… Trump veut faire de l’argent en louant des soldats américains mercenaires
Par Philip Giraldi − Le 23 janvier 2020 − Source Strategic Culture
Dire que des choses étranges sont sorties récemment de la Maison Blanche serait un euphémisme. Si le président Donald Trump en savait un peu plus sur l’histoire, il comprendrait que les pays qui louent leurs armées nationales pour servir de mercenaires finissent généralement par tenir le mauvais bout du bâton.
Il y a l’exemple de Pyrrhus d’Épire au IIIe siècle av. J.-C., pour lequel l’expression “victoire à la Pyrrhus” a été inventée, et, plus récemment, il y a eu l’emploi par les britanniques de 30 000 soldats allemands, hessois et autres lors de la révolution américaine. Les régiments de Hesse ont été loués par leur prince au roi d’Angleterre pour payer les dépenses de son gouvernement. L’utilisation de mercenaires par les Britanniques a été citée par les colons comme l’un de leurs principaux griefs et les Hessois sont devenus les perdants de l’une des rares premières victoires des colonies à Trenton.
De nombreuses preuves apparaissent actuellement suggérant que Trump considère l’armée américaine comme une sorte de force mercenaire, une option de sécurité cash and carry pour ceux qui peuvent allonger le pognon. Dans une récente interview que Trump a accordée à Laura Ingraham de Fox News, le président s’est vanté : “Nous avons une très bonne relation avec l’Arabie saoudite. J’ai dit, écoutez, vous êtes un pays très riche. Vous voulez plus de troupes ? Je vais vous les envoyer, mais vous devez nous payer. Ils nous paient. Ils ont déjà déposé 1 milliard de dollars à la banque.”
Certains lecteurs peuvent simplement soupçonner qu’ils ont déjà entendu un langage comme celui-là auparavant, en fait ils se souviennent très probablement du film Le Parrain, première partie, où Marlon Brando, jouant un Vito Corleone encore jeune, dirigeait un racket de protection pour les petites entreprises et les commerçants de la Petite Italie à New York. Corleone a d’abord dû tuer le maître chanteur de la Main noire, Don Fanucci, afin de reprendre son racket, ce qui a une certaine résonance avec ce qui se passe actuellement en Irak [l’assassinat de Soleimani, NdT].
Trump se plaint depuis longtemps que les alliés des États-Unis ne paient pas suffisamment pour compenser la protection qu’ils offrent partout dans le monde. Il a fait pression sur ses alliés pour payer la présence militaire américaine, exigeant même que les Irakiens et les Sud-Coréens remboursent les coûts de construction des aérodromes et autres installations de défense qui ont été utilisés comme bases par l’armée et l’aviation américaines. En effet, sans surprise, le seul pays qui s’en tire avec une base américaine sans aucune demande de compensation de la part de Trump est Israël, qui reçoit, en plus de la base, 3,8 milliards de dollars par an d’«aide».
Dans le cas des Saoudiens, le gouvernement de Riyad a versé l’argent pour payer la réinstallation de 3 000 soldats américains par Trump. Cette décision vise à protéger le Royaume contre une éventuelle attaque de l’Iran ou de ses mandataires, une préoccupation urgente étant donné l’attaque dévastatrice réalisée par un acteur non identifié sur la principale raffinerie de pétrole saoudienne le 14 septembre. On peut cependant se rappeler que la présence «impie» des troupes américaines en Arabie saoudite avant le 11 septembre était un grief majeur, exploité avec succès par al-Qaïda, qui a fait que quinze des dix-neuf présumés terroristes ayant détourné des avions sont des Saoudiens.
La logique de Trump sur la question est celle d’un comptable qui exploite un racket de protection. Il cherche à réaliser un profit, sans tenir compte des frais collatéraux qui ne peuvent être saisis dans une comptabilité à double entrée. La réalité est que l’envoi de soldats dans des endroits où ils ne devraient pas nécessairement être, en grande partie parce qu’un pays étranger peut payer la facture, perd de vue le fait que certaines de ces personnes mourront. C’est inacceptable et cela rend l’armée américaine à peine meilleure qu’une force mercenaire, et sûrement pas une «force du Bien», comme le voudrait le narratif du secrétaire d’État Mike Pompeo.
Kelley Vlahos de The American Conservative rapporte comment l’armée américaine en Arabie saoudite va gérer “… des actifs conçus pour aider les militaires saoudiens à se prémunir contre les attaques iraniennes, y compris quatre batteries de Patriot, un système terminal de défense de haute altitude – le système de défense aérienne THAAD – et deux escadrons d’avions de chasse.” Elle observe également l’argument décisif de l’accord, qui est que “… un aspect important du déploiement est la présence de forces américaines dans plus d’endroits à travers le royaume. Ils croient que l’Iran a démontré sa réticence à viser le personnel américain, directement ou indirectement, en partie parce que Trump a clairement indiqué que cela déclencherait une réponse militaire.”
En d’autres termes, comme l’observe Vlahos, le personnel militaire américain servirait de bouclier humain aux Saoudiens, pour dissuader d’éventuelles attaques iraniennes. Cela ressemble à une très mauvaise façon de penser de la part du petit futé, à Washington, qui a proposé le schéma.
Et si le cas saoudien n’était pas déjà assez grave, le Washington Post a également récemment publié un article extrait d’un nouveau livre intitulé A Very Stable Genius : Donald J. Trump’s Testing of America, par Philip Rucker et Carol Leonnig, qui contient des comptes rendus détaillés des réunions entre le président et ses cadres supérieurs.
Le livre est certes conçu comme un best seller en faveur de Trump et il a tendance à béatifier l’armée et ses officiers supérieurs tout en acceptant sans réserve le rôle mondial de l’Amérique, mais certaines des invectives lancées contre les généraux et les amiraux par Trump sont, très franchement, dégoûtantes. Une réunion en particulier, tenue dans la salle sécurisée des chefs d’état-major interarmées au Pentagone appelée «Le Tank» est rapportée en détail, clairement d’après les notes et les souvenirs des participants ou peut-être même d’un enregistrement. Il a eu lieu six mois après l’installation de l’administration Trump, le 20 juillet 2017, et comprenait le vice-président Mike Pence, le président de l’État-major interarmes, Joseph F. Dunford, le secrétaire à la Défense Jim Mattis, le directeur du Conseil économique national Gary Cohn, le secrétaire d’État Rex Tillerson, le secrétaire adjoint à la Défense Patrick Shanahan, le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin et les chefs des branches militaires. Le «stratège» personnel de Trump, Steve Bannon, était également présent. Selon l’article, Mattis et d’autres membres du cabinet présents avaient organisé la réunion parce qu’ils étaient alarmés par le manque de connaissance de Trump sur les principales alliances internationales forgées par Washington après la Seconde Guerre mondiale. Trump avait régulièrement rejeté les alliés de l’Amérique comme étant sans valeur.
Mattis, Cohn et Tillerson ont utilisé des présentations PowerPoint pendant quatre-vingt-dix minutes avec la conviction que cela empêcherait Trump de s’ennuyer. Les graphiques montraient où les troupes américaines étaient stationnées et expliquaient les dispositions de sécurité qui avaient conduit à l’attitude de défense mondiale et de sécurité nationale des États-Unis.
Trump a occasionnellement pris la parole en entendant un mot qu’il n’aimait pas, qualifiant les bases américaines outre-mer de «folles» et «stupides». Sa première plainte concernait son opinion que les étrangers devraient payer pour la protection américaine. En ce qui concerne la Corée du Sud, il s’est énervé : «Nous devrions leur faire payer un loyer. Nous devons leur faire payer nos soldats. Nous devons faire de l’argent avec tout.»
Trump a également qualifié l’OTAN d’inutile, non pas à cause de son absence de raison d’être, mais plutôt en fonction de ce qu’ils devaient payer. “Ils sont en retard”, a-t-il crié et gesticulé, comme s’ils étaient en retard dans le paiement de leur loyer, avant de diriger sa colère contre les généraux. “On nous doit de l’argent que vous n’avez pas collecté ! Vous feriez totalement faillite si vous deviez gérer votre propre entreprise.”
Trump a ensuite été précis, nommant l’Iran, disant du pacte nucléaire avec ce pays, dont il ne s’était pas encore retiré, “Ils trichent. Ils construisent. On doit en sortir. Je vous le dis sans cesse, je vous donne du temps et vous me retardez. Je veux en sortir.” Et l’Afghanistan ? Une “guerre de perdants. Vous êtes tous des perdants. Vous ne savez plus comment gagner.”
Trump s’est alors mis en colère en exigeant du pétrole pour payer les troupes stationnées dans le golfe Persique. «Nous avons dépensé 7 000 milliards de dollars ; ils nous arnaquent. Où est le putain de pétrole ? Je veux gagner. Nous ne gagnons plus de guerres… Nous dépensons 7 000 milliards de dollars, tout le monde prend le pétrole et nous ne gagnons plus.» Rayonnant dans la pièce, il a conclu : “Je n’irais pas en guerre avec vous. Vous êtes un tas de lopettes et de bébés.”
Le seul dans la salle qui a répondu à la tirade de Trump était le secrétaire d’État Rex Tillerson, qui a objecté : «Non, c’est tout simplement faux monsieur le président, vous avez totalement tort. Rien de tout cela n’est vrai. Les hommes et les femmes qui mettent un uniforme ne le font pas pour devenir des soldats du profit. Ce n’est pas pour ça qu’ils mettent un uniforme, sortent et meurent… Ils le font pour protéger notre liberté.»
Après la fin de la réunion et le départ des participants, Tillerson a secoué la tête et a déclaré : «C’est un putain de crétin.»
Lors d’une réunion de suivi en décembre, Trump a réuni ses généraux et d’autres hauts fonctionnaires dans la salle de situation, la salle de réunion sécurisée au rez-de-chaussée de l’aile ouest. Le sujet était de trouver une nouvelle politique pour l’Afghanistan. Trump a commencé la discussion en disant : «Tous ces pays doivent commencer à nous payer pour les troupes que nous envoyons dans leur pays. Nous devons faire du profit. Nous pourrions faire du profit à ce sujet. Nous devons récupérer notre argent.»
Tillerson a de nouveau été le seul à répondre : «Je n’ai jamais porté l’uniforme, mais je le sais. Toutes les personnes qui ont endossé un uniforme, les gens dans cette pièce, ils ne le font pas pour faire de l’argent. Ils le font pour leur pays, pour nous protéger. Je veux que tout le monde sache à quel point nous, en tant que pays, apprécions leurs services.» Trump a été irrité par la réprimande et trois mois plus tard, Tillerson a été licencié. Mattis a ensuite démissionné.
Même si l’on fait abstraction, comme beaucoup le font, des rationalisations faites par des officiers supérieurs et des diplomates pour maintenir le cap dans des endroits comme l’Afghanistan et l’Irak, où ils ont certes foutu la merde, il y a quelque chose de déplorable chez un président qui intimide et qui voit tout en termes de transactions d’achat et de vente. Envoyer des soldats américains dans des pièges potentiellement mortels comme l’Arabie saoudite, dans le cadre d’une stratégie inexistante, juste pour faire de l’argent est au-delà du comportement criminel. Des gens des deux côtés meurent lorsque la décision prise à la Maison Blanche est mauvaise, et il n’y a eu aucun président plus ignorant ou pire à cet égard que Donald J. Trump.
Philip Giraldi
Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone