Le livre de Bolton massacre Trump, mais le récit excitant pourrait finalement sortir le leader déchu du trou avant un prochain tour de scrutin
Par Pepe Escobar − Le 19 juin 2020 − Source Asia Times
Un faucon carriériste devient la coqueluche des progressistes roulant en limousine juste parce qu’il ridiculise le Président des États-Unis.
Le spectacle alambiqué qui se déroule actuellement dans les salles sacrées de l’Empire est digne des scénarios les plus déments de la WWE [société événementielle, combats de catch entre autres, NdT]- car tout ce qui concerne Donald Trump doit être compris comme un empilement de trucages comme en catch professionnel. Ici, nous avons l’ancien Conseiller à la Sécurité Nationale John Bolton qui joue le rôle de croque-mort avec Trump et qui essaie de se faire passer pour The Rock.
Pourtant, quand on voit l’image complète du prétendu leadership du gouvernement américain, plus les officines autour du Beltway, embourbé dans un marécage rempli de vipères à double tête, cela ressemble davantage à du catch.
Le Conseiller commercial de la Maison Blanche, Peter Navarro – un diabolisateur enragé de la Chine – a en fait donné la meilleure description de ce que John Bolton est en train de faire avec son soi-disant livre de 2 millions de dollars : c’est le “porno de la vengeance” du marais de Washington.
Les 592 pages des mémoires de Bolton, qui seront publiées mardi prochain, ont été divulguées à l’avance par Simon & Schuster au New York Times et au Washington Post, et un extrait a été publié par le Wall Street Journal.
Bolton a écrit :
“Un Président ne peut pas abuser des pouvoirs légitimes du gouvernement national en définissant son intérêt personnel comme synonyme de l’intérêt national, ou en inventant des prétextes pour masquer la poursuite d’un intérêt personnel sous le couvert de l’intérêt national”.
Un piratage du New York Times cite :
“M. Bolton a cherché à utiliser ses 17 mois à la Maison Blanche pour atteindre des objectifs politiques qui étaient importants pour lui [c’est moi qui souligne], comme le retrait des États-Unis d’une série d’accords internationaux qu’il considère comme imparfait, comme l’accord nucléaire iranien, le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire et d’autres”.
Ainsi, un faucon de premier plan – son parcours est bien documenté – a le droit de s’en tirer en accomplissant “des objectifs politiques importants pour lui”, même s’il accuse le Président de fusionner son “intérêt personnel” avec “l’intérêt national”.
C’est ce qui compte vraiment ici, car le document se décrivant comme un document de référence semble être l’occasion unique de citer à volonté une source interne dont l’exactitude ne peut tout simplement pas être vérifiée. Le fait que Bolton ne soit pas plus fiable comme source que n’importe quel colporteur du marais de Wasington DC ? C’est commodément mis sous le tapis.
Le Washington Post, pour sa part, s’est réjoui du fait qu’il s’agit de “la dissection la plus substantielle et la plus critique du Président par un initié de l’Administration jusqu’à présent”, car il présente Trump comme un commandant en chef “erratique” et “étonnamment mal informé”.
Le Post prend également Bolton au mot, car il décrit Trump comme s’appuyant sur son “l’instinct personnel” et jouant pour “la télé-réalité”. Au moins, Bolton semble avoir une vague idée de la prééminence de la WWE – tout comme il a eu une révélation de la preuve : la seule chose qui compte vraiment par-dessus tout pour Trump est sa réélection.
Où est la Finlande ?
Seuls ceux qui ont été coincés dans un igloo dans l’Arctique ces dernières années seront stupéfaits de savoir que Trump pense que la Finlande fait partie de la Russie, ignore le Royaume-Uni en tant que puissance nucléaire et confond les noms des Présidents afghans.
Après tout, il est un miroir fidèle de l’inculture américaine sur le monde en général qui prédomine – alimentée par la “culture” des célébrités selon le principe panem et circenses.
Il en va de même pour Trump qui se délecte soi-disant d’une invasion du Venezuela – après tout, cela fait “vraiment partie des États-Unis” – et qui dit au Président chinois Xi Jinping que les Américains aimeraient qu’il modifie la Constitution américaine afin qu’il puisse exercer plus de deux mandats.
Une fois de plus, le problème est à la source. Éliminons même le fait que Bolton soit un écrivain extrêmement médiocre – en supposant que cela n’a pas été écrit par un nègre. Je l’ai interviewé il y a des années à l’un de ses lieux de prédilection : la réunion annuelle de la Commission des Affaires Publiques américano-israéliennes à Washington.
En personne et de manière relativement détendue – je n’étais pas un journaliste américain, il ne se sentait donc pas menacé – le portrait d’un psychopathe caché sous des sourires grimaçants était évident. Son narcissisme était intergalactique.
Ensuite, il y a la question d’une possible trahison. Si Trump a vraiment commis toute cette litanie de “crimes”, alors pourquoi Bolton ne les a-t-il pas signalés au Capitole lors du fiasco de la procédure d’impeachment menée par les Démocrates ? Ah oui, encaissons ce contrat de 2 millions de dollars pour le livre.
Passons brièvement en revue certains des “crimes” de Trump dévoilés par Bolton.
Crimes suspects
Lors d’une rencontre en tête-à-tête avec Xi lors du sommet du G-20 de juin 2019 au Japon, Bolton écrit : “Puis, de façon étonnante, il a détourné la conversation vers la prochaine élection présidentielle américaine, faisant allusion à la capacité économique de la Chine à influer sur les campagnes en cours, plaidant auprès de Xi pour qu’il gagne. Il a souligné l’importance des agriculteurs, et a exagéré les achats de soja et de blé par les Chinois dans le résultat des élections. J’aurais bien publié les mots exacts de Trump, mais le processus de relecture pré-publication par le gouvernement en a décidé autrement”.
Si c’est vrai, c’est la botte classique de Trump. En tant que “crime”, c’est invérifiable.
Au sujet de Xi qui aurait défendu “la construction par la Chine de camps abritant jusqu’à un million de musulmans ouïgours dans le Xinjiang”, Bolton écrit : “Selon notre interprète, Trump a dit que Xi devrait poursuivre la construction des camps, ce que Trump pensait être exactement la bonne chose à faire”.
Quiconque connaît les rituels de la diplomatie chinoise sait que l’idée que le Président chinois “confesserait” à un Président américain les détails de sa politique intérieure dans le Xinjiang ultra-sensible est ridiculement absurde.
Bolton admet au moins la vacuité de la politique de l’Administration à l’égard de la Chine : Nous avions un bon slogan, appelant à une région “indo-pacifique libre et ouverte”. Mais un autocollant comme sur un pare-chocs de voiture n’est pas une stratégie, et nous avons lutté pour éviter d’être aspirés dans le trou noir des questions commerciales entre les États-Unis et la Chine.
Sur Huawei et ZTE, Bolton se contente de réciter des platitudes non prouvées : “L’objectif le plus important pour les “entreprises” chinoises comme Huawei et ZTE est d’infiltrer les systèmes de télécommunications et de technologie de l’information, notamment la 5G, et de les soumettre au contrôle chinois”.
Sur ce fameux quiproquo Washington-Kiev, Bolton écrit que Trump “a dit qu’il n’était pas favorable à l’envoi de quoi que ce soit avant que tous les documents d’enquête russes concernant [Hillary] Clinton et Biden aient été réfutés”.
Pour le plus grand plaisir de la foule progressiste des limousines, Bolton confirme la logique du dossier d’impeachment mené par les Démocrates ainsi que celui de l’Ukrainegate – même si le dossier Russiagate a maintenant été totalement déboulonné.
Citant un coup de téléphone de mai 2019 avec le Président Poutine, qui aurait comparé le “leader de l’opposition” vénézuélien Juan Guaidó à Hillary Clinton, Bolton qualifie ce coup de téléphone de “brillant étalage de propagande de style soviétique” pour renforcer le soutien à Maduro. Poutine “a largement persuadé Trump”. Ah, ces Soviétiques malfaisants…
Selon le Washington Post, “En décrivant son expérience à la Maison Blanche sur les questions liées à la Russie, Bolton présente l’image d’un Président impulsif, grossier et constamment opposé à la politique américaine visant à décourager l’agression russe et à sanctionner le comportement malveillant de Poutine”.
Une fois de plus : Bolton peut s’en tirer à bon compte tant qu’il présente Trump comme faible sur les mantras du Deep State “agression russe” et “comportement malveillant”.
En novembre 2018, M. Bolton a décidé de défendre fermement le prince héritier saoudien MbS accusé du meurtre du chroniqueur du Washington Post Jamal Khashoggi. Il cite le Président qui a déclaré qu’il s’agissait d’une tactique de diversion pour éviter qu’Ivanka Trump n’utilise son courrier électronique personnel pour les affaires du gouvernement américain [allusion à ce que Hillary Clinton fit lorsqu’elle était à la tête du Département d’État sous le gouvernement Obama, NdT] : “Cela va détourner l’attention d’Ivanka. Si je lis la déclaration en personne, cela va prendre le dessus sur l’affaire Ivanka”.
Eh bien, Bolton n’écrit rien sur ce qui compte vraiment : l’école Whatsapp Jared Kushner-MbS qui s’occupe des affaires louches et de grande envergure au Moyen-Orient.
Plus de nouvelles guerres
Bolton se révèle pleinement belliciste lorsqu’il se plaint que Trump a toujours exigé le retrait des troupes – au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe : “Je veux me retirer de partout”.
A un moment donné en 2018, en se disputant avec le chien enragé James Mattis, Trump lui a dit que la Russie devrait s’occuper d’ISIS/Daesh : “Nous sommes à sept mille miles mais nous sommes toujours la cible. Ils viendront sur nos côtes. C’est ce qu’ils disent tous. C’est un spectacle d’horreur. A un moment donné, il faut bien qu’on se retire.”
Sur l’Afghanistan. Trump : “Cela a été fait par un stupide personnage nommé George Bush.” De plus, Mattis a tout gâché : “Je t’ai donné ce que tu as demandé : Une autorité illimitée, aucun obstacle. Tu es en train de perdre. Tu te fais botter le cul. Tu as échoué.”
Tout ce qui précède est factuellement correct. Trump ne faisait que suivre ses promesses de campagne. Pourtant, l’État Profond l’a renversé – non seulement en Afghanistan mais, surtout, en Syrie. Bolton a dû être consterné, et en plus il n’a pas obtenu les guerres qu’il voulait – en Iran, au Venezuela et en Corée du Nord.
Un contrat de deux millions de dollars pour un livre adoucit certainement une décision de non-guerre particulièrement dure à avaler. Trump a tweeté que Bolton est un “chiot malade”. En fait, le rôle réel de Bolton n’a été que celui d’un petit fonctionnaire impérial pendant une brève période. L’État Profond obtient toujours ce qu’il veut avec Trump : l’Empire des Bases [le Rimland impérial selon McKinder et Spykman, (lire Christian Greiling) l’endiguement du Heartland russe, NdT] reste intact ; aucune troupe, aucun contractuel ni aucun mercenaire ne part ; et la Russie, la Chine et l’Iran sont consolidés en tant que “menaces” existentielles.
Le “chiot malade” n’est qu’un simple accident de la route. Tulsa est la prochaine étape – où Trump, dans un état d’esprit “on m’appelle le zéphyr”, se sentira à nouveau libre de se prélasser dans sa propre splendeur.
Et si tout cela n’était qu’un kayfabe, un jeu de rôle sophistiqué ? Comparé à un va-t-en guerre sur le déclin, le Président peut maintenant émerger du marais comme un pacifiste modéré, prêt à être embrassé par les masses à vote girouette. Alors, qui va massacrer qui ?
Traduit par Michel, relu par Hervé pour Le Saker Francophone
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