La tentative de dissimulation pour l’UIA-752 ayant fait long feu, les luttes au sein de l’« État profond » iranien vont s’intensifier


Par Andrew Korybko − Le 11 janvier 2020 − Source oneworld.press

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Pas de doute, les luttes au sein de l’« État profond » iranien vont s’intensifier ; un haut gradé du Corps des gardiens de la Révolution islamique (IRGC), appartenant à la faction « principaliste » du pays, endosse la responsabilité d’avoir abattu par accident le vol UIA-752, et par la même occasion a levé le voile sur les tentatives du gouvernement « réformiste » de dissimuler l’événement. C’est d’autant plus vrai qu’il a été révélé au cours de la conférence de presse qu’il a donnée que les autorités avaient été informées de cet accident juste après sa survenance, ainsi que le fait que la demande de définition d’une zone d’exclusion aérienne, demandée par l’armée iranienne avant l’accident, et qui aurait pu empêcher cette tragédie, avait essuyé un refus.


La zone d’exclusion aérienne jamais établie

Un haut gradé de l’IRGC, appartenant à la faction « principaliste » de l’Iran, endosse la responsabilité de l’accident qui a abattu le vol UIA-752. L’événement a constitué un moment de mea culpa pour les médias alternatifs, qui jusque-là avaient largement relayé les protestations outrées de Téhéran affirmant que toute accusation de complicité dans cette tragédie constituait un « gros mensonge… (une) opération psychologique… ajoutant l’insulte à la douleur des familles endeuillées ». RT indique qu’Amir Ali Hajizadeh, le commandant des forces aéronautiques de l’IRGC, comme ayant « affirmé que l’IRGC a prévenu juste après l’incident les autorités qu’il avait sans doute frappé l’avion, mais cette information n’a pas été divulguée au public alors même que les opérations d’investigation avaient commencé sur le lieu du crash », ce qui a justifié qu’il avance que « ni l’IRGC, ni l’armée iranienne n’ont essayé de dissimuler l’incident ». Mais le gouvernement « réformiste » ne peut prétendre à la même innocence, lui qui a avancé le récit à présent totalement réfuté selon lequel aucun missile n’était en cause, et ce en dépit du fait qu’il semble avoir été formellement informé des circonstances de l’incident. De fait, le Guardian a également révélé l’existence d’un fil Twitter, dans lequel Reza Khaasteh, un journaliste d’Iran Front Page news, qui a traduit d’autres commentaires écrits par le commandant lors de sa conférence de presse, et révélé l’information choquante qui suit : le commandant indique que « nous avons demandé l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne du fait de l’état de guerre. Mais notre demande n’a pas été approuvée du fait de certaines considérations. » Tout ceci mérite une analyse détaillée, car il semble que la dissimulation soit bien plus profonde qu’on n’a pu le penser au départ.

Une combine chorégraphiée avec soin…

Si l’on peut croire les affirmations du commandant Hajizadeh, et il n’existe à ce stade aucune raison d’en douter, d’importantes luttes sont actuellement en cours au sein de l’« État profond » iranien, qui menacent la stabilité du pays en cette période très sensible géopolitiquement. Dans l’article précédent du même auteur, « États-Unis contre Iran : qui a gagné et qui a perdu ?« , il est avancé que l’Iran a chorégraphié avec soin la réponse promise à l’assassinat du Maj. Gén. Soleimani par les États-Unis ; sur la base de la reconnaissance publique du premier ministre irakien en personne du fait que les Iraniens l’ont prévenu de leur frappe de missiles à l’avance, suite à quoi il avait relayé l’information aux États-Unis pour éviter toute perte humaine. Reuters a plus tard signalé que le Danemark, dont les soldats sont positionnés sur l’une des bases militaires ayant subi les frappes iraniennes, s’était vu averti six heures à l’avance sur les frappes en question, ce qui étaye la conclusion de l’auteur : la réponse de l’Iran était destinée à « sauver la face » sur le plan intérieur, et a prit d’importantes précautions pour que les États-Unis ne réagissent pas militairement. Le commandant Hajizadeh en personne a simplement reconnu ce fait, en disant que « nous n’avons pas agi dans le but de tuer. Nous avons visé pour frapper la machine militaire de l’ennemi. On ne devrait donc se poser aucune question sur le fait que l’attaque elle-même n’aura constitué qu’une combine de soft power, lancée pour répondre à des raisons politiques intérieures, aucune des deux factions « réformiste » et « principaliste » n’étant disposée à prendre le risque de provoquer les millions de patriotes, descendus dans les rues pour manifester, en décidant de quelque action dramatique par suite de l’assassinat du Major Général Soleimani.

… mais partie en vrille

Ces éléments semblent clairs, au vu des raisons sus-mentionnées, mais on ne sait pas pourquoi le gouvernement « réformiste » a refusé la requête, émise par l’IRGC « principaliste », d’imposer une zone d’exclusion aérienne, qui aurait rendu cette intrigue plus « crédible ». Sans que l’on puisse disposer de certitude, on peut penser que les « réformistes » ont fait preuve d’une arrogance telle, sur le fait que les États-Unis ne répondraient pas militairement à leur action coordonnée, si bien qu’ils n’auraient pas vu de raison pour aller aussi loin, et aller jusqu’à priver l’État, frappé de sanctions et à court de liquidités, de ses taxes de survol. À supposer qu’un tel calcul fut à la source de la décision de ne pas clouer au sol tous les vols supposés survoler le pays, cela en dirait long sur l’état de désespérance économique que le pays a atteint, du fait des sanctions étasuniennes unilatérales et de ses menaces de « sanctions secondaires » à l’encontre de tout transgresseur. Mais cela n’explique pas la raison pour laquelle l’IRGC s’est tenue l’arme prête à défendre l’espace aérien de son pays, s’il était réellement convaincu qu’aucune contre-frappe étasunienne n’allait répondre, ni pourquoi les soldats ont sur-réagi à la mauvaise identification d’un appareil civil en cours d’envol comme missile ennemi en approche. Si l’on considère le nombre important de vols qui décollaient et atterrissaient dans les heures suivant la combine iranienne soigneusement chorégraphiée, ainsi que le fait qu’avions et missiles portent des signatures très différentes sur les équipements militaires qui les détectent, les circonstances d’occurrence de cette catastrophe sont déroutantes.

Du sang sur les deux mains

Il y a clairement quelque chose qui ne colle pas. l’IRGC « principaliste » jouait manifestement le jeu du gouvernement « réformiste », consistant à coordonner indirectement une réponse non létale à l’assassinat du Major Général Soleimani, mais la connaissance de ces éléments n’était sans doute restreinte qu’aux personnes ayant à en disposer pour accomplir leur devoir, c’est-à-dire aux plus hauts échelons de l’institution. Les effectifs de plus bas étage opérant les systèmes de défense ne disposaient sans doute pas de ce niveau de connaissance, et pouvaient s’attendre légitimement à une réponse étasunienne écrasante, à un point tel que l’un de leurs opérateurs aura sur-réagi dix secondes après que sa console de détection identifie par erreur un avion civil comme missile de croisière, et aura abattu l’avion en vol. Cette catastrophe aurait sans doute pu être évitée en imposant simplement la zone d’exclusion aérienne, et en intégrant cette fermeture à l’intrigue pour la rendre encore plus « crédible », chose qui aurait également prévenu l’occurrence de l’accident. Après tout, le commandant Hajizadeh a bien affirmé qu’une demande de zone d’exclusion aérienne avait bel et bien été formulée, mais rejetée par le gouvernement. La question qui suit est de savoir pourquoi cette décision a été prise, et par qui. Cette décision funeste a amené à la mort de 176 personnes innocentes, a mis au jour la tentative de dissimulation du gouvernement « réformiste » qui a suivi, a teinté de honte l’IRGC, sans parler de l’attention considérable qui est désormais portée à la réponse chorégraphiée avec soin, et qui l’a donc totalement désavouée. Les deux factions ont du sang sur les mains, mais elles vont à présent sans doute se combattre l’une l’autre pour savoir qui est la plus coupable, dans le cadre d’un jeu de pouvoir opportuniste visant à mettre fin une bonne fois pour toutes à leur lutte au sein de l’« État profond ».

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Kira pour le Saker Francophone

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