La Russie pourrait tirer parti des relations commerciales bilatérales entre Cuba et le Mexique


Par Andrew Korybko − Le 22 juillet 2022 − Source OneWorld Press

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Tous les pays comme Cuba, surtout ceux qui se développent après avoir été ravagés par des décennies de Guerre hybride, désormais reliés globalement dans le cadre de la Nouvelle Guerre Froide, comprennent l’importance de cultiver des liens économiques plus étroits avec les 8 Grands du Grand Sud, tels la fédération de Russie et les États-Unis du Mexique.

Les relations bilatérales entre Cuba et le Mexique — des survivants de la doctrine Monroe et de l’embargo étasunien — ont augmenté en activité au cours de l’année 2022 dans le cadre d’efforts conjoints pour étendre leurs activités économiques réciproques de manière fertile. Le 4 mai, la compagnie aérienne mexicaine Aeromar a augmenté la cadence des vols hebdomadaires à destination de l’île des Caraïbes, et le 8 mai, le président Miguel Díaz-Canel et son homologue mexicain Andrés Manuel López Obrador ont convenu de développer fermement leurs relations bilatérales et de consolider une nouvelle étape de collaboration. Dans le domaine de la santé, le Mexique va embaucher 500 médecins cubains après la signature d’un accord de santé par AMLO durant sa visite à la Havane dans le cadre de cette intensification récente des relations bilatérales entre Cuba et le Mexique. L’accroissement le plus récent dans les relations entre Cuba et le Mexique s’est produit les 14 et 15 juillet, lors du forum d’affaires bilatéral, au cours duquel 12 accords ont été signés, avec pour principal objectif d’étendre les investissements consentis par le géant d’Amérique latine sur l’île, en essayant de consolider et d’accroître les contacts économiques et financiers. Ces premiers accords passés sous l’administration AMLO, s’ils parviennent à leurs fins, vont encourager le Mexique à redoubler d’efforts à Cuba.

Économiquement et commercialement, Cuba se trouve entre le bloc Canada-UE et le bloc multipolaire/du Grand Sud. Si l’on considère la teneur de ses échanges commerciaux, il est évident que celle de Cuba n’est pas purement multipolaire, ni même affiliée au Grand Sud. Outre les accords commerciaux bilatéraux les plus pertinents dont l’île dispose avec le Venezuela, la Chine, la Russie, le Mexique et l’Inde, le Canada et l’Union européenne restent des partenaires commerciaux très importants pour Cuba, surtout en raison du poids de l’Espagne et de la Hollande. Il est donc nécessaire de rendre tangible le potentiel du secteur productif de Cuba face aux besoins de la Russie, et de considérer la manière dont cela peut faire monter les volumes d’activité sur l’île en tirant parti des opportunités créées par les relations bilatérales entretenues par Cuba avec des pays tiers.

Comment la Russie peut en tirer parti

Comme n’importe quel pays du monde, Cuba devrait avoir le droit de diversifier ses partenaires économiques à son gré, car la compétition amicale entre la Russie, la Chine, l’Inde et le Mexique qui émerge de ce nouveau marché multipolaire pourrait bénéficier au peuple cubain en assurant de meilleurs contrats. Le paradigme économique et financier étasunien considère tout comme un jeu à somme nulle. Ce paradigme est incorrect car il n’est pas utile pour évaluer les relations dans le Grand Sud. Par conséquent, les rôles envisagés dans l’industrialisation et le développement des secteurs économiques de Cuba peuvent être à la fois complémentaires et compétitifs — Pas simplement du capitalisme à la tuer ou être tué — mais dépendra en fin de compte sur l’art de la négociation et la capacité de persuasion des acteurs impliqués.

Chacun des partenaires multipolaires de Cuba est spécialisé dans un domaine différent. La Russie est connue pour son infrastructure énergétique de haute qualité, qui démontre a maîtrise en matière d’ingénierie et son inventivité géo-économique ; des entreprises indiennes sont déjà impliquées dans d’importantes activités commerciales et monétaires à Cuba ; des entreprises chinoises sont les pionniers mondiaux des technologies de l’information, des télécommunications et des infrastructures de transport. Il faut comprendre que tout ce travail conjoint va stimuler le renforcement de l’État cubain, et améliorer ainsi les capacités de ses forces de travail, ce qui va rendre l’économie et la société dans son ensemble plus efficaces et plus productives.

L’arrivée au mois de juillet à Cuba d’un tanker russe baptisé le Suvorovsky Prospect, avec 700 000 barils de pétrole, pour une valeur de 70 millions de dollars au prix actuel du marché, est la preuve que le géant eurasiatique a compris l’importance vitale de l’énergie pour chaque État : la quantité d’énergie détenue par un pays définit en soi ses limites de production — comme l’Europe semble le redécouvrir. Le navire pétrolier apporte du combustible aux centrales électriques cubaines et apporte en retour à la Russie de nouveaux clients face aux sanctions occidentales, États-Unis en tête. Le navire appartient à Sovcomflot, la plus grande entreprise de fret maritime russe — qui est sous le coup de sanctions britanniques, canadiennes et étasuniennes.

La Russie et la Chine, ainsi que le Venezuela et le Mexique, en tant qu’alliées multipolaires principales du gouvernement cubain, ont un rôle important à jouer dans le processus d’industrialisation et le développement des capacités de production cubaines. Il s’ensuit, comme produit de la compétition, que les entreprises de ces pays vont œuvrer à améliorer leurs services, produits et contrats entre elles. La Chine constitue l’un des partenaires les plus prometteurs de l’industrialisation pour Cuba, et ce du fait de l’énorme potentiel que constitue son marché et ses capacités d’investissement impressionnantes, ainsi que son aide dans la neutralisation multipolaire graduelle de l’embargo étasunien, et de l’intégration du pays des Caraïbes dans l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie.

La Russie dispose de divers moyens pour pouvoir réintroduire de la productivité à Cuba, depuis son expertise dans l’exploration énergétique et l’exploitation d’accès à des énergie accessibles, pour n’en mentionner que quelques-unes. Une activité économique accrue implique une meilleure productivité, ce qui implique également davantage d’énergie, besoin auquel peut répondre un partenaire d’affaires multipolaire producteur d’énergie, comme la Russie. En réciproque, la possibilité de ressusciter la capacité de production de Cuba et d’accepter diverses importations qui pourraient placer ce pays parmi les 10 premiers importateurs de biens cubains pourrait servir de tuteur à l’économie cubaine, et contribuer à optimiser sa capacité à rembourser sa dette. La Russie a historiquement toujours présenté un impact éclatant sur le tourisme cubain qui, même si cela peut fluctuer d’une année sur l’autre, a toujours connu une croissance significative. Par exemple, la Russie figure parmi les principaux pourvoyeurs de tourisme à l’île des Caraïbes en 2021, à hauteur de 41 %, suivie par la Canada avec 20 %, la communauté cubaine de l’étranger à hauteur de 15 % et l’Espagne en quatrième place. De même, le géant eurasiatique est le 6ᵉ plus gros fournisseurs de biens importés à Cuba, alors qu’il ne figure pour l’instant pas parmi les 10 plus grands clients des exportations cubaines.

Les entreprises des pays qui opèrent déjà dans la zone de développement spécial de Mariel complètent le projet amiral de l’Initiative de la Ceinture et la Route (BRI – Belt and Road Initiative), et pourraient ouvrir de nombreuses opportunités de marchés à tous les pays impliqués, y compris possiblement la Russie. Par exemple, la zone de développement spécial de Mariel, au sein de laquelle 3 des 11 entreprises financées par des capitaux mexicains sont situées — quatre associations économiques internationales, cinq joint ventures et deux intégralement financées par des capitaux mexicains — les relierait également plus étroitement dans une relation d’interdépendance complexe jouant en faveur des intérêts conjoints de chacune d’entre elles. Le lancement de nouvelles relations économiques entre Cuba et l’Eurasie, l’Asie du Sud et l’Asie de l’Est, au travers de leurs relations bilatérales combinées, développera l’emploi, l’investissement et la production, ce qui va aider Cuba à éviter les intenses efforts menés par les États-Unis pour l’isoler, la déstabiliser, et renverser son gouvernement souverain.

Tous les pays comme Cuba, surtout ceux qui se développent après avoir été ravagés par des décennies de Guerre hybride, désormais reliés globalement dans le cadre de la Nouvelle Guerre Froide, comprennent l’importance de cultiver des liens économiques plus étroits avec les 8 Grands du Grand Sud, tels la fédération de Russie et les États-Unis du Mexique. Cela étant dit, Cuba compte également éviter une dépendance trop importante envers un partenaire ou l’autre, si bien qu’elle maintient des relations économiques stratégiques avec la Russie, et étendra sans doute ces relations dans d’autres régions pour contrebalancer la Chine et le Canada. Le travail conjoint du Mexique, de l’Inde et de la Russie au sein d’une initiative d’intégration trans-régionale élargie, possiblement menée par la Chine ou un autre membre des 8 Grands pays du Grand Sud pourrait apporter des bénéfices à toutes les parties concernées, et bien sûr à Cuba. En équilibrant les intérêts de ses six partenaires économiques majeures, Cuba sera en mesure de les engager dans sa réussite et démontrera la possibilité qu’ils ont de coopérer ensemble.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí pour le Saker Francophone

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