Le programme économique de Trump n’est vague qu’à première vue. Il veut cependant utiliser la domination du dollar pour diriger les flux de capitaux vers les États-Unis. Par son impact, ce plan n’est rien d’autre qu’une attaque contre l’Europe.
Par Michael Bernegger – Le 28 novembre 2016 – Source Deutsche WirtschaftsNachrichten
Donald Trump n’a présenté un programme économique inconsistant qu’en apparence. En effet, Trump veut exploiter sans pitié les difficultés de l’Europe et des économies émergentes.
Sur la base de ses slogans de campagne et de ses premières annonces, le programme de Donald Trump pour le commerce extérieur paraît d’abord confus et contradictoire. Pourtant un froid calcul se cache derrière. S’il est mis en œuvre, les marchés émergents et l’Europe se retrouveront perdants.
Plusieurs articles ont exposé les aspects économiques intérieurs du programme de Donald Trump. Le secteur du commerce extérieur a été ignoré jusqu’à présent. Les deux articles suivants mettront l’accent sur cet aspect. Comme en politique intérieure, la politique économique extérieure (et la politique étrangère) d’une administration Trump représenterait une rupture avec le passé. Dans cet article, les bases de la politique monétaire seront exposées. Dans le prochain article, nous traiterons de la politique commerciale.
Le dollar US a augmenté massivement et cela précisément par rapport aux monnaies de ses plus importants partenaires commerciaux, le yuan chinois, l’euro, le peso mexicain, le yen, la livre britannique, etc. Ce n’est en aucun cas seulement une réaction à court terme face à la victoire électorale de Donald Trump, mais une tendance longue, sur plusieurs années, qui a connu une nouvelle escalade avec la victoire de Donald Trump et des Républicains. Si le gouvernement Trump et les Républicains au Congrès mettent effectivement en œuvre une combinaison de programmes d’infrastructures de grande ampleur et de réductions d’impôts massives, cela favorisera le dollar américain dans d’autres régions. Cela raviverait le souvenir de la force du dollar, sous la première administration Reagan en 1985. À l’époque, la combinaison d’une politique budgétaire expansive et d’une politique monétaire tendanciellement plus restrictive avait propulsé le dollar à des sommets. Les taux d’intérêts réels aux États-Unis avaient fortement augmenté grâce à cette combinaison unilatérale de politiques. Si cela se produisait à nouveau, les États-Unis perdraient énormément en compétitivité, l’industrie manufacturière ne reviendrait pas dans le pays comme Trump l’a promis pendant sa campagne, mais se délocaliserait encore plus sur la base de la revalorisation du dollar sur les marchés des changes. C’est exactement ce qui s’est passé du temps de Reagan.
L’indice réel effectif (= pondéré en fonction des échanges commerciaux) du taux de change du dollar est publié par la Réserve fédérale américaine. Il existe sous deux formes, comme indice par rapport aux monnaies principales («majors») et comme indice défini globalement («broad index»), qui contient notamment de nombreuses monnaies de pays émergents. L’indice est déflaté [l’effet de l’inflation a été supprimé, NdT] avec les prix à la consommation, c’est-à-dire qu’il a été purgé des différences dans l’évolution des prix. Un indice croissant du taux de change réel signifie une réévaluation du dollar et par conséquent une détérioration de la compétitivité des prix de l’industrie américaine dans le commerce extérieur. Une dévaluation est au contraire positive pour la compétitivité. Le laps de temps au bout duquel les modifications du taux de change se ressentent habituellement dans les flux commerciaux extérieurs est de trois ans environ. Après un changement, l’effet s’installe en peu de mois et il est généralement le plus fort après la deuxième année. Surtout sur de longues phases, sur plusieurs années, de réévaluation ou de dévaluation entraînent des effets cumulatifs très importants sur la compétitivité de l’industrie.
Depuis le passage à des taux de change flexibles en janvier 1973, le vrai dollar effectif a connu ce genre de longues phases de recul et de montée du dollar, cela autour de la moyenne de 100 (voir graphique précédent). Sur un tableau à long terme, cela représente une stabilité étonnante. Une première phase d’augmentation est intervenue de 1979 à 1985, une deuxième de 1993 à 2001. La troisième et dernière phase de l’augmentation a commencé au point le plus bas en 2011. En comparaison historique, elle n’est pas encore aussi prononcée que les deux précédentes.
Ces cycles d’évolution du dollar sur une longue durée ne sont pas accidentels. Ils se basent sur une modification de la conjoncture fondamentalement différente entre les États-Unis et le reste du monde. Les différences entre les deux indices – Broad et Major Currencies – sont relativement minces. Surtout dans la seconde moitié des années 1990 et au cours des trois dernières années, l’indice général (Broad) est monté un peu plus fortement que celui par rapport aux devises principales. Cela reflète le fait que ce sont surtout les pays émergents qui ont été sous pression pendant ces périodes.
Avec la politique financière et la politique économique générale prévues par Trump, une nouvelle réévaluation de l’indice réel du dollar serait bien préprogrammée. Cela pourrait parfaitement conduire à une flambée du dollar comme au milieu des années 1980 – ou même encore plus.
Qu’y a-t-il derrière la montée actuelle du dollar ? C’est tout simplement une combinaison de facteurs d’attraction et de répulsion. Les États-Unis se trouvent dans un cycle conjoncturel plus avancé que le reste du monde. Depuis 2010, leur économie croît de 2 % environ par an. C’est moins que dans le passé après un important ralentissement économique. C’est cependant beaucoup plus qu’en Europe ou au Japon. En outre, à partir des déclarations de Trump dans sa campagne électorale, une phase de relance budgétaire expansive semble vraisemblable. En premier lieu, il y a l’attente d’un léger resserrement de la politique monétaire américaine. L’économie, selon l’évaluation de la Réserve fédérale, n’est pas formidable, mais pourtant correcte. Les indicateurs du marché du travail fournis par la Fed elle-même [très discutables, NdT] se sont fortement améliorés en comparaison historique. Les indicateurs d’inflation affichent une normalisation, un éloignement des tendances déflationnistes des années passées. La victoire électorale de Donald Trump, avec ses plans de politique budgétaire, devrait donner une impulsion supplémentaire à la conjoncture intérieure, et créer simultanément des besoins de financement. La perspective de hausse des taux par la Réserve fédérale et d’une conjoncture meilleure, liée à des taux d’intérêts plus élevés et une courbe des rendements plus abrupte, sont les principaux stimulants, les facteurs d’incitation.
L’évolution la plus récente sur le marché des devises n’est pas encore apparue dans l’indice de taux de change réel. Ses données couvrent la période allant jusqu’à la fin de septembre 2016, mais pas la hausse intervenue ensuite. Les prix à la consommation, nécessaires pour mesurer un effet déflationniste, sont toujours publiés avec un retard important.
L’indice nominal du dollar pondéré en fonction des échanges commerciaux a atteint, depuis lors, de nouveaux sommets dans la tendance haussière depuis 2011, après s’être consolidé pendant près de deux ans en 2015 et 2016. Dans quelques semaines, les cours de change nominaux et réels concorderont fortement. L’indice réel du dollar devrait donc aussi fortement augmenter. C’est une valeur élargie du dollar, basée sur les devises principales comme l’euro, le yen, la livre, le yuan. Par ailleurs, une faiblesse des devises des pays émergents se cache derrière, toutefois beaucoup plus sélective qu’en 2014. Avant tout, les monnaies de certains pays sont soumises à une pression extrême. Ainsi le bolivar vénézuélien, le peso mexicain, la livre turque, la livre égyptienne, le ringgit malaisien ou le peso philippin. Ce sont des monnaies de pays pris dans des crises politiques, crises intérieures dans la plupart des cas, crise extérieure dans le cas du peso mexicain. D’autres pays, pas vraiment petits, sont menacés aussi, comme la roupie en Inde, où le gouvernement Modi a engagé de manière surprenante une campagne contre la possession d’argent liquide et a étouffé tant les banques que la population avec son coup surprise – entraînant une paralysie presque totale de l’activité économique et une perte générale de confiance dans le gouvernement et la Banque centrale.
Outre le changement de perspective pour les taux d’intérêt réels aux États-Unis il y a par conséquent une crise latente des économies émergentes, qui stimule la force du dollar comme deuxième facteur de poussée. Les dettes en dollars de nombreux pays émergents ont beaucoup augmenté en une décennie. L’octroi de crédits dans ces pays reflétait une période où les prix des matières premières croissaient rapidement, principalement stimulés par le boom des investissements en Chine ainsi que par une régulation bancaire en Europe et ailleurs, apparemment sans limite dopant l’expansion du crédit. Avec le ralentissement de la croissance en Chine et la chute des prix des matières premières depuis 2013, les problèmes ont augmenté. Les recettes de ces pays, libellées en dollars, ont chuté de manière spectaculaire en raison de l’effondrement des prix des matières premières. De nombreux pays ont de graves problèmes de balance des paiements. La combinaison de la hausse des taux d’intérêt et de la force globale du dollar complique encore la situation dans ces économies émergentes. Les secteurs non financier et bancaire sont également touchés par la hausse des taux d’intérêt et du dollar. Le paiement des intérêts, la plupart du temps au taux Libor-plus, devient plus cher et la dette s’accroît. C’est problématique surtout dans les pays dont les recettes d’exportation sont fortement touchées à cause de la baisse des matières premières ou dans ceux qui ont contracté des crédits en dollars pour investir sur le marché intérieur. La hausse des taux d’intérêt aux États-Unis a dans les deux cas agi comme détonateur et a déclenché une activité de couverture frénétique ou une fuite des capitaux.
Dans toute une série de pays émergents il y a déjà une pénurie effective de dollars (dollar-shortage). Cela concerne le Venezuela, l’Égypte, le Nigeria, l’Angola, l’Ouzbékistan, etc. Ces pays n’ont, comme l’Europe immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, plus de devises en dollar pour payer les échanges. Dans quelques-uns de ces pays, cela a déjà causé un manque d’approvisionnement critique en denrées alimentaires, parce que celles-ci ne peuvent plus être importées. Le pire pourrait bientôt arriver. L’Arabie saoudite a pu se donner un peu d’air grâce à un énorme placement obligataire. Ce pays hyper riche n’a pas pu honorer non plus ses paiements, notamment aux travailleurs immigrés d’Inde, du Pakistan, du Bangladesh ou à de grandes entreprises de construction américaines, espagnoles et italiennes.
La crise latente des pays émergents a été habilement tempérée en 2016 par la Fed. Celle-ci a renoncé à une hausse des taux d’intérêts en 2016 et a ainsi permis, voire encouragé, une reprise des marchés émergents et des monnaies liées aux matières premières. Cette reprise a été, ou est encore, largement en panne dans différents pays, par exemple pour le real brésilien, le rand sud-africain ou le rouble russe. Il est important, pour ces monnaies, d’avoir bénéficié d’une flexibilité leur permettant de dévaluer fortement et rapidement en 2014. Les réserves de change ont ainsi pu être protégées. Une certaine récupération des prix des matières premières, surtout du pétrole, y a aussi contribué.
Un troisième facteur, qui pousse le dollar US à la hausse, est une crise latente du système bancaire et financier à l’extérieur des États-Unis, avec une tendance à la fuite des capitaux. Cela aussi est un facteur de poussée. Cela concerne certains pays émergents, l’Europe, avant tout l’eurozone, mais aussi la Chine. Là où cela intervient, le souhait de diversification et de choix des dépôts est raisonnable et justifié. Le système bancaire américain est beaucoup mieux capitalisé, relativement, et incomparablement moins exposé à des prêts irrécouvrables ou à des risques de contreparties que les banques dans les zones économiques mentionnées [allégations très discutables, voir la crise des subprimes en 2008, NdT].
Mais la sous-capitalisation latente du système bancaire se répercute encore d’une manière particulière sur les marchés des changes. La parité des taux intérêts, une relation considérée comme valable depuis le passage aux taux de change flexibles, a été faussée depuis 2010 par l’instauration de primes de risques. La parité des taux intérêts indique que les coûts d’une couverture des devises sont aussi élevés, dans le temps, que la différence entre les taux d’intérêts nationaux et étrangers sur le marché monétaire pour le laps de temps correspondant. Le marché des devises affiche cependant une image différente aujourd’hui. La différence implicite des taux d’intérêts est beaucoup plus élevée que la différence des taux sur le marché monétaire, pour les mêmes échéances. Les frais de couverture de change coûtent donc beaucoup plus que la simple différence sur le marché monétaire. Cela ne concerne pas du tout uniquement les monnaies des pays émergents ou des paires de devises non liquides, mais des devises absolument principales comme l’euro/dollar ou le dollar/yen. Cette anomalie s’est manifestée de manière plus marquée en 2016. L’économiste de la Banque des règlements internationaux attribue cette violation de la parité des taux d’intérêt à un système bancaire sous-capitalisé, qui a pour conséquence des frais de couverture trop élevés. Des taux d’intérêts américains croissants et la hausse du dollar conduisent ainsi à une situation où la couverture des engagements en dollars devient toujours plus coûteuse et fait même d’un dollar US fort, un thermomètre de l’aversion mondiale pour le risque, comme l’a été la volatilité sur le marché boursier jusqu’en 2009.
Ce décor met en scène les principes de ce que projette, à l’évidence, la nouvelle administration. L’idée de base de ce programme a été récemment exposée dans une interview par Steve Bannon, le principal stratège nouvellement nommé de Trump. Trump l’a désigné comme un de ses plus importants conseillers, avec le chef de cabinet Rience. Dans l’interview, Bannon a commencé par expliquer qu’il n’est ni un raciste ni un nationaliste ethnique, mais un «nationaliste économique». Il veut, comme élément central, un immense programme d’infrastructures se montant à 1 000 milliards de dollars. Il veut des routes, des ponts, des écoles, même des chantiers navals, et veut… faire financer tout cela par l’étranger. L’idée de base est d’offrir un rendement du capital raisonnable dans un monde plein d’intérêts négatifs, et d’attirer des capitaux étrangers en masse. Lorsque d’autres zones économiques sont en difficulté – car ce n’est que pour cette raison qu’elles ont des intérêts négatifs – la nouvelle administration veut en profiter et offrir des possibilités de placement attractives aux États-Unis pour les capitaux qui demandent en vain des taux de rentabilité dans leurs propres pays.
Si le président nouvellement élu, qui est le cœur du système monétaire mondial (la monnaie de référence), fait son programme d’un agenda purement intérieur («l’américanisme plutôt que le mondialisme»), cela deviendra tôt ou tard difficile et même inconfortable à long terme pour le système monétaire. Le dollar US reste la monnaie de référence ou de réserve de l’économie mondiale. De nombreuses monnaies d’autres pays sont fixes ou liées au dollar avec une marge de fluctuation. Elles reprennent donc ses taux d’intérêts. Les marchés de capitaux étasuniens sont les plus profonds et les plus liquides au monde, c’est pourquoi leur formation des prix – taux d’intérêts, cours des actions – rayonne aussi sur de grandes monnaies flexibles, comme l’euro. La plus grande partie du commerce mondial est facturée en dollars. Les prêts en dollars dominent l’attribution internationale du crédit. La majorité écrasante des prêts internationaux sont appréciés en dollars US, et notamment en Libor plus.
Ce que Bannon veut exploiter, implicitement, c’est cette dominance du dollar comme monnaie mondiale. Les États-Unis ont un taux d’épargne extrêmement faible en comparaison historique et internationale. Les ménages privés, les entreprises et l’État épargnent beaucoup trop peu et consomment trop.
Néanmoins, le nouveau gouvernement veut une politique de relance très importante. Il veut appliquer un grand programme d’infrastructures et en plus, du moins selon les déclarations faites pendant la campagne électorale, réduire les impôts sur une assiette encore plus large, pour les contribuables privés comme pour les entreprises. Cela paraît une démarche à haut risque. Elle n’est pas simplement comparable à 1982, lorsque le président Reagan a appliqué sa politique budgétaire marquée par les dépenses de défense et les baisses d’impôts. À l’époque, les taux d’intérêt ont baissé considérablement, et maintenant ils doivent monter. À ce moment-là, l’endettement privé et celui de l’État étaient relativement bas par rapport au produit intérieur brut, aujourd’hui les deux sont très élevés. L’administration Trump ne peut cependant que partir de taux d’inflation très faibles, alors que Reagan a commencé avec une inflation à deux chiffres.
Ce n’est que si l’étranger finance un tel programme et si le taux d’épargne intérieur augmente avec le temps que ce calcul risqué peut tomber juste. Mais pour cela, il y a toute une série de conditions impératives. Sinon, les taux d’intérêts aux États-Unis exploseraient rapidement et étoufferaient la consommation privée et les investissements.
Une condition essentielle est que l’inflation aux États-Unis n’augmente pas rapidement, mais reste strictement contrôlée dans le cadre du précédent mandat de la Réserve fédérale américaine. Les chances sont bonnes pour cela tant que la monnaie est tendanciellement consolidée. Cela demande cependant une réorientation tactique de la politique monétaire de la Fed, en particulier la politique des taux d’intérêts. Jusqu’ici, grâce à la conjoncture macro-économique, la Fed a eu une large marge de manœuvre pour maintenir les taux d’intérêts à zéro ou presque pendant des années. La reprise, qui n’est que modérée, le chômage caché, le dollar fort et surtout l’effondrement des prix des matières premières depuis 2014 lui ont donné une très grande latitude. Elle a pu renoncer à des hausses des taux en 2016 pour décrisper la situation tendue des pays émergents. À l’avenir, cette marge de manœuvre dans la politique monétaire sera fortement réduite, au cas où le programme électoral de l’administration Trump devait être mis en œuvre dans ses grandes lignes. Un paquet fiscal substantiel, qui va stimuler la conjoncture intérieure, des coûts salariaux tendanciellement croissants par l’amélioration du marché du travail renforceront la flambée des prix. Pas moyen d’échapper à des hausses successives des taux d’intérêts de la Fed. Le premier devrait déjà intervenir lors de la séance de décembre du FOMC [Federal Open Market Commitee]. Cela ne manque pas de justifications, mais les anticipations d’inflation, exprimées par les marchés à terme, ont cependant pas mal augmenté.
Non seulement la Réserve fédérale américaine, mais aussi le gouvernement et le Congrès auraient la possibilité de freiner les perspectives d’inflation. Le plus grand facteur d’inflation aux États-Unis est constitué par les coûts de la santé. Les sous-composants des frais médicaux augmentent chaque année d’environ 6% ou plus. Un contrôle strict, voire une baisse des prix des médicaments ainsi que des tarifs médicaux et hospitaliers devraient logiquement intervenir. Mais compte tenu du programme des Républicains, cela ne devrait pas se faire – au contraire. Un deuxième point concerne la politique du marché du travail. Trump a annoncé son intention de renvoyer les étrangers illégaux dans leurs pays d’origine. S’il le faisait, il y aurait rapidement pénurie sur le marché du travail dans les centres de croissance – la Californie, New York, d’autres États fédéraux de la côte Est, le Texas. Les hausses de salaires s’accéléreraient de manière importante.
Une deuxième condition essentielle serait que les déficits budgétaires et les finances publiques n’échappent pas à tout contrôle. C’est beaucoup plus difficile, voire absolument irréaliste, surtout avec le programme de Donald Trump. Trump veut combiner un important programme d’infrastructures ainsi qu’une augmentation des dépenses de défense avec des réductions massives de l’impôt sur le revenu et sur le capital pour les personnes privées et des taux d’imposition pour les entreprises. Le tout repose, pour autant qu’on puisse en juger de loin, sur des hypothèses de croissance. Celle-ci doit passer à 4 %, ainsi les recettes fiscales doivent augmenter et financer le programme. La mathématique fiscale ne vaut pas le papier sur lequel elle est écrite. Par la baisse importante des impôts sur le revenu et des taux d’imposition des entreprises, l’assiette fiscale serait considérablement réduite de manière durable. La hausse des taux d’intérêts, même si elle devait rester modeste, va augmenter le coût des intérêts sur la dette existante. La conséquence à long terme en serait une hausse voire une explosion des déficits budgétaires. Une hausse des impôts pour les ménages à hauts et très hauts revenus pour son financement serait beaucoup mieux adaptée au programme d’infrastructures. Pour l’imposition des entreprises aussi, une autre solution que celle proposée par Trump serait plus adéquate.
Mais il y a tout autre chose à craindre. C’est que le programme d’infrastructure soit financé principalement par des partenariats public-privé (PPP). Ceux-ci aident dans un premier temps à masquer les coûts pour les pouvoirs publics, mais ils coûtent souvent beaucoup à long terme. Il y a toutefois de très nombreuses formes de PPP.
Avec les PPP, le financement des infrastructures − des écoles, des ouvrages communaux ou régionaux, des routes, des ports, des aéroports − est confié à des investisseurs privés auxquels on donne également le bail d’exploitation. Ces derniers s’engagent à apporter des investissements et d’autres prestations, conformément au contrat. Les investisseurs privés peuvent, en échange, percevoir les bénéfices en tant qu’exploitants temporaires des infrastructures, cela pendant des périodes prédéfinies, longues la plupart du temps, c’est-à-dire par exemple les frais d’inscription à l’école, les taxes aéroportuaires, routières et portuaires, les tarifs des eaux et de l’électricité, etc. À la fin de la période convenue, l’infrastructure revient généralement à l’État. Celui-ci se retrouve souvent avec un déficit ou même une garantie de bénéfice pour l’exploitant.
L’avantage des PPP réside dans le fait que les investissements peuvent être rapidement stimulés par la mobilisation du capital privé et que ces coûts d’investissement ne doivent pas être comptabilisés comme dépenses dans un premier temps. Le budget et les dettes de l’État ne sont visuellement pas alourdis. Le fonctionnement assuré par des exploitants hautement spécialisés peut effectivement être plus efficace. À l’inverse, sur les périodes suivantes, les recettes font défaut à l’État. Les garanties de déficit et de bénéfice souvent complexes peuvent représenter des charges importantes pour les finances publiques. À la différence du secteur privé, celles-ci ne doivent cependant pas être comptabilisées en continu au titre du passif. La durée prédéfinie du bail est souvent trop longue, donnant lieu à un transfert de bénéfices trop élevé. Enfin, vers la fin de leur contrat de bail, les exploitants privés ne peuvent souvent plus honorer leurs obligations de réparation et de rénovation. Ils peuvent aussi faire faillite, etc.
Le risque des PPP est tout à fait considérable. Les véritables coûts d’investissement disparaissent des finances publiques. En fin de compte, les prestations publiques peuvent être surévaluées et fournies avec des frais d’investissement beaucoup trop élevés. Le bilan des PPP au niveau mondial est assez décevant. Surtout dans les pays à gouvernement faible, ces PPP sont un eldorado pour la corruption et le clientélisme.
Des contrôles des prix serrés dans la santé, la fiscalité et les PPP sont quelques-unes des principales pierres d’achoppement pour le gouvernement. Ces points ont de lourdes répercussions à moyen et à long terme sur les taux d’intérêt si un programme d’infrastructure devait être mis en œuvre comme prévu. Si Trump se décide, conformément à son programme électoral, cela signifie des taux d’intérêts significativement plus élevés et un dollar fort. Les États-Unis ne peuvent pas financer l’ensemble du programme sans courir des risques majeurs. En cas de déficit hors de contrôle, les taux d’intérêts réels augmenteraient fortement à moyen ou à long terme.
Quelle que soit l’alternative que choisit l’administration, ce programme ne signifie rien de bon pour les pays émergents. Nombre d’entre eux ont des créances importantes en dollars US à courtes échéances au moins pour les intérêts. Des taux d’intérêts américains plus élevés et une montée du dollar ont en outre des effets négatifs sur les prix des matières premières, elles les mettent sous pression. De nombreux pays émergents, surtout les exportateurs de matières premières, seraient de ce fait durement frappés. Peut-être pas tout de suite, mais cela se répercuterait plus tard sur les crises des pays émergents. Les pays qui n’ont pas vu de reprise de leurs marchés et de leurs monnaies en 2016 semblent particulièrement menacés. Historiquement les deux cycles précédents de dollar fort ont contribué à de graves crises dans les pays émergents. On ne voit pas pourquoi cela se passerait différemment la troisième fois. D’autant plus que leur situation d’endettement est en partie plus grave que dans le passé.
Le développement monétaire sera un défi aussi pour l’Europe. Les grandes banques européennes ont des créances très substantielles dans les pays émergents. Si de plus grandes pertes de crédit devaient y intervenir, leur sous-capitalisation de toute façon déjà trop importante compromettrait leur capacité à attirer de nouveaux prêts dans leur zone monétaire.
À cela s’ajoute un nouvel environnement pour la politique monétaire de la Banque centrale européenne, et indirectement pour la politique financière en Europe. Jusqu’ici la Banque centrale européenne a fait pression sur les taux d’intérêts avec des taux négatifs et le programme d’achat d’obligations, aplatissant ainsi la courbe des taux d’intérêts. La Banque centrale européenne a ainsi obtenu que les perspectives conjoncturelles à court terme s’améliorent légèrement dans l’eurozone. Mais cela au prix fort. Le système bancaire dans l’eurozone est sous-capitalisé par la compression des bénéfices qui dure depuis des années, et les systèmes de retraites sont affaiblis à long terme. Une poursuite de cette politique ne signifierait rien d’autre que le financement par les épargnants et les actifs européens, et donc les futurs retraités, de la politique budgétaire américaine en expansion. Car les investisseurs institutionnels européens, qui souffrent d’une pénurie de placement – les assureurs, les caisses de pension, les fonds –, se diversifieraient de plus en plus dans des placements en dollars face à des différences croissantes de taux d’intérêts par rapport au dollar. Ils financeraient et payeraient ainsi indirectement le programme d’infrastructures aux États-Unis, mais également les dépenses de défense excessives et les baisses d’impôts pour les riches et les grandes entreprises. Pour la Banque centrale européenne, cela représente la dernière occasion de corriger sa politique monétaire et de sauver la face.
Une lente augmentation du dollar, sans excès, réduirait la compétitivité de l’industrie américaine. Une très forte hausse du dollar nuirait massivement et irréversiblement à l’industrie. C’est l’incohérence du programme économique de Trump. Ce que Donald Trump changera par conséquent dans sa politique commerciale fera l’objet du prochain article.
Traduit par Diane, vérifié par jj, relu par Cat pour le Saker francophone