L’agenda américano-russe ne contient plus qu’une ligne : éviter la guerre

US-Russia agenda now contains just one issue: the prevention of war

Le président russe Vladimir Poutine prononce son discours présidentiel annuel à l’Assemblée fédérale dans la grande salle d’exposition du Manège de Moscou. © Sergey Guneev / Spoutnik


Par Bryan MacDonald – Le 2 mars 2018 – Source Russia Today

Le discours annuel reporté de Vladimir Poutine a ébouriffé de nombreuses plumes alors qu’il livrait quelques vérités de base : la Russie a l’intention de suivre sa propre voie de développement et veut que l’Occident s’éloigne de ses frontières et de ses intérêts vitaux.

Il peut y avoir deux faces dans chaque histoire. Mais ce n’est pas souvent que nous voyons deux interprétations complètement différentes d’un seul discours politique. Et pourtant, cela s’est passé jeudi [1er mars], alors que Poutine a annoncé sa vision du développement de la Russie pour les prochaines années.

Les médias occidentaux ont réagi de manière hystérique aux vantardises de Poutine sur l’amélioration des capacités des missiles russes, tandis que le public national se concentrait sur la vraie substantifique moelle : le Kremlin est sur le point de lancer un vaste projet de renouvellement qui renforcera son économie et améliorera la qualité de vie dans ce vaste pays.

C’est précisément ce que voulait Poutine. Et son message aux observateurs extérieurs était très simple : l’Occident doit faire face au fait qu’il n’a pas réussi à contenir la Russie et qu’il ne peut pas vaincre militairement le pays. Ainsi, le président disait fondamentalement « laissez-nous tranquilles ou les choses vont empirer ».

Vérités de base 

Parce que maintenant, vraiment, la Russie veut juste s’occuper de ses propres affaires. Le pays doit de toute urgence se moderniser pour prospérer à l’avenir. À cette fin, Poutine a promis d’étendre à l’échelle nationale le genre d’améliorations déjà vues à Kazan, Vladivostok et Sotchi – qui sont des villes dotées d’infrastructures comparables aux principaux centres urbains occidentaux. Dans le même temps, M. Poutine a parlé d’investir dans des écoles spécialisées pour les enfants doués, d’établir des complexes culturels, éducatifs et muséaux dans les régions et d’investir 200 milliards de dollars pour améliorer le réseau routier tant décrié en Russie.

C’est ce dont se soucient les électeurs russes. Mais Poutine voulait aussi dire à l’Occident de se réfréner, et sa pêche au chalut était magistrale tant dans sa construction que dans la frénésie qu’elle provoquait. Comme prévu, à coup sûr, les observateurs étrangers qui ont écouté la dernière partie de l’allocution se sont immédiatement précipités sur diverses plateformes médiatiques pour annoncer que Poutine lançait une nouvelle « course aux armements ». Cela signifiait, bien sûr, que l’Occident devait réarmer (et gaspiller beaucoup d’argent) pour contrer Moscou. Mais ces experts oublient que la Russie dispose déjà de la plupart des armes dont elle a besoin pour ses propres objectifs et qu’elle n’a pas à augmenter ses dépenses.

C’est pourquoi le Kremlin a nettement réduit le budget militaire, afin de détourner le capital vers les programmes sociaux. Vous voyez, Poutine a appris de la disparition de l’URSS et il comprend que les forces militaires russes doivent être légères et efficaces parce que le pays ne peut pas se permettre de grandes ambitions impériales.

Ainsi, tout cela est un jeu. Les États-Unis annoncent un nouveau système de missiles et des plans de modernisation nucléaire et attendent de Moscou qu’elle  leur emboîte le pas, alors ils sont confus lorsque les Russes ne mordent pas à l’hameçon. À l’heure actuelle, Donald Trump veut dépenser 1 200 milliards de dollars pour l’arsenal nucléaire américain : un montant équivalent à environ 26 ans de l’ensemble de l’allocation de la Russie pour sa défense. Et, bien sûr, cela représente une somme astronomique que les États-Unis pourraient consacrer à des écoles, à des hôpitaux ou à de véritables infrastructures, au lieu de la dépenser dans des l’équipement inutiles qui ne seront jamais utilisés. Alors Poutine a manœuvré les États-Unis pour qu’ils fassent ce que les Soviétiques avaient fait, gaspiller de l’argent sur des projets de prestige inutiles pendant que le contrat social se désintègre.

Boxer intelligemment

C’est un truc de « qui perd gagne ». La même stratégie que Mohamed Ali avait employée contre George Foreman en 1974 dans son combat Rumble in the Jungle. Et voici la preuve : le troisième article le plus mis en avant par CNN vendredi matin (heure de Moscou) fut une tribune de Nic Robertson, son éditeur diplomatique international : « Le missile ‘invincible’ de la Russie refroidit tout le monde ». L’article montrait que son auteur agissait comme un homme qui ne pouvait pas voir les arbres quand il se trouvait au milieu de la forêt. Il a décrit Poutine comme « lissant ses plumes en préparant les masses crédules à voter pour lui ce mois-ci ». Mais les vrais crédules sont Robertson et ses éditeurs qui sont aveuglés par l’écran de fumée de Poutine.

Ce journaliste n’était pas seul, naturellement. Des titres tels que « La Russie a un missile nucléaire supersonique ‘imparable’ qui ne peut pas être ciblé par les systèmes de défense occidentaux, dit Poutine » (The Independent), « Poutine revendique un nouveau missile ‘invincible’ qui peut percer les défenses US » (CNN), « Poutine menace la course aux armements des États-Unis avec une nouvelle déclaration sur les  missiles » (Guardian) ont servi à élever le niveau de panique. Pourtant, Poutine disait aux Russes sur son propre compte Twitter qu’il était sur le point d’investir dans les routes russes. David Filipov, un véritable expert américain sur la Russie, a tweeté : « Une façon de voir les choses est qu’un gars qui a l’intention de détruire la terre 17 fois laisse probablement les chemins de terre comme ils sont. »

Le président russe sait que son pays ne peut pas rivaliser avec l’Amérique – avec plus de deux fois la population et cinq fois la force économique – parce que les États-Unis ont été les meilleurs depuis près d’un siècle, alors que la Russie se remet des années de chaos financier et social après l’effondrement du communisme soviétique. En conséquence, tout ce que le Kremlin doit faire, c’est investir suffisamment dans une dissuasion pour que les États-Unis comprennent qu’il ne peuvent pas attaquer directement les intérêts clés de la Russie. C’est suffisant.

Piège efficace

Le Secrétaire à la défense, James Mattis, a récemment confirmé comment le plan de Poutine fonctionnait, il a déclaré aux politiciens américains que le plan de Washington visant à développer des missiles de croisière nucléaires lancés depuis la mer était une monnaie d’échange contre la Russie . « Je ne pense pas que les Russes seraient prêts à abandonner quelque chose pour ne rien obtenir de nous » a-t-il dit. Des mots qui ont été évidemment entendus à Moscou.

En présentant des graphiques montrant des missiles se dirigeant vers la partie continentale des États-Unis, Poutine a averti : « Nous avons tenté de parler à nos partenaires. La Russie est une grande puissance nucléaire, ils nous ont ignorés, personne ne nous parlait, alors écoutez-nous maintenant. » Mais il a également expliqué clairement que les Russes ne commenceraient pas un conflit en soulignant que les développements militaires étaient contraints par les politiques occidentales.

En attendant, quand on en arrive aux choses juteuses, les électeurs russes sont intéressés. Poutine faisait un certain nombre de promesses : il réduirait de moitié le nombre de Russes vivant sous le seuil de pauvreté. Et le président a également parlé d’investir dans l’éducation, la santé, les infrastructures et la protection de l’environnement, mais il a souligné que la Russie devait d’abord garantir sa sécurité et sa souveraineté pour réaliser ces ambitions.

Comme l’a noté l’analyste respecté Dmitri Trenine : « Dans un avenir prévisible, il semblerait que l’agenda américano-russe se limitera à un seul point : la prévention de la guerre. » Et l’ancien colonel de l’armée soviétique a raison : Poutine se rend compte qu’il n’y a pas d’espoir à court terme de détente avec les Américains. Ainsi, il estime que la meilleure stratégie consiste, en les effrayant, à les dissuader d’isoler la Russie et à cesser l’expansion vers l’est de leur alliance militaire de l’Otan, ce qui permettra à Moscou de se concentrer sur les défis intérieurs.

Bryan Mac Donald

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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