Par Kit Knightly − Le 13 avril 2019 − Source Off-Guardian
Il est bien évident que les États-Unis ont l’intention qu’on leur remette Julian Assange depuis longtemps. Mike Pence, le vice-président, était en visite en Équateur l’année dernière, en théorie pour discuter de la situation au Venezuela et du commerce. Mais il était assez évident dès lors, et encore plus maintenant, qu’ils discutaient des détails de la remise d’Assange aux autorités britanniques et de son extradition finale aux États-Unis.
« Du commerce », en effet.
Pour les termes de la contrepartie, la situation est transparente : en février, l’Équateur a obtenu un prêt de 4,2 MILLIARDS de dollars approuvé par le Fonds monétaire international (parmi d’autres versements).
Le 19 février de cette année, Reuters a déclaré :
L’Équateur a obtenu un accord de haut niveau pour un financement de 4,2 milliards de dollars avec le Fonds monétaire international (FMI), a déclaré le président Lenin Moreno mercredi, alors que le pays andin se débat avec un important déficit budgétaire et une lourde dette extérieure.
Le pays recevra également 6 milliards de dollars en prêts d’institutions multilatérales, dont la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement (IADB) et la Banque andine de développement (CAF)…
Donc, il y a moins de 2 mois, on a annoncé que l’Équateur allait recevoir plus de 10 milliards de dollars de prêts. Où tout cet argent finira, chacun le devine : certainement pas pour les infrastructures ou les entreprises publiques.
Moreno a lancé un plan d’austérité qui inclut des licenciements de travailleurs des entreprises d’État et des réductions des subventions à l’essence. Il prévoit également de trouver un opérateur privé pour l’entreprise de télécommunications CNT et d’autres entreprises publiques.
Le président Moreno a déjà fait l’objet de nombreuses accusations de corruption. Par conséquent, ces « prêts », en principe destinés à « [créer] des opportunités d’emploi pour ceux qui n’ont pas encore trouvé quelque chose de stable », pourraient être décrits de façon plus réaliste comme des « pots-de-vin ».
Plus que de l’argent, Lénine Moreno a reçu quelque chose que tous les dirigeants précaires du tiers-monde recherchent : l’approbation occidentale.
Le 12 avril, le lendemain de l’arrestation d’Assange, The Economist a publié un article qui faisait l’éloge des politiques économiques de Lenin Moreno et blâmait le gouvernement précédent pour le « gâchis » que Moreno doit maintenant réparer. (Bien sûr, le paradoxe que Moreno gère l’économie brillamment, mais a aussi besoin de plus de 10 milliards de dollars de prêts n’est jamais abordé. Minuscule contradiction logique par rapport aux absurdités que les médias de masse servent quotidiennement).
On reconnaît donc aisément la structure basique d’un donnant-donnant.
Moins évidente, mais toujours bien présente, il y a la campagne médiatique lente de diffamation et de souillure menée contre Assange. Une campagne visant à affaiblir le soutien du public à son égard et à atténuer le scandale potentiel si le Royaume-Uni le remettait aux autorités américaines, qui utilisent le fameux « interrogatoire renforcé » sur les suspects.
En octobre dernier, à peine trois mois après la visite de Pence en Équateur, une note du gouvernement équatorien a « fuité ». Elle indiquait qu’Assange avait de mauvaises habitudes d’hygiène personnelle, piratait les appareils électriques de son entourage et négligeait son chat. Ces accusations, cyniquement conçues pour ridiculiser Assange, ont massivement circulé dans les médias. Le Guardian, toujours à l’avant-garde pour botter Assange, en a profité pour publier un article d’opinion au ton joyeusement moqueur. Comme d’autres articles.
Assange, à qui on a coupé son accès à Internet en mars de l’année dernière, n’a pas pu se défendre.
À ce jour, nous n’avons aucun moyen de savoir si cette note de service « fuitée » a une quelconque véracité. Mais réelle ou non, elle a servi à la fois à dénigrer Assange dans l’esprit du public, et à donner à l’Équateur une excuse pour se débarrasser de lui : les Équatoriens ont établi des « règles » puis affirmé qu’Assange ne les suivait pas, et prétendu qu’ils l’avaient expulsé pour ce motif – et non pour les 10 milliards de dollars qu’ils ont reçus des institutions financières internationales.
Bien sûr, les médias sont complices de ce mensonge.
Divers médias, du Guardian à CNN en passant par The Australian, ont écrit des articles « informatifs » avec des titres tels que « Grossier, ingrat et indiscret, ou pourquoi l’Équateur s’est retourné contre Assange ».
Parce que – tout le monde sait ça – les personnes « grossières » et « ingrates » ne méritent pas que leurs droits humains soient respectés. Il y a sûrement une clause de la Charte des Nations unies à cet effet.
Jusqu’à présent, chaque étape de ce processus ignoble a été basée sur des mensonges. Établissons cette liste.
Mensonge n° 1 : Assange a été visé et continue de l’être, comme « agent russe » et « larbin de Poutine ». Un article « de dernière minute » du Guardian, écrit par un ancien plagiaire et faussaire reconnu coupable, affirmait qu’Assange avait travaillé avec Paul Manafort pour faire basculer l’élection américaine en faveur de Trump. Aucune preuve de cette accusation n’a été fournie. À ce jour, il ne reste rien qu’une affirmation sans fondement, et WikiLeaks poursuit d’ailleurs le Guardian à ce sujet. Ce mensonge dépeint Assange comme un « combattant ennemi » et sert par avance à justifier tout ce qui lui arrivera.
Mensonge n° 2 : Rappelons-nous tous que, pendant des mois, on nous a seriné que les États-Unis ne voulaient pas d’Assange, et que « le seul obstacle à son départ de l’ambassade était son orgueil ». Les accusations de WikiLeaks selon lesquelles les États-Unis ont mis sous scellés des actes d’accusation en attendant Assange ont été rejetées comme « théories du complot ».
Faux. Faux du début à la fin. Les actes d’accusation secrets ont fuité, donnant raison à WikiLeaks. Les Équatoriens affirment, mais oui bien sûr, qu’ils n’étaient pas au courant des ordonnances d’extradition concernant M. Assange avant de le remettre à la police britannique. Cette affirmation risible n’a rigoureusement aucun équivalent dans les grands médias).
Mensonge n°3 : Il y a juste une semaine, les membres du gouvernement équatorien ont prétendu qu’ils n’avaient AUCUN plan pour expulser Assange, et que WikiLeaks avait menti au moment où il le prétendait.
Or ils ont remis Assange à la police britannique six jours plus tard.
Tout aussi odieux et malhonnête est la « sollicitude par opportunisme professionnel » qui permet aux pseudo-progressistes de prendre la position lâche de « soutien qualifié », du genre :
On peut penser qu’Assange est un menteur, un fasciste et un misogyne, mais tout de même, il ne devrait pas être extradé.
C’est la position adoptée par des gens comme Owen Jones dans le Guardian, une position qui prétend soutenir explicitement une ligne de conduite, mais argumente implicitement pour son opposé. Condamner Assange sous prétexte d’en faire l’éloge…
Et la « question identitaire » joue également son rôle ici, se montrant utile pour obstruer le débat public avec des dénonciations superficielles et des procès en sorcellerie pour impureté morale. Ainsi, Jones qualifie quiconque ne croit pas les accusations portées contre Assange de « misogyne ». Suzanne Moore, cette quintessence de l’hypocrisie progressiste, a écrit une chronique pour le New Stateman évoquant certaines accusations d’« agression » restées absolument sans preuves, mais utilise les bonnes vieilles recettes de crime contre l’humanité.
Pendant ce temps, soixante-dix députés britanniques, dont Jess Philips, la « championne du peuple », et John Woodcock (qui a dû quitter le Labour par suite d’accusations de comportement sexuel inapproprié), ont signé une lettre ouverte adressée à Sajid Javid exigeant qu’Assange soit remis à la Suède pour y être confronté à la « justice ». Une position quelque peu gâchée par le fait que la Suède n’en a pas encore fait la demande… (En fait cette manœuvre cible Corbyn et Diane Abbott, dont le soutien à Assange pourra être retourné contre eux, et utilisé pour accuser le Labour de « bienveillance envers les prédateurs sexuels » ou de « ne pas soutenir les femmes », etc., etc.).
Mais tout cela n’est que leurres et faux-fuyants, histoire de garder des accusations totalement discréditées dans les gros titres tout en évitant d’affronter la vérité concrète qui est la suivante :
Julian Assange a été arrêté pour avoir diffusé des preuves des crimes de guerre commis par les États-Unis, après que le gouvernement américain a soudoyé le gouvernement équatorien afin qu’il viole le droit international.
C’est cela qui s’est passé. Et quiconque utilise le mensonge et les leurres pour nier cette vérité est du mauvais côté de l’histoire.
Kit Knightly
Traduit par Stünzi, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone