Par Finian Cunningham – le 24 avril 2015 – Source Strategic Culture
La crise des réfugiés en Europe n’est que la nouvelle facture américaine héritée du dernier conflit mondial – une facture déposée pour paiement à la porte des alliés européens. Il ne fait aucun doute que les années de guerres menées sous le commandement des États-Unis en Asie centrale, dans tout le Moyen-Orient et en Afrique du Nord sont la cause principale des masses de migrants qui s’efforcent de rejoindre l’Union européenne, tandis qu’ils cherchent à échapper aux conflits qui font rage et à la misère. Les nationalités des réfugiés suivent la piste des pays que l’Amérique a pulvérisés ces dix dernières années.
Il est grand temps que l’Europe développe une politique étrangère indépendante et structurée, et cesse de coller comme une ventouse au bellicisme de Washington. Refuser la belligérance de Washington sera un commencement pour répondre à toute une série de problèmes qui affectent l’Europe.
La situation de l’Europe, qui supporte les coûts de l’imprudence de son allié américain, ne se manifeste pas seulement dans la montée de la crise des réfugiés à laquelle est confrontée l’Union européenne. On perçoit les mêmes répercussions disproportionnées – l’Europe paie pendant que les États-Unis tuent – par rapport au conflit en Ukraine et à la confrontation de plus en plus périlleuse avec la Russie.
Comme avec le désastre croissant des réfugiés, dans le conflit en Ukraine et l’impasse dangereuse avec la Russie, c’est principalement l’Europe qui subit les multiples problèmes provoqués en grande partie par la politique de Washington.
On estime que rien que les agriculteurs allemands ont perdu € 600 millions en exportations vers la Russie à cause des sanctions et des contre-sanctions prises à cause de la crise ukrainienne. Les répercussions économiques totales dans l’UE, dues à l’impasse débilitante avec la Russie, sont encore plus nombreuses.
La bureaucratie de Bruxelles et certains dirigeants européens laquais des États-Unis ont en effet signé les sanctions commerciales contre la Russie. Mais il faut dire que la politique des sanctions hostiles à Moscou depuis la prétendue annexion de la Crimée en mars 2014 a été lancée et poussée en grande partie par Washington. Les Européens, un peu pathétiques, se sont laissés amener à adopter la politique dirigée par Washington, avec beaucoup de torsions de bras de la part de l’administration Obama.
Mais le résultat est là: ce sont les ouvriers européens, les paysans, les entreprises et le grand public qui souffrent des sanctions contre la Russie dirigées par les États-Unis. Le commerce bilatéral de l’Amérique est une fraction du commerce de l’Europe avec la Russie, par conséquent l’impact et les répercussions des sanctions antirusses et des contre-sanctions sont ressentis plus durement par l’Europe que par les États-Unis.
En d’autres termes, c’est très bon pour Washington de se lancer dans des hostilités avec la Russie parce que du point de vue cynique de Washington, ce n’est pas lui qui paie la facture économique et sociale de la confrontation. Au contraire, ce sont les alliés européens qui paient les pots cassés, pour ainsi dire. Comme les Américains arrogants doivent rire de bon cœur aussi! C’est comme inviter des amis à partager un bon repas et des tournées à boire, puis à la fin de la nuit, la grande brute forte en gueule qui a invité tout le monde reste assise les mains dans les poches et obtient que les copains pigeonnés paient la note.
C’est la même chose pour la recrudescence de la crise des réfugiés en Méditerranée – une crise qui menace de submerger les pays de l’UE, économiquement et sur le plan logistique. La crise peut même être le prélude à un effondrement parmi les dirigeants politiques dans toute l’Europe parce qu’elle alimente la montée des partis d’extrême-droite et anti-immigration.
Les tensions xénophobes et raciales montent en Europe et les migrants qui y entrent sont perçus comme des voleurs d’emplois et de prestations sociales ainsi que des gens qui amènent des cultures étrangères. L’Europe devient rapidement un méchant continent où règne le mécontentement racial, bien loin de ses supposées valeurs d’humanisme et héritières des Lumières. La montée du mouvement allemand Pegida contre l’immigration, et d’autres groupes fascistes en Europe, est un signe de ce climat délétère.
Cette semaine, quelque 1 200 candidats à l’émigration ont péri en Méditerranée lorsque leurs bateaux délabrés et surpeuplés ont chaviré après avoir quitté la côte d’Afrique du Nord au milieu de la nuit. L’Organisation internationale pour les migrations, basée à Genève, estime qu’à la fin de cette année, le nombre de réfugiés morts en tentant d’atteindre l’Europe par cette voie pourrait atteindre 30 000 – ce qui en ferait la pire année jamais enregistrée –, dix fois le nombre de morts de 2014, l’année record précédente.
Des centaines de milliers de migrants – 275 000 en 2014, selon l’estimation des autorités italiennes – sont assez chanceux pour survivre au voyage vers le continent européen, et atteindre la première terre ferme de ce qu’on appelle les pays en première ligne que sont l’Espagne, l’Italie, Malte et la Grèce. De là, ils se rendent dans d’autres pays membres de l’UE.
Dans un article du Washington Post du 21 avril, titré Une nouvelle crise de la migration submerge le système d’asile européen, la question est présentée comme «l’examen des causes et de l’impact d’une vague mondiale de migration provoquée par la guerre, l’oppression et la pauvreté».
Le Washington Post écrit: «Alors que l’Europe est confrontée à une escalade rapide de la crise migratoire provoquée par la guerre, les persécutions et la pauvreté dans un arc de conflits qui s’étend de l’Afrique de l’Ouest à l’Afghanistan, même des responsables européens de haut niveau commencent à admettre l’évidence… Le système régional de gestion des réfugiés est brisé.»
Mais ce qui devrait être encore plus évident, et que le Washington Post, étonnamment, évite d’examiner et que les dirigeants européens semblent nier, est celui-ci: l’arc de conflits qui s’étend de l’Afrique de l’Ouest à l’Afghanistan a été directement créé par le bellicisme de l’Amérique dans le monde entier. Les conflits en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Palestine, en Egypte et au Yémen, en passant par la Libye, font tous partie de l’héritage douteux de la guerre contre le terrorisme ou des opérations secrètes de changement de régime américaines.
Dans ces aventures militaires pernicieuses, les États-Unis ont été assistés par leurs alliés européens de l’Otan et leurs États clients du golfe Persique, au premier rang desquels l’Arabie saoudite et le Qatar.
Comme le ministre des Affaires étrangères russe Sergei Lavrov l’a commenté cette semaine, les conflits et le terrorisme qui font rage dans ces régions sont le résultat direct du bellicisme illégal des États-Unis, à la fois direct et secret. Pourquoi les hommes d’État européens sont-ils si aveugles et ne tirent-ils pas une conclusion semblable de cette vérité évidente?
Parce que dans le chaos provoqué par les États-Unis, l’Union européenne n’est pas irréprochable, bien sûr. La Grande-Bretagne et la France en particulier ont été des joueurs importants dans la pratique du militarisme dirigé par les États-Unis en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie. La France a contribué à elle seule à l’arc de conflits mondial en menant des opérations illégales au Mali, en République centrafricaine et en Côte d’Ivoire ces dernières années, où Paris a lancé ces interventions/invasions sans mandat du Conseil de sécurité des Nations unies.
Tous ces conflits ont grandement contribué à la hausse du nombre de réfugiés internationaux qui font maintenant route vers le continent européen. Le bellicisme dirigé par les États-Unis et l’Union européenne, assisté par les Arabes, n’est pas seul en cause. Parmi les migrants pris dans la tourmente méditerranéenne, il y a des Éthiopiens, des Érythréens, des Sri-lankais, des Bangladeshis, entre autres, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations-unies. Ces derniers groupes sont plus facilement définis comme migrants économiques. Mais ce qui est incontestable, c’est que la plus grande partie des réfugiés viennent de pays où les États-Unis et leurs alliés ont été directement responsables de provoquer des conflits.
Sur le bateau naufragé la semaine dernière, par exemple, où près de 800 personnes se sont noyées au large de la Libye, la plupart des victimes viendraient de Syrie. Et la Libye elle-même ne serait pas devenue une base pour le trafic d’êtres humains s’il n’y avait pas eu la guerre éclair des États-Unis et de l’Otan contre ce pays en 2011, une guerre qui a conduit au renversement du gouvernement central de Tripoli et à sa dégénérescence en un chaos tribal et extrémiste.
Qui peut reprocher aux légions de gens désespérés leur tentative d’atteindre la sécurité relative en Europe? Face aux dangers mortels des milices extrémistes, aux trafiquants d’être humains sans scrupule, aux déserts brûlants et aux traversées périlleuses, les réfugiés désespérés continuent à arriver. Les autorités italiennes estiment que plus d’un million de migrants attendent d’embarquer sur des navires délabrés rien qu’en Libye, uniquement dans le but d’entreprendre le dangereux voyage vers l’Europe.
L’Allemagne – l’économie la plus forte de l’Union européenne – a été un aimant pour les réfugiés qui ont finalement atteint l’Europe. Avec une population de 82 millions, l’Allemagne a donné un abri à 173 000 non-Européens l’an dernier, selon l’article du Washington Post cité plus haut. On peut comparer avec le nombre d’admissions de Mexicains et des autres migrants aux États-Unis, qui est seulement de 121 000 pour la même période, sauf que les États-Unis comptent quatre fois la population totale de l’Allemagne. En dépit d’une capacité d’accueil des réfugiés beaucoup plus grande, les États-Unis admettent moins de migrants que l’Allemagne, et que dire de toute l’Union européenne?
Ainsi, tandis que les États-Unis mènent des guerres et sèment des conflits sur un arc qui va de l’Asie centrale au Moyen-Orient et en Afrique, c’est l’Europe qui éponge les dommages collatéraux humanitaires, pas les États-Unis.
Cette semaine, les dirigeants de l’UE se réunissent en urgence pour trouver des moyens de répondre à la crise des réfugiés qui assaille leurs ressources économiques et la logistique d’accueil des nouveaux arrivants. La priorité est donnée aux mesures de sécurité afin de contrôler et fouiller les bateaux qui quittent la côte d’Afrique du Nord et de renvoyer les personnes soupçonnées d’être impliquées dans le trafic illicite d’êtres humains. De telles mesures étroites de sécurité ne répondent pas aux causes du problème: conflits et misère dans les pays dont proviennent les migrants.
Les pays membres dirigeants de l’UE, dont la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, ont emboîté le pas du militarisme mondial de Washington, qu’ils ont en effet entièrement soutenu, ainsi que les conflits déclenchés au cours de la dernière décennie. Ces mêmes États européens ont fait de même par rapport à l’ingérence de Washington en Ukraine et à l’agression envers la Russie. Mais dans toutes ces machinations, c’est l’Europe qui paie l’énorme facture de la politique funeste de Washington, comme on peut le voir au flot de réfugiés et aux répercussions sur l’économie européenne des sanctions contre la Russie.
Il est grand temps que l’Europe développe une politique étrangère indépendante et structurée, et cesse de coller comme une ventouse au bellicisme de Washington. Refuser la belligérance de Washington sera un commencement pour répondre à toute une série de problèmes qui affectent l’Europe.
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone