Le président turc Erdogan chamboule la Syrie


Par Tom Luongo – Le 5 janvier 2023 – Source Gold Goats ‘N Guns

Alors que nous sommes tous, à juste titre, inquiets de ce qui se passe en Ukraine, ces Russes sournois renforcent leur situation sur les rives sud de la mer Noire et de la Méditerranée orientale.

Comme cela a été rapporté la semaine dernière, la réunion entre la Russie, la Turquie et la Syrie a eu lieu entre leurs ministres de la défense, qui ont tous qualifié les discussions de “constructives” en vue de résoudre les multiples problèmes en suspens, tels que les réfugiés et le soutien des radicaux.erdogan-putin-s400s-turkey

Cette réunion a été mise en place par le président turc Recep Tayyip Erdogan, comme le note l’article du Moscow Times :

En novembre, Erdogan a déclaré qu’une rencontre avec le dirigeant syrien Bachar el-Assad était une possibilité, après avoir coupé les liens diplomatiques avec Damas tout au long du conflit qui dure depuis 11 ans.

 

À la mi-décembre, il a indiqué qu’il pourrait rencontrer Assad après la réunion des ministres de la défense et des affaires étrangères des deux pays.

 

“Nous voulons faire un pas en avant en tant que Syrie, Turquie et Russie” , a-t-il déclaré à l’époque [c’est moi qui souligne].

Les questions discutées sont particulièrement importantes pour Erdogan, car la guerre prolongée sape sa popularité chez lui, face à un retrait continu des capitaux occidentaux de la Turquie qui a vu la lire traverser ce qui ne peut être décrit que comme une hyperinflation depuis 2018.

Avec des élections à l’horizon et, pour la première fois de sa carrière politique, la position précaire d’Erdogan, des mesures doivent être prises maintenant pour améliorer les choses. Permettre aux millions de réfugiés syriens de rentrer chez eux serait une grande victoire pour Erdogan sur le plan politique.

Il s’agit également d’une bonne utilisation de Sergei Choïgou, le ministre russe de la défense, puisqu’il n’est pas en charge de l’opération en Ukraine et qu’il ne l’est plus depuis octobre, et ce pour une bonne raison.

Choïgou, j’en suis sûr, se prépare à cette rencontre depuis des mois, déblayant le terrain pour des pourparlers entre la Turquie et la Syrie qui n’ont que trop tardé.

Comme l’a souligné Alex Mercouris dans une récente vidéo Duran, le président turc Erdogan a défini trois étapes pour la résolution du conflit entre la Turquie et la Syrie. Cette réunion des ministres de la défense est la deuxième d’entre elles.

Les ministres des affaires étrangères sont maintenant prêts à se réunir. On peut supposer qu’après cela, Erdogan et le président syrien Bashar al-Assad rencontreront les Russes en tant que négociateurs pour mettre fin officiellement à l’implication de la Turquie dans la guerre syrienne qui a commencé il y a plus de dix ans.

Sans l’implication de la Turquie en Syrie, l’objectif des Néoconservateurs d’étrangler la Russie sur les importations de gaz vers l’Europe ne se réalisera jamais. C’est ce qui a motivé la guerre en Syrie au départ. Pour qu’il s’engage, Erdogan a dû être motivé par une saisie massive de terres, ce qu’il a essayé de faire.

Mais lorsqu’il n’en a pas fait assez pour déclencher une guerre contre la Russie en novembre 2015 après que la Turquie a prétendument abattu un SU-24 russe, il a été récompensé par une tentative de coup d’État contre lui menée par la CIA et l’armée américaine depuis la base aérienne d’Incerlik, au dire de tous.

Il a été sauvé, apparemment, par une alerte précoce de Poutine et s’est rendu en Iran pour donner ses ordres de contre-attaque à l’armée turque la nuit de la tentative de coup d’État.

Ce fut le début de la fin des relations de la Turquie avec l’OTAN et les États-Unis.

La route entre la Turquie et la Russie a été jusqu’à présent incroyablement rocailleuse. Poutine s’est montré extrêmement patient avec Erdogan sur une douzaine de questions, ses tergiversations et, parfois, son double jeu.

Mais la réalité est que, qu’on le veuille ou non, chaque année depuis l’entrée de la Russie en Syrie, Erdogan a agi dans son intérêt, créant un effet de levier sur le terrain en prenant des territoires en Syrie, en faisant des revendications scandaleuses sur la Méditerranée orientale, tout en jouant l’Occident et la Russie l’un contre l’autre sur l’expansion de l’OTAN, la politique des réfugiés et son soutien à l’Azerbaïdjan et à l’Ukraine.

J’en suis même arrivé à la conclusion que ses violations répétées de l’espace aérien grec, chose que personne d’autre ne fait dans le monde et que les Grecs ont parfaitement le droit de faire cesser par la force, fait probablement partie de sa stratégie du “sultan fou” pour garder les gens sur le qui-vive.

Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, Erdogan joue sur les deux tableaux, déposant une pierre blanche ou noire sur le plateau de jeu de Go géopolitique lorsque cela convient à son agenda.

Et son agenda aujourd’hui est presque complet ; une Turquie indépendante mais toujours pivotante.

Donc, dans ce contexte, son rapprochement avec la Syrie est une bombe qui ne devrait pas surprendre l’Occident, puisqu’Erdogan ne cesse de leur mettre des bâtons dans les roues depuis le début de la guerre en Ukraine en février.

Mais c’est le moment le plus inopportun pour les néoconservateurs américains et britanniques qui préparent clairement une opération de changement de régime contre Poutine en Russie pour 2023.

Lorsque vous mettez tout cela ensemble – Erdogan faisant face à une forte opposition dans les sondages, à une hyperinflation, à des troubles dans son pays et à une élection plus tard dans l’année – mettre fin à la guerre en Syrie devait être en tête de sa liste de choses à faire pour 2023.

Cela ne se fera pas sans conséquences. Et bien qu’il ait essayé de faire semblant de ne pas dévoiler ses véritables intentions pendant des années, peut-on vraiment s’étonner qu’il prenne cette décision maintenant ?

À un moment donné, il ne reste plus de marge de manœuvre à personne et il faut non seulement choisir son camp, mais l’annoncer à tout le monde et prendre en compte les réactions.

Ainsi, la moustache de John Bolton est toute frémissante à ce sujet et il veut que la Turquie soit exclue de l’OTAN. Il est clair que c’est parce qu’Erdogan bloque l’adhésion de la Suède et de la Finlande, ce qui est apparemment plus important pour Bolton que de maintenir les voies d’approvisionnement des troupes américaines piégées en Syrie et en Irak dans le cas où Erdogan répondrait en expulsant les États-Unis d’Incerlik.

Con Coughlin, de The Telegraph, est arrivé à la même conclusion dans un article qui ressemble à un prélude à une nouvelle tentative de se débarrasser de cet agitateur à Ankara.

La décision de la Turquie de procéder à l’achat de [S-400] russes ne l’a pas seulement mise sur une trajectoire de collision avec Washington, qui menace de mettre fin à l’accord sur les F-35 à la fin du mois ; elle témoigne également du mépris total d’Ankara pour l’alliance de l’OTAN, une attitude que les principaux États membres européens, comme la Grande-Bretagne, ne sauraient tolérer plus longtemps.

Sa conclusion, le mépris de la Turquie pour l’OTAN, que je ne peux pas vraiment contester, est un motif de renvoi de l’alliance.

Mais, comme je l’ai dit, ce type de réaction est exactement ce dont Erdogan a besoin de la part de l’Occident, qui le traite, lui et la Turquie, comme une cinquième roue du carrosse depuis longtemps. Les néoconservateurs peuvent encadrer ses frasques comme ils le souhaitent, mais ont-ils vraiment réfléchi à ce qui se passera ensuite ?

Connaissant la mentalité des néocons, je ne pense pas qu’ils l’aient fait. Ils sont tellement focalisés sur la Russie et convaincus de l’issue de la guerre qu’ils lui livrent que le fait de botter les fesses d’une des plus grandes armées du monde, d’une importance géostratégique immense, leur importe peu.

Sans le soutien de la Turquie à Idlib, les rebelles ne survivront pas à long terme. Erdogan va intensifier ses attaques contre les FDS kurdes à l’est, soutenues par les États-Unis. Cela laisse Israël dans une position plus fragile, ne survivant que grâce aux bonnes grâces de la Russie.

En effet, les récentes informations selon lesquelles les troupes américaines subissent d’intenses tirs de missiles à Deir Ezzor où elles protègent le vol du pétrole syrien, indiquent que la Syrie et l’Iran ont été libérés de leurs chaînes par Poutine dans la confrontation avec les États-Unis en Syrie.

À la lumière de l’admission par Angela Merkel que les accords de Minsk étaient une ruse pour armer l’Ukraine, je ne pense pas que vous ayez besoin d’une preuve supplémentaire que Poutine a maintenant tous les atouts en main pour s’attaquer directement aux États-Unis, sachant que le conflit est inévitable.

Pensez-y de cette façon. Avant l’aveu de Merkel, l’Occident était capable de composer de manière crédible le récit selon lequel Poutine avait injustement envahi l’Ukraine. Des types comme Con Coughlin qui continuent de qualifier la Russie d’“État voyou” sont ridicules lorsque les faux-semblants de la diplomatie ont disparu. Vous ne pouvez pas remettre ce génie dans la bouteille et continuer à déclarer que l’entrée de la Russie en Ukraine le 24 février 2022 n’était pas du tout provoquée.

Avec un document de Minsk viable en place, les nouveaux “alliés” de Poutine disposaient d’une raison publique à invoquer pour le poignarder dans le dos si la Russie faiblissait sur le champ de bataille ou sur leurs proxies comme la Syrie.

Aujourd’hui, avec ce récit qui a explosé – non pas pour les moutons mais pour les chefs d’État du Sud – Poutine est en droit de ne plus faire du pied aux États-Unis par l’intermédiaire de mandataires.

Il n’y a aucune raison de ne pas franchir les lignes rouges qui ont toujours été là comme des branches d’olivier pour former la base des futurs efforts diplomatiques. Les crétins et les psychopathes qui dirigent actuellement l’Occident avec leurs singeries d’école préparatoire sont irrécupérables aux yeux non seulement des Russes, mais aussi maintenant des Turcs, des Iraniens, des Chinois, des Pakistanais, etc.

Il y a des conséquences à se vanter sur Twitter à l’image de Michael McFaul qui, en tant qu’ambassadeur, a ouvertement menti, ou pire, l’ancien secrétaire d’État Mike Pompeo qui a fait de la politique du département d’État une politique de mensonge parce qu’il a été formé comme ça à la CIA.

Besoin de plus de preuves ? Poutine vient de vendre à l’Iran des dizaines de SU-35. C’est une autre ligne rouge implicite destinée à apaiser les États-Unis qu’il vient de franchir, avec désinvolture d’ailleurs. Tant que l’Iran disposait d’une armée de l’air ridicule, Poutine pouvait maintenir au moins la prétention d’écouter les États-Unis.

Mais, maintenant, tout cela a disparu.

L’Iran vend à la Russie des drones pour anéantir l’armée ukrainienne et la Russie envoie à l’Iran des SU-35 pour mettre fin à la menace d’un nouveau bombardement à longue portée d’Israël en Iran.

Les anciennes situations de blocage ont disparu.

Compte tenu de tout ce qui se passe, faut-il s’étonner que Bibi Netanyahou, nouvellement ressuscité en Israël, ait intensifié les bombardements de l’aéroport de Damas, le faisant apparemment fermer ? Faut-il s’étonner qu’il se lance dans une véritable guerre de sabre contre l’Iran ?

Mais dans le même temps, son nouveau ministre de la défense a des doutes quant au soutien à l’Ukraine. Comment les néoconservateurs britanniques peuvent-ils concilier cette position avec le fait que la Russie est un État voyou ?

Le fait est que Poutine devait garder l’espoir de la diplomatie et ne pas franchir la ligne jusqu’à ce que les États-Unis et l’Union européenne révèlent leurs mensonges et leur duplicité. Il fallait que cela soit public pour qu’il puisse le faire, sinon la fragile coalition qu’il a formée pour combattre l’Occident pourrait s’effondrer.

À cet égard, Merkel lui a fait une faveur. Elle a également fait une faveur à Davos en accusant les États-Unis de tous les problèmes actuels.

Maintenant, il franchit toutes les lignes rouges et Erdogan suit le mouvement.

Je comprends pourquoi les néoconservateurs sont en colère, mais ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes pour avoir été entraînés dans une guerre avec des partenaires européens peu fiables et avec un agenda très différent.

N’oubliez pas non plus les relations très difficiles d’Erdogan avec Merkel sur la question des migrants et de l’adhésion à l’UE. L’UE lui a fait miroiter cette possibilité pendant des années, alors qu’il menaçait d’inonder l’Europe de nouveaux migrants.

Cette impasse a été rompue il y a quelques années et Erdogan doit maintenant permettre aux Syriens et aux Libanais de rentrer chez eux, ne serait-ce que pour soulager l’économie et le tissu social turcs.

Ainsi, Erdogan a toujours su qui était vraiment Merkel. Elle est exactement comme Mercouris l’a décrite dans le passé, quelqu’un qui jongle avec toutes ces balles dans le but de maintenir le statu quo. Ce statu quo consistait à gagner du temps pour que l’agenda de Davos mûrisse. C’est tout ce qui comptait.

J’ai toujours maintenu que Poutine et son équipe utilisent l’agression parallèle pour contrer la détermination implacable des néoconservateurs à attaquer. Quand ils poussent sur un théâtre, il répond en poussant sur un autre.

Et ce qui est intéressant ici, c’est qu’à un moment donné, toute la narration “Poutine est l’agresseur” s’effondrera dans l’espace normalisé lorsque les enjeux deviendront suffisamment élevés parce que les Occidentaux ne sont pas convaincus que l’Ukraine ou la Syrie soient notre combat.

Ces accords n’ont jamais été vraiment scellés.

Cela signifie que la Syrie va abattre un F-16 israélien à un moment donné et qu’Israël devra encaisser. Ou bien cela poussera Bibi à faire quelque chose de si irréfléchi que personne ne sera capable de le tourner en sa faveur.

Davos met Israël à l’écart à l’ONU, poussant les néoconservateurs au bord de l’alcoolisme.

Quoi qu’il en soit, ce que Poutine a fait ici, avec l’aide d’Erdogan, c’est renverser toute la dynamique de puissance de l’agression.

Maintenant, les Russes peuvent permettre à la Syrie et à l’Iran de “se défendre” tout en gardant les mains propres.

La véritable phase de “bluff” de cette situation commence maintenant.

Maintenant, nous allons voir combien de temps “Biden” va maintenir des troupes en Syrie, voler du pétrole et appliquer des sanctions que la Turquie rendra superflues quelques semaines plus tard.

Attendez-vous à des opérations de changement de régime en Turquie cet automne. Attendez-vous à une intensification de l’agression israélienne contre la Syrie et l’Iran jusqu’à ce que l’armée de l’air iranienne soit suffisamment forte pour se défendre.

Le temps presse pour tous les conflits dans cette région : Syrie, Irak, Yémen.

Et la clé de tout cela a toujours été d’obtenir d’Erdogan qu’il les chamboule tous en contribuant à exposer la fausseté de cette génération de “dirigeants” occidentaux.

Tom Luongo

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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