L’Allemagne sauve l’Euro en humiliant la Grèce

Préambule

Il est bon de rappeler que l'eurogroupe, est une réunion informelle des ministres des Finances de la zone euro, sans aucune légitimité démocratique. Ce n'est pas un groupe appelé à prendre des décisions économiques ou politiques. Un groupe de discussion c'est tout, il n'a aucun pouvoir de décision.

Le décideur politique est le Conseil européen composé de membres démocratiquement élus par chaque pays de l'UE.

L'habitude a été prise par le Conseil de transformer systématiquement les préconisations technocratiques de l'eurozone en décisions politiques.

Ceci est tout sauf anecdotique, et montre à quel point les dirigeants élus de l'Europe ont abdiqué institutionnellement leur souveraineté politique aux mains du pouvoir financier et des conglomérats industriels; en bon français ça s'appelle une forfaiture.

Le Saker Francophone

Par Pepe Escobar – Le 13 juillet 2015 – Source SpunikNews

Il a fallu aux institutions de l’UE le plus long sommet jamais tenu pour infliger à la Grèce une humiliation cuisante enrobée de novlangue eurocratique.

Et cela vient d’institutions qui ne bronchent pas lorsqu’il s’agit de sanctionner l’agression russe.

À la fin, il est revenu à la France (au président Hollande) contre l’Allemagne (la chancelière Merkel) – deux laquais que l’Histoire a placés à cet instant fatidique – de décider, tard dans la nuit, de l’avenir de l’Union européenne. L’Allemagne a gagné – avec la France peinant à rendre la pilule moins amère pour le Premier ministre grec Alexis Tsipras.

Dans le processus, Merkel/Hollande se sont comportés davantage comme un commando de l’Otan, fournissant un remix (économique) européen du Shock and Awe [choc et effroi]. Un eurocrate non identifié, invisible – encore consterné – l’a décrit de manière inoubliable comme un «supplice approfondi de la baignoire mental ». Dick Cheney et Donald l’inconnu-connu Rumsfeld devraient être admissibles pour toucher des droits d’auteur – dans l’esprit de l’amitié atlantiste.

Le résultat — cette déclaration du sommet européen— ajoute une nouvelle tournure à la maxime de Tacite : «Ils en font un désert et ils appellent cela la paix». Le Financial Times — qui au moins est familier de l’Histoire de Rome – l’a appelé «le programme de supervision économique le plus intrusif jamais établi dans l’Union européenne».

On va vous la jouer médiéval

Même avant l’offre finale que vous ne pouvez pas refuser, fleurant bon la mafia, compilée par les leaders de l’eurozone, Twitter a explosé dans le monde entier avec le hashtag #ThisIsACoup [Ceci est un coup d’État]. Parce que c’en était un. Notre marché – ou la faillite et l’expulsion de l’euro. Si c’est ce que l’Europe offre à ses amis, elle n’a pas besoin d’ennemis. Oh pardon ! en dehors de l’agression russe.

Donc nous avons ici un accord de sauvetage très dur qui vient juste une semaine après que les Grecs ont rejeté majoritairement par leurs votes le précieux accord pas si dur – qui ressemble maintenant à un truc pour jardin d’enfants.

Tsipras a cédé sur tout – depuis les coupes dans les retraites jusqu’à l’augmentation de la TVA pour, en effet, transformer la Grèce en une colonie du FMI (des centaines de millions de gens dans l’hémisphère sud savent exactement comment cela se traduit finalement en désastre économique).

La seule victoire de Tsipras a porté sur l’énorme montant de 50 milliards d’euros de possessions publiques grecques, qui seront placées, sous la surveillance du Parrain, dans une société basée dans le célèbre paradis fiscal de blanchiment d’argent qu’est le Luxembourg, et sur la privatisation à gogo, synonyme de capitalisme du désastre, ce second fonds sera basé à Athènes. Ces mesures sont supposées contribuer à payer les dettes.

Et comme la déclaration du sommet européen le souligne, l’actuel gouvernement grec sera même forcé de «revenir sur les engagements du programme précédent ou de fournir des équivalents compensatoires clairs pour les droits acquis créés ultérieurement».

Traduction : nous, les Maîtres de l’Eurozone, nous allons appliquer le sort carthaginois à votre économie [le Moyen-âge est encore loin, NdT].

Pas étonnant que les esprits passionnés d’Histoire dans l’Union européenne – et ils sont nombreux – soient convaincus que ceci est plus grave que le Traité de Versailles de 1919. Et nous savons tous comment ça s’est gâté à partir de là.

Et si tout cela échoue – comme cela se pourrait bien – ce sera la faute de la Grèce : «Les risques de ne pas conclure rapidement les négociations incombent pleinement à la Grèce.»

Le président de la Commission européenne (CE), l’opportuniste [imbibé, NdT] notoire Jean-Claude Juncker, est convaincu que le Parlement grec approuvera l’accord. Traduction là encore : c’est l’autoroute de la troïka, ou la mortalité animale sur les routes – comme dans le Grexit.

Le retour du Mur d’Hadrien ?

Ainsi, Angela Merkel gagne. Blitzkrieg Schäuble gagne. Le message de l’Allemagne aux autres pays agités de l’eurozone – l’Espagne, le Portugal, l’Irlande – est : «Essayez de faire quelque chose comme ça et nous vous ramènerons à Carthage».

Dans le meilleur des mondes possibles, à la Voltaire, Athènes pourrait avoir maintenant une ouverture pour procéder en un temps record à ces réformes drastiques si nécessaires. Et pourtant, bonne chance à celui qui réussira à amener les oligarques grecs à payer des impôts. Dans une veine plus proche de la realpolitik, on pourrait risquer que l’eurozone – à long terme – est condamnée.

Maintenant, c’est au peuple grec d’avoir – une fois de plus – le dernier mot. Sur un plan pratique de survie quotidienne, des millions de gens seront naturellement soulagés de voir les banques travailler de nouveau, les distributeurs automatiques fonctionner, les touristes revenir dans les îles et leurs retraites énormément dévaluées et leurs économies libellées en euros.

Et pourtant, c’est le peuple grec – et ses droits sociaux – qui a été impitoyablement puni. Et c’est extrêmement injuste. De 2001 – lorsqu’elle est entrée dans l’eurozone – jusqu’au commencement de la crise financière en 2007, la Grèce a dépensé moins pour les programmes sociaux (20.6%) que la France (28.7%) et – oui – l’Allemagne (26.7%).

Et la productivité du travail en Grèce était plus élevée que – oui – en Allemagne. Jusqu’en 2008, la croissance du PIB réel de la Grèce était en moyenne de 3.6%, et celle de l’Allemagne à peine à 1.3%. Voilà pour le mythe – largement colporté en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe du nord – que les Grecs sont un tas de paresseux en train de téter des retraites généreuses et des allocations de chômage.

La victoire de la terre brûlée de l’Allemagne pourrait se révéler pire que celle de Pyrrhus. Les nobles institutions de cette idée non démocratique qu’est l’Europe sont largement ignorées – sinon méprisées – par leurs prétendus citoyens. Les Etats-Unis d’Europe? Cela n’arrivera pas. Jamais. Pas étonnant que les cyniques et les stoïciens associés soient maintenant en train de faire flotter l’idée de ramener le Mur d’Hadrien – pour séparer les barbares dans le nord du berceau de la civilisation occidentale.

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).

A lire aussi: http://sputniknews.com/columnists/20150713/1024553249.html#ixzz3gLeoF0nP

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone

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