Par Sharmine Narwani – Le 4 septembre 2016 – Source Alwaght
L’Axe de la Résistance est un excellent exemple d’efficacité dans la région : il a pris de bonnes mesures militaires, politiques, économiques pour diminuer les inégalités. Mais l’Axe n’accorde pas assez d’importance à la propagande. Par propagande, je ne veux pas dire mentir, non, je veux dire qu’il faut que les gouvernements de l’Axe de la Résistance présentent leur version des faits avec intelligence. Il est temps qu’ils reconnaissent qu’ils ont perdu la guerre des narratives, explique Sharmine Narwani.
Mme Narwani est une auteure qui était auparavant chercheuse sur l’Asie de l’Ouest (le Moyen-Orient) au Collège Saint Anthony de l’Université d’Oxford. Elle a un master en journalisme et un autre en études d’Asie de l’Ouest de l’École des affaires publiques et internationales de l’Université de Columbia à New York. Narwani vit actuellement à Londres. Son article Comment les narratives ont tué le peuple syrien a été publié pour la première fois par RT (Russia Today) et a été traduit en sept langues. Nous l’avons interviewée.
– Dans votre article, vous parlez de l’Axe de la Résistance. Que savez-vous de cet Axe ? En d’autres termes, comment définissez-vous l’Axe de la Résistance ?
– À mon avis, les membres clés de l’Axe de la Résistance sont l’Iran, la Syrie et le Hezbollah (Liban), mais au cours des dernières années plus particulièrement, la réputation de l’Axe s’est parfaite, et d’autres pays l’ont rejoint à des degrés divers. Par exemple, l’Irak partage les objectifs de sécurité de cette alliance puisqu’il combat les Takfiris, leur ennemi commun. La même chose peut être dite de la Russie. Ces cinq pays coopèrent, depuis l’année dernière, de différentes manières, sur les lignes de front irakiennes et syriennes, dans leur lutte contre le camp takfiri. Les membres de cette alliance partagent une vision du monde commune autour de la recherche d’indépendance, du droit de choisir son destin, de l’anti-impérialisme, et du respect du droit international. Ainsi, l’attraction qu’exerce l’Axe peut même encore s’élargir. Vous avez la Chine, le Venezuela, l’Afrique du Sud, la Bolivie, et de nombreux autres pays qui ont la même vision du monde et les mêmes aspirations politiques que l’Axe de la Résistance.
– Dans votre article, vous parlez d’un arc de sécurité qui va du Levant jusqu’au Golfe persique. Pouvez-vous développer ce point ?
– En 2013, j’ai écrit un article dans lequel je prédisais qu’une coopération sécuritaire se développerait entre le Liban, la Syrie, l’Irak et l’Iran, et j’avais en grande partie raison. Ces pays ont dû unir leurs forces pour faire face à des facteurs déstabilisants et à un terrorisme qui, dès le début, ont été soutenus et alimentés par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie. Cet arc sécuritaire, qui a été autrefois qualifié de croissant religieux chiite par le roi Abdallah de Jordanie − ce qui avait fait beaucoup de vagues − est devenu aujourd’hui une réalité, non pour des raisons confessionnelles, mais à cause des actions des pays voisins et des puissances mondiales, dont le but est d’affaiblir l’Iran en détruisant la Syrie. Dans l’article, je disais que ces quatre pays devraient collaborer militairement pour éliminer la menace commune à leur sécurité, et que cette collaboration entraînerait des relations économiques et politiques plus profondes. Cela conduirait, à son tour, à l’expansion de la coopération de ce camp et donc à la formation d’un nouveau bloc politique dans la région. Je crois que le terrorisme, qui a déferlé du Levant au Golfe Persique, peut être vaincu par les quatre membres de ce bloc, et que les forces militaires étrangères ne peuvent rien faire de bon, tant qu’elles agissent sans l’accord des membres de cet arc de sécurité.
Lorsque cet arc sécuritaire se stabilisera, il servira de modèle aux autres pays de la région, en particulier aux pays voisins qui souffrent d’une grande instabilité. Je pense que la Turquie, la Jordanie, l’Égypte, et très probablement le Koweït, Oman, l’Algérie, vont construire des relations plus solides avec cet arc de sécurité pour résoudre les crises politiques, sécuritaires et économiques de la région, grâce à une meilleure coopération.
– Vous avez dit que nous avons maintenant une bonne chance de construire le monde et l’Asie de l’Ouest comme nous le voulons. Pouvez-vous préciser ?
– L’Occident et ses forces par procuration en Asie de l’Ouest ne peuvent pas gagner la guerre qu’ils mènent contre l’Axe de la Résistance. En fait, les conflits actuels sont leur chant du cygne, leur ultime tentative pour établir leur hégémonie par la force, mais ils vont perdre la guerre.
Ils ont beaucoup d’argent, d’armes, et de puissance politique. Mais regardez où ils en sont aujourd’hui ? À cause de l’intervention en Syrie, le membre de l’OTAN turc est maintenant confronté à une situation intérieure critique, car il fait face à des défis tels que les Kurdes, les luttes politiques internes et les Takfiris. Les Saoudiens ont échoué dans leurs aventures en Syrie, au Yémen et en Irak. Les Qataris doivent se limiter à leur gouvernement de 200 kilomètres carrés. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, et la France gaspillent leurs ressources et leur argent en essayant de prendre le contrôle de l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie et d’autres pays de la région, sous prétexte de soutenir la démocratie. Tous doivent affronter un terrorisme de représailles, des luttes politiques internes, et les revendications de leurs peuples pour leurs droits. L’UE s’effondre, l’OTAN a perdu de sa pertinence, et le fascisme monte partout dans le monde.
La Syrie a représenté un tournant, au milieu de tous ces défis. La crise syrienne a entraîné la Russie et la Chine en Asie de l’Ouest, et le monde est maintenant dans une impasse. Nous sommes au seuil d’un changement fondamental de l’ordre politique, économique et financier du monde. De nouveaux centres de pouvoir sont en formation, c’est la fin des anciennes puissances. Le moment est venu de mettre en place un nouvel ordre mondial, qui permettra de concrétiser notre vision des choses. Quel type d’Asie de l’Ouest voulons-nous ? Quelle est la solution à la question palestinienne ? Comment résoudre nos problèmes économiques ? Nous n’avons plus besoin du Fonds monétaire international, de Washington, ni de l’OTAN pour nous dire quoi faire.
On n’a pas besoin d’acheter des avions Boeing pour faire plaisir aux Américains. On n’a pas besoin de devenir un marché et d’acheter de produits occidentaux pour qu’ils nous acceptent. Mettons-nous à l’œuvre pour élaborer une nouvelle narrative. Faisons en sorte que l’Asie devienne la prochaine plaque tournante. Si j’étais à la place des dirigeants iraniens, je me donnerais comme objectif de faire de mon pays l’aile orientale du siècle asiatique ; un exportateur clé et un ami fidèle de tous ceux qui veulent s’inspirer du modèle économique iranien, qui a fait la preuve de sa résistance. J’expliquerais à la Jordanie, l’Algérie et l’Égypte comment gérer un pays qui a subi une guerre dévastatrice de huit ans 1, avec un prix du pétrole à seulement 8 dollars le baril. Je leur enseignerai les soins de santé iraniens prodigués dans les provinces et je les aiderais à mettre en place une économie basée sur la technologie.
Il faut que l’Asie de l’Ouest se relève, même si les Occidentaux pensent que nous n’y arriverons pas. Malgré le chaos et les ruines, tout n’est pas perdu pour l’Asie de l’Ouest, à condition d’être actifs et ingénieux. Nous pouvons être plus forts et plus compétitifs que jamais. Le futur, c’est maintenant. Mettons-nous à le construire.
– Vous avez dit que l’Axe de la Résistance ne sait pas faire entendre sa version des faits, ni mettre à nu les versions mensongères des médias occidentaux. Que proposez-vous pour changer cela ?
– L’Axe de la Résistance est un excellent exemple d’efficacité dans la région : il a pris de bonnes mesures militaires, politiques, économiques pour diminuer les inégalités. Mais l’Axe n’accorde pas assez d’importance à la propagande. Par propagande, je ne veux pas dire mentir, non, je veux dire qu’il faut que les gouvernements présentent leur version des faits avec intelligence.
Qu’est-ce que l’Axe de la Résistance a fait pour que sa voix atteigne le public international ? Il y a des médias inutiles, qui sont gérés par des personnes qui manquent de professionnalisme. La partialité des reportages et des grands titres (de ces médias) me tourmente beaucoup.
La vision du monde de l’Axe de la Résistance séduit la majorité des nations de la région et même du monde. Quand vous parlez de la Palestine et d’indépendance, quand vous parlez d’une économie basée sur la technologie, quand vous parlez de la lutte contre l’impérialisme et du droit des peuples à décider d’eux-mêmes et de leur justice, qui peut être contre vous ? Alors, pourquoi la plupart des gens pensent-ils qu’extrémisme religieux, guerre et terrorisme riment avec Axe de la Résistance ?
Il y a des gens qui ne se rendent pas compte qu’on ne peut pas mener une guerre défensive sans expliquer pourquoi il était nécessaire, juste et honnête de la commencer. On ne peut pas simplement compter sur les discours hebdomadaires de (l’Ayatollah) Ali Khamenei et de (Sayyed) Hassan Nasrallah pour contrer les médias occidentaux et leurs marionnettes. Ils ont des dizaines de milliers de journalistes, de journaux et de diffuseurs par satellite.
Il est temps que l’Axe de la Résistance reconnaisse qu’il a perdu la guerre de la narrative. Pour progresser, il faut reconnaître ses erreurs et les corriger.
L’Axe de la Résistance sait ce que signifie gagner la guerre quotidiennement sur le champ de bataille et il adapte sa tactique à cet objectif, mais il ne comprend pas que s’il perd la guerre de la communication, il ne pourra pas non plus gagner la guerre sur le terrain. Les Américains parlent beaucoup de la nécessité de gagner les cœurs et les esprits. Ils ont raison et ils investissent énormément dans leur narrative pour soutenir leurs objectifs stratégiques. On n’a pas besoin de réinventer la roue, on doit seulement avoir notre propre roue, notre roue à nous.
Traduction : Marie Staels
- Guerre Irak-Iran de 1980 à 1988 ↩