L’impuissance de l’UE face aux sanctions américaines contre l’Iran


Par John Laughland – Le 7 août 2018 – Source RT

Le spectacle qu’a offert le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker au sommet de l’OTAN à Bruxelles le mois dernier, en titubant tellement qu’il a fallu le soutenir, symbolise le statut de l’UE sur la scène mondiale.

La réponse de l’UE à la décision de Donald Trump d’activer les sanctions contre les entreprises européennes qui font du commerce avec l’Iran, montre que le bloc des 28 nations n’est rien d’autre qu’un vieil imbécile qui ne tient plus sur ses jambes en matière de politique internationale.

Il ne fait aucun doute que les dirigeants de l’UE sont furieux que Trump ait fichu en l’air leur accord bien-aimé sur l’Iran. Leur fureur est encore aggravée par le fait qu’au fond d’eux-mêmes, ils savent qu’ils ne peuvent rien y faire. Des dirigeants français comme Emmanuel Macron et son ministre des Finances, Bruno Le Maire, peuvent bien déplorer le fait que l’Europe n’est pas « souveraine », en essayant de faire de l’impuissance de l’UE face à l’unilatéralisme américain un argument en faveur d’une plus grande intégration européenne. C’est pourtant la politique même qu’ils mènent depuis un quart de siècle qui les a conduits dans l’impasse où ils se trouvent aujourd’hui.

En réponse aux sanctions iraniennes, l’UE a annoncé qu’elle mettait en place une loi de « blocage », une mesure législative qui n’a jamais été utilisée auparavant parce qu’elle ne fonctionne pas. Même les gros bonnets de Bruxelles admettent qu’elle ne sert à rien : l’un d’entre eux aurait dit : « C’est un signal politique donné par l’UE. Ce n’est pas un remède miracle. » En d’autres termes, ce statut ne protégera pas les entreprises européennes contre les sanctions américaines. Des centaines d’entreprises se préparent actuellement à sortir de l’Iran quand ce n’est pas encore fait. Parmi elles, on trouve certains des plus grands groupes industriels du monde, le géant pétrolier français Total, et Airbus, dont les contrats d’une valeur de plusieurs milliards viennent de s’envoler en fumée grâce au président américain.

Les institutions de l’UE ont adopté la position du Parti démocrate selon laquelle la Russie est la cause de tous les « doutes » et de toutes les « divisions » au sein du bloc, mais le fait est que Donald Trump a fait exploser à lui tout seul le rêve européen. L’UE n’a d’ailleurs jamais été autre chose qu’un rêve, un fantasme dénué de toute réalité, l’illusion que l’union européenne rendrait des États différents collectivement plus forts. La réalité est que l’intégration européenne était, dès le début, un projet soutenu par les États-Unis dans le but d’aider l’Occident à combattre la guerre froide. L’intégration de l’UE était et reste idéologiquement et institutionnellement inséparable de l’OTAN, qui est dominée par les États-Unis. En d’autres termes, l’intégration européenne est impossible sans le soutien des États-Unis et, par conséquent, quand l’UE en est privée, comme c’est le cas sous Trump, les dirigeants de l’UE sont complètement perdus.

Aucun des avantages d’une union monétaire promis à Maastricht en 1991, et avant, ne se sont concrétisés. On avait affirmé que l’euro favoriserait la croissance, mais en fait, depuis l’introduction de la monnaie unique en 1999, les États-Unis ont largement supplanté la zone euro. On avait promis qu’il protégerait l’Europe des chocs extérieurs, mais l’effondrement de la production a été aussi important en Europe à la suite de la crise financière de 2008 qu’ailleurs. Surtout, on avait dit que l’euro commencerait à remplacer le dollar en tant qu’instrument du commerce international. Une vingtaine d’années plus tard, le dollar continue d’être la monnaie quasi-incontournable du commerce, en particulier dans le secteur pétrolier.

C’est précisément parce que BNP Paribas, comme toutes les banques, a utilisé des dollars pour des contrats avec l’Iran et d’autres États figurant sur la liste noire, qu’elle a été frappée d’une amende gigantesque de 9 milliards de dollars par les États-Unis en 2015. L’Europe n’a rien fait contre cet abus flagrant de la juridiction américaine sous le gentil monsieur Obama, même si c’était exactement le même genre de mesure que celle que Trump vient d’annoncer : l’amende de BNP Paribas a été infligée immédiatement après la crise ukrainienne, lorsque l’UE, comme d’habitude, a couru chez sa nounou américaine pour se cacher dans ses jupes. L’UE récolte à présent sa nouvelle moisson de déboires sous la houlette du méchant monsieur Trump.

Depuis 2015, toutes les banques européennes fuient ceux qui disent faire des affaires avec un État voyou comme la Russie, ou même plus encore l’Iran, de sorte que les entreprises n’ont tout bonnement pas la possibilité de commercer avec ces pays. C’est aussi simple que ça. Comme l’a dit Volker Treier, directeur adjoint de la Chambre de commerce et d’industrie allemande : « Même les entreprises qui ne sont pas touchées par les sanctions américaines, par exemple les entreprises du domaine médical ou qui ne commercent pas avec les États-Unis, ne peuvent pas trouver de banque pour traiter des transactions avec l’Iran. »

Les États-Unis ont donc pris le contrôle de l’économie mondiale en menaçant d’étrangler le système bancaire. L’existence de l’euro n’a pas mis fin à cette situation. Tant que le lien entre le dollar et le pétrole persistera, lien soutenu par la domination militaire massive des États-Unis dans le monde, rien ne changera. Militairement, les États européens sous-traitent leur défense aux États-Unis – la soi-disant « défense européenne » est en fait assurée par l’OTAN dominée par les États-Unis. En conséquence, les capacités militaires des anciennes grandes puissances de l’histoire mondiale comme la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne sont réduites à peau de chagrin. Quand une puissance nucléaire comme la France commence à se vanter de mener avec succès une opération militaire dans les déserts d’un État failli comme le Mali, on comprend que l’Europe ne compte plus.

L’agression de Trump contre l’Iran survient au moment où l’Europe est, une fois de plus, totalement absente de la politique mondiale au Moyen-Orient. En 2011, la France et la Grande-Bretagne ont décidé de provoquer un changement de régime en Syrie, ce qui a fait d’elles les premiers pays à rompre les relations diplomatiques avec Damas. L’UE a imposé un des plus gros paquets de sanctions de l’histoire à ce pays. Elle ne sait plus quoi faire maintenant que Damas reprend le contrôle, avec l’appui de la Russie et de l’Iran, de l’ensemble du territoire syrien. Il est difficile d’imaginer un plus bel échec de politique étrangère. Même l’une des figures israéliennes les plus irréductibles, le ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman, reconnait maintenant que Bachar Assad a gagné la guerre de Syrie et qu’Israël peut avoir des relations avec lui. L’échec diplomatique spectaculaire de l’Europe se double d’un spectaculaire succès diplomatique (et militaire) russe, car la Russie est maintenant la cheville ouvrière de la paix entre Israël et l’Iran.

Le plus grand échec de l’UE réside peut-être dans l’effondrement évident de son idéologie. Depuis sa conception initiale dans les années 1950, la construction européenne était basée sur l’idée qu’il était possible de surmonter le règne de la force et de s’élever vers une forme supérieure de relations internationales. C’est à peu près la même idée que celle qui était véhiculée par les idéologues soviétiques qui prétendaient que le bloc socialiste avait progressé vers une nouvelle forme de relations internationales.

Les dirigeants européens ont eu l’impression que la Russie de Poutine représentait le retour sans fard du règne de la force : ils désapprouvaient cette manière de faire de la politique, et ils ont saisi l’occasion pour se rassembler et  créer une sorte de cohésion bidon pour lutter contre le nouvel épouvantail.

En revanche, la décision de Trump d’abandonner si spectaculairement le multilatéralisme sape la base même sur laquelle ils ont fonctionné pendant des décennies, parce que soudain les États-Unis ne sont plus le grand protecteur mais sont devenus un ennemi. Les politiciens européens sont intellectuellement lobotomisés par leur idéologie post-moderne infantile et ils ont oublié depuis longtemps comment faire de la vraie politique. Bercés par le faux sentiment de sécurité de ceux qui pensent qu’ils n’ont pas besoin de penser, les dirigeants aussi ternes que médiocres de l’UE ne sont que de (très mauvais) gestionnaires ; ils sont maintenant totalement perdus  sur la mer agitée d’un monde devenu tout à coup incertain. C’est bien fait pour eux.

John Laughland est docteur en philosophie de l’Université d’Oxford. Il  a enseigné dans des universités à Paris et à Rome. Il est historien et spécialiste des affaires internationales.         

Traduction : Dominique Muselet

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