Par James Howard Kunstler – Le 12 septembre 2016 – Source kunstler.com
La bêtise et le mensonge forment une mauvaise combinaison pour les affaires des nations, en particulier lors des élections. Le cas présent aux États-Unis nous montre ces deux qualités à la quasi-perfection : d’un côté, un pseudo-sauveur rustre sans idées ; de l’autre côté, une wannabe racketteuse en chef, en pleine possession de sa tromperie instinctive. Trump offre une rhétorique incohérente, en opposition au lamentable ordre actuel des choses ; Clinton propose une rhétorique vide, flatteuse pour la défense de cet ordre. Les deux représentent une poussée nationale épique vers le suicide politique.
La bêtise et le mensonge s’étendent au grand public qui vote et aux élites discréditées qui prétendent mener aux destinées de la nation. Le public américain n’a jamais été aussi mal éduqué et plus distrait par ce trivia préfabriqué. Ils ne savent à peu près rien. Même les personnes âgées, ayant un peu d’études, ne peuvent pas nommer le secrétaire d’État ou trouver la Suisse sur une carte. Ils ne savent pas dans quel siècle la guerre civile a eu lieu. Ils ne pourraient pas vous dire si une hypoténuse est un animal, un végétal ou un minéral. Leur droit de vote est un danger pour eux-mêmes.
Les élites opèrent dans leur propre zone d’ombre de l’ignorance, mais à un niveau plus noble, volant sur les ailes d’une peau de mouton. Soumis à votre approbation : le nouveau livre de l’assistant de Harvard Kenneth Rogoff, The Curse of Cash / Le fléau de l’argent liquide. C’est la dernière salve dans la campagne internationale pour mettre l’argent liquide totalement sous le contrôle des banques centrales et des gouvernements centraux, soi-disant pour rendre la planification centrale de l’économie plus efficace – mais surtout dans le but d’étendre l’illusion que les erreur de tarification du crédit et des collatéraux (en fait de tout) peuvent sauver l’incarnation actuelle du capitalisme de copinage, et plus précisément, sauver les fortunes des racketteurs aux manettes, ainsi que la réputation de leurs garçons de courses intellectuels. Désormais, toutes les transactions avec de l’argent seraient traçables, ce qui devrait donner une puissance sans précédent aux autorités, pour réglementer la vie des citoyens.
Il reste à voir si le public américain pourrait être soumis à ce schéma, qui a déjà une certaine avance en Europe. Bien sûr, l’Europe se dirige vers des temps politiques difficiles dans les mois à venir, et il y a beaucoup de raisons de penser que même les gens dociles au Danemark et en Suède, pourraient finalement se révolter contre le régime de la banque centrale, s’ils voient les Allemands le faire.
Le problème aggravant est l’hyper-complexité de notre système financier actuel, servant en grande partie à mystifier délibérément les masses. Est-ce que le public comprend la raison d’être de la politique de taux d’intérêt à zéro (ZIRP) ? Pas plus qu’ils ne comprennent l’interaction des gluons et des quarks ou le dogme de la Sainte Trinité. C’est l’un des respectueux mystères de notre temps, par exemple, qu’un groupe comme AARP, prétendant représenter les intérêts des retraités, n’a pas émis une seule protestation face au ZIRP, qui pilonnait les retraités dépendant de leur épargne, les mettant sur la paille. Bien sûr, cela pourrait être expliqué par la fonction de racket généralisé de notre vie nationale actuelle : AARP est un racket d’assurance se faisant passer pour un groupe au service de l’intérêt des citoyens. Ou si on pousse la crédulité jusqu’à supposer qu’AARP est honnête, peut-être que leurs dirigeants ne comprennent pas que des taux d’intérêt à zéro donnent forcément un revenu nul aux épargnants.
Kenneth Rogoff tente de justifier sa guerre contre le cash, en invoquant deux des croquemitaines préférés de notre temps : les terroristes et les trafiquants de drogue. L’argent sous forme liquide, dit-il, permet à cet axe du mal de prospérer. Ceci est une ruse, bien sûr. Si la monnaie était éliminée, ces gars se tourneraient vers l’or et l’argent, c’est aussi simple. Et il en sera de même pour tout le monde, de la même manière. La vraie raison pour abolir l’argent liquide et laisser le contrôle de tout l’argent aux banques centrales est de permettre aux autorités de le confisquer d’une manière ou d’une autre, que ce soit par des taxes inévitables ou par le bail-in – déclarer que les dépôts sont des «prêts non garantis» qui peuvent être répudiés dans le cas d’un «accident» financier.
Les résultats sont déjà visibles : «l’argent» devient de plus en plus malhonnête, et de plus, on ne peut plus lui faire confiance pour représenter ce qu’il prétend défendre : un indice de compte et une réserve de valeur. Son rôle en tant que base de la formation du capital est tellement affaibli que le capital réel (à savoir la richesse) ne peut pas être généré, ce qui signifie qu’aucun des crédits accordés, comme «argent» ne sera jamais remboursé. La politique des taux d’intérêt à zéro veut dire qu’aucun intérêt ne sera payé. L’«argent» basé sur des prêts qui ne seront pas remboursés perd sa légitimité. Regrouper toutes les formes d’«argent» sur les ordinateurs de la banque centrale ne permet que plus de manœuvres de passe-passe pour dissimuler le Gaspi. Il serait beaucoup plus difficile de cacher la destruction de valeur de la monnaie papier en circulation. L’élimination de la monnaie comme moyen d’échange ne peut conduire qu’à la répudiation de «l’argent» – qui va précéder de peu la répudiation de toute autorité. C’est la recette pour un désordre politique vraiment suicidaire.
Une chose de plus cette semaine : pourquoi les élites politiques de l’Amérique derrière Clinton fulminent-elles si vigoureusement contre la Russie et son président, M. Poutine ? Les États-Unis ne cessent de provoquer la Russie militairement depuis plusieurs années. Nous avons bêtement parrainé la révolution en Ukraine, qui a laissé derrière elle un état failli − et qui a incité la Russie à récupérer la Crimée, historiquement son propre territoire et le site de ses ports stratégiques en eau chaude. Nous continuons à organiser, via l’OTAN, des exercices de jeu de guerre, le long des frontières de la Russie. Nous faisons voler des avions de surveillance dans leur espace aérien et ensuite feignons la surprise quand la Russie envoie des avions de combat pour nous rappeler où nous sommes. Nous organisons des exercices navals en mer Noire pour nous demander pourquoi les Russes nous rappellent à l’ordre. Sommes-nous fous ? Qu’aurions nous fait, si les Russes avaient survolé l’île de Catalina ou organisé des jeux de guerre navale dans les Hampton Roads ? Est-ce que l’élite politique américaine pense qu’ils plaisantent ?
Ces mèmes dans la politique financière et étrangère sont dangereusement fous et malhonnêtes. Ils font un bon travail pour nous montrer que l’establishment politique américain ressemble à une bande de fous et de hors la loi, et déroule le tapis rouge pour l’élection de Trump, le faux sauveur… l’apothéose fabuleuse du plus Grand Fou.
James Howard Kunstler
Note du Saker Francophone Encore un article percutant de Kunstler, qui arrive à coordonner la situation géopolitique, les manipulations monétaires et la crise générale du grand tout en Occident. On sent qu'il est au désespoir de voir son peuple réduit à l'indigence intellectuelle autant que physique, jusqu'à écrire des choses définitives : «Leur droit de vote est un danger pour eux-mêmes.»
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone
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