie pas facilement) et le II-20 sera remplacé. Effrayer les Iraniens ou le Hezbollah ? Oublie – ça n’arrivera pas. Peut-être y avait-il une cible importante qu’ils ont détruite ? Oui, peut-être, mais jusqu’à présent nous n’en savons rien. Alors à quoi cela servirait-il ?
Ensuite la « question sœur ». Que risqueraient les Israéliens en abattant délibérément un avion russe de guerre électronique ? Bon, en théorie, ils risqueraient que leur avion soit abattu et que leurs bases aériennes soient frappées par des missiles russes. C’est très peu probable, je l’admets, et les Israéliens comprennent probablement très bien les Russes (nombre d’entre eux viennent de Russie). Mais pourraient-ils être sûrs que les commandants locaux n’ordonneraient pas des représailles immédiates ? (ce que leurs règles d’engagement actuelles leur permettent de faire !). Permettez-moi de rappeler à tout le monde que ce printemps, les États-Unis n’étaient pas si sûrs du tout et, selon les mots de l’ambassadeur russe que « non seulement les missiles mais leurs lanceurs seraient détruits », la Marine et l’Armée de l’air américaines ont décidé d’en tirer le moins possible et du plus loin possible. Quant au sous-marin britannique, son capitaine a décidé d’annuler entièrement la frappe de missiles prévue (ils étaient suivis par deux sous-marins russes). Il me semble que les risques potentiels de ce genre d’opération seraient assez élevés, alors que les bénéfices potentiels restent peu clairs.
Ceux qui insistent sur le fait que c’était un acte israélien délibéré doivent trouver une explication à peu près non seulement de la manière dont cela a été fait mais aussi de pourquoi cela a été fait.
Aujourd’hui, comme beaucoup d’autres, je méprise l’État israélien voyou, raciste et génocidaire de tout mon cœur. Mais cela ne m’empêche pas d’être capable d’imaginer un scénario dans lequel les Israéliens ont tout simplement merdé. Croyez-le ou non, mais mon dégoût pour l’idéologie sioniste n’implique pas du tout une croyance illimitée dans l’infaillibilité d’Israël.
Enfin, considérons ceci : aujourd’hui (20 septembre), une délégation des Forces de défense israéliennes (FDI) conduite par le commandant de la Force aérienne le major-général Amikam Norkin est à Moscou. Participent aussi à ce voyage le chef de la Division des relations étrangères, le général de brigade Erez Meisel et d’autres officiers des Divisions du renseignement, de l’armée de l’air et des opérations. Quelqu’un crois-il que tous ces officiers sont allés à Moscou uniquement pour faire un pied de nez aux Russes ? Ou peut-être qu’ils ont tous voyagé jusqu’à Moscou pour présenter des excuses totalement non crédibles qui ne feront que mettre les Russes encore plus en colère ?
Je suppose qu’ils ont des éléments à décharge (au moins en partie) à présenter.
Ceux qui haïssent Poutine et ceux qui haïssent les Juifs (unis, bien sûr !) déclareront immédiatement que les Israéliens se sont rendus à Moscou pour faire pression sur Poutine afin qu’il ne cède pas à l’indignation publique (très réelle) et n’appelle pas à des mesures de rétorsion. À cela, je répondrai simplement : soyez assurés qu’il y a une 5e colonne pro-sioniste très puissante en Russie qui met déjà le maximum de pression sur le Kremlin et il n’est pas nécessaire d’envoyer des responsables de haut niveau des FDI pour le faire (surtout pendant Yom Kippour !).
C’est probablement dû à mon style d’écriture brouillon, mais très souvent, lorsque je dis « A » certaines personnes entendent clairement « B » (ou même « non-A », donc avec cela à l’esprit, je vais être très, très clair et l’expliquer : je ne dis pas que les Israéliens n’ont pas délibérément abattu le II-20 et je ne dis pas que les Israéliens ne sont pas responsables des pertes humaines et matérielles qui en résultent.
Ce que je dis c’est que Poutine, contrairement aux hordes de stratèges autoproclamés en chambre, doit examiner toutes les options possibles avant de décider quoi faire ensuite. Parce que même si nous supposons que les Israéliens sont irresponsables, arrogants, mauvais et imprudents (ce qu’ils sont), ce n’est pas une raison pour que les Russes les imitent ou déclenchent une guerre.
Si les Russes concluent que les Israéliens l’ont fait délibérément, je soutiendrai une frappe sur les bases aériennes israéliennes. Si les Russes concluent qu’on ne peut pas faire confiance aux Israéliens pour respecter un accord (ce qui, je pense, est incontestable), je pense que les Russes devraient déclarer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de leurs forces (dans un rayon de 100 km environ). Je pense aussi qu’il est grand temps de garder une paire de MiG-31BM en patrouille aérienne de combat 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 au-dessus de la Syrie (ils peuvent presque remplacer un A-50U AWACS, beaucoup plus cher et vulnérable).
En ce moment (le 20 septembre 20:37 GMT), tout ce qu’ils ont annoncé est que « les deux parties ont souligné l’importance des intérêts des États et la poursuite de la mise en œuvre du système de désescalade ». Si c’est tout ce que les Russes décident, je le trouverai totalement inadéquat et je prédirai une nouvelle poussée de frustration contre non seulement le gouvernement mais contre Poutine lui-même. Mais pour l’instant, nous devons attendre et voir ce que l’enquête russe va révéler. Ce n’est qu’alors que nous pourrons féliciter Poutine ou l’injurier.
Il y a aussi cette possibilité : les Russes décideraient d’une zone d’exclusion aérienne et le diraient aux Israéliens, mais les deux parties décideraient de garder cela secret pour permettre à Israël de sauver la face (parce que si les Russes déclarent une zone d’exclusion aérienne, cela créera un refuge pour le Hezbollah et toutes les autres milices, ce qui serait un désastre politique pour Bibi Netanyahou). On ne le saura peut-être jamais.
Enfin, je voudrais ajouter une chose qui est rarement, sinon jamais, mentionnée.
Le S-200 est un système de défense aérienne assez ancien. Nous savons aussi qu’il n’a pas d’IFF [Interrogator Friend-Foe/de possibilité de savoir si c’est un ami ou un ennemi, NdT]. Les Russes ont toutefois répondu à plusieurs reprises que le réseau de défense aérienne russe et réseau syrien étaient intégrés. C’est ce qui explique le mieux, au moins en partie, le très grand nombre de missiles de croisière américains interceptés en avril. Le problème est que la façon dont le S-200 (et la plupart des systèmes de défense aérienne modernes) fonctionne est qu’il est totalement intégré à un réseau de défense aérienne plus vaste administré par des systèmes de gestion automatisés et géré par un échelon de commandement supérieur. Cela signifie que l’équipe de la défense aérienne syrienne n’a pas simplement détecté les missiles qui arrivaient et tiré sur l’un des leurs. À tout le moins, cette décision a été prise par un échelon supérieur. Maintenant nous savons que le temps imparti était extrêmement court et que, par conséquent, le personnel russe de défense aérienne n’a peut-être pas eu le temps de prendre des mesures de protection, surtout s’il s’agissait d’un gros avion de guerre électronique lent et vulnérable (le fait que cet avion ait volé sans escorte est assurément une erreur russe !). Pourtant, nous savons aujourd’hui que les Russes ont de nombreuses capacités d’alerte précoce que les Syriens n’ont pas (AWACS, radars spatiaux, radars embarqués, radars au-dessus de l’horizon, etc.) et qu’il y a de fortes chances que quelqu’un ait pu faire quelque chose pour empêcher ce qui est arrivé. Certes, puisque les Israéliens et les Russes avaient un accord, les Russes classaient par conséquent les Israéliens comme une « non-menace », mais il ne faut pas être un génie pour comprendre que quatre F-16 israéliens volant vers le gouvernorat de Lattaquié n’ont aucune raison d’être là et que cela mérite une alerte immédiate.
C’est peut-être la raison pour laquelle Poutine a parlé de « circonstances tragiques » : il pourrait y avoir plus de responsabilité partagée que de tout faire peser sur les seuls Israéliens. D’ailleurs, même si c’est vrai, rien de tout cela ne disculperait en aucune manière les Israéliens pour la simple raison que s’ils avaient averti les Russes à temps toute cette tragédie aurait pu être évitée même si les principaux coupables étaient des pilotes israéliens lâches, des équipages de défense aérienne syriens peu compétents ou des Russes trop confiants. En « avertissant » les Russes une minute seulement avant l’attaque les Israéliens ont créé un environnement dans lequel une telle tragédie devait tout simplement se produire. C’est pourquoi je pense que quoi que l’enquête russe révèle, toute réponse n’incluant pas une zone d’exclusion aérienne au-dessus des forces russes serait inadéquate : la responsabilité fondamentale des Israéliens est déjà établie. Mais ce qui manque encore, ce sont les détails (importants).
Une dernière chose pour conclure : la dernière fois que les Russes ont conclu un accord avec les Israéliens, il a fonctionné remarquablement bien, ne l’oublions pas. Les forces syriennes ont repris le contrôle sur leur frontière sud sans que les Israéliens fassent quoi que ce soit d’important pour les arrêter. Souvenons-nous aussi qu’au début de cette guerre, le chœur habituel de ceux qui haïssent Poutine clamait déjà que « Poutine a désarmé et trahi la Syrie ! » lorsque les Russes ont retiré les armes chimiques (inutiles) de Syrie (stoppant ainsi une attaque américaine imminente). Lorsque les Russes ont ensuite agi seuls pour sauver la Syrie des « bons » et des « mauvais » terroristes, ceux qui criaient à la trahison sont restés silencieux et n’ont jamais admis qu’ils avaient eu tort.
La vérité est que peu importe ce que fait Poutine, nous pouvons nous attendre à ce que le chœur de ceux qui haïssent Poutine clame à pleins poumons « Poutine a trahi X » (remplacez X par qui vous voulez). Oui, ils sont stupides et fastidieux et personne ne les arrêtera (je soupçonne aussi qu’une bonne partie de ces absurdités sont produites par des machines, du moins à en juger par le genre de conneries que les modérateurs interceptent constamment sur mon blog). Mais pour le reste d’entre nous, nous devons rester critiques à la fois à l’égard de Poutine et de la politique russe, mais nous devons le faire en traitant avec logique des faits bien établis et ne pas nous contenter d’attendre n’importe quel prétexte pour reprendre le leitmotiv habituel.
The Saker
Cet article a été écrit pour Unz Review
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone