Iran : la pathologie des « fake news »


…Le New York Times retransmet en boucle des déclarations mensongères à propos d’un « programme iranien d’armes nucléaires » qui n’existe pas.


Par Moon of Alabama − Le 27 mai 2019

2015-05-21_11h17_05Lors d’une conférence de presse au Japon, le président américain Donald Trump a déclaré aujourd’hui (vidéo) :

Et je ne cherche pas du tout à nuire à l’Iran. Je veux juste que ce pays dise : « Pas d’armes nucléaires. » Nous avons déjà assez de problèmes dans le monde en ce moment avec les armes nucléaires. Pas d’armes nucléaires pour l’Iran. Et je pense qu’on va trouver un accord.

L’Iran a déjà dit : « Pas d’armes nucléaires. » Il l’a dit plusieurs fois. Il continue de le dire.

L’Iran n’a pas l’intention de fabriquer des armes nucléaires. Il n’a pas de programme d’armes nucléaires.

Mais Trump peut être confus parce que le « journal de référence » américain, le New York Times, a récemment recommencé à affirmer trompeusement que l’Iran a un tel programme.

Un éditorial paru le 4 mai dans le Times affirmait que le Corps des gardiens de la révolution iranien dirigeait un tel programme d’armes nucléaires. Après une vive indignation du public, le Times a corrigé l’éditorial. Le bureau de l’ONU en Iran a écrit une lettre au journal, qui a été publiée le 6 mai :

Dans une première version de « Trump Dials Up the Pressure on Iran » (éditorial, nytimes.com, 4 mai)[ Trump augmente les pressions sur l’Iran] maintenant corrigé, vous avez fait référence à un programme d’armes nucléaires pour décrire un objectif du Corps des gardiens de la révolution islamique. … L’éditorial a raison de critiquer les aspects punitifs de la politique de l’administration Trump à l’égard de l’Iran – une politique qui n’a apporté que des souffrances au peuple iranien et qui n’entraînera aucun changement dans la politique de ce pays. Mais il était erroné de parler d’un programme d’armement – une dangereuse affirmation qui pourrait conduire à un grand malentendu au sein de la population.

Malheureusement, cela n’a pas suffi. Le NYT continue avec cette « dangereuse affirmation ».

Le 13 mai, des journalistes du NYT, Eric Schmitt et Julian E. Barnes, ont écrit un article « White House Reviews Military Plans Against Iran in Echoes of Iraq War » [la Maisons Blanche révise ses plans militaires contre l’Iran, en rappel de ceux de la guerre d’Irak] :

Lors d’une réunion des hauts responsables de la sécurité nationale du président Trump jeudi dernier, le secrétaire à la Défense par intérim, Patrick Shanahan, a présenté un plan militaire actualisé qui prévoit l’envoi de 120 000 soldats au Moyen-Orient si l’Iran attaquait les forces américaines ou accélérait son programme d’armes nucléaires, ont déclaré les responsables de l’administration.

On ne peut pas accélérer sa voiture, si on n’en a pas. L’expression « accélérer son programme sur les armes nucléaires » implique que l’Iran aurait un programme d’armes nucléaires. Il se peut que la Maison-Blanche l’ait faussement prétendu, mais les auteurs reproduisent cette affirmation sans la réfuter.

Un article d’Helene Cooper et Edward Wong, paru le 14 mai dans le NYT, répète cette fausse déclaration, toujours sans souligner qu’elle est fausse :

L’administration Trump envisage d’envoyer jusqu’à 120 000 soldats au Moyen-Orient si l’Iran attaquait les forces américaines ou accélérait son programme sur d’armes nucléaires, selon le New York Times.

Également le 14 mai, une caricature éditoriale du NYT a été publiée sous le titre « Will Iran Revive Its Nuclear Program ? » [l’Iran ressuscitera-t-il son programme nucléaire ?] La légende de la caricature affirme trompeusement que l’Iran avait enrichi l’uranium jusqu’à un niveau de qualité militaire. Et pourtant non, l’Iran n’a pas d’arme nucléaire ni de programme nucléaire dans son congélateur.

Le 16 mai, après un autre tollé public, une correction a été ajoutée à la caricature :

Une version antérieure d’une légende allant avec cette caricature attribuait à tort une distinction au programme nucléaire de l’Iran. L’Iran n’a pas produit d’uranium hautement enrichi.

Après cette bardée de fausses affirmations au sujet de l’Iran de la part du New York Times, la critique du NYT, Belen Fernandez, s’est demandé : « Le New York Times a-t-il déclaré la guerre à l’Iran ? » Elle énumère d’autres affirmations du Times au sujet de l’Iran qui sont loin d’être vraies.

Trois jours plus tard, le 25 mai, Palko Karasz parlait dans le New York Times de la réaction de l’Iran à la petite accumulation de troupes de Trump dans la région du Golfe Persique. Encore une fois, le mot « accélérer », évidemment faux, a été utilisé :

Selon les plans de la Maison-Blanche révisés sous la pression des partisans de la ligne dure dirigés par John R. Bolton, le conseiller du président pour la sécurité nationale, si l’Iran devait accélérer ses travaux sur les armes nucléaires, les responsables de la défense envisagent d’envoyer jusqu’à 120 000 soldats au Proche-Orient.

L’Iran n’a pas de programme nucléaire. Il ne peut pas en « accélérer » un. Les États-Unis prétendent que l’Iran a déjà eu un tel programme, mais ils affirment aussi qu’il a pris fin en 2003. La formulation standard utilisée par Reuters dans ses rapports sur l’Iran est donc appropriée :

Les États-Unis et l’organisme de surveillance nucléaire de l’ONU pensent que l’Iran avait bien un programme d’armes nucléaires qu’il a abandonné. Téhéran nie en avoir jamais eu un.

Le 1er juillet 1968, l’Iran a signé puis ratifié le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) en tant que partie non dotée d’armes nucléaires. L’article II du traité dit :

Chaque État non doté d’armes nucléaires qui est partie au Traité s’engage à ne pas recevoir directement ou indirectement des armes nucléaires ou d’autres dispositifs explosifs nucléaires ou le contrôle de ces armes ou dispositifs explosifs nucléaires, à ne pas fabriquer ou acquérir de quelque autre manière des armes nucléaires ou d’autres dispositifs explosifs nucléaires, à ne chercher ni recevoir aucune assistance pour la fabrication d’armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires.

Avec cet engagement, l’Iran a dit « Pas d’armes nucléaires ». L’Iran a également accepté la demande de garanties nucléaires de l’article III du traité sous la forme d’inspections de routine effectuées par l’AIEA, l’organisation chargée de la surveillance nucléaire du traité.

L’article IV du TNP donne à tous les États parties non dotés d’armes nucléaires comme l’Iran le « droit inaliénable » de « développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, sans discrimination ». Après la signature du TNP, l’Iran a lancé plusieurs projets nucléaires civils. Ceux-ci ont commencé sous le Shah dans les années 1970 et se sont poursuivies après la révolution de 1979 en Iran.


Agrandir

Depuis la révolution iranienne, les États-Unis ont exprimé explicitement leur hostilité à la République islamique d’Iran. Ils ont incité le président irakien, Saddam Hussein, à lancer une guerre contre la République islamique et l’ont activement soutenu tout au long de cette guerre. Ils ont tenté et continuent de tenter d’entraver le développement de l’Iran, nucléaire et non nucléaire, par tous les moyens possibles.

Sous le président américain George W. Bush, le gouvernement américain a prétendu que l’Iran avait un programme d’armes nucléaires. La République islamique d’Iran a rejeté cette affirmation et signé en 2004 le Protocole additionnel au TNP qui permet à l’AIEA d’effectuer des inspections plus rigoureuses et à court préavis dans les installations nucléaires déclarées et non déclarées pour rechercher des activités nucléaires secrètes.

Avec tout cela, la République islamique d’Iran déclare qu’elle n’a « pas d’armes nucléaires ».

Dans un éditorial du New York Times datant de 2006, Javid Zarif, alors ambassadeur d’Iran auprès des Nations Unies, écrivait :

L’ayatollah Ali Khamenei, dirigeant de la République islamique, a publié un décret contre la mise au point, la production, le stockage et l’utilisation d’armes nucléaires.

Le plus haut dirigeant politique et religieux de l’Iran le dit : « Pas d’armes nucléaires ».

Non seulement l’Iran a signé le TNP et son Protocole additionnel, mais ses dirigeants politiques rejettent catégoriquement la mise au point et la possession d’armes nucléaires.

Zarif soulignait également que l’AIEA avait constaté que l’Iran n’avait pas déclaré certaines activités nucléaires, mais qu’il n’avait jamais eu le programme d’armes nucléaires que l’administration Bush prétendait qu’il avait :

En novembre 2003, par exemple, l’agence a confirmé qu’ « à ce jour, rien ne prouve que les matières et activités nucléaires non déclarées précédemment étaient liées à un programme d’armes nucléaires ».

Ces fameuses « matières et activités nucléaires non déclarées auparavant » sur lesquelles l’AIEA a enquêté, s’avèrent n’être que le travail de certains scientifiques iraniens sur un « plan pour un plan » en vue de la mise au point d’armes nucléaires. Ils semblent avoir discuté des mesures que l’Iran devrait prendre, des matières et du type d’organisation dont il aurait besoin pour lancer un programme d’armes nucléaires. Les travaux n’ont pas été officiellement sanctionnés et aucun programme d’armement nucléaire n’a jamais été lancé. On pense que les scientifiques iraniens ont travaillé sur ce « plan pour un plan » parce qu’ils craignaient que l’ennemi de l’époque, Saddam Hussein, qui avait bombardé les villes iraniennes avec des armes chimiques, ne s’oriente vers des armes nucléaires. En 2003, après l’invasion de l’Irak par les États-Unis, cette préoccupation s’est révélée infondée et le projet de « plan pour un plan » a été abandonné.

En décembre 2007, les 16 services de renseignement américains confirmaient cette renonciation au nucléaire :

Une nouvelle évaluation des services de renseignement américains conclut que l’Iran a interrompu son programme d’armes nucléaires en 2003 et que ce programme demeure gelé, ce qui contredit le jugement rendu il y a deux ans selon lequel Téhéran travaillait sans relâche à la fabrication d’une bombe nucléaire. … Le nouveau National Intelligence Estimate déclare avec « une grande confiance » que le programme militaire iranien visant à transformer cette matière première en arme nucléaire a été arrêté depuis 2003, et affirme également avec une grande confiance que l’arrêt « a été décidé principalement en réponse à une surveillance et une pression internationales accrues ».

La National Intelligence Estimate a mis fin aux efforts de l’administration Bush pour menacer l’Iran d’une guerre. Mais le gouvernement américain, sous Bush puis sous le président Obama, a poursuivi ses efforts pour priver l’Iran de son « droit inaliénable » aux programmes nucléaires civils.

Obama a mené une campagne de sanctions de plus en plus sévères contre l’Iran. Mais le pays n’a pas cédé. Il a même riposté en accélérant ses programmes nucléaires civils. Il a enrichi plus d’uranium à des niveaux d’utilisation civile et mis au point des centrifugeuses d’enrichissement plus efficaces. C’est l’administration Obama qui a finalement renoncé à sa politique d’escalade. Elle a admis que l’Iran a le « droit inaliénable » d’exécuter ses programmes nucléaires civils, y compris l’enrichissement de l’uranium. C’est cette concession, et non les sanctions, qui a amené l’Iran à discuter de ses programmes nucléaires.

Le résultat de ces pourparlers a été le Plan d’action global conjoint (JCPOA) qui a été approuvé par la résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée le 20 juillet 2015.

Le JCPOA donne à l’AIEA des outils supplémentaires pour inspecter les installations iraniennes. Il soumet le programme nucléaire civil de l’Iran à certaines limites qui prendront fin en octobre 2025. Le JCPOA réaffirme également que l’Iran a tous les droits que lui confère le TNP. Depuis, l’AIEA inspecte régulièrement les installations iraniennes et réaffirme constamment dans ses rapports que l’Iran n’a pas de programme d’armes nucléaires.

L’hostilité de l’administration Trump envers l’Iran n’a rien à voir avec le nucléaire. Les États-Unis veulent l’hégémonie sur la région du golfe Persique. L’Iran rejette ces désirs impériaux. Les États-Unis veulent contrôler les flux de ressources en hydrocarbures vers leurs concurrents, principalement la Chine. L’Iran n’autorise pas de tels contrôles sur ses exportations. Les États-Unis veulent que toutes les ventes d’hydrocarbures soient effectuées en dollars américains. L’Iran exige des paiements dans d’autres devises. Israël, qui a une influence significative au sein de l’administration Trump, utilise les allégations d’un programme d’armement nucléaire iranien inexistant pour manipuler l’opinion publique américaine et la détourner de ses politiques racistes d’apartheid en Palestine.

Avec son « Je veux que l’Iran dise : « Pas d’armes nucléaires » » Trump ne dit que des conneries. L’Iran l’a dit à plusieurs reprises et continue de le dire. Mais Trump croit évidemment qu’il peut s’en tirer avec des affirmations aussi idiotes.
Le New York Times lui donne raison. Il se glisse à nouveau dans le rôle qu’il a joué pendant la campagne de propagande qui a précédé la guerre contre l’Irak en 2002/2003. Le Times prétendait que les fausses allégations des membres de l’administration Bush au sujet des armes de destruction massive en Irak étaient vraies, alors même que des journalistes diligents d’autres médias avaient  démenti ces allégations à maintes reprises. Le Times s’est ensuite excusé et a congédié Judith Miller, l’une de ses journalistes qui avait écrit plusieurs des articles qui soutenaient les fausses allégations.

Mais ce n’a jamais été un problème de journaliste transmettant, dans ses articles, des fausses déclarations de fonctionnaires anonymes de l’administration. C’était une décision éditoriale du Times, prise bien avant le début de la guerre contre l’Irak, d’utiliser son pouvoir pour soutenir une telle guerre. Cette décision éditoriale a permis que ces fausses affirmations apparaissent dans le journal.

Rien que ce mois-ci, un éditorial, une caricature éditoriale et au moins cinq journalistes dans trois articles publiés dans le New York Times ont fait de fausses déclarations sur un programme iranien d’armes nucléaires qui, comme toutes les institutions officielles concernées le confirment, n’existe pas. Ce n’est pas un hasard.

Il est maintenant évident que le Times a de nouveau décidé de soutenir les déclarations mensongères d’une administration qui pousse les États-Unis vers une autre guerre au Moyen-Orient.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF