Pourquoi provoquer Pékin ?


Par Moon of Alabama – Le 28 juillet 2022

Yves Smith est consterné par le fait que les États-Unis soit en train de provoquer la Chine :

Les néoconservateurs semblent surtout incapables de comprendre que les jours de l’hégémonie américaine sont terminés. Il est ahurissant de constater qu’ils ne se contentent pas de faire de la simple provocation, mais qu’ils endommagent considérablement leurs relations avec la Chine par le biais de la visite toujours prévue de Pelosi à Taïwan, en août. Comme nous l’expliquerons, la Chine est parfaitement consciente du fait que Pelosi est le numéro deux, après Harris, si quelque chose devait arriver à Biden, de plus en plus distrait. Et ils ne croient pas une seconde que Pelosi opère sans l’approbation explicite de l’administration.

 

Notez qu’il est tout à fait possible que Pelosi ait relancé son projet de voyage à Taïwan (rappelez-vous qu’elle l’avait remis à plus tard après avoir contracté le Covid) de son propre chef. Le Pentagone lui aurait juste permis de sauver la face en disant qu’il ne le recommandait pas.

La Chine, qui a l’habitude de récriminer lorsqu’elle est contrariée par ce qu’elle perçoit comme des transgressions étrangères, a réussi à trouver de nouveaux registres pour ses objections à la visite proposée par Pelosi.

Pelosi n’est pas seulement la numéro « deux » du gouvernement étasunien, mais elle est hostile au gouvernement chinois depuis plus de 30 ans. En 1991, elle et deux autres membres du Congrès ont fait un coup d’éclat sur la place Tiananmen où, deux ans auparavant, des manifestations avaient eu lieu.

La manifestation qui avait duré plusieurs jours sur la place s’était terminée pacifiquement. Mais à en dehors de la place, des émeutes sanglantes ont eu lieu pendant plusieurs jours et nuits, au cours desquelles des centaines de soldats et d’émeutiers ont été tués.

La manifestation et les émeutes étaient une tentative de révolution de couleur à l’instigation des États-Unis. Le père du concept de révolution de couleur, Gene Sharp, était personnellement présent à Pékin et conseillait les leaders de la manifestation. Après l’échec de la tentative, la CIA a organisé la fuite de centaines de leaders et de participants à la manifestation vers Hong Kong, où ils ont constitué la base de la tentative de révolution de couleur de 2020. Un grand nombre de ces « activistes » ont maintenant déménagé à Taïwan.

En 1991, Pelosi et deux membres du Congrès ont déployé une bannière sur Tiananmen devant les médias internationaux, où était écrit : « À ceux qui sont morts pour la démocratie en Chine. » La police est immédiatement intervenue et a mis fin au coup d’éclat.

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Le coup d’éclat a eu un écho positif dans les médias américains (remarque : le titre de la vidéo indique que nous sommes en 1989, mais le présentateur dit que c’est deux ans plus tard).

Mme Pelosi pense peut-être qu’elle peut recréer un autre écho médiatique positif en se rendant à Taïwan.

Mais la Chine de 2022 n’est plus la Chine de 1991. Elle est désormais la plus grande économie du monde et sa force militaire rivalise avec celle des États-Unis. Elle ne tolère plus les provocations et les alibis de style « droits de l’homme ». Elle sait reconnaître une provocation américaine quand elle en voit une.

Dans les années 50 et 60, les États-Unis ont financé le terrorisme au Tibet. En 1989, ils ont encadré et financé une tentative de révolution de couleur sanglante à Pékin. Dans les années 1990, ils ont amené le terrorisme islamiste au Xinjiang. Au cours de ce siècle, les États-Unis ont été à l’origine de plusieurs périodes d’émeutes à Hong Kong.

Mais notez une tendance. Le Tibet est désormais une province paisible de la Chine, Pékin se porte bien et le peuple chinois est satisfait de son gouvernement. Le Xinjiang est maintenant la région touristique la plus visitée du monde et Hong Kong est sous le contrôle total de la Chine.

Les États-Unis tentent de pousser Taïwan à déclarer son indépendance et d’entraîner la Chine dans une réaction militaire. Ils devraient prendre note du fait que leurs autres tentatives pour provoquer la Chine ne se sont pas bien terminées pour eux.

Selon Yves, la Chine est prête à réagir si le coup d’éclat prévu par Pelosi a lieu :

Si l’on se fie au niveau de colère des Chinois, le fait que des avions de chasse chinois empêchent Pelosi d’atterrir à Taïwan est la réponse la plus modérée possible. Si cela devait se produire et que l’avion était escorté pour atterrir en Chine continentale, je pourrais voir les Chinois remuer le couteau dans la plaie en ne laissant descendre personne de l’avion.

 

La Chine réfléchit à la manière d’utiliser la visite de Pelosi pour établir des précédents bien plus importants. Dans le clip du Global Times ci-dessus, Hu a évoqué la possibilité de déclarer une zone d’exclusion aérienne ou de faire voler des jets de l’armée chinoise autour de l’avion de Pelosi dans l’espace aérien de Taïwan. Comme l’a noté le Global Times : « Cela créerait un grand précédent pour que l’armée chinoise patrouille au-dessus de l’île, ce qui serait bien plus significatif que la visite de Pelosi. »

 

Comme pour la provocation contre la Russie, les États-Unis sont peut-être sur le point d’obtenir ce qu’ils cherchaient avec Taïwan et de découvrir que les résultats ne sont pas à leur avantage. Et en tant qu’Américain, il est déprimant de voir tant d’incompétence et d’arrogance affichées.

Mais il y a encore plus d’incompétence et d’arrogance dans le panier. Pelosi a maintenant demandé à d’autres législateurs de se joindre à elle pour ce voyage :

La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi (D-CA), a invité d’autres membres du Congrès à se joindre à elle lors d’une visite à Taïwan le mois prochain, signalant qu’elle a toujours l’intention de faire ce voyage malgré le fait que l’armée américaine pense qu’elle risque de provoquer la Chine.

 

Le représentant Michael McFaul (R-TX), principal républicain de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, a déclaré mercredi que Mme Pelosi l’avait invité, ainsi que le représentant Gregory Meeks (D-NY), qui préside cette commission.

 

McFaul a déclaré qu’il ne pouvait pas se rendre à Taïwan en raison d’un engagement antérieur, mais a exprimé son soutien au voyage. « Tout membre qui veut y aller devrait le faire. Cela opposerait une dissuasion politique au président Xi« , a-t-il déclaré. « Mais elle devrait aussi faire attention aux militaires si cela risque de provoquer un retour de flamme et une escalade des événements« .

Le Pentagone avait averti que ce voyage pourrait être synonyme de graves problèmes, mais il augmente désormais ce potentiel de problèmes en déployant davantage de forces dans la région :

Des responsables ont déclaré à l’Associated Press que si Pelosi se rendait à Taïwan – ce qui reste une incertitude – l’armée augmenterait ses mouvements de forces et de moyens dans la région indo-pacifique. Ils ont refusé de donner des détails, mais ont déclaré que des avions de chasse, des navires, des moyens de surveillance et d’autres systèmes militaires seraient probablement utilisés pour fournir des anneaux de protection qui se chevaucheraient pendant le vol de Mme Pelosi vers Taïwan et pendant tout le temps passé sur place.

C’est en effet la chose la plus stupide que le Pentagone puisse faire. Plus de forces dans la région, c’est plus de risques de dérapage. Si une seule chose tourne mal, tout pourrait dégénérer en une guerre sanglante :

Le plus grand risque pendant le voyage de Mme Pelosi est une démonstration de force chinoise « qui tourne mal, ou un type d’accident qui résulte d’une démonstration d’action provocatrice« , a déclaré Mark Cozad, directeur associé intérimaire du Centre de politique de sécurité internationale et de défense de la Rand Corp. « Il pourrait donc s’agir d’une collision aérienne. Il pourrait s’agir d’une sorte de test de missile et, encore une fois, lorsque vous faites ce genre de choses, vous savez, il y a toujours la possibilité que quelque chose tourne mal. »

« Il est très possible que … nos tentatives de dissuasion envoient en fait un signal bien différent de celui que nous avons l’intention d’envoyer« , a déclaré Cozad. « Et on entre alors dans une sorte de spirale d’escalade, où nos tentatives de dissuasion sont en fait perçues comme de plus en plus provocantes et vice versa. Et cela peut être une dynamique très dangereuse« .

Hier, le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères a clairement indiqué que la Chine ne reculerait pas :

AFP : Un responsable américain a déclaré que si Pelosi se rendait à Taïwan, l’armée augmenterait ses mouvements de forces dans la région Asie-Pacifique, notamment les avions de chasse. Quel est votre commentaire ?

Zhao Lijian : Peut-être avez-vous loupé nos briefings de ces derniers jours. Nous avons clairement indiqué à plusieurs reprises notre ferme opposition à la visite potentielle du président Pelosi à Taïwan. Si la partie américaine insiste pour effectuer cette visite et défie la ligne rouge de la Chine, elle sera confrontée à des contre-mesures résolues. Les États-Unis devront assumer toutes les conséquences qui en découleront.

Le président Joe Biden s’est abstenu d’empêcher les plans de voyage de Pelosi. Aujourd’hui, il est censé appeler le président Xi. Les Chinois n’ont pas confirmé cet appel, qui pourrait donc ne pas avoir lieu. Joe Biden va-t-il demander que Mme Pelosi soit autorisée à se rendre à Taïwan ? S’il le fait, il recevra certainement une réponse assez dure.

Taïwan fait partie de la Chine. C’est d’ailleurs aussi la position officielle du gouvernement de Taipei. Mais vu de Pékin, ce gouvernement n’est que celui d’une province chinoise et n’est pas autorisé à avoir une politique étrangère indépendante. Toute tentative de changer cela se heurtera à une forte résistance de Pékin, si nécessaire par la force.

Le gouvernement américain assiste actuellement au démantèlement systématique de sa force proxy en Ukraine, par la Russie, qui est destinée à gagner cette guerre. Il n’y a rien que les États-Unis puissent faire à ce sujet. Tout conflit autour de Taïwan aurait une issue similaire.

Washington peut penser que ce serait une excellente occasion d’isoler la Chine.

Mais isoler de qui ? Ce sont les États-Unis et leurs alliés qui en souffriraient le plus, tandis que le reste du monde, beaucoup plus important, continuerait simplement à travailler avec la Chine, comme il le fait actuellement avec la Russie.

Mais avec l’incompétence et l’arrogance qui règnent à Washington (et à Bruxelles), on ne peut exclure que ce soit exactement leur plan.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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