Par Mahdi Darius Nazemroaya – Le 3 mars 2015 – Source globalresearch
Beaucoup d’attention a été portée aux tensions entre l’administration du président états-unien Barack Obama et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Les tensions portent sur les négociations entre l’Iran et les États-Unis à propos du nucléaire et sur le discours de Netanyahou devant une session conjointe du Congrès états-unien au Capitole à Washington le 3 mars 2015.
Bien qu’on puisse regarder la situation sous plusieurs angles et qu’il y ait de grandes différences, le point central, qui ne devrait pas être omis, est que par sa position ferme, le Premier ministre Netanyahou est actuellement en train d’offrir un levier contre l’Iran au président Obama et à son groupe de négociateurs. C’est pourquoi, à Washington DC, on recommence à parler d’une guerre avec l’Iran.
Les désaccords entre l’administration Obama et Netanyahou n’indiquent pas qu’il y a un fossé entre Israël et les États-Unis. La relation stratégique entre les deux pays reste intacte. La divergence entre le Parti démocrate et le Parti républicain à propos du discours de Netanyahou le 3 mars ne reflète pas tant des divisions entre Israël et les États-Unis que des divisions au sein de la classe politique états-unienne, notamment entre les réalistes et les néoconservateurs.
Parlant à Londres devant le cercle de réflexion Chatham House, Federica Mogherini, Haut-représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a confirmé que des divisions internes et des dynamiques politiques ont provoqué des frictions le 24 février 2015. Dans ce contexte, il ne faudrait pas oublier que des élections au parlement se dérouleront le 17 mars 2015 en Israël. Netanyahou utilise à la fois la peur et la scène du Congrès américain pour offrir un spectacle aux électeurs israéliens afin de s’assurer que le parti du Likoud et ses alliés politiques obtiendront suffisamment de sièges à la Knesset pour former le prochain gouvernement, avec lui comme Premier ministre.
L’argument en faveur des sanctions: y a-t-il une récompense cachée?
Bien qu’il ait indirectement donné une claque à Benjamin Netanyahou et aux Républicains, le secrétaire d’Etat John Kerry a tout de même évoqué la possibilité de frapper l’Iran – voulant dire par là entrer en guerre avec l’Iran – lors de l’audition, le 24 février 2015, du sous-comité du Sénat chargé des questions budgétaires relatives au département d’État, aux opérations à l’étranger et aux programmes y afférents à propos de la demande de révision du budget du département d’Etat. Il l’a fait en répondant à la question du sénateur Roy Blunt sur l’Iran.
Kerry a parlé de cogner l’Iran pour calmer et atténuer les critiques à l’égard des négociations de l’administration Obama avec le gouvernement iranien. C’était clair lorsque Kerry a parlé au sénateur belliciste Lindsey Graham à la fin de la session, et a délibérément inversé la rhétorique républicaine à propos d’un Iran détenteur de l’arme nucléaire, en disant au sénateur Graham que si les négociations ne se poursuivaient pas, ce que lui, Graham, et Israël voulaient prévenir se concrétiserait.
La politique partisane était visible tout au long de l’audition. Brandissant une ridicule caricature de bande dessinée, avec de nombreuses bombes, afin de démontrer que le gouvernement états-unien autorisait l’Iran à financer le Hezbollah, le sénateur républicain Mark Kirk a clairement recouru à la même rhétorique que Netanyahou, affirmant que l’accord intérimaire avec l’Iran était une forme d’apaisement défaitiste. Le sénateur Kirk a aussi essayé d’ébranler celle qui conduit les négociations pour les États-Unis, la sous-secrétaire d’État pour les affaires politiques, Wendy Sherman.
Avec des pauses et en choisissant soigneusement ses mots, Kerry a également fait la déclaration suivante à propos des négociations de Washington avec Teheran: «Quelqu’un qui court dans tous les sens et qui est prêt maintenant à dire, Eh bien, nous n’aimons pas cet arrangement, ou ceci ou cela, ne sait pas ce qu’est l’accord [avec l’Iran] et il n’y a pas encore d’accord. Et je conseille aux gens d’être prudents et d’attendre pour voir ce que donnent ces négociations.»
La poursuite du régime de sanctions contre l’Iran est une caractéristique importante des divisions de la politique étrangère dans le centre ville de Washington à propos des négociations avec l’Iran. C’était au cours de l’échange entre Kirk et Kerry sur le maintien du régime des sanctions que John Kerry aurait directement mentionné le Premier ministre Netanyahou. Le secrétaire d’État Kerry voudrait signaler au sénateur Kirk que Netanyahou était opposé à l’approche développée par l’Administration Obama sur les sanctions, mais jusqu’ici il a parlé en faveur du maintien des sanctions contre l’économie iranienne.
La tentation de saisir, d’une manière ou d’une autre, l’immense quantité d’actifs financiers iraniens et de fonds qui ont été gelés en raison des sanctions contre l’Iran pourrait motiver en partie un groupe d’adversaires des négociations sur le nucléaire. Kerry a dit au sous-comité du Sénat chargé des questions budgétaires relatives au département d’État, aux opérations à l’étranger et aux programmes y afférents que l’Iran possède beaucoup plus qu’une centaine de milliards de dollars gelés auxquels Téhéran ne peut pas toucher, et cela depuis qu’en 2012, les Etats-Unis ont refusé à l’Iran l’accès à deux cent milliards de dollars d’exportations perdus et aux fonds détenus à l’étranger sur des comptes bloqués.
Dans une certaine mesure, Netanyahou pourrait servir les intérêts financiers états-uniens davantage que ceux d’Israël. Lui et de nombreux membres du Parti républicain partagent les mêmes donateurs pour leurs campagnes électorales. «Plus de la moitié des personnes qui ont donné de l’argent pour la campagne en faveur de la réélection de Netanyahou sont des Américains qui ont aussi donné pour la campagne de Romney ou pour le Parti républicain aux Etats-Unis», affirme un article publié par McClatchey le 1er novembre 2012. [1] McClatchey révèle aussi les points importants suivants:
• Selon des documents publiés par le Bureau du contrôleur général de l’État d’Israël, Netanyahou a reçu des dons de 47 individus. Un seul était israélien, 42 étaient américains. En recoupant les documents publics aux États-Unis avec la liste de Netanyahou, McClatchey a découvert que 28 donateurs américains avaient aussi donné à Romney, au Parti républicain, ou aux deux. Seuls deux ont donné de l’argent aux Démocrates, dont l’un au président Barack Obama. • Dans des entretiens, les représentants de Netanyahou ont souligné que ce dernier n’était pas intéressé à faire de la politique partisane aux États-Unis. Toutefois, sa liste de donateurs montre que seules deux familles ont donné à la fois au Parti démocrate et à Netanyahou. [2]
A part la position idéologique et une stratégie pour obtenir un maximum de concessions de Téhéran, les intérêts financiers que représentent à la fois Netanyahou et les Républicains peuvent vouloir utiliser le régime de sanctions contre l’Iran pour siphonner chaque année environ vingt-deux milliards de dollars US à l’Iran.
La demande d’autorisation par Obama de recourir à la force militaire: contre l’EI ou contre l’Iran?
Bien que les sanctions contre l’Iran puissent maintenant être vues comme un moyen de piller la richesse iranienne en faveur de Wall Street, elles sont aussi une forme de pression ou de coercition utilisée parallèlement à la menace d’une guerre des États-Unis et d’Israël contre les Iraniens.
Le bellicisme de Netanyahou aide psychologiquement et politiquement cette poussée afin de maximiser les éventuelles concessions de Téhéran à Washington. Sa posture agressive donne à l’administration Obama les leviers pour en demander davantage à la partie iranienne. D’une manière ou d’une autre, Netanyahou et les Républicains jouent le rôle des méchants tandis que l’administration Obama tient le rôle des bons gars avec l’Iran.
En fin de compte, les États-Unis et Israël sont sur la même ligne et menacent l’Iran. Les deux sont sur le pied de guerre et mal à l’aise de réaliser que l’équation stratégique au Moyen-Orient est près de voir de grands changements au bénéfice de l’Iran et de ses alliés régionaux dans le bloc de la résistance ou l’axe de la résistance. [3] C’est dans ce contexte que la chaîne de télévision israélienne Channel 2 a cité un officiel européen anonyme qui disait que le royaume d’Arabie saoudite permettra à Israël d’utiliser son espace aérien pour lancer une attaque militaire contre l’Iran – en échange du progrès dans les pourparlers de paix israélo-palestiniens bidons, c’est grotesque. [4] C’est aussi dans ce contexte que la Turquie est intervenue le 21 février 2015 en Syrie – sous prétexte de retrouver la tombe de Suleiman Chah – comme moyen de normaliser et de réserver un rôle possible à la Turquie en Syrie, si une guerre régionale s’embrasait. [5]
Obama garde silencieusement un gros bâton contre l’Iran. Sous le prétexte de combattre l’État islamique, d’abord en Irak puis en Syrie, l’administration Obama a demandé au Congrès états-unien de l’autoriser à recourir à la force armée au Moyen-Orient. Le Pentagone a déjà mobilisé un important contingent militaire et à utilisé la couverture de la lutte contre l’EI en Irak pour entreprendre des opérations militaires illégales en Syrie. [6] L’autorisation de recourir à la force des armes octroyée par le Congrès états-unien donnera à l’administration Obama la souplesse nécessaire pour rediriger les forces du Pentagone que le gouvernement a rassemblées au Moyen-Orient et les utiliser pour menacer l’Iran et la Syrie d’une guerre.
Notes
[1] Sheera Frenkel, «Mitt Romney, Benjamin Netanyahou partagent à la fois donateurs et amitié», McClatchy, 1er novembre 2012. (en anglais)
[2] Ibid.
[3] Mahdi Darius Nazemroaya, «Le ‘troisième front’ du Golan iranien et les incidents frontaliers entre Israël et le Hezbollah», Strategic Culture Foundation, 25 février 2015. (en anglais)
[4] «Compte-rendu: Les Saoudiens pourraient aider Israël à attaquer l’Iran en échange de progrès dans le processus de paix», Jerusalem Post, 24 février 2015. (en anglais)
[5] Leo Benedictus, «Pourquoi la Turquie a-t-elle envahi la Syrie pour exhumer la tombe de Suleiman Chah?», Guardian, 23 février 2015. (en anglais)
[6] Mahdi Darius Nazemroaya, «Combattre l’EI est l’écran de fumée qui cache une mobilisation US contre la Syrie et l’Iran», Strategic Culture Foundation, 26 septembre 2014. (en anglais)
Mahdi Darius Nazemroaya
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone
Cet article a été publié à l’origine par la Strategic Culture Foundation le 3 mars 2015.