Par Andrew Korybko – Le 4 décembre 2018 – Source orientalreview.org
Trump a fait preuve d’un soutien fort à un soi-disant « Brexit dur ».
Le président des USA a déclaré que l’accord négocié par Theresa May, premier Ministre du Royaume-Uni, avec Bruxelles, pourrait empêcher la conclusion d’un accord de libre échange avec les USA. Cette déclaration pourrait couler l’accord de « Brexit doux » dans le processus d’approbation parlementaire par lequel il doit passer début décembre [le 10, NdT], ce qui ouvrirait inévitablement la voie à sa variante « dure ».
Il est évident que Trump s’emploie ici à modeler la situation politique d’un des alliés de l’Amérique, ou pour le dire autrement, à s’« ingérer » dans ses affaires intérieures. Trump n’en est pas à son coup d’essai : il avait déjà l’été dernier émis des propos qui auraient pu être interprétés comme un signal d’approbation pour un « coup d’État profond » de Boris Johnson envers Theresa May ; cette tentative n’avait pas porté les fruits que certains en attendaient. Mais à présent, il termine le travail : en rappelant à l’attention générale que l’accord soumis prochainement aux voix met en péril la pratique du libre échange à l’avenir avec les USA, il s’assure que le « Brexit doux » de Theresa May sera coulé par le Parlement, ainsi que la carrière politique de cette dernière.
Mais à l’instar de cet été, il reste à voir si le chant de Trump aura l’effet escompté. Quelle qu’en soit l’issue, il est intéressant de se pencher sur les raisons qui motivent Trump a prendre ainsi parti. Trump veut non seulement conclure des accords de libre échange avec les principales économies mondiales, mais son positionnement répond également en l’occurrence à des motifs idéologiques : un « Brexit dur » empêcherait l’UE de parasiter le Royaume-Uni comme une sangsue, ce qui rendrait le pays plus faible à l’issue du « divorce ».
Trump déteste tout ce que représente l’Union européenne et, outre la joie maligne qu’il pourra ressentir si les choses se déroulent selon son plan, il sait également qu’alors l’unité intérieure de l’UE post-Brexit sera encore plus fragilisée, et que l’« Initiative des trois mers » lancée par la Pologne pourra avancer des réformes du bloc européen, dans une ligne plus respectueuse de la souveraineté des États nations. Tout ceci aurait le mérite de faire progresser l’agenda idéologique de Trump, tout en rendant plus compliquées les tentatives de la Chine de tirer parti des tensions commerciales existantes entre les USA et l’UE.
À ce sujet, Pékin est actuellement à l’œuvre, en collaboration étroite avec Berlin, pour préserver l’ordre mondial libéral-mondialiste, dont Hillary aurait du hériter en 2016, mais que Trump a systématiquement travaillé à ébranler, au mieux de ses capacités. Empêcher l’approbation d’un accord de libre-échange entre l’UE et la Chine à l’issue du Brexit constitue un intérêt stratégique primordial pour les USA : en effet, un tel accord rendrait immédiatement impossible la conclusion de l’accord de libre échange UE-USA, pour l’instant connu sous le nom de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI, [TAFTA ou TIPP en anglais, NdT]), et renforcerait les nouvelles routes de la soie, ainsi que l’ordre mondial multipolaire en émergence.https://www.soverain.fr/croyez-le-ou-non-cetait-la-partie-facile-du-brexit-les-pourparlers-avec-lue-seront-desormais-plus-difficiles/ La solution, du point de vue de Trump, est de couper complètement le Royaume-Uni de l’Union Européenne, via un « Brexit Dur », tout en soutenant en coulisse les tentatives de la Pologne et de ses alliés de « décentraliser » le bloc européen. Les stratèges américains anticipent que cela pourrait suffire à prévenir la conclusion d’un accord de libre échange entre l’UE et la Chine. Le plan est ambitieux, mais à supposer que le pari de « Brexit Dur » de Trump soit gagnant, il pourrait suffire à dérouler l’ensemble du jeu.
Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le vendredi 30 novembre 2018.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone
On vous conseille également l'excellent article d'Ambrose Evans-Pritchard sur l'état du Brexit, « dur » ou « doux », qui a été traduit par Soverain.fr