Par Craig Murray – Le 14 décembre 2024
Le 4 octobre, j’ai pris la parole lors d’une réunion du groupe de la Gauche unitaire européenne de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Arrivé un peu en avance, j’ai assisté à la présentation d’une juge moldave, Victoria Sanduta, ancienne présidente de l’Association des juges de Moldavie.
Elle a récemment été démise de ses fonctions, ainsi que d’autres juges, à la suite d’une enquête menée par un comité mis en place par le président pour contrôler les juges. Elle a déclaré que ce « contrôle » était ouvertement politique et que l’objectif était d’écarter tous les juges qui n’étaient pas « orientés vers l’Occident » et qui risquaient de remettre en question le processus lors d’un prochain référendum sur l’UE et d’une prochaine élection présidentielle.
On pourrait penser qu’il s’agit d’une opération visant à éliminer les juges hérités de l’époque du rideau de fer. Ce n’est pas le cas ; Victoria Sanduta est très jeune. Ses décisions judiciaires n’ont fait l’objet d’aucune critique. Son tort était d’être soupçonnée de ne pas soutenir le président et de manquer « d’orientation occidentale ».
Le référendum sur l’UE et l’élection présidentielle ont été remarquablement serrés. Le référendum sur l’UE a été « remporté » par les partisans de l’UE avec 50,34 % des voix. L’élection présidentielle a été « remportée » par le président Sandu, favorable à l’UE, avec 55,35 % des voix.
Lors de ces deux élections, le camp pro-occidental a perdu une grande partie des votes des personnes vivant en Moldavie, mais a gagné grâce aux centaines de milliers de votes de la diaspora à l’étranger.
Il y avait 235 bureaux de vote à l’étranger dans des pays autres que la Moldavie, la grande majorité dans l’UE. Il n’y avait cependant que deux bureaux de vote en Russie, le pays où vit la majorité de la diaspora moldave, soit plus d’un demi-million de personnes. Ces bureaux de vote (tous deux situés à Moscou) n’ont reçu que 5 000 bulletins de vote chacun. La justification officielle est qu’il s’agit du nombre de Moldaves vivant à Moscou même, la majorité se trouvant dans le sud de la Russie.
En conséquence, environ un demi-million de Moldaves vivant en Russie ont été privés de leur droit de vote, tandis que des centaines de milliers de personnes vivant dans l’UE ont voté.
Au total, 328 855 Moldaves vivant en dehors de la Moldavie ont voté. Seuls 9 998 d’entre eux se trouvaient en Russie, où vit la majeure partie de la diaspora.
Près de 300 000 des votes autorisés de la diaspora ont été en faveur de l’adhésion à l’UE – remportée avec une majorité de 10 555 – et en faveur du président Sandu – majorité de 179 309. Si les votes de la diaspora en Russie avaient été autorisés sur un pied d’égalité avec les votes de la diaspora en Occident, l’UE aurait certainement perdu et Sandu aurait très probablement perdu.
Il était donc très utile que Sandu limoge tout juge susceptible de contester le résultat.
Cela m’est naturellement revenu à l’esprit lorsque j’ai vu que des juges pro-occidentaux avaient disqualifié le favori des élections législatives dans la Roumanie voisine au motif qu’il n’était pas russophobe et qu’il était populaire, ce qui est un délit.
Călin Georgescu n’est pas un partisan de la guerre en Ukraine. Ses opinions socialement conservatrices sont populaires en Roumanie mais ne sont pas favorables à l’UE. Cependant, il n’est absolument pas le cinglé d’extrême droite que les médias occidentaux ont dépeint.
En fait, Georgescu est un économiste du développement très réputé et un ancien rapporteur spécial des Nations unies. Il est spécialisé dans le développement durable et fait partie de ceux qui souhaitent que les nations abandonnent l’utilisation du dollar américain comme principal moyen d’échange.
Georgescu a des opinions avec lesquelles je suis d’accord et d’autres avec lesquelles je ne suis pas d’accord, mais là n’est pas la question. Il a remporté le premier tour des élections présidentielles roumaines avec une nette avance, et la décision des juges de la Cour constitutionnelle de le disqualifier est clairement erronée et disproportionnée.
Le principal délit qui lui est reproché est d’avoir envoyé des messages à ses partisans et de leur avoir demandé de les publier sur les médias sociaux. Or, presque tous les candidats aux élections dans le monde font exactement la même chose aujourd’hui. Il est également affirmé que certains de ses partisans ont été payés par la Russie et la Cour constitutionnelle a reçu des preuves émanant de « services de sécurité occidentaux » de la campagne en ligne menée par des Russes en sa faveur.
Il convient de noter que l’accusation ne porte pas sur le trucage des votes ou la fraude électorale. L’accusation porte sur des personnes qui disent des choses en ligne pour essayer de persuader les électeurs de voter. [Depuis le parti politique opposé à Georgescu a reconnu avoir organisé lui-même cette campagne attribuée à la Russie, NdT]
C’est ce qu’est une élection.
C’est la même chose que le scandale Cambridge Analytica qui a été hystériquement amplifié par le Guardian et sa russophobe dérangée Carole Cadwalladr (amie de Christopher Steele, auteur du fameux « dossier pipi » monté de toutes pièces contre Trump). Il y a eu un scandale, à savoir que Facebook vendait les données personnelles de ses clients pour permettre un meilleur ciblage des publicités politiques.
Mais Cambridge Analytica n’a jamais été financée par la Russie, et l’idée que certains posts Facebook, parmi la masse de publicités et de campagnes en tout genre, ont fait basculer le vote en faveur du Brexit est un non-sens auquel s’accrochent les perdants qui n’arrivent pas à se remettre de leur défaite.
La publicité ciblée et la vente de vos données en ligne font partie intégrante de la vie moderne. Tous les partis politiques et toutes les causes y ont recours de nos jours.
Je ne doute pas que la Russie interfère pour tenter d’influencer les élections à l’étranger. Il en va de même pour tous les grands pays. Je l’ai fait moi-même pour le Royaume-Uni, sans succès en Pologne lorsque Kwaśniewski a été élu et avec succès au Ghana lorsque Kufuor a été élu. L’UE et les puissances occidentales financent des ONG et des journalistes dans le monde entier pour influencer l’opinion, ouvertement et secrètement, les services de sécurité occidentaux financent des « agents d’influence ». Permettez-moi d’insister puisque je l’ai fait personnellement.
Cependant, cela devient d’une certaine manière uniquement répréhensible lorsque la Russie le fait.
Sans parler du rôle absolument massif du lobby israélien dans l’achat d’influence politique dans le monde entier. Il s’agit d’une menace bien plus grande pour la démocratie que la Russie ne le sera jamais.
Je ne sais pas comment les juges roumains ont été contraints d’obtenir le bon résultat, comme ils l’ont fait en Moldavie, ni comment ils ont été forcés ou soudoyés pour modifier leur décision initiale de ne pas annuler l’élection, prise quatre jours avant.
Je sais que la propagande en faveur d’un changement de régime bat son plein en Géorgie, où le « mauvais » parti, insuffisamment hostile à la Russie, a eu la témérité de remporter les élections. La présidente de la Géorgie, une française, s’accroche. Ni les importantes sommes d’argent de la CIA, ni les fonds acheminés par l’intermédiaire des ONG de la CIA, ni les pancartes en anglais joliment imprimées n’ont réussi à faire descendre suffisamment de gens dans la rue pour que les manifestations de la « révolution de couleur » paraissent convaincantes.
Pendant ce temps, en France, Macron refuse d’admettre qu’il a perdu les élections et insiste pour nommer une série de ministres de droite qui n’ont aucune chance d’être soutenus par l’Assemblée nationale.
Le simulacre de démocratie occidentale est en train de s’effondrer, tout comme le simulacre de droit international, abandonné par les politiciens achetés par les sionistes dans leur désir de poursuivre le génocide et l’annexion de Gaza.
Craig Murray
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.