Poutine fait monter les enchères…


… le sabotage du cessez-le-feu par le Pentagone déclenche une offensive majeure sur Alep

«La Syrie concentre toutes les erreurs d'un empire dysfonctionnel en effondrement sur lui-même. L'Histoire est oubliée. La Science est ignorée. Les faits sont niés. La propagande n'arrive pas à cacher que les Occidentaux soutiennent et tuent les islamistes, en même temps, dans une guerre mondiale qui risque de dégénérer en holocauste nucléaire.» Vietnam Vet, commentaires en ligne, Sic Semper Tyrannis

2016-09-24_11h42_10Par Mike Withney – Le 27 septembre 2016 – Source CounterPunch

L’attaque sur Deir Ezzor était un acte flagrant de trahison. Pour la première fois en cinq ans de guerre, des avions américains ont ciblé un avant-poste militaire de l’Armée syrienne, tuant 62 soldats réguliers syriens.

Les attaques surprises – qui ont duré au moins une heure et ont été suivies par un assaut terrestre coordonné avec les membres de ISIS – étaient destinées à torpiller le fragile accord de cessez-le-feu et envoyer le message à Moscou que les États-Unis étaient déterminés à atteindre leurs objectifs stratégiques en Syrie, même si pour cela ils devaient lancer des attaques directes sur les défenseurs du régime.

Les attaques, dont le Pentagone a finalement accepté la responsabilité, ont été suivies par une tirade insensible et soigneusement non professionnelle de la diplomate en chef de l’administration Obama à l’Organisation des Nations unies, Samantha Power. Celle-ci a dissipé tout doute possible sur le fait que personne, ni elle ni quelqu’un d’autre dans l’administration Obama, ne se souciait des hommes qui ont perdu la vie dans le bombardement. Elle a également précisé qu’elle ne se souciait pas de savoir si les États-Unis avaient violé les termes du cessez-le-feu deux jours seulement avant que les parties critiques de l’accord doivent être mises en œuvre.

Naturellement, Moscou a été surpris par la réaction de Washington. C’est un mépris flagrant pour les soldats qui sont morts, et cela démontre une volonté évidente de saboter le cessez-le- feu. Après avoir réfléchi sur le rejet, de facto, de l’accord par Obama, Poutine a poursuivi la seule option viable qui lui restait ouverte : intensifier la guerre. En conséquence, il a accru ses efforts sur le champ de bataille, en particulier autour d’Alep où l’Armée arabe syrienne (SAA) et les unités d’élite du Hezbollah ont lancé une attaque sur trois axes qui débarrassera la ville des djihadistes – soutenus par les États-Unis – qui ont déjà détruit une grande partie de la Syrie depuis cinq ans et déplacé plus de 7 millions de civils.

Résultat : ayant abandonné l’option politique pour réduire la violence, l’administration Obama va maintenant faire face aux conséquences de son rejet.

Voici un excellent résumé des développements sur le sol, autour d’Alep, de la part d’un vétéran, décoré et officier supérieur en retraite du Renseignement militaire et des Forces armée spéciales américaines – les bérets verts –, le colonel W. Patrick Lang. L’article a été publié le 24 septembre :

À partir d’aujourd’hui, les forces ont été massées dans le but d’éliminer la poche de rebelles à l’est d’Alep. Cette poche n’a pas été approvisionnée pendant une période prolongée. C’est vrai aussi bien pour les rebelles djihadistes que pour la population civile, dont beaucoup sont partisans des rebelles.

À mon avis, le principal effort des R + 6 [Syriens et alliés, NdT] se déroule sur le côté sud-est de la poche est d’Alep. C’est en cours avec un appui aérien massif des forces aériennes russes. Dans le même temps les alliés des milices palestiniennes, également avec l’appui aérien au sol, ont attaqué le camp fortifié de réfugiés de Handarat à l’angle nord-est de la poche. Selon moi, c’est là une attaque secondaire destinée à empêcher les rebelles de faire mouvement vers le sud pour s’opposer à l’effort principal des R + 6.

C’est un excellent plan.

Dans le même temps il y a un rapport non confirmé de SOHR à Londres – pro-rebelle – annonçant qu’une force russe de 3  000 hommes a été placée à al-Safir à environ 12 km au sud-est des attaques principales sur la poche d’Alep. Si ce rapport est correct, cette force est bien placée pour renforcer l’attaque principale ou être utilisée dans un mouvement défensif contre un effort rebelle ailleurs. Cela serait dans la tradition opérationnelle russe d’envoyer une «vague» d’échelon de forces à la rescousse des forces d’assaut initiales quand elles sont épuisées par le combat […]

L’establishment qui fait la politique étrangère des Occidentaux veut croire que la guerre est obsolète en tant que  facteur dans l’histoire de l’humanité […]  Ils croient qu’ils ont hérité de la terre et que leur intelligence prévaudra toujours sur la seule force brute.

Nous allons maintenant avoir une démonstration que ce n’est pas vrai. – pl

Source : «Flash ! Le Washington Post découvre que la guerre en Syrie peut être gagnée», Sic Semper Tyrannis

Le rejet de facto de la trêve par Obama a créé les conditions d’une défaite militaire décisive à Alep. Le sort des terroristes modérés, formés par la CIA, terrés à l’est d’Alep n’est pas si différent de celui du général George Armstrong Custer à Little Big Horn. Il était encerclé par une force militaire supérieure et son détachement a été sommairement liquidé jusqu’au dernier homme. C’est cette option que le chef de guerre du Pentagone, Ash Carter, a choisie quand il a décidé de «faire le dur» en sabotant l’accord militaire conjoint de mise en œuvre du cessez-le-feu. Carter était opposé à cet accord et, ce faisant, il a signé l’arrêt de mort pour des centaines d’extrémistes soutenus par les États-Unis dont les chances de survie diminuent de jour en jour.

Selon des rapports récents, les forces pro-gouvernementales avancent sur un certain nombre de fronts. Dans le même temps, les forces aériennes syriennes et russes ont intensifié leur campagne de bombardements, réduisant de larges pans de la ville en tas de ruines et tuant plusieurs centaines de militants sunnites. Alors que les djihadistes ont fait mieux que beaucoup n’avaient prévu, leur sort ne fait plus aucun doute. Le chaudron est encerclé, leurs lignes de front s’écroulent, leurs lignes d’approvisionnement ont été coupées, et la fin est en vue.

Alep va tomber et l’effort soutenu par les États-Unis pour renverser le gouvernement Assad en utilisant par procuration une armée d’extrémistes islamiques échouera.

Quelques petites choses doivent être dites, à propos du cessez-le-feu, afin de remettre les pendules à l’heure.

Tout d’abord, il n’y a jamais eu la moindre chance que les États-Unis se conforment aux termes de l’accord. Ils n’ont aucun moyen de séparer les modérés des extrémistes, ce qui était l’une des principales exigences de l’accord. Cela n’a jamais été possible. Mais, plus important encore, le Pentagone – qui est opposé à l’accord depuis l’origine – n’avait pas l’intention de se conformer à ses exigences.

Pourquoi ?

Eh bien, pour une chose, que le président syrien Bachar al Assad a dite lui-même :

«… Les États-Unis n’ont pas la volonté de travailler contre al-Nusra ou ISIS, parce qu’ils croient que c’est une carte qu’ils peuvent utiliser pour leur propre agenda. S’ils attaquent al-Nusra ou ISIS, ils vont perdre un atout très important en ce qui concerne la situation en Syrie. Donc, je ne crois pas que les États-Unis soient prêts à se joindre à la Russie dans la lutte contre les terroristes en Syrie.»

Bingo. Assad ne suggère pas que al-Nusra ou ISIS sont contrôlés par Langley [siège de la CIA, NdT]. Il dit plutôt simplement que dans la mesure où les objectifs de ces groupes coïncident avec les objectifs stratégiques des États-Unis – ce qui est le cas en Syrie – Washington continuera à soutenir leurs activités. En d’autres termes, Obama préférerait voir une principauté salafiste émerger en Syrie plutôt que permettre à un gouvernement laïc indépendant de rester en place. Tous ceux qui ont suivi de près les événements en Syrie pendant les cinq dernières années savent que cela est vrai.

L’autre raison pour laquelle le Pentagone était opposé à l’accord est qu’il ne voulait pas se conformer au plan de coordination entre militaires. Les médias occidentaux ont été particulièrement opaques sur cette question. Par exemple, selon le New York Times, l’accord serait «une extraordinaire collaboration entre les États-Unis et la Russie, qui demande à l’armée américaine de partager des informations avec Moscou sur les objectifs de État islamique en Syrie».

Certainement, mais pourquoi est-ce un problème ? Ne serait-ce pas le moyen le plus efficace pour vaincre ISIL et al-Qaida ? Bien sûr que oui. Alors, quel est le hic ? En voici plus du New York Times  :

«La préoccupation essentielle du Pentagone est que le partage des informations de ciblage des frappes avec la Russie pourrait révéler comment les États-Unis utilisent le renseignement pour mener des frappes aériennes, non seulement en Syrie, mais dans d’autres endroits, renseignements que Moscou pourrait alors utiliser pour son propre avantage dans les confrontations croissantes, sous-marines ou aériennes, autour de la Baltique et de l’Europe.»

Ce sont des balivernes absolues. Le fait est que le Pentagone ne veut pas avoir à demander l’approbation de l’armée russe pour sa liste de cibles – identification et vérification. Voilà ce qui se passe réellement. Et la raison en est évidente, les objectifs stratégiques des États-Unis sont à l’opposé exact de ceux de Moscou. Washington n’a aucun intérêt à vaincre le terrorisme en Syrie, en fait, comme nous l’avons souligné plus tôt, Washington est très bien avec le terrorisme aussi longtemps qu’il l’aide à approcher le ballon plus près des poteaux. Les États-Unis veulent renverser le régime, remplacer Assad par un larbin des États-Unis, fragmenter le pays et contrôler les corridors de pipelines vitaux. Ces objectifs ne peuvent être atteints si le Pentagone doit obtenir un feu vert de Moscou chaque fois qu’il va faire un raid de bombardement. Comment va-il aider ses atouts djihadistes sur le terrain s’il doit suivre cette règle ?

Il ne pourra pas, voilà pourquoi il n’est pas surprenant que le Secrétaire à la Défense, Ash Carter, ait mis le holà à l’affaire en bombardant les positions de l’Armée syrienne à Deir Ezzor. Le massacre a effectivement mis fin de manière efficace à tous les discours sur la coordination avec les Russes. Mission accomplie.

Mais même cela n’explique pas complètement pourquoi le Pentagone a lancé cette attaque sans précédent qui a tué 62 soldats syriens et a mis les deux superpuissances sur la trajectoire d’une confrontation directe. Pour comprendre ce qui se passe réellement derrière les récriminations sans fin, nous devons comprendre que l’administration Obama a abandonné son plan original pour évincer le président syrien Bachar al-Assad, et est passé au plan B : diviser le pays d’une manière qui établit un État sunnite séparé où les troupes américaines seront basées et où les pipelines vitaux seront construits pour transférer le gaz naturel du Qatar à l’UE.

Ce plan ambitieux est plus qu’un redécoupage du Moyen-Orient ou un pivot vers l’Asie. C’est une bouée de sauvetage critique pour un pays, les États-Unis, dont les perspectives économiques se dégradent progressivement, dont le crédit a atteint les limites, et qui compte sur un miracle en Syrie pour se sauver de l’effondrement économique cataclysmique et de la ruine. Washington doit réussir en Syrie parce que, eh bien, parce qu’il le faut, parce que l’eau passe par dessus le bastingage et a presque rempli la coque de noix. Une défaite au Moyen-Orient pourrait être la goutte qui fait déborder le vase, le point final de l’agonie prolongée du nouveau monde unipolaire, qui le fera basculer. En d’autres termes, c’est la Syrie ou la faillite. Voici un petit arrière-plan qui vous aidera à clarifier ce qui se passe :

«Washington a déjà clairement fait savoir que s’il ne peut réaliser son plan A, le changement de régime, il ira vers son plan B : balkaniser le pays et aider à créer un État kurde et / ou sunnite dans l’est de la Syrie […]

Attaquer l’armée syrienne, en permettant à ISIS de capturer la ville fera de Deir Ezzor une cible probable qui sera attaquée et annexée par les terroristes soutenus par les USA.»

Source : «Syrian Ceasefire failed, what now ?», The Saker

Donc, Washington veut contrôler l’est du quadrant de la Syrie – où Deir Ezzor est situé – pour ses bases militaires, ses routes de pipeline, et disposer d’une patrie sunnite qui sera plus ou moins le prétexte à une occupation militaire continue.

En voici plus dans un article de Christina Lin :

«Dans le journal des Forces armées, Journal4, le major Rob Taylor a rejoint de nombreux autres experts en observant que la guerre civile syrienne est en fait une guerre de pipeline pour le contrôle de l’approvisionnement en énergie ; l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie ont besoin d’éliminer Assad pour pouvoir contrôler la Syrie et gérer leur propre pipeline à travers la Turquie […]

[…] Si l’Armée de la conquête [rebelles islamistes] soutenue par l’Arabie, le Qatar, et la Turquie peut contrôler juste assez de terre en Syrie pour un mini-État salafiste – le Sunnistan – pour construire le pipeline Qatar-Turquie, alors ces États sunnites pourront enfin réaliser leur rêve de pipeline. En effet, en 2012, un rapport US de la Defense Intelligence Agency confirme leur désir de se tailler un mini-État salafiste dans l’Est de la Syrie afin de faire pression sur le régime d’Assad.»

Source : «Chinese stratagems and Syrian buffer zone for Turkey-Qatar pipeline», Christina Lin, Times of Israel

L’idée de l’éclatement de la Syrie en de nombreux fragments – et le contrôle de la partie orientale de l’État – a été promue par les élites occidentales grâce au néo-conservateur John Bolton qui a dit :

«La réalité d’aujourd’hui veut que l’Irak et la Syrie comme nous les avons connus n’existent plus […] Washington devrait reconnaître la nouvelle géopolitique. La meilleure alternative à État islamique dans le nord-ouest de l’Irak et en Syrie est un nouvel État sunnite indépendant.

Ce Sunnistan a un potentiel économique en tant que producteur de pétrole… et pourrait être un rempart la fois contre M. Assad et l’Iran, allié de Bagdad.»

Source : To Defeat ISIS, Create a Sunni State, New York Times

Les interventionnistes libéraux du Brookings Institute font pression pour le même remède de balkanisation. Voici un extrait d’un article du Brookings :

«… La seule voie réaliste pour l’avenir pourrait être un plan qui effectivement déconstruit la Syrie […] la communauté internationale devrait travailler pour créer, au fil du temps, des poches de sécurité et une gouvernance plus viable en Syrie […] La création de ces sanctuaires produirait des zones autonomes qui n’auraient plus jamais à faire face à la perspective d’être régies soit par Assad soit par ISIS […].»

Source : Deconstructing Syria : A new strategy for America’s most hopeless war, Michael E. O’Hanlon, Brookings Institute

Donc, là vous y êtes. Diviser et conquérir. Scinder le pays, installer de nouveaux dirigeants, et commencer le pillage. Ça vous semble familier ?

Mais les Russes ne veulent rien entendre, en fait, Poutine a réagi à l’escalade de Carter par sa propre escalade. Le cercle autour d’Alep est fermé, les lignes d’alimentation ont été coupées, les frappes aériennes se sont intensifiées, et l’assaut au sol sur trois axes a déjà commencé. Ainsi, alors que Washington peut bien avoir de grands projets pour la Syrie, ils semblent échouer là où ça compte le plus… Sur le champ de bataille.

Mike Whitney

Traduit et édité par jj, relu par Cat, pour le Saker Francophone

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