En 1938, la Russie et le Japon ont mené une guerre frontalière massive non déclarée au cours de laquelle Joukov s’est fait remarquer pour la première fois.
Avec vingt ou quarante mille victimes (morts et blessés combinés), la bataille de Khalkin gol a été plus sanglante que beaucoup de guerres déclarées
Par Michael Peck – Le 4 août 2018 – Source Russia Insider
Entre 1938 et 1939, l’Union soviétique et l’empire du Japon ont mené une série d’affrontements le long de la frontière entre la Mandchourie occupée par les Japonais, la Mongolie sous contrôle russe et la frontière sibérienne près du port de Vladivostok, dans le Pacifique.
L’enjeu était les riches ressources de la Mandchourie et, au-delà, de savoir laquelle des deux puissances dominerait en Asie du Nord-Est. Mais le résultat ultime des batailles mandchoues, qui ont culminé à Pearl Harbor et entraîné la guerre du Pacifique entre le Japon et les États-Unis, est encore plus important.
Il est peut-être difficile de croire que tout cela a commencé sur quelques collines dans des steppes insignifiantes. Pourtant, les deux parties s’étaient déjà affrontées auparavant. Dans la guerre russo-japonaise de 1904-1905, le nouvel empire japonais, ignoré par les forces du tsar comme asiatique, donc de race inférieure, coula la marine russe, battit l’armée et s’empara du port stratégique de Port Arthur (que les Russes eux-mêmes avaient précédemment extorqué à la Chine). Pendant la guerre civile russe en 1919, le Japon a envoyé 70 000 soldats pour soutenir l’armée blanche anticommuniste. Les forces impériales japonaises ont presque annexé la Sibérie avant de se retirer.
Il y avait peu d’amour épanché entre les deux camps, surtout dans l’atmosphère ultra-militariste des années 1930. Le Japon s’est tourné vers le fascisme tandis que Staline a renforcé la puissance industrielle et militaire soviétique pour le conflit inévitable avec le capitalisme. En effet, le conflit russo-japonais était en quelque sorte une bataille d’images en miroir. Qu’il s’agisse de mourir pour Staline ou pour l’empereur, les deux parties ne se souciaient pas du nombre des hommes qui périraient sur le champ de bataille.
Le fusible a été allumé pour la première fois au début des années 1930, lorsque l’armée japonaise agressive du Guandong, de sa propre initiative, a occupé le territoire de la Mandchourie en 1931, créant une frontière contestée de presque 5 000 km entre le Japon et la Russie.
Le premier choc militaire sérieux a éclaté lors de l’incident de Changkufeng (connu sous le nom de bataille du lac Khasan par les Russes) en juillet 1938, lorsqu’une division japonaise a attaqué les troupes soviétiques sur une colline contestée près de Vladivostok. Après une attaque et une contre-attaque qui ont coûté aux deux parties plus de 4 000 victimes, les Japonais se sont retirés.
Le lac Khasan a montré les forces et les faiblesses des deux côtés. Les Soviétiques avaient une puissance de feu supérieure et beaucoup plus de chars, mais avec son commandement décimé par les purges de Staline, l’Armée rouge était rigide et son moral fragile. Manquant de la puissance de feu des blindés et de l’artillerie de ses rivaux plus industrialisés, comme l’Union soviétique, les Japonais comptaient sur l’esprit et la volonté de gagner à tout prix. Au début, il semblait que les Japonais étaient plus avisés. Les Soviétiques ont finalement déployé 350 chars, mais une centaine d’entre eux ont été détruits ou endommagés par des équipes antichars japonaises. À un moment donné, une charge japonaise à la baïonnette avait mis en déroute les défenseurs soviétiques, renforçant la conviction de l’armée impériale japonaise que des hommes déterminés pouvaient battre des machines.
Aucun des deux camps ne souhaitant entamer une guerre totale, un cessez-le-feu a été conclu. Mais, presque un an plus tard, le véritable test des armes est arrivé. Il a commencé en mai 1939 avec un choc d’opérette, alors que quelques cavaliers appartenant à la Mongolie extérieure, un satellite russe, sont entrés dans un territoire contesté près du village de Nomonhan (les Russes l’appellent Khalkhin Gol), ils furent repoussés par la cavalerie de l’armée Mandchoue organisée par le Japon. Lorsque la cavalerie mongole est revenue, l’armée japonaise de Guandong a décidé de leur donner une leçon en envoyant la 23e division d’infanterie soutenue par 70 chars.
Les Soviétiques ont répondu par une attaque de 500 chars et véhicules blindés, une force puissante mais non-accompagnée d’infanterie. « Les chars et véhicules blindés soviétiques, non-supportés, ont avancé et réduit l’offensive japonaise », écrit Edward Drea dans une monographie de l’armée américaine sur les forces japonaises dans la bataille. « Les troupes japonaises ont détruit au moins 120 chars ou voitures blindées soviétiques avec des cocktails Molotov, des canons antichars de 37 mm et des mines antichars. »
Le front s’est transformé en petites patrouilles et en raids, mais malheureusement pour le Japon, un nouveau commandant soviétique, Gueorgui Joukov, est rapidement devenu une malédiction pour les armées d’Hitler. Tout comme il l’a fait plus tard avec les Allemands, Joukov a lancé une guerre éclair mécanisée d’infanterie, de blindés et d’artillerie qui a encerclé et détruit la 23e Division avant la déclaration d’un cessez-le-feu. Les Japonais ont perdu 17 000 hommes et les Soviétiques 10 000.
Sur le plan tactique, la bataille a mis en évidence les faiblesses d’une armée centrée sur l’infanterie lorsqu’elle mène une bataille conventionnelle contre des forces mécanisées en terrain découvert. Elle a également brisé le mythe réconfortant que le moral des troupes l’emporte sur la puissance de feu (même si l’inverse n’est pas toujours vrai non plus, comme l’ont découvert les États-Unis au Vietnam). « La doctrine ne pouvait aller que jusqu’au point où il y avait trop peu de chars japonais et trop peu de pièces d’artillerie pour influer de manière décisive sur l’issue de la bataille », écrit Drea. « Cela laissait les fantassins japonais armés seulement de cocktails Molotov pour faire face aux contre-attaques des chars soviétiques et de l’infanterie soutenue par l’artillerie. »
Malgré toute sa rage, le Japon avait pourtant pris une leçon qu’il n’oublierait pas. Sauf que les leçons tactiques seraient oubliées cinq ans plus tard, lorsque les soldats japonais devaient à nouveau se transformer, en vain, en mines antichars humaines pour affronter les chars Sherman américains.
Mais la plus grande conséquence de cette histoire est ce qui ne s’est pas produit : à l’été 1941, alors que l’Union soviétique semblait sur le point de s’effondrer sous le blitzkrieg allemand, le Japon avait le choix. Il pouvait frapper au Nord et saisir la Sibérie, alors que la majeure partie de l’Armée rouge combattait en Europe, ou pouvait frapper au sud, dans les colonies britanniques, hollandaises et américaines du Pacifique, abondantes en ressources.
« En cas de succès, une guerre sino-soviétique limitée dans l’Extrême-Orient soviétique aurait peut-être pu faire pencher la balance en faveur de l’Allemagne nazie », a déclaré Drea à The National Interest.
Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles le Japon a opté pour le sud, y compris l’embargo américain sur le pétrole et l’impuissance des colonies européennes du Pacifique à se défendre lorsque leurs dirigeants étaient sous la botte nazie. Cependant, une autre raison pour ne pas attaquer le nord était le souvenir de ce qui s’est passé à Nomonhan.
Staline était alors libre de transférer ses troupes sibériennes d’élite de l’Extrême-Orient vers l’Europe où elles ont pu rejeter les chars d’Hitler hors des faubourgs de Moscou en décembre 1941. Et en choisissant l’option du Pacifique, le Japon a déclenché une guerre avec l’Amérique qui condamnait l’empire japonais.
Michael Peck
Traduit par jj, relu par Cat, vérifié par Diane pour le Saker Francophone
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