Par Norman Pollack – Le 5 décembre 2016 – Source CounterPunch
Depuis que le sénateur William Knowland de Californie, à partir de la fin des années 1940, a plaidé pour Taiwan, Tchang Kaï-chek et la liquidation de Mao, la Chine, plus encore que la Russie, a été le viatique pour le montage des politiques nationales et étrangères les plus extrêmes de l’Amérique.
«La chute de la Chine» était un thème qui revitalisait la droite américaine, alimentant la HUAC 1, le maccarthysme, et l’impulsion vers la guerre froide elle-même – qui avait peu à voir avec la Chine –, mais a servi de prétexte pour faire reculer les tendances progressistes aux changements à l’intérieur du pays, tandis que les efforts américains de défense basculaient simultanément de plus en plus vers la contre-révolution mondiale.
Sans surprise, Taiwan est de retour sur la scène internationale, non pas simplement à cause de l’élection de Trump et du désormais célèbre appel téléphonique de félicitations de son «président» – entre guillemets, parce que gage de l’indépendance de Taïwan qui s’inscrit dans un scénario plus vaste, style Tchang Kaï-chek, de reconquête de l’ensemble de la Chine, par une formation fasciste militarisée alignée avec l’Amérique pour le contrôle politico-économique de l’Asie –, mais aussi parce que Trump est purement indicatif d’une politique de renforcement de ce qui a duré de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours.
L’Amérique a été à la fête pendant les deux tiers d’un siècle, s’appuyant sur une hégémonie mondiale unilatérale, s’emparant de chaque foyer de crise – en fabricant beaucoup d’entre eux – pour obtenir un effet de levier dans la sécurisation de sa position, lui permettant une stabilisation du nouveau statu quo à partir duquel elle pouvait aller de l’avant et se développer. Cuba était le Taiwan de l’Amérique aux Caraïbes et le Chili de même en Amérique du Sud, etc., sur une base mondiale, partout où les forces de gauche menaçaient les intérêts américains. Le résultat, à la maison, de cette pression constante, a été la paralysie de la volonté de démocratiser le système social américain. Les États-Unis sont ce qu’ils sont : la peur y conduit à promouvoir l’embrigadement social du peuple comme condition pour assurer la canalisation de la richesse vers les dépenses militaires. Le Léviathan engloutit la santé universelle dans sa gueule, comme il le fait des mesures environnementales constructives, et d’autres besoins longtemps refusés au peuple.
Trump appuie sur le bouton idéologique de la droite, Taiwan, qui incarne les US : une très mauvaise répartition des richesses, des camps d’internement pour les immigrants, la chasse aux sorcières, le patriotisme forcené, la libération des tendances fascistes chez les travailleurs – vérité désagréable à admettre pour les radicaux, mais amplement confirmée par les résultats des élections –, tout ce qui caractérise la situation actuelle des États-Unis, y compris dans les rangs des deux grands partis. Peut-être un nouveau plateau a-t-il été atteint, sans retour idéologique possible, un changement de plate-forme du crypto-fascisme vers la pleine réalisation de la substance de la chose.
Mais ce serait une erreur de mettre le fardeau sur Trump tout seul : il est une créature du développement historique de l’Amérique, le moulage et la mise en forme du capitalisme monopolistique depuis au moins 1900. Plus récemment, Bill Clinton avait envoyé la flotte dans la mer de Chine et Barack Obama, avec sa stratégie du Pacifique d’abord et son traité Trans-Pacifique, n’a fait aucun mystère – sauf pour le double discours sur le commerce – de l’importance militaire de son soi-disant pivot, pour isoler et affronter la Chine. On se demande si Trump est enhardi à agir maintenant que Obama a déjà mis en place le cadre de la politique et la quincaillerie militaire en rapport avec la Chine.
Au vu de l’annonce des postes clés de l’administration Trump qui ont été pourvus jusqu’ici, il faudrait être stupide et aveugle pour ne pas voir qu’une escalade frappante du militarisme américain est en cours. Ainsi, suivant la tendance précédente, les États-Unis semblent, quoi qu’il arrive, se lancer dans le Grand Bond. Ce genre de politique nihiliste était irrésistible, et, méprisant le politiquement correct de l’establishment en matière de politique étrangère – comme le prouve la question de Taïwan –, aussi mauvaise que cette pensée puisse être, Trump démontre qu’il est capable de bien pire. La stratégie de la corde raide de Dulles est un jeu d’enfant entre ses mains. La quintessence du capitalisme mondial post-moderne découvre ses crocs, montrant ce qui est implicite ou latent dans la politisation d’un tel système. Les jeux sont faits d’une faillite morale, soit par le désir insatiable d’acquérir plus de biens, soit pour afficher la puissance et la force en tant que telles.
L’Amérique est accrochée à son propre piège de la richesse, du statut et de la quête pour la domination, non pas pour la nation en soi, bien que faite en son nom, mais pour ses cercles dirigeants, qui, en plus des élites industrielles commerciales et financières, doivent inclure aussi les militaires, un amalgame d’intérêts déjà historiquement identifié dans les prémisses du fascisme. Taiwan, alors, est plus qu’un blip sur l’écran radar politico-idéologique. La façon dont cette affaire est traitée – par exemple voir Mattis et Flynn en action, tous deux ayant l’oreille de Trump – sera un signe avant-coureur de ce qui nous attend.
Norman Pollack Ph.D. Harvard, Guggenheim Fellow, il écrit sur le populisme américain en tant que mouvement radical, prof, activiste. Ses intérêts sont la théorie sociale et l’analyse structurelle du capitalisme et du fascisme. Il peut être contacté à pollackn@msu.edu.
Traduit et édité par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone
- Commission de la Chambre sur les activités antiaméricaines ↩
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