Les derniers tests le confirment : Le F-35 reste loin d’être apte au combat


Par Dan Grazier – Le 19 mars 2019 – Source pogo.org

La version du chasseur interarmées F-35 destinée à la Navy a été déclarée il y a peu prête au combat. Pourtant, selon un document obtenu par le Center for Defense Information du Project On Government Oversight (POGO), l’avion en question n’a reçu que des évaluations d’insuffisance quant à ses capacités « pleines et entières au combat », qui montrent qu’il n’est en réalité quasiment jamais apte au combat.

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Des aviateurs de la 61ème unité de maintenance aérienne fixent à l’adhésif une bâche de protection sur la verrière d’un F-35 Lightning II le 26 janvier 2015 (Photo: U.S. Air Force / Staff Sgt. Timothy Boyer)

La Navy fuit donc en avant en adoptant cet appareil, malgré les preuves de son inaptitude au combat, et le fait qu’il pourrait donc mettre en risque non seulement les missions mais aussi les soldats qui en dépendent sur le champ de bataille. Cette fuite en avant coïncide avec la publication du rapport annuel de test opérationnel, émis par le Pentagone pour l’année fiscale 2018, qui démontre que le programme F-35 dans son ensemble — le programme le plus cher de toute l’histoire des systèmes d’armements — n’est prêt à répondre ni aux menaces du futur, ni à celles du présent.

Le F-35, rappelons le, fut vendu en 2001 comme chasseur multi-rôle abordable, à un coût de 38 millions de dollars par appareil. Nous en sommes à présent en moyenne à 158.4 millions de dollars par appareil, et l’avion continue de sous-performer de manière spectaculaire sous plusieurs aspects centraux, y compris ses taux de disponibilité, de fiabilité, mais aussi sur le plan des tests en cyber-vulnérabilités ou des tests d’espérance de vie de l’avion.

Le rapport 2018 émis par le Director of Operational Test and Evaluation (DOT&E), pour révélateur qu’il soit quant aux non-progrès du F-35 sur presque tous les points d’évaluations importants, a cependant nettement perdu en transparence par rapport à ses éditions précédentes. Cette mouture du rapport n’apporte aucune nouvelle information quant aux défauts handicapants qui avaient été mis au jour par ses éditions précédentes, et il indique beaucoup moins de découvertes critiques dans le programme F-35 qu’auparavant ; enfin il ne fait état de quasiment aucun résultat quantitatif quant aux problèmes les plus urgents à traiter sur le F-35. Le rapport omet de mentionner le taux d’aptitude global au combat du programme — sans parler de la version de la Navy — alors que ce taux constitue la métrique principale permettant d’évaluer l’aptitude au combat de tout avion de chasse.

Malgré un flux nourri de communiqués de presse exaltants de la part du Pentagone, les informations que met à disposition le DOT&E établissent que le F-35 est encore en zone de turbulence dans les domaines critiques qui suivent :

  • Pas ou peu d’amélioration au fil des dernières années des métriques clés en matière de disponibilité, de fiabilité, et de temps de vol : dans le champ du futur prévisible, trop peu de F-35 seront donc prêts à être envoyés au combat quand on en aura besoin.
  • Les F-35s des Marines et de la Navy utilisés pour les tests de durabilité ont subi tant de cassures, et ont reçu tant de réparations et de modifications, que les avions dédiés aux tests ne parviendront pas à achever les tests de durée de vie, calibrés à 8000 heures de vol. La version du fuselage dédiée aux Marines pourrait présenter une durée de vie tellement courte que les F-35B utilisés aujourd’hui seraient à mettre au rebut dès 2026, soit 44 années avant l’échéance du programme, établie à 2070.
  • En dépit d’années d’applications de correctifs et de mises à jours, les systèmes informatiques essentiels au combat du F-35 continuent de dysfonctionner. Ce point concerne entre autres le Système Autonome d’Information Logistique [Autonomic Logistics Information System (ALIS), NdT], le réseau qui gère la maintenance et les commandes de pièces détachées ; mais également les flux de données qui affichent, combinent et échangent des informations de ciblage et de menaces entre les aéronefs et les sources de renseignements.
  • Le programme n’a pas délivré les ressources nécessaires à la construction, aux tests et à la validation des fichiers de données missions, qui contrôlent l’achèvement des missions et la survie.
  • À l’instar des années précédentes, les tests en cyber-sécurité démontrent que les vulnérabilités découvertes et confirmées du F-35 n’ont pas été corrigées : des pirates ennemis pourraient donc mettre à bas le réseau ALIS, s’emparer de données confidentielles sur le réseau et les ordinateurs de bord, et peut-être même empêcher le F-35 de décoller ou d’accomplir ses missions.
  • Le rapport de tests et d’évaluations opérationnels initiaux, dont l’importance est centrale, et qui est déjà très en retard — ce rapport doit établir si l’appareil est apte au combat et prêt pour la production en série — ne sera pas seulement en retard (peut-être pas plus tôt que 2020), mais sera peut-être également basé sur des tests nettement moins réalistes quant aux conditions de combat que prévu. Il y a plusieurs raisons à cela : non seulement les équipes de tests sont obligées de se débrouiller avec des avions au développement inachevé et perclus de défauts, mais le programme F-35 a également échoué depuis plusieurs années à mettre à disposition le matériel de tests adéquat, ainsi que des infrastructures de simulation réalistes multi-avions et multi-menaces.

Le rapport apporte également quelques rares et précieuses données concrètes en matière de maintenabilité ; de disponibilité et durées de vol ; de résultats de tests des systèmes d’armes ; de problèmes de maintenance dus à ALIS ; de difficultés causées aux pilotes par les capteurs et afficheurs ; et en matière d’insuffisance en ressources et en réalisme des tests. Le DOT&E, en omettant d’intégrer à son rapport la moindre information quant aux taux de capacité globaux du programme — qui étaient bel et bien inscrits aux éditions précédentes du même rapport — laisse le public dans l’ignorance du pourcentage de temps au cours duquel ces avions sont prêts à accomplir leur mission. On ne sait pas pourquoi le rapport n’intègre pas ces données, mais cette absence soulève des questions : les performances auraient-elles empiré ? le Pentagone aurait-il des informations à cacher ?

Le DOT&E n’a souhaité apporter aucun commentaire d’aucune sorte quant à ce rapport.

Brillent également par leur absence les résultats de plusieurs tests importants en matière d’activités, comme les tests de l’été 2018 sur le soutien aérien de proximité entre le F-35 et l’A-10. Ces tests, comme POGO l’avait signalé à l’époque, ont été mené dans des conditions non réalistes et semblent avoir été conçus pour doper les taux de succès du F-35.

Selon le rapport, le DOT&E conserve pour lui la plupart des détails des tests et résultats, et fait la promesse de les intégrer dans le rapport final de tests et d’évaluations opérationnels initiaux. La publication de ce rapport n’est pas à attendre avant début 2020 au plus tôt.

Exclusif : le programme F-35 subit un nouveau revers

Le programme à problèmes du F-35, déjà financé à hauteur de 1.5 trillions de dollars, n’est pas prêt à entamer la phase critique de tests de combats, si l’on en croit le directeur des tests du Pentagone, dont ces affirmations apparaissent dans un mémo en date d’août 2018 resté non publié, que le Center for Defense Information de POGO a pu se procurer.

L’article de POGO à ce sujet est ici

Ce pendant, le Bureau du programme interarmées [Joint Program Office (JPO), NdT] du F-35 s’en tient à son agenda programmé, selon lequel le programme devrait voir lancée la production en série de la flotte toute entière d’ici fin 2019, et ce malgré des centaines de défauts critiques répertoriés mais non corrigés.

Le Bureau du programme interarmées (JPO) a déclaré au sujet du rapport du DOT&E : « Tous les problèmes mentionnés sont bien connus du JPO, des services des USA, de nos partenaires internationaux et de nos alliés, et de notre équipe industrielle ; et on travaille très ardûment à leur résolution. L’entreprise du F-35 a passé plusieurs jalons critiques au cours de l’année 2018, et ces jalons ont positionné un socle solide pour que le programme passe la phase de tests et évaluations opérationnels initiaux, et entre en production en série, tel que prévu, fin 2019 ».

Les services n’ont pas souhaité répondre aux demandes de commentaires formulées par POGO au sujet du rapport DOT&E.

POGO a mené une analyse en profondeur de ce rapport. Les résultats, combinés avec les précédentes analyses de POGO, démontrent que le programme F-35 est encore plus embourbé que jamais, et devrait constituer un grave sujet d’inquiétude pour le Pentagone, le Congrès, ainsi que le contribuable, qui s’acquitte de dépassements de coûts de plus en plus vertigineux.

Des avions de combats inaptes au combat

La mesure principale permettant de qualifier si un appareil est prêt au combat est l’indicateur « pleinement apte à la mission » [fully mission capable, NdT]. Il s’agit du pourcentage d’appareils dont on dispose, dont les systèmes suivants sont pleinement fonctionnels : systèmes de déplacement (contrôle du vol et moteurs), systèmes de mission électronique (radar, systèmes de guerre électronique, ordinateurs, etc), et capacités d’engagement des armes — une métrique d’une importance tout particulière dans le cas du F-35. Le rapport du DOT&E de 2017 affichait un taux d’aptitude pleine et entière à la mission de 26%, calculé sur la flotte de F-35 dans son ensemble. Le rapport 2018 ne mentionnant pas cet indicateur, personne ne sait à combien il s’élève aujourd’hui.

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Le F-35B et le F-35C présentent tous deux des taux d’aptitude à la mission plus que médiocres, selon les données obtenues par POGO (Source : US Navy Data)

Le document de la Navy que POGO a pu se procurer montre que le problème persiste : les variantes F-35B des Marines et F-35C de la Navy présentent des performances encore moindres en 2018 que l’année précédente. Le taux d’aptitude pleine et entière à la mission du F-35B a chuté de 23% en octobre 2017 à 12,9% en juin 2018, et celui du F-35C est passé d’un déjà maigre 12% en octobre 2016 à 0% en décembre 2017, et est resté dans les nombres à un seul chiffre courant 2018.

Si l’on extrapole ces performances lamentables des variantes de la Navy et des Marines à l’ensemble de la flotte F-35, et que l’on combine cette extrapolation à la faiblesse des améliorations constatées dans le fonctionnement du programme depuis 2017, le taux d’aptitude pleine et entière à la mission est probablement très largement en deçà de la cible de 80%, qui constitue l’objectif du programme énoncé par l’ancien Secrétaire à la Défense, James Mattis.

Le JPO, en réponse aux questions de POGO sur les taux d’aptitude pleine et entière à la mission, a répondu en citant un autre indicateur : le taux de « capacité à entrer en mission » de la flotte F-35, qui est plus élevé. Mais il s’agit d’une métrique moins rigoureuse et d’une utilité plus discutable, qui indique le ratio de temps au cours duquel l’appareil peut exécuter au moins une des tâches qui lui sont imparties. Le Bureau a également cité le manque de pièces de rechange comme facteur le plus pénalisant de la disponibilité de la flotte.

Un autre indicateur est nécessaire si l’on veut savoir combien d’avions peuvent réellement partir au combat : il s’agit du taux de génération de sortie [« sortie generation rate », NdT], qui indique combien de vols quotidiens réalise chaque appareil de la flotte. Le rapport 2018 du DOT&E n’en fait aucune mention.

Les taux de sortie de flotte, calculés par POGO pour les trois variantes de F-35 en partant du rapport 2017, étaient extrêmement bas : ils s’établissaient à une moyenne de 0,3 à 0,4 sortie par jour. Pendant l’opération Tempête du Désert [invasion de l’Irak par une coalition dirigée par les USA, en 1991, NdT], les appareils portés en ligne de front, parmi lesquels le F-15 et le F-16, effectuaient une moyenne d’au moins 1 sortie par jour, et la flotte A-10 réalisait en moyenne au moins 1,4 sortie par jour. Même sous la pression du déploiement au combat récent au Moyen-Orient, les performances du F-35 en la matière ne se sont pas améliorées. Selon les dires du commandant d’escadre, 6 F-35B embarqués sur le USS Essex ont effectué plus de 100 sorties en plus de 50 jours au Moyen-Orient. Cela indique un taux de sortie d’un tiers et par avion F-35B : chaque avion n’a été présent au combat qu’un jour sur trois en moyenne.

Les performances du F-35 au combat restent entourées de mystère

Le rapport 2018 passe outre la plupart des détails des tests en cours du F-35. Le bureau du programme interarmées du F-35 a mis fin à la phase de conception et de développement des systèmes en avril 2018, d’une manière tout à fait arbitraire, malgré un tableau de défauts de conceptions bien rempli. Le programme est passé de sa phase de tests développementaux, qui voit les ingénieurs tester les systèmes unitairement pour évaluer s’ils répondent aux spécifications contractuelles, à la phase de tests opérationnels, qui voit des utilisateurs militaires aguerris tester si l’avion dans son ensemble se montre apte au combat et efficace, au delà de la simple réponse aux spécifications contractuelles ou de conception en ingénierie : ces dernières ne suffisent en effet pas toujours à répondre aux besoins au combat.

Le rapport, en particulier, ne donne aucune information quant aux résultats des deux événements de tests préliminaires en matière de Tests et évaluations opérationnels initiaux, qui se sont déroulés en 2018 – chacun d’entre eux dans des conditions de réalisme de combat plutôt limité : le test du F-35 à basse température en Alaska, et la première phase de décollage pour appui aérien de proximité, mandatée par le Congrès, entre le F-35 et l’A-10.

La Farce du support aérien rapproché

Le chasseur de frappe interarmées F-35 entre donc enfin en pratique en compétition face à l’A-10, avion de soutien aérien aguerri, dans un test de décollage en soutien aérien de proximité, promis depuis longtemps. Mais les tests en question, tels qu’ils ont été conçus, vont révéler bien peu de choses quant à la capacité réelle du F-35 à apporter un soutien à des soldats au sol dans des conditions de combat réalistes — chose que le F-35, présenté comme successeur de l’A-10, doit être en mesure d’assurer.

L’article POGO à ce sujet est ici

Le manque d’information et de transparence de la part du Pentagone sur ces essais de décollage laisse un sentiment de malaise tout particulier, au vu des résultats de l’enquête de POGO sur la mauvaise gestion, les biais et les conflits d’intérêts qui jalonnent la conduite de ces tests. Les conclusions des tests et l’avenir de l’A-10 devraient constituer un grave sujet de préoccupation pour chaque soldat et chaque Marine qui risque de se retrouver un jour à demander un appui aérien.

Le F-35 ne tire toujours pas droit

On trouve dans le rapport quelques détails sur les tests développementaux du canon de 25mm, mais la quasi totalité d’entre eux est une reprise d’anciens résultats, déjà mentionnés dans les éditions précédentes du rapport. Ce canon est d’une importance toute particulière pour le support aérien de proximité : pouvoir mitrailler le sol avec précision est presque à chaque fois une meilleure solution qu’envoyer des bombes ou des missiles dès lors que des soldats amis se voient menacés par des ennemis à proximité, ou quand les cibles ennemies avoisinent des civils.

Le rapport comprend une combinaison de ce test, et de résultats des tests des années précédentes sur les canons des trois variantes de F-35, mais les résultats les plus significatifs qu’on y trouve impliquent le canon du F-35A. Comme sur la plupart des sujets en lien avec le programme F-35, comme trois aéronefs spécifiques sont définis par service, on trouve trois modèles de canons différents entre eux : un canon monté en interne pour le F-35A de l’Air Force, et un canon ventral disposant de 220 munitions pour le F-35B et le F-35C, respectivement destinés au corps des Marines et à la Navy ; mais en raison de différence de forme des deux dernières variantes, ces canons connaissent également des différences. Le DOT&E indique qu’à en croire un petit échantillon de tests de vol développementaux, les canons du corps des Marines et de la Navy remplissent les spécifications de précision de tir émises par l’ingénierie.

Mais le canon interne du F-35A, dédié à l’Air Force, continue de faire preuve d’imprécision au fil des tests, chose qui n’a pas changé au fil des années. Le canon tire trop loin et à droite de la cible visée dès lors que le pilote utilise les repères visuels projetés dans son casque. Des corrections au niveau du logiciel de ciblage du casque devraient pouvoir corriger les repères pour les faire coïncider avec les impacts des balles, mais toutes les tentatives de ce faire ont échoué depuis au moins deux ans. Les enquêteurs ont tout d’abord détecté des défauts d’alignement dans l’ajustage du canon en 2017 ; pour reprendre les termes du rapport de 2018, « l’état d’alignement de chaque canon de F-35A n’est pas établi ».

D’autres questions perdurent, en grande partie en raison de l’insuffisance du programme de tests, au sujet de l’efficacité des munitions lancées par le canon contre des cibles réelles affrontées au combat. La phase de tests développementaux a testé trois types de munitions : le PGU-23, un projectile destiné à l’apprentissage et à l’entraînement ; le PGU-47, un projectile explosif et incendiaire anti-blindage ; et le PGU-48 destiné à traverser les blindages légers. Le projectile incendiaire est principalement utilisé contre les blindages légers, car il est conçu pour traverser une fine couche de blindage avant d’exploser à l’intérieur de la cible. Le PGU-48 constitue une munition à fragmentation non traditionnelle et non explosive, supposé faire un trou dans les cibles à blindage léger et provoquer une détonation secondaire en pénétrant dans le réservoir de carburant ou de stockage de munitions. Les tests de munition, à ce jour, n’ont été menés que contre quelques véhicules obsolètes, quelques avions obsolètes, ainsi que des silhouettes en contreplaqué — aucune cible ne s’apparentant aux menaces effectivement rencontrées par les soldats sur le terrain.

Et les tests du canon et de ses munitions réalisés lors d’un vol ont été encore plus limités. Selon le rapport, seules 19 missions de test de mitraillage air-sol ont été menées pour le F-35A « jusqu’en juillet 2018 », au cours desquels l’appareil a tiré environ 3400 munitions des trois types énoncés ci-dessus, en environ 70 passes de 50 munitions chacune ; car le F-35A n’embarque que 182 munitions. (Pour comparaison, le canon 30mm de l’A-10 peut embarquer 1350 munitions). Il faut savoir que pour constituer une mesure tangible, les tests de munition en vol doivent comporter au moins trois angles d’approche et trois distances d’engagement différentes. Le rapport ne fournit aucune précision sur le programme de test, mais de simples calculs arithmétiques de base laissent à penser que si les chargés de tests ont évalué chaque munition selon les règles de l’art que nous venons d’énoncer, alors ils ne disposent que d’un ou deux jeux de données par munition, ce qui est fort loin du volume de données permettant d’évaluer les performances de manière significative.

Rien dans le rapport n’indique que d’autres tests seront jamais menés sur le canon, pas plus qu’aucun test supplémentaire permettant de comparer l’efficacité du canon 25mm du F-35A au canon 30mm de l’A-10, mettant en œuvre des cibles et un nombre d’essais réalistes.

Le F-35 est supposé égaler ou surpasser les performances au combat de l’appareil qu’il va remplacer. Le F-35A est supposé remplacer l’A-10 en rôle de soutien aérien de proximité. Il faut s’attendre à ce que bien peu de soldats présents sur des zones de combats fassent confiance au F-35 autant qu’à l’A-10 pour attaquer les cibles ennemies proches de leur propre position, du moins tant que les ingénieurs n’auront pas réussi à faire tirer droit le canon du F-35A.

Des signes inquiétants quant à la longévité de l’appareil

Les services [des armées] s’attendaient à ce que le F-35 soit en vol pour un demi-siècle ; mais il est bien possible, au train où vont les choses, que nombre d’appareils anciens, que le F-35 est supposé remplacer, continueront d’assurer un service au moment où les premiers F-35 seront envoyés au rebut.

Tous les F-35 sont supposés disposer d’une durée de vie en service de 8000 heures, qui constitue un standard pour les aéronefs militaires. Afin de garantir la durabilité de la conception, chaque modèle doit subir des tests structurels à hauteur de trois fois sa durée de vie (24000 heures) : il s’agit d’émuler le stress causé sur l’aéronef par les décollages, les atterrissages et les opérations en vol. Lors du déroulé de ces tests au fil des années, les ingénieurs ont découvert de nombreuses occurrences de fissures et d’usure dans les composants et les articulations des fuselages de test. Par exemple, une pièce de liaison entre l’empennage vertical et le fuselage d’un F-35A est tombée en défaut au cours d’un test menée en octobre 2010. Il a fallu revoir la conception de cette pièce, puis intégrer cette nouvelle conception au processus de fabrication. L’appareil de test en question, après avoir subi cette réparation et d’autres, a été assigné à subir les tests à hauteur de trois fois sa durée de vie, et selon le rapport de 2018, fait en ce moment l’objet d’une évaluation complète pour déterminer les autres réparations nécessaires, et déterminer si les F-35A disposent ou non d’une durée de vie de 8000 heures.

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Des Marines équipent un F-35B avant un test fonctionnel d’armement, le 10décembre 2015 (Photo: U.S. Marines / Sgt. Eric Keenan)

Du coté du F-35B, la variante destinée aux Marines, les tests structurels qui ont été menés n’ont pas permis d’atteindre le seuil du triple de la durée de vie nominale de l’aéronef. Le rapport de 2018 stipule que les dirigeants du JPO ont suspendu les tests sur ce fuselage en 2017, alors que les tests portaient sur sa deuxième durée de vie, estimant que les réparations et modifications qu’exigeait l’avion subissant ces tests étaient si importantes que cet appareil n’était « plus représentatif de la structure traversante d’aile en aile » du modèle en sortie des lignes d’assemblage. De manière scandaleuse, aucun projet n’existe en vue de remplacer le fuselage F-35B pour parvenir aux tests sur le triple de la durée de vie, tel que prévu contractuellement. Les évaluateurs se sont basés sur les données déjà collectées jusque là et ont déterminé que la durée de vie en service du F-35B pourrait s’« élever » à un maximum de 2100 heures de vol. En pratique, cela signifie que le corps des Marines pourrait donc se voir contraint de commencer à envoyer au rebut ses premiers avions F-35 dans sept ans, et que ce même corps pourrait ne jamais voir la couleur d’un F-35B présentant une durée de vie effective de 8000 heures. Les F-35B disponibles aujourd’hui pourraient finir à la casse dès 2026 — 44 années avant la fin planifiée du programme.

Les dirigeants du JPO ont procédé d’une manière assez proche en annulant les tests de longévité réalisés sur le fuselage test du F-35C, au milieu de la troisième durée de vie. Cette annulation faisait suite à la découverte d’un endommagement de plusieurs composants de la structure, considérés comme trop coûteux à réparer. Comme dans le cas du F-35B ci-avant, le bureau du programme ne propose aucun remplacement du fuselage de test, ni de terminer les tests jusqu’à hauteur des trois durées de vie obligatoires.

Quant aux F-35 déjà fabriqués et livrés, pour atteindre la durée de vie des derniers modèles produits, vont devoir subir des modifications très coûteuses, pour bénéficier des modifications de conception en résolution des problèmes découverts par les tests, pour incomplets que ces derniers soient.

Un système de logistique et de maintenance qui plombe les opérations de logistique et de maintenance

ALIS, le système d’information bancal dédié aux informations logistiques — un réseau immense et complexe, propriété de Lockheed Martin, le principal fournisseur du programme F-35, et opéré par cette même société — continue de contrarier l’ensemble du programme.

Ce réseau est supposé intégrer les diagnostics de maintenance, ainsi que la planification et la gestion des approvisionnements, avec les agendas des missions de combat et l’analyse des menaces. Malgré l’accumulation d’éléments depuis des années — dont certains versés au dossier par le Government Accountability Office lui-même [équivalent de la Cour des Comptes aux USA, NdT] — prouvant que le système ne remplit pas ses tâches, Lockheed Martin continue d’afficher sur son site internet que les fonctions d’ALIS vont « réduire les coûts opérationnels et optimiser la disponibilité de l’avion ». Parlons donc des soi-disant initiatives du Pentagone pour diminuer les tâches manuelles : ALIS a, en réalité, fait monter la charge de travail des agents de maintenance, à qui on demande déjà beaucoup, avec des problèmes récurrents tels que : diagnostics de maintenance erronés, procédures pesantes pour la saisie de données, et vitesses d’escargot pour l’envoi et la réception de données entre les avions et ALIS. En réalité, ALIS est tellement plein de failles, et a connu tant de déboires que Lockheed Martin elle-même ne s’est mise à utiliser son propre système sur ses lignes de production qu’en mars 2018.

Heather Wilson, la secrétaire à la Force aérienne des États-Unis en personne, a  trollé ALIS, le système de maintenance du F-35, sur Twitter : « Je peux affirmer qu’aucun agent de maintenance de l’Air Force ne prénommera jamais sa fille Alice ». #AWS19

Le programme a adopté la version ALIS 2.0.2.4 début 2018. Des opérateurs terrain ont remonté de nombreux problèmes notables avec ce système. De manière ironique, l’outil de planification de déploiement du système ne soulageait pas les difficultés importantes à déployer des avions F-35. Les utilisateurs se sont également plaints de l’outil de gestion des pièces d’usure, qui selon eux les oblige à passer beaucoup de temps [en saisie], et les force à trouver des contournements au système pour faire leur travail — l’exact opposé du fonctionnement attendu d’un tel système. Et ce pendant, un autre correctif d’ALIS, portant la version 3.0.1, est en cours de test depuis fin 2017 et a déjà exigé deux révisions, dont la dernière en, 3.0.1.2, s’est vue introduite pour le lancement des tests et évaluations opérationnels initiaux, mais fera l’objet d’une nouvelle mise à jour dans six mois.

Les « contournements manuel » — une expression que l’on trouve dans le dernier rapport du DOT&E — sont monnaie courante dans la saga ALIS. La plupart des tâches qu’ALIS est en théorie en mesure d’accomplir ne fonctionne que grâce à « une forte dose d’efforts manuels«  de la part des équipes de maintenance et du personnel administratif. Par exemple, les problèmes de l’outil de planification des déploiements et de transfert de données depuis l’avion vers le réseau ALIS n’ont toujours pas été corrigés. Pour mener à bien les tâches nécessaires, les membres des équipes de service doivent céder leur siège aux spécialistes mandatés par le constructeur, ce qui génère de « fréquentes interruptions des tâches« . Chaque fois qu’un F-35 doit subir une opération de maintenance, il faut le saisir dans le système. Selon le rapport de test, « les saisies exigées pour chaque opération de maintenance au sein d’ALIS demandent plus de temps que la réalisation de l’opération elle-même ».

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L’aviateur senior Brycen Stone, responsable de la 4th Aircraft Maintenance Unit, réalise une opération de maintenance sur un F-35A le 6 février 2019. (Photo: U.S. Air Force / R. Nial Bradshaw)

Dès qu’un composant tel qu’un siège éjectable a un problème, les équipes doivent le saisir dans le journal d’équipement électronique d’ALIS, qui est dès lors supposé s’occuper de la commande et de la livraison des pièces de rechange auprès de la chaîne d’approvisionnement. Dans une telle situation, et selon les standards, ALIS est supposé réaliser ce processus de manière automatique. Mais jusqu’ici, les équipes de maintenance doivent au contraire saisir manuellement les données « manquantes ou incorrectes » dans le réseau. Les différents sous-traitants apportant leurs sous-systèmes à la chaîne d’approvisionnement du F-35 ne partagent pas de processus standardisés, ce qui constitue l’une des principales raisons des problèmes connus par les fonctions du journal d’équipement électronique. La sous-traitance de contrats et de sous-contrats vers 1500 fournisseurs, répartis sur tout le pays, a permis au programme d’obtenir un soutien important de la part du Congrès [chaque membre du Congrès ayant ainsi de quoi se faire mousser auprès des électeurs de sa circonscription, NdT], mais cette multitude de sources d’approvisionnements aggrave les erreurs de données connues par ALIS, ralentit la livraison des pièces de rechange, et constitue un facteur de surcoût pour le programme.

L’empilement de tous ces problèmes, couplé au fait que nombre d’entre eux persistent depuis des années, fait que les « utilisateurs finaux » (c’est à dire les équipes de maintenance en uniforme travaillant dur) ont de bonnes raisons de mettre en doute le fonctionnement d’ALIS dans son ensemble. Selon le rapport, certaines équipes disposent d’un double système, et conservent leur propre base de données sur des ordinateurs portables pour garder trace de l’utilisation des pièces détachées en dehors des données générées par ALIS, qui s’avèrent très souvent inexactes.

Il faut s’attendre à ce que nombre de ces problèmes perdurent, au fil des empilements de mises à jour logicielles. ALIS a déjà connu au moins 27 versions. Le rapport de test 2018 à lui seul discute de 5 de ces versions. Chaque version est publiée pour ajouter des fonctions et corriger des défauts présents dans les versions précédentes. Le DOT&E fait état de quelques progrès, comme un correctif qui a fait cesser les fausses alertes qui frappaient le système. Mais pour autant, la situation sur le fond reste qu’ALIS provoque plus de problèmes qu’il n’en résout. Le programme F-35 prévoit de publier quatre versions majeures d’ALIS au cours des trois prochaines années. Cela pose un défi, en ce que chacune de ces versions introduira presque à coup sûr son lot de régressions ou de problèmes. « Selon certaines estimations, entre 10 et 15% des correctifs de sécurité introduisent de nouvelles vulnérabilités », écrivait le développeur Chad Perrin dans TechRepublic en 2010 [dans un article sur le développement logiciel en général, pas spécifique au F-35, NdT]. Le programme F-35 essaye de répondre à ce problème en publiant des versions plus petites et plus fréquentes. ALIS est tellement plein de failles, et a connu tant de déboires que Lockheed Martin elle-même ne s’est mise à utiliser son propre système sur ses lignes de production qu’en mars 2018.

Les concepteurs d’ALIS ont du pain sur la planche pour résoudre les nouveaux problèmes en plus de ceux qui existent depuis les débuts du processus de développement. Par exemple, il y a plus de 6 ans, l’application de gestion de la santé des escadrons d’ALIS [Squadron Health Management application, NdT] signalait faussement un appareil comme inapte à être envoyé en mission, alors que dans le même temps, une autre application, le système de gestion de maintenance client, signalait pour sa part que l’avion était prêt à s’envoler. Ce problème, identifié à partir de la version 1.0.3A3 d’ALIS, n’est toujours pas corrigé.

En fait, les problème posés par ALIS sont suffisamment graves pour que l’Air Force annonce récemment qu’en coopération avec Lockheed, elle travaillait à présent au développement d’un nouveau logiciel, dénommé « Mad Hatter » [chapelier fou, NdT], qui réaliserait toutes les fonctions normalement assignées à ALIS en intégrant du Wi-Fi et des écrans tactiles sur la ligne de vol. En résumé, les contribuables ont payé Lockheed Martin pour créer ALIS, et Lockheed a fait n’importe quoi. À présent, les contribuables vont à nouveau payer Lockheed Martin, cette fois pour développer le remplacement Mad Hatter, non sans continuer à s’acquitter de la facture des empilements de correctifs du système originel ALIS.

Les fichiers de données, nécessaires aux tests d’esquives aux menaces, ne sont pas prêts

Les dirigeants du programme n’ont ni établi, ni financé les ressources nécessaires à la programmation des fichiers de données nécessaires au fonctionnement du réseau complexe d’ordinateurs et de capteurs intégrés au F-35, et connus dans leur ensemble sous le terme « systèmes de mission ». Le bon fonctionnement du F-35 dans son ensemble, et en particulier son mode de furtivité, dépend de la mise à disposition d’informations à jour quant aux signaux radars sol et air de l’ennemi, de ses missiles, de ses systèmes de brouillage, ainsi que d’informations similaires mises à disposition par des unités amies sur le terrain. Ces informations sont assemblées en très gros fichiers informatiques, appelés Charges de données de mission Mission Data Loads (MDLs), NdT], mises à profit par les capteurs de l’appareil pour identifier les menaces, ne pas tenir compte des signaux amis, et calculer les trajectoires de vol sécurisées. Il revient aux programmeurs de façonner les MDLs pour chaque théâtre d’opération potentiel, chaque pays employant sa propre combinaison de systèmes d’armes et de radars. Ces combinaisons subissent des changements réguliers, si bien que les MDLs de chaque théâtre de combat potentiel doivent être mis à jour en permanence, et voir leur pertinence revérifiée. Sans MDLs à jour et totalement vérifiés, ni les systèmes de guerre électronique ni les autres capteurs embarqués ne peuvent localiser, suivre, esquiver ou cibler les systèmes ennemis.

Les MDLs sont créés et mis à jour par des programmeurs localisés sur la base de l’Air Force d’Eglin, en Floride, au sein du United States Reprogramming Laboratory. Les logiciels et matériels de ce laboratoire sont si lourds qu’il a fallu 12 à 15 mois pour fabriquer et tester les MDLs destinés aux Tests et évaluations opérationnels initiaux — et encore reste-t-il à présent à valider ces fichiers. Selon le rapport le labo ne dispose toujours « pas des équipements appropriés pour tester et optimiser les MDLs dans les conditions de stress permettant de garantir le bon niveau de performance face aux menaces rencontrées en situations de combat en cours et futures »« .

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Le Caporal Brandon Nordlund à l’œuvre lors d’un test fonctionnel d’armement sur un F-35B Lightning II, le 10 décembre 2015. (Photo: U.S. Marines / Sgt. Eric Keenan)

Le JPO a géré n’importe comment le processus de création et de test des MDLs. Le labo ne dispose pas d’émulateurs de signal haute fidélité en nombre suffisant pour reproduire les traces ou le nombre de signaux radars qu’un système de défense ennemi présenterait. On utilise ces émulateurs pour les simuler auprès des capteurs de guerre électronique du F-35 et vérifier qu’ils répondent comme attendu. Le laboratoire a reçu de quoi équiper chacune de ses deux lignes de tests de 8 canaux émulateurs de signaux haute fidélité pour la fin 2019. Selon les analyses du JPO lui-même, 16 à 20 canaux de haute fidélité sont recommandés sur chacune des deux lignes de test si l’on veut émuler correctement les environnements de signaux électroniques pour tester les MDLs ; mais le JPO n’a pas financé leur acquisition. À n’y pas manquer, cette insuffisance en émulateurs de signaux en nombre suffisant va déboucher sur des MDLs de tests incomplets, et, bien plus grave, va amener à ce que des fichiers MDLs inappropriés soient utilisés sur les zones de combats, ce qui constituerait un risque pour les missions et pour les soldats qui y seront engagés.

Le programme est déjà en retard sur la production de ces fichiers critiques, mais les choses vont encore s’empirer, à présent que nous entrons en phase « phase de modernisation en temps réel » [follow-on modernization phase, NdT], également connue sous les termes de Block 4, ou Développement et Livraison en capacité continue [Continuous Capability Development and Delivery, C2D2, NdT]. Cette nomenclature constitue surtout un écran de fumée visant à masquer les coûts énormes des jalons à venir, des définitions de fonctions, et des engagements calendaires qui ne manqueraient pas d’être définis pour la phase de développement de tout autre programme d’armement majeur. L’« innovation » de cette phase de développement continu permettra au JPO de dérouler de petits incréments sur des fonctions nouvelles et mal définies à peu près tous les six mois, ce qui lui donnera toutes les opportunités d’échapper à ses responsabilités quant au respect du calendrier standard et des seuils de spécifications de la phase de développement. Nombre de ces fonctions livrées sous le terme de développement continu seront en réalité des correctifs, corrigeant des problèmes issus de la montagne de défauts non résolus qui sont restés sans solution au moment où le même JPO a arbitrairement annulé la phase de développement en 2018. Les contribuables ont déjà payé l’intégralité de la phase de développement. Ils vont donc payer à nouveau, pour voir arriver les corrections de nombreux problèmes latents, et finir ce que le programme n’a pas livré.

Les livraisons continues de nouveaux matériels et logiciels sur une base de six mois exigera des mises à jour correspondantes au niveaux des livrables MDL et, pire, la réalisation de tests opérationnels en « continu » — un cauchemar pour les programmeurs du labo, et un cauchemar encore pire pour les chargés de tests opérationnels. Avec actuellement 6 configurations de F-35, au moins 4 mises à jour Block 4 prévues, et 12 zones géographiques exigeant des MDLs spécifiques, le laboratoire de reprogrammation devra créer, mettre à jour, distribuer et gérer au moins 120 MDLs. La création de nouveaux MDLs pour réaliser ces tests est estimée à huit mois de travail, et, selon le DOT&E, il faut « plusieurs mois«  pour y appliquer des mises à jour mineures. Le JPO n’a pas réalisé d’estimation de la charge de travail ni du matériel nécessaire à l’accomplissement de cette tâche, et n’a engagé aucun sous-traitant pour s’en occuper.

Les préoccupations en matière de cybersécurité restent entières

Les dirigeants du Pentagone ont présenté comme un avantage le fait que le F-35 soit « un ordinateur capable de voler« . Presque tous les avantages dont dispose l’appareil en la matière résident dans le réseau interne et externe, composé de matériel et de logiciel, et le reliant aux autres appareils, aux sources de renseignement, aux stations au sol, aux satellites, aux labos logiciels, aux ordinateurs de maintenance, et d’autres encore. Réaliser des tests en cybersécurité constitue donc une tâche centrale, à réaliser dans le cadre de toute évaluation du programme F-35. Le GAO [équivalent aux USA de la Cour des comptes, NdT] a publié un rapport en octobre 2018, établissant que la quasi totalité des systèmes d’armes comportant des composants logiciels testés entre 2012 et 2017 étaient vulnérables à un piratage. Il s’agissait bien souvent de chercher tout bonnement sur internet les mots de passe par défaut livrés dans la version « usine » de composants logiciels disponibles sur le marché. De nombreux composants du programme F-35 s’appuient sur des logiciels courants du marché ; ALIS tourne par exemple sous Windows.

Les tests en cybersécurité font partie depuis longtemps de l’évaluation du programme F-35. Le bureau de tests est resté pour l’instant muet quant aux problèmes spécifiques, mais indique qu’en 2018, « certaines des vulnérabilités identifiées lors des périodes de tests précédentes n’avaient toujours pas été corrigées« . Le DOT&E demande que plus de tests cyber soient réalisés sur l’appareil et sur sa chaîne d’approvisionnement, pour « garantir l’intégrité des composants matériels de la production initiale des aéronefs et des composants d’ALIS, ainsi que des livraisons de pièces détachées« .

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Les préoccupations du DOT&E quant à l’intégrité d’ALIS sont telles que le rapport réitère un avertissement : les dirigeants du programme devraient trouver un moyen d’opérer le F-35 en s’en passant absolument, dans le cas où le réseau serait compromis. Les dirigeants du programme F-35 affirment qu’un F-35 peut voler au moins 30 jours sans disposer d’ALIS pour réaliser ses échanges de données et tracer ses actions de maintenance. LE DOT&E demande au programme d’améliorer cette situation. « À la lumière des menaces et des vulnérabilités connues en matière de cybersécurité, et en lien avec les menaces quant aux communications entre avions et entre avion et base, le programme et les services exploitant le F-35 devraient tester une mode d’opération de l’appareil sans accès à ALIS sur des durées prolongées« . Mais le DOT&E n’a ni planifié, ni mandaté de tests pour confirmer si oui ou non le F-35 peut fonctionner sans ALIS sur des périodes de temps égalant ou dépassant 30 jours.

hacked-f-35_v2oDes armes vulnérables aux cyberattaques

Tous les américains devraient s’en préoccuper : on nous fait payer des suppléments pour des armes dont l’ennemi peut enrayer le fonctionnement.

Lire l’article de POGO à ce sujet ici

Le fait que les systèmes du F-35 soient par conception totalement intégrés rend les sujets de cybersécurité bien plus critiques que pour tout autre appareil. Les avions de générations précédentes, qui sont donc en service, sont équipés de sous-systèmes comportant des logiciels ; un attaquant pourrait pénétrer le système GPS d’un de ces avions, mais cet accès ne peut pas être utilisé pour rebondir sur un autre sous-système informatique de l’avion : leurs fonctionnements restent cloisonnés. Le niveau d’intégration que connaît le F-35 entre tous ses composants le rend intrinsèquement beaucoup plus vulnérable. Lockheed Martin se vante sur son site web de la « fusion des capteurs«  de l’appareil, qui interconnecte tous les sous-systèmes embarqués, comme le radar à antenne active ; le système d’ouverture distribuée [Distributed Aperture System, il s’agit de 6 capteurs infrarouges de haute définition distribués supposés offrir une vision tous azimuts autour de l’avion aux systèmes embarqués ainsi qu’au pilote, NdT] ; et le système gérant les communications, la navigation et l’identification aéronautique. Les cyber-combattants ennemis n’auront donc, en pratique, qu’à percer les protections d’un de ces composants logiciels pour se trouver en mesure de corrompre l’ensemble du système. Selon le rapport du GAO de 2018 : « Il est possible qu’une seule attaque réussie envers l’un des systèmes dont dépend l’arme suffise à limiter l’efficacité de l’arme, à l’empêcher de réaliser sa mission, ou même à provoquer des dégâts matériels et des pertes humaines ».

Un incident survenu en 2007 a montré comment un tel scénario pourrait se dérouler en pratique. Un vol de chasseurs F-22, qui traversait le Pacifique, a soudain perdu tous leurs systèmes au moment où ils ont franchi la ligne de changement de date. Dans cette occurrence, un défaut logiciel dans le processeur principal a causé des ravages sur tous les systèmes qui lui étaient reliés, y compris les systèmes de gestion de navigation, de communication et même les jauges de carburants, ce qui a obligé l’escadrille à se dérouter vers Hawaï. Encore ne s’agissait-il que de la résultante d’une erreur de programmation. Il n’est pas très difficile d’imaginer ce qu’un pirate doté d’intentions hostiles pourrait réaliser.

Aucun test émulant les menaces les plus graves ne peut être réalisé sur le F-35

Le passage de la phase de tests de développements à la phase de tests opérationnels constitue, pour tout système d’armement, un jalon très important. Dans le cas du F-35, ce passage a été réalisé avec presque dix années de retard. Et malgré tout ce temps, le programme F-35 a réalisé cette transition sans exposer aucune mesure concrète qui permettrait de résoudre les défauts de conception majeurs, éventuellement mortels, et en l’absence de plusieurs outils qui sont pourtant nécessaires à évaluer correctement l’efficacité de l’appareil au combat, ou son aptitude quand il sera mis à disposition de soldats exposés en première ligne au feu ennemi. Les décisions prises par le JPO semblent indiquer qu’il prévoit de clôturer cette phase en omettant une évaluation digne de ce nom.

Et avant de commencer cette phase de tests opérationnels, les dirigeants ont également omis de répondre à 941 défauts de conception détectés au cours de la phase de développement du programme, dont 102 sont listés en « Catégorie I », c’est à dire que chacun d’entre eux « peut provoquer la mort [ou] des blessures graves« , ou conduire à un endommagement grave de l’aéronef, ou compromettre gravement son efficacité au combat. Comme POGO l’avait précédemment signalé, les dirigeants du programme ont préféré résoudre les problèmes en les reclassant sur le papier plutôt qu’en leur apportant des corrections sur les avions ; ces reclassements des défauts ont été menés au cours d’une série de réunions tenues à l’été 2018, et ont vu certains défauts de conceptions, comme celui impliquant le transpondeur d’urgence, ou celui mettant en cause la crosse d’appontage, dégradés en « Catégorie II », moins critique.

Chacun de ces 102 défauts pourrait clouer l’appareil au sol ou amener des missions à l’abandon. Ces défauts de conception participent sans doute également aux faibles taux de disponibilité du programme F-35. Selon le DOT&E, le processus de tests opérationnels en subira également les conséquences, lui qui exige un taux de disponibilité de 80% de la part des 23 appareils désignés pour les tests opérationnels. Cette flotte connaît un taux de disponibilité mensuel « très en deçà » des 80% (le taux mesuré n’est pas révélé par le rapport), et cela « va constituer un défi pour la conduite efficace et le bouclage dans les temps [des tests opérationnels] ».

f-35-maintenance-2_480Le plan de tests opérationnels s’appuie également lourdement sur une infrastructure de simulation en mesure de reproduire les formations amies et ennemies, mettant en jeu un certain nombre d’avions, et l’environnement dense en menace qui est inévitable dans toute guerre menée à proximité d’un ennemi de taille. Ces simulations sont nécessaires, en ce que le seul avion de test disponible, couplé aux tests de portées air-sol menés sur le territoire même des États-Unis, sont loin de pouvoir reconstituer toutes les menaces modernes auxquels des escadrilles de 6 F-35 ou plus pourraient se retrouver confrontées.

Mais, chose troublante, le DOT&E signale que l’infrastructure de simulation ne devrait pas être pleinement fonctionnelle avant fin 2019, c’est à dire à la fin des tests opérationnels tels qu’ils sont planifiés. « Sans [simulateur], l’IOT&E ne sera pas en mesure d’évaluer correctement le F-35 face à des menaces denses et modernes, qui sont impossibles à reproduire en test en vol ; il en résultera un risque opérationnel », précise le rapport.

Connue sous le nom d’Environnement de simulation interarmées, et localisé sur la station navale de Patuxent River, dans le Maryland, l’infrastructure a pris le relais du programme de développement VSim, lancé par Lockheed, qui était mal géré et inopérant. Les programmeurs sont maintenant à l’œuvre pour développer un simulateur de cockpit F-35 vérifié et validé, ainsi que des simulateurs de menaces air et sol, pour permettre aux pilotes de simuler des missions à plusieurs avions contre des installations de défense ennemies, constituées de missiles ou d’avions. Mais le rapport indique que ce processus a rencontré plusieurs problèmes graves.

L’infrastructure de simulation ne peut apporter des rapports de tests efficaces que si ses programmes informatiques sont conçus sur base d’informations pertinentes, collectées depuis les vols d’essai du F-35, de ses capteurs, des performances de ses armes — et, selon le rapport, il n’est pas établi que ces informations soient pertinentes. Les données nécessaires ont été collectées au cours de vols de tests et intégrées dans le programme de simulation, qui doit dès lors boucler le processus en vérifiant et validant ces données. Mais le DOT&E indique que le développement du simulateur a été lancé en omettant la phase fondamentale de vérification et de validation. Et ce n’est pas tout, les modélisations de terrains — connues de quiconque a déjà exécuté un simulateur de vol sur son ordinateur personnel connaît — ne sont elles non plus pas prêtes. Chose déplorable, les infrastructures physiques hébergeant tout ceci, y compris les cockpits et systèmes de visualisation, et même les bâtiments, étaient encore en cours de construction au moment du lancement des tests opérationnels.

Le JPO, malgré tout, semble déterminé à maintenir son agenda de tests opérationnels inchangé. Les simulateurs ne vont probablement pas être prêts avant la toute fin de cet agenda, si bien que le rapport qui en sortira, chargé d’évaluer l’aptitude du F-35 au combat, ne disposera sans doute d’aucun fondement valide pour juger si le F-35 peut survivre à un environnement dense combinant plusieurs menaces, ou s’il peut réellement fonctionner dans une formation de quatre ou huit appareils.

Des conflits d’intérêts qui biaisent les résultats des tests opérationnels

Garantir que la planification, l’exécution et l’établissement des rapports des tests sont réalisés sans biais est tout aussi important que de mettre à disposition les ressources nécessaires et de gérer les tests avec compétence. Le Congrès a créé le DOT&E dans les années 80 pour disposer d’un bureau de tests indépendant au Département de la Défense, afin de mettre fin aux combines des sous-traitants, et des partisans des services acheteurs, qui écrivaient les questions et corrigeaient eux-mêmes les examens auxquels ils étaient soumis. Mais malgré cela, le bureau du programme F-35 a permis que Lockheed Martin, le principal sous-traitant du F-35, et qui avait le plus à gagner à disposer d’une note opérationnelle favorable, s’occupe de conduire un test clé du système du F-35, et d’analyser et monter le rapport de résultats d’un autre test.

F-35_Fire_Truck__DoD_PhotoLe programme F-35 rogne sur les dépenses pour « terminer » le développement

Des dirigeants du Bureau du programme interarmées F-35 s’affairent à reclasser des défauts de conception potentiellement mortels, pour déclasser leur criticité, sans doute pour empêcher le programme à 1 500 milliards de dollars de devoir justifier d’un nouveau dépassement de calendrier et de budget.

Cet article a été traduit par le Saker francophone ici

Tout d’abord, au lieu de s’appuyer sur une équipe d’experts en cyber-technologies montée par le gouvernement, chose qu’il aurait du faire pour éviter de se voir accusé de conflit d’intérêt dans le processus, le JPO a payé une équipe d’experts de Lockheed Martin pour réaliser les tests en cyber-sécurité du réseau ALIS déployé au sein de cette même société — constituant le cœur et le cerveau du réseau ALIS mondial — dans le cadre des évaluations générales en cyber-sécurité d’ALIS.

Et par la suite, les dirigeants du programme ont payé Lockheed Martin pour que la société analyse les tests de vulnérabilité de tir à feu réel et qu’elle produise le rapport d’évaluation en vulnérabilité du F-35, définissant si l’appareil répondait aux spécifications contractuelles et aux standards militaires quant à la survie du pilote face à quatre armes de défense aérienne. L’étude menée par Lockheed a déterminé, selon le rapport émis cette année par le DOT&E, que les trois « variantes de F-35 répondent bien aux pré-requis et aux spécifications contractuelles du JSF [Joint Strike Fighter], en assurant une éjection sécurisée du pilote en cas d’engagement«  pour trois des quatre menaces. Il s’agit d’un résultat opposé de celui auquel était parvenu le rapport 2017 du DOT&E, qui établissait que le F-35B ne répondait pas aux spécifications d’éjection sécurisée du pilote pour trois des quatre menaces, et que les vulnérabilités exposées par le F-35 étaient plus élevées qu’attendu. L’analyse menée par Lockheed a également conclu, sans surprise, que le F-35 répondait bien aux pré-requis militaires, qui exigent que l’avion se comporte au moins aussi bien que le F-16, en réussissant à revenir vers une zone sûre après avoir été frappé pour chacune des quatre menaces.

Curieusement, le rapport d’évaluation en vulnérabilité de Lockheed n’avait pas analysé l’autre avion en fin de vie que le F-35 est supposé remplacer, l’A-10, très réputé pour ses qualités de survie. Le DOT&E, semble-t-il pour calmer les soupçons de biais, a annoncé qu’il ferait mener une analyse indépendante des conclusions de Lockheed — mais n’en publiera pas les résultats avant la fin des tests opérationnels, si bien que les résultats en seront inexploitables pour le traitement de cette phase clé.

On a également considéré Lockheed comme digne de confiance pour mener une analyse générale et un résumé de l’ensemble des données de tir à feu réel du F-35 de la Navy, chose qui va sans doute influencer toutes les modélisations par ordinateur des taux de survie offerts par le F-35 en conditions de combat. Le rapport du DOT&E n’indique pas quand les résultats de cette étude sont attendus.

Des données clés, nécessaires à évaluer les progrès, ne figurent pas au rapport

Avec ses 14 pages, l’évaluation de cette année est bien plus maigre que celle des années précédentes. Le rapport de 2017 comportait 29 pleines pages, et celui de 2016 en comptait 61. Le trou entre la fin des tests développementaux en avril 2018 et le début des tests opérationnels en décembre 2018 explique pour partie pourquoi cette mouture est si courte.

Mais rien ne justifie l’omission d’informations importantes du rapport publié cette année, en particulier sur les sujets que le même rapport traitait les années précédentes. Comme noté ci-avant, le rapport ne mentionne rien des taux d’aptitude pleins et entiers à la mission, à jour ou anciens. Le taux de 26% affiché par le rapport précédent était tout à fait déplorable, et a sans doute généré beaucoup d’embarras parmi les dirigeants du programme. Mais ce n’est pas du tout une raison acceptable pour omettre ce taux cette année.

Le DOT&E a également gardé pour lui des informations sur les métriques de performance intégrées dans le rapport de 2017. Le rapport de 2018 ne contient plus que deux tableaux de données, contre dix l’an dernier. Le rapport de 2017 intégrait un tableau qui montrait les taux de disponibilité par emplacement, avec des nombres détaillés. Le rapport de cette année ne fait qu’évoquer le fait que les taux sont inférieurs à la cible de 60% énoncée par le programme F-35.

Le rapport 2017 intégrait également un tableau qui répertoriait les occurrences de tests de prévisions des armes, et les succès et échecs des tirs de missiles air-air, air-sol, et de mitraillage. Mais la version 2018 n’intégrait pas d’autre mention des tests au combat au delà des tests du canon évoqués ci-avant, alors même que d’autres tests ont bien été réalisés. Aucune considération de sécurité ne peut justifier cette omission, puisque l’Air Force a rendu public un événement de test réalisé en avril 2018, donc en plein dans la période couverte par le rapport de cette année.

La loi fédérale exige que le bureau des tests rédige un rapport annuel sur les programmes qu’il a passé en revue, et publie une version non classifiée en plus de toute version dont il déciderait de restreindre la diffusion. La maigreur des informations diffusées dans ce rapport par rapport à ceux des années précédentes laisse à penser que le DOT&E reçoit des consignes de la Maison Blanche et du Pentagone pour réduire la transparence et laisser sous le boisseau des informations qui avaient jusqu’alors été traitées comme publiques.

Il est du devoir du bureau des tests et du Congrès de protéger les intérêts des soldats et des contribuables

Le programme F-35, qui atteint presque une décennie de retard et 200 milliards de dollars de dépassements budgétaires, continue de fonctionner très en deçà des attentes — et n’est pas du tout près de livrer les nombreuses promesses données par le Pentagone et Lockheed. Ses échecs répétés en conception et en performance sont sans commune mesure avec les investissements massifs qu’il a reçus au cours de 20 dernières années. Au point où nous en sommes, les équipes de tests opérationnels devraient s’en tenir au plan de tests rigoureux qu’avaient approuvé les services des armées, le bureau du programme F-35 et le DOT&E, sans donner prise aux fortes pressions politiques exigeant le sacrifice du réalisme au combat sur l’autel de la rapidité. C’est seulement une fois les tests réalisés dans les bonnes et dues formes que l’on saura si le F-35 fonctionnera effectivement en conditions de combat — et si nos soldats disposeront d’un soutien de qualité quand le F-35 prendra la place de l’A-10. D’ici là, le Congrès devrait mettre fin aux accroissements de cadences de productions de F-35 qui sont consenties chaque année, et ce dans l’intérêt tant des contribuables que des soldats. Les F-35 perclus de défauts qui sortent en ce moment des lignes de production gaspillent encore plus d’argent public, car il faudra leur appliquer plus tard de très coûteuses réparations.

Le Congrès devrait également exiger que le DOT&E en revienne à son niveau de transparence initial. Les législateurs devraient alors s’appuyer sur la transparence des tests opérationnels pour endosser leurs responsabilité de supervision, et exiger que les informations devenues occultes soient rendues aux yeux du public.

Le peuple américain, et en particulier les hommes et les femmes qui devront compter sur le F-35 pour rester en vie, n’en méritent pas moins.

Dan Grazier

Liens

Crash d’un F-35 japonnais

Traduit par Vincent pour le Skaer Francophone

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