Par Moon of Alabama – Le 14 avril 2019
L’accord nucléaire iranien, dit Plan d’action global conjoint (JCPOA), limite les activités nucléaires de l’Iran pendant 15 ans. Passé ce délai, l’Iran serait toujours lié par le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et son Protocole additionnel. Mais l’Iran serait libre de produire de l’uranium enrichi pour ses réacteurs nucléaires.
En octobre 2017, les États-Unis ont quitté le traité et réintroduit des sanctions économiques contre l’Iran. Mais les signataires européens, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, ont déclaré qu’ils respecteraient l’accord. Gérard Araud, ambassadeur de France aux États-Unis, tweetait à cette époque :
Gérard Araud @GerardAraud - 19:25 utc - 8 sept 2017 La France ne soutient aucune renégociation du traité JCPOA, qui devrait être mis en œuvre tel quel.
La France et l’Allemagne ont créé une structure complexe pour permettre certaines transactions commerciales avec l’Iran tout en échappant aux menaces de sanctions américaines secondaires. Le Guide suprême iranien Khamenei a qualifié cette structure de “blague” car elle ne permettra guère un commerce sérieux.
La semaine dernière, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France ont également intensifié leurs pressions sur l’Iran au sujet de ses programmes de missiles balistiques. L’Iran rejette sévèrement (vidéo, recommandé) toute critique de ce genre. Elle a depuis longtemps volontairement limité la portée de ses missiles à 2 000 kilomètres. N’ayant pas d’armée de l’air moderne, les missiles sont le seul moyen de menacer les biens de ses ennemis au Moyen-Orient. Il ne les abandonnera jamais.
De son côté, l’Iran respecte le JCPOA. Il limite ses activités nucléaires tout en permettant à l’AIEA d’inspecter le pays. Alors que les sanctions américaines s’accumulent et que les Européens refusent de soutenir des échanges commerciaux réguliers et continuent leur pression sur le sujet des missiles balistiques iraniens, il devient de plus en plus difficile pour les politiciens iraniens de justifier l’accord. Si, de leur côté, les États-Unis et l’UE ne respectent pas l’accord, pourquoi l’Iran devrait-il le faire ?
Les Européens continuent de traîner les pieds. La semaine dernière, la poste britannique a déclaré qu’elle n’accepterait plus de colis à destination de l’Iran. Aucune raison valable n’a été donnée. Hier, Gérard Araud, qui défendait l’accord nucléaire en 2017, a voulu le remettre en cause :
Gérard Araud @GerardAraud - 19:10 utc - 13 avr 2019 Il est faux de dire qu'à l'expiration du JCPOA, l'Iran sera autorisé à enrichir de l'uranium. En vertu du TNP et de son protocole additionnel, elle devra prouver, sous un contrôle strict, que ses activités nucléaires sont civiles. Gérard Araud @GerardAraud - 19:17 utc - 13 avr 2019 Comme nous le disions en 2002, l'enrichissement de l'uranium sans programme civil crédible est illégal en vertu du TNP, nous dirons la même chose en 2025 si nécessaire. Des sanctions ont été imposées. Des sanctions pourraient être réimposées. Il n'y aura pas de "trêve" après le JCPOA. Gérard Araud @GerardAraud - 19:20 utc - 13 avr 2019 La Russie fournit de l'uranium enrichi à la centrale nucléaire de Busheer. Il n'y aura donc aucune raison concevable pour l'Iran d'enrichir massivement de l'uranium après la fin du JCPOA.
L’Allemagne devrait cesser de construire le gazoduc Nord Stream II parce qu’il est supposé dangereux de dépendre des importations de gaz en provenance de Russie. Mais l’Iran devrait faire confiance à la Russie pour fournir de l’uranium à ses centrales nucléaires ? Pourquoi l’Allemagne est-elle autorisée à enrichir de l’uranium pour ses centrales nucléaires ? La Russie pourrait certainement lui en fournir aussi.
Après la fin du moratoire de 15 ans imposé par le JCPOA, l’Iran est bien sûr libre de produire son propre uranium pour ses propres centrales nucléaires. Rien dans les lois internationales n’exige que l’Iran continue de l’acheter à la Russie. La déclaration d’Araud n’a aucun sens.
Ce matin, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères a répondu à Araud :
Seyed Abbas Araghchi @araghchi - 9:02 utc - 14 avr 2019 Si les tweets de @GerardAraud représentent la position française, nous sommes confrontés à une violation majeure de l'objet et du but du JCPOA et de la résolution 2231 des Nations Unis. Besoin d'une clarification immédiate par Paris, ou nous agirons en conséquence.
Il semble que l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France aient tendance à rendre de plus en plus difficile pour l’Iran le respect de l’accord JCPOA. Ils font le jeu des néocons américains qui veulent que l’Iran se retire de l’accord pour ensuite prétendre avoir des raisons de l’attaquer [pour le compte d’Israël, NdT].
Comme dans le cas de la guerre contre la Syrie, ce sont les Européens qui souffriraient d’un conflit entre les États-Unis et l’Iran. Pourquoi jouent-ils ce jeu ?
Mise à jour.
Il semble que Gérard Araud ait reçu un appel urgent du Quai d’Orsay ou du Palais de l’Elysée et qu’on lui ait demandé de supprimer ses tweets :
Mohammad Ali Shabani @mashabani - 15:46 utc - 14 avr 2019 L'ambassadeur de France aux États-Unis (récemment à la retraite) a supprimé les tweets reniant les fondations de la JCPOA et impliquant la réimposition de sanctions si l'Iran poursuit l'enrichissement (comme autorisé par la JCPOA) après 2025.
Espérons une nouvelle approche française face à l’Iran. L’actuel est un navire en train de couler.
Je ne savais pas qu’Araud avait pris sa retraite. Sa fête d’adieu était le 3 avril. Sa biographie sur Twitter le désigne cependant toujours comme ambassadeur actuel.
Alors pourquoi tweeterait-il ça ? Le contenu était-il correct mais publié prématurément ? Ou est-ce que ces tweets étaient fait pour favoriser sa candidature à un poste bien payé dans tel ou tel groupe de réflexion va-t-en-guerre ?
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.