Les manœuvres maritimes de la Chine rapprochent à nouveau les États-Unis et les Philippines


Les alliés du traité font des concessions stratégiques après une prise de bec diplomatique pour contrer les ambitions croissantes de la Chine en mer de Chine méridionale


Par Richard Javad Heydarian − Le 16 juin 2020 − Source Asia Times

Les troupes américaines et philippines lors d’un récent exercice conjoint. Photo : Facebook

MANILLE – Malgré les efforts du Président philippin Rodrigo Duterte pour réduire sa dépendance stratégique vis-à-vis des États-Unis, les manœuvres de la Chine en mer de Chine méridionale ont forcé le leader populiste à se rallier à nouveau à l’allié de longue date de son pays dans le cadre du traité [ Traité de Défense Mutuelle, signé en 1951, NdT].

L’opportunisme stratégique de la Chine dans les eaux avoisinantes, lancé en même temps que la mort, la destruction et la diversion causées par la pandémie de Covid-19, a plutôt déclenché un redémarrage de l’alliance philippo-américaine. La récente décision de Duterte de maintenir un pacte clé qu’il avait précédemment annulé dans un élan de pique diplomatique en est la preuve la plus évidente.

Peu après la décision de suspendre le Visiting Forces Agreement (VFA) [le MDT de 1951 est toujours en vigueur, NdT], un pacte qui fournit le cadre juridique pour les activités militaires américaines aux Philippines, le Secrétaire américain à la Défense Mark Esper a eu une conversation conciliante avec son homologue philippin Delfin Lorenzana [précédemment Attaché militaire des Philippines aux États-Unis, NdT].

Au cours d’une conversation téléphonique le  2 juin, marquant le jour de l’indépendance nationale des Philippines, le Secrétaire d’État à la Défense américain a remercié les Philippines pour sa décision et a promis le soutien et l’assistance continus de l’Amérique aux alliés régionaux, y compris « les développements sur les vaccins et les thérapeutiques » liés à la pandémie de Covid-19.

« Le Secrétaire d’État Esper a indiqué que les développements de vaccins et de thérapies aux États-Unis progressent très bien, et a exprimé sa volonté de les partager avec les alliés et partenaires américains dès qu’ils seront disponibles », a annoncé le Ministère philippin de la Défense Nationale dans une déclaration.

L’échange cordial entre les deux hauts responsables de la Défense marque un tournant majeur dans les relations bilatérales. Furieux des restrictions de voyage imposées par les États-Unis à ses principaux alliés [notamment le refus de délivrer un visa pour l’emblématique ex-Chef de la Police le général Dela Rosa, très populaire aux Philippines pour ses méthodes « musclées » contre les trafiquants et consommateurs de drogue, NdT], Duterte a pris l’initiative, en février, d’abroger le VFA, bien qu’il n’ait pas réussi à annuler le traité de défense mutuelle (MDT) de 1951.

À l’époque, Esper a été visiblement stupéfait par la décision d’abroger ce qui a été la pierre angulaire d’exercices militaires conjoints à grande échelle et de la coopération multi-dimensionnelle tout au long de la période de l’après-guerre froide.

« Je pense que ce serait un pas dans la mauvaise direction… car nous essayons tous les deux, bilatéralement, avec les Philippines, et collectivement, avec un certain nombre d’autres partenaires et alliés dans la région, de dire aux Chinois qu’ils doivent obéir aux règles du droit international »,

a déclaré M. Esper en février, lorsqu’il a reçu la notification de la fin du VFA.

Le Secrétaire américain à la Défense Mark Esper s’exprime lors d’une conférence de presse commune avec son homologue philippin au ministère de la Défense à Manille le 19 novembre 2019. Photo : AFP/Ted Aljibe

« Vous devez obéir, vous savez, et respecter les normes internationales », a averti M. Esper, soulignant le risque d’une Chine enhardie dans un contexte de détérioration de la coopération en matière de sécurité entre les Philippines et les États-Unis.

L’Amiral Philip Davidson, le Chef du Commandement indo-pacifique américain, a averti à peu près au même moment que la capacité du Pentagone à aider les Philippines dans leurs efforts de lutte contre le terrorisme à Mindanao, et à s’entraîner et opérer avec les Forces Armées philippines serait « remise en question » par l’abrogation du VFA.

En mars, un rapport du Congressional Research Service (CRS) avertissait que « si la fin du VFA n’abrogeait pas le traité, elle compliquerait la capacité du Département de la Défense à remplir ses obligations en vertu du traité… [cela] soulève des incertitudes quant à l’avenir de la coopération militaire entre les États-Unis et les Philippines, un élément essentiel de la stratégie de sécurité des États-Unis » en Asie.

« Les Philippines sont un allié des États-Unis dans le cadre du traité, et la fin du VFA ne changerait pas ce statut… Cependant, de larges aspects de la coopération américano-philippine, y compris les exercices militaires et l’accès des États-Unis aux installations militaires philippines, pourraient être rendus difficiles ou impossibles sans la protection juridique du VFA », ajoute le rapport du CRS.

À cette époque, la Chine a pris une série de mesures énergiques dans la mer de Chine méridionale, y compris dans les eaux revendiquées par les Philippines, qui ont renforcé les perceptions selon lesquelles Pékin entend tirer parti de la crise du Covid-19 pour consolider sa position dans la zone maritime contestée.

Après avoir résisté aux pressions internes visant à le faire reconsidérer sa décision exécutoire, notamment à une contestation de sa légalité par le Sénat devant la plus haute juridiction du pays [la Cour Suprême, NdT], Duterte a décidé de rétablir le VFA dans les faits.

Au début de ce mois, le Ministre philippin des Affaires Étrangères Teodoro Locsin Jr a annoncé la suspension du processus d’abrogation de 180 jours qui devait prendre effet en août « sur instruction du Président [Duterte] ».

Le principal envoyé du pays a expliqué plus tard que la décision de revenir sur sa décision était une réponse à « la situation vaste et rapidement changeante du monde, dans une période de pandémie et de tensions accrues entre les superpuissances, un dirigeant mondial doit être vif d’esprit et avoir les pieds sur terre pour la sécurité de notre nation et la paix dans le monde ».

« Nous nous réjouissons de poursuivre notre solide partenariat militaire avec les États-Unis tout en continuant à tendre la main à nos alliés régionaux pour construire une défense commune en vue d’une stabilité et d’une paix durables et de la poursuite du progrès économique et de la prospérité dans cette partie du monde »,

a-t-il ajouté.

Les Marines américains et philippins lors des exercices annuels de débarquement amphibie philippin à bord du USS Bonhomme Richard qui a accosté sur l’ancienne base navale américaine de Subic, aux Philippines. Photo : AFP/Jay Directo

L’ambassadeur des Philippines à Washington, Jose Manuel Romualdez, s’est toutefois montré plus franc quant à la raison de cette volte-face politique. Il a déclaré que l’intrusion sournoise de la Chine dans les eaux philippines et les actions de plus en plus agressives contre les petits États demandeurs dans la mer de Chine méridionale [voir la carte ci-dessous, NdT] ont joué un rôle crucial dans le revirement de Duterte.

« Il est évident que la situation en ce qui concerne la pandémie est une préoccupation majeure en ce qui concerne le VFA. En fait, beaucoup d’exercices [conjoints] du Balikatan ont dû être déplacés ou ne peuvent manifestement pas être mis en œuvre en raison de la pandémie, c’est donc un exercice, » a déclaré M. Romualdez.

« La raison politique, évidemment, est qu’il y a un certain nombre de choses qui se passent actuellement dans la mer de Chine méridionale, nous le voyons très clairement et donc en raison des questions de sécurité et de beaucoup de choses qui se passent dans le monde, je pense que nos gouvernements ont vu qu’il serait prudent pour nous de simplement suspendre d’abord toute mise en œuvre de la résiliation », a-t-il ajouté.

L’envoyé principal des Philippines à Washington a réitéré l’importance du VFA car c’est « évidemment un moyen avec  lequel nous pourrons mettre en œuvre un grand nombre de ces exercices [militaires conjoints] » et que « nous devons avoir une forme d’accord pour pouvoir mettre en œuvre notre traité de défense avec les États-Unis ».

Cette assurance pourrait enhardir les responsables de la Défense philippine vis-à-vis de la Chine. Le 9 juin, le Secrétaire à la Défense philippine Lorenzana a effectué une visite très remarquée aux îles Spratley, le plus haut responsable à avoir visité ces îles contestées au cours de ces dernières années.

Il s’est rendu sur l’île philippine de Thitu pour inaugurer une rampe de débarquement qui facilitera l’entretien et la modernisation de huit îles occupés par les Philippins dans la région.

Philippine Defence Secretary Delfin Lorenzana gestures during a Reuters interview at the military headquarters of Camp Aquinaldo in Quezon city, metro Manila, Philippines February 9, 2017. REUTERS/Romeo Ranoco - RTX30A9V

Le Secrétaire à la Défense philippin Delfin Lorenzana fait un geste au quartier général militaire du Camp Aquinaldo à Quezon city, métro Manille, le 9 février 2017. Photo : AFP

« Le but de ces activités d’entretien et de modernisation est simplement de développer cette zone en une communauté viable, » a déclaré Lorenzana aux journalistes lors de sa visite, expliquant que la rampe de débarquement de 5,3 millions de dollars (268 millions de pesos) est le début d’un projet en quatre étapes pour construire un « système de bases arrière » pour les soldats et les civils stationnés dans la zone.

Le projet global devrait coûter environ 30 millions de dollars (1,6 milliard de pesos), les Philippines cherchant à fortifier leurs installations dans la région pour la première fois depuis la chute de la dictature de Ferdinand Marcos.

L’île dispose d’une piste d’atterrissage de 1 300 mètres à l’aérodrome de Rancudo qui, selon les analystes, pourrait jouer un rôle central dans tout conflit en mer de Chine méridionale. La Marine philippine a déjà proposé de construire une base navale sur l’île, notamment pour fournir un site d’entraînement pour le groupe d’élite de la Marine philippine ( Special Warfare Group), équivalent des Navy Seals américains.

La construction récente sur Thitu pourrait ouvrir la voie à une confrontation avec la Chine. Depuis fin 2018, une armada de milices chinoises entoure les îles de la région occupées par les Philippines, dont Thitu, ce qui entrave la capacité des Philippines à maintenir et à améliorer ses opérations dans les Spratleys.

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Selon l’Asia Maritime Transparency Initiative (AMTI), un think-tank basé à Washington, 18 navires paramilitaires chinois en moyenne ont encerclé l’île de Thitu entre le 2 décembre 2018 et le 2 mars 2020.

« Ces comptages indiquent le nombre minimum de navires chinois présents un jour donné. De nombreux navires n’ont probablement pas été comptés parce qu’ils étaient sous la couverture nuageuse ou en dehors du cadre des images », a expliqué l’AMTI dans un rapport basé sur des images satellites.

« Parce que la rampe de débarquement est maintenant opérationnelle, nous pouvons déjà y aller à fond », a ajouté M. Lorenzana, rassurant le public philippin après les retards répétés dans les projets de maintenance et de modernisation de l’île, annoncés lors d’une précédente visite de hauts responsables de la Défense philippine en 2017.

Richard Javad Heydarian

Traduit par Michel, relu par Hervé pour Le Saker Francophone

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